04. Le frère et la sœur
Yves se trouvait dans son ancienne chambre d'université avec Corinne. Il ondulait sur elle, en l'embrassant avec envie, et la jeune fille lui répondait de la même manière : avec envie. Encore habillée, alors que lui n'avait que son pantalon et ses chaussures, elle caressait le dos de ce détenteur, celui du lit où elle était allongée et de l'attraction qu'elle sentait croître en elle. Il faisait nuit, ils étaient seuls, et les choses allaient en évoluant. L'air faillit presque manquer. Yves soufflait bruyamment, laissant ses mains retirer le haut rouge de celle qui en était à l'origine. « Yves ! », soupirait-elle les yeux fermés. Il l'interrompit en reprenant possession de ses lèvres, comme si elles étaient l'unique moyen qu'il avait de rester en vie. « Yves ! » reprit-elle un peu plus fort. Yves continuait de l'embrasser. Elle se tortillait, elle le rendait totalement esclave d'elle. Il la désirait de plus en plus. « Yves ! » Il la couvait de baisers. Il était presque obsédé ; mais Corinne ne bougeait plus. Plus un geste de sa part.
Yves sursauta. Elle ne respirait plus. « Corinne ! » Il la secoua, mais le cœur de la métisse avait cessé de battre : elle était morte. Ce constat le bouleversa. Il commençait à suffoquer. La situation était inexplicable. C'était phénoménal. « Tu l'as tuée ! » Il se retourna et, devant la porte close, il vit Nathy. Il saignait au niveau du ventre. Mais ce qui était le plus captivant, c'était cette tête de mort-vivant qu'il avait. Yves se redressa, effrayé, cependant une autre voix l'interpela de la fenêtre : « Tu l'as tuée ! » hurla cette dernière. Il se retourna de nouveau et c'était Lilly cette fois. Elle s'appuyait contre le mur en sanglotant. Du sang s'écoulait de sa hanche droite, et elle faisait également peur. Il trembla. « Tu l'as tuée ! répétaient-ils simultanément. Tu l'as tuée ! » Les larmes aux yeux, Yves contredit leurs accusations mais elles redoublèrent. Aux deux zombis s'ajoutèrent Gloria, Gabriel, le directeur de l'université, Solange, son père, sa mère, Mariam,... toutes les personnes qu'il connaissait. Elles avaient toutes des têtes de mort-vivants. Le jeune homme s'accrochait à son crâne, avec ses doigts, en criant sans arrêt. Il se replia sur lui-même, se préparant à faire une crise de nerf. Il ne voulait pas les entendre. Il voulait qu'ils se taisent. « Non ! s'écriait-il. Non laissez-moi ! » Et quand ses yeux se reposèrent sur le corps étendu de Corinne, elle ouvrit grand les siens et dit « Tu nous as tuées ! » avec la voix de nulle autre que Célia.
Yves bondit en se réveillant. Il était chez ses parents. Personne d'autre que lui n'était dans la chambre. Il faisait noir. Son t-shirt gris, manche longue, était trempé de sueur. Tout fébrile, il regardait autour de lui pour s'assurer qu'il était hors de danger : c'était le cas. Cependant, ça ne fut pas suffisant pour chasser la crainte qui venait de le gagner. À court d'antidote contre ce sentiment, il joignit les mains et commença une prière.
Le soleil venait de se lever et il était donc temps pour tout le monde de commencer sa journée. La veille, Monsieur Éric avait interrogé ses stagiaires et il avait constaté qu'ils se débrouillaient tous très bien, même si deux d'entre eux sortaient du lot : Natasha et, au grand regret de celle-ci, Yves. Ils étaient les plus doués, elle en tant qu'oratrice — sans compter sur sa mémoire infaillible, lui pour aboutir à toute sorte de solutions en un temps record. Natasha avait beau être intelligente, elle considérait pourtant son collègue comme un rival ; il était un rival qu'elle semblait déterminée à vouloir évincer.
Yves retrouva ses parents dans la salle à manger. Son père prenait son petit déjeuner avant d'aller travailler. Pensif, il se tint debout en face de lui, près de sa femme. « Tu n'as pas faim ? lui demanda cette dernière.
— Si, mais je ne me souviens plus de ce que j'avais l'intention de faire en venant par ici !
— C'est parce que tu te couches très tard le soir, insinua son père. Et tout ceci se répercute sur ta mémoire, elle devient défaillante. »
Yves se contenta de relever les sourcils en observant la table, incrédule. La maîtresse de maison, elle, souriait à la remarque de son époux. « Où est Mariam ? les questionna celui-ci.
— Elle sort très tôt ces derniers temps, et elle revient un peu plus tard que d'habitude ! répondit-elle.
— C'est inquiétant ! déclara le chef de famille. Il faudrait peut-être que tu penses à la surveiller, compte tenu de l'âge qu'elle a maintenant.
— Mais non c'est juste que... » Elle se tourna vers leur fils, gentillement, avant de poursuivre : « Elle a besoin de s'évader quelques instants pour réfléchir ! » Yves comprit que sa mère avait deviné qu'ils étaient en froid et que c'était sans doute à ça qu'elle faisait référence. Lui-même y avait songé. Il culpabilisa. Sa petite sœur lui manquait. Il détestait ne pas pouvoir lui parler. Il était prêt à tout pour qu'elle lui pardonne. « Non ! pensa-t-il subitement. Il faut que Mariam comprenne qu'elle ne peut pas se mêler de ce qui ne la regarde pas ! » Son orgueil de grand-frère avait décidé pour lui et il changea d'avis : c'était à Mariam de s'excuser. Son père se leva, après avoir fini de manger, et prit son sac de bureau.
À quelques mètres de là, dans une boutique qui offrait toute sorte d'articles, Célia admirait une robe blanche dos nu assez prêt du corps. C'était le style de vêtements adaptés pour une soirée, comme celles qu'il y avait souvent dans les films qu'elle devait visionner inlassablement. Ne cessant de sourire en la contemplant, elle tâta de ses doigts le tissu : il était exactement tel qu'elle l'imaginait. Elle avait l'air d'être amoureuse, convaincue que rien d'autre n'existait à part cette longue robe couleur perle. Mais on vint lui rappeler que c'était faux en tapant tout doucement sur son épaule. Elle se retourna et resta interdite. « Tu ne peux pas savoir depuis combien de temps je cherche à te voir ! » soupira cette personne, qui était la dernière qu'elle aurait cru pouvoir revoir ; pas qu'elle avait une dent contre elle, mais c'était juste curieux de la revoir. « Tu ne devrais pas être à l'école à cette heure Mariam ? fit-elle calmement, un sourire sur les lèvres, détaillant au passage l'uniforme qu'elle portait.
— Je suis sortie un peu plus tôt de la maison, comme hier, et je passe dès la fin de mes cours par ici. Je cherche à te parler. » Célia appréhendait la tournure qu'allait prendre cette conversation. Elle lui tourna le dos, prétextant s'intéresser à ce qui fut pourtant son coup de foudre du jour il y a quelques instants. « Vas-y je t'écoute ! » l'invita-t-elle timidement à s'exprimer. La sœur d'Yves fut prise d'une soudaine nervosité. « Voilà euh... C'est que, tu vois... Euh... J'ai envie de savoir... Ce qu'il y a eu entre... Mon frère et toi. » La jeune femme avait eu raison : elle n'appréciait pas du tout ce moment. Son premier réflexe fut de ne pas répondre un seul instant. Elle fit encore semblant d'être préoccupée par ce qui ne réussissait plus, néanmoins, à lui faire oublier celui dont on voulait lui parler. « Je sais que mon frère peut être parfois difficile à suivre, reconnut Mariam, comme quand il me parle toujours comme si j'étais incapable de comprendre quoi que ce soit, ou quand il préfère étudier ou se détendre calmement avec ses amis alors que la plupart des gens de son âge traînent dans les bars et changent de filles comme de chemises, ou quand il m'ordonne presque de ne pas écouter des chansons comme celles de Miley Cyrus, Justin Bieber ou Ariana Grande...
— Ça, énonça Célia avec un sourire nostalgique, c'est sûrement à cause de son colocataire de chambre, Nathy !
— Nathy ? répéta son interlocutrice. Il n'en parle jamais, comme de tout ce qu'il a vécu pendant sa première année à l'université d'ailleurs !
— Ça ne m'étonne pas ! se dit-elle, d'une voix si basse que l'autre ne pût l'entendre. »
Elle pivota enfin vers elle. « Je sais ce que tu essayes de faire pour ton grand-frère Mariam et, je te comprends parfaitement, car moi aussi j'en ai un. J'aurais sûrement fait la même chose que toi, si j'étais convaincue que c'était ce qui pourrait faire son bonheur.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Ça ne te servirait à rien de savoir ce qui s'est passé entre nous vu que notre histoire est déjà finie depuis bien longtemps. Yves ne m'aime pas et, de mon côté, il faudrait que je passe à autre chose. »
Oubliant totalement ce qu'elle regardait, Célia réajusta les pans de son sac à main sur son épaule, et passa à côté d'elle. « Célia... » l'appela-t-elle encore, la poussant à se retourner une dernière fois. « Yves a besoin de quelqu'un comme toi, ne l'abandonne pas. Je suis sûre et certaine que c'est toi la fille qu'il lui faut. » Célia était perturbée. Elle lut une certitude dans les yeux de Mariam ; mais elle tourna les talons, la laissant seule devant cette sublime robe blanche qu'elle avait appréciée.
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