03. La journée des surprises


  Yves était sur le point de défaillir. Debout, Célia ne le regardait pas. Elle avait un jolie sourire — ayant pris sans aucun doute tout son temps pour pleurer, comme semblaient modestement l'indiquer ses yeux si on ne se laissait pas berner par son mascara — mais au fond d'elle elle était tendue. L'encadreur se tourna vers elle : « Célia, tu te mets... » Il observa les autres. « On ne va quand même pas mettre les filles entre elles et les garçons entre eux, on n'est pas à la maternelle ! Célia, tu vas t'asseoir à gauche avec Ian et... Yves. » Légèrement, la nouvelle venue avait ouvert la bouche. Yves parut maudire ce hasard qui tentait par tous les moyens de les réunir, à nouveau. Il avait soupiré quelques secondes après.

« S'il vous plait monsieur, l'abordait Yves poliment, ce ne serait pas mieux si j'allais me mettre moi aussi avec les deux filles ? Vous voyez, pour qu'il n'y ait aucune injustice ! » Tout le monde fut étonné par cette demande assez culottée, à l'exception de Monsieur Éric, qui se mit même à y réfléchir. « D'accord Yves, approuva-t-il. Célia, tu prends la place d'Yves et toi Yves, tu te mets à côté de Jolie. » Yves se leva en repoussant sa chaise. Il jeta un coup d'œil vers Célia : elle était perdue. « Pardon Monsieur Éric, fit-elle. Je sais que je viens d'arriver, et que c'est un peu insolite de faire ça, mais j'aimerais sortir un moment si ça ne vous dérange pas.

— Déjà ? s'exclama-t-il. Eh bien, vu que tu as l'air polie je t'accorde cette permission Célia.

— Merci monsieur. » Elle baissa doucement la tête et sortit du bureau.

Comme par enchantement, l'eau de ses yeux se mit à couler et elle posa sa main sur sa bouche, se dirigeant vers les escaliers attenants en scrutant le sol. Pourquoi Yves ne cessait de s'acharner à la faire souffrir depuis qu'ils s'étaient retrouvés tout à l'heure ? Pourquoi la fuyait-il au lieu de l'accueillir ? Et pourquoi ses sentiments pour lui semblaient ne pas s'être effacés malgré ces quatre longues années ? Elle l'ignorait également.

« Ils sont où ces documents ? se demandait à lui-même Monsieur Éric, penché devant une pile de papiers. J'étais sûr de les avoir pris avec moi ! » Les quatre stagiaires se regardèrent, comme s'ils cherchaient à savoir de quoi il parlait. Il se redressa un instant pour cogiter. Yves, lui, épiait sans arrêt la porte avec nervosité. «  Ian, je crois que j'aurai besoin d'aide si ça ne t'ennuie pas.

— Oh, oui monsieur ! répondit Ian en se préparant déjà à le suivre.

— Viens on y va. »

Sans attendre il sortit avec lui, laissant Yves avec les deux filles. Il faillit lancer un énième regard vers la porte quand une voix l'appela à sa gauche : « Hé Beau gosse ! » Il pivota et se rendit compte que c'était la fille dont Ian lui avait en long et en large dressé le portrait. Elle lui fit un charmant sourire, alors que l'autre fille la dévisageait dans son dos, avant de poursuivre « Ça va ? » Yves voulut rester sur ses gardes, vu ce qu'on lui avait dit sur elle ; mais son intuition le poussa à oublier cette initiative pour un moment. « Ça va, répéta-t-il. Et toi ça va ?

— Ça va, lui rendit-elle à son tour. Moi c'est Jolie. Et toi comment tu t'appelles ?

— Je m'appelle Yves.

— Ah mais quelle coïncidence, s'exclamait-elle en gloussant, c'est le prénom de mon mari !

— Vraiment ?

— Oui, je suis surprise ! » L'autre leva les yeux au ciel, à la fois incrédule et énervée. Jolie avait beau avoir l'allure d'une fille facile avec sa haute taille, son décolleté rose qui donnait une belle présentation de son buste, et ce jean bleu qui moulait parfaitement ses formes, mais il semblait se sentir de plus en plus à l'aise avec elle. « Tu te fiches de moi, avoue-le ! nia-t-il, comme si ça ne faisait pas moins de trente secondes qu'ils avaient échangé leurs premiers mots.

— Non je te le jure ! dit-elle en souriant.

— Sérieusement tu penses que je vais croire que quelqu'un d'aussi jeune que toi soit marié ? C'est bien trop fou pour être vrai !

— Puisque je te le dis ! Ça fera bientôt deux ans que je suis Madame Yves...

— Prouve-le !

— Regarde alors... » Elle leva l'une de ses mains et il fut surpris d'y découvrir une alliance. Yves était bouche bée. Il la regarda dans les yeux avant de retourner à sa main, pour être sûr qu'il ne s'était pas trompé ou qu'il n'avait pas halluciné. « Convaincu ? dit-elle en ramenant fièrement sa main à elle.

— Incroyable ! balbutia son interlocuteur, les yeux grand écarquillés.

— Ça doit être pour ça que tu es beau toi aussi ! »

Elle lui fit un clin d'œil. Puis, elle se tourna vers sa compagne, qui lisait un manuel sur les tribunaux africains. « Bonjour c'est Natasha, c'est ça ?

— Bonjour c'est la débile, c'est ça ? vociférera celle-ci en les surprenant au maximum.

— Ma chère, se fâcha Jolie, je ne crois pas avoir cherché que tu me parles de cette façon...

— Et moi je ne crois pas avoir cherché tout bonnement quelque chose auprès de toi à moins que je ne sois folle, et je ne le suis pas ! répondit-elle, sans se détacher de son livre.

— C'est comme ça que tu parles aux gens qui veulent faire ta connaissance ?

— Mais qui t'a dit que je voulais faire connaissance avec..., dit-elle en la toisant, une fille comme toi ? » Elle reprit sa lecture et Jolie revint vers Yves, piquée au vif. Il lui envoya un petit sourire compatissant et elle inspira profondément comme pour dire « On ne peut rien y faire ».

« J'ai au moins réussi à te changer les idées ! déclara-t-elle.

— Comment ça me changer les idées ? s'enquit-il.

— Tu avais l'air perdu dans tes pensées tout à l'heure. Au départ, c'est pour cette raison que j'ai voulu parler avec toi en premier ! » Il était surpris. « C'était pour ça ? » pensa-t-il. Yves avait des doutes sur ce que Ian lui avait dit. Mais d'un coup il se mit à méditer intérieurement. « Vrai ou pas, se dit-il, j'ai déjà appris par le passé que les étiquettes ne déterminaient pas forcément la nature profonde d'un individu ! »

Après tout, il venait bien de découvrir quelqu'un qui l'avait aidé à se concentrer sur autre chose que la jeune femme qui, malheureusement pour lui, réintégra les lieux. Son regard rencontra une nouvelle fois celui du garçon qui avait indirectement causé son départ quelques minutes plus tôt, puis s'en détourna pour de se diriger vers les deux autres personnes présentes. « Monsieur Éric est sorti ? leur demanda-t-elle.

— Il arrive dans quelques instants, répondit Jolie, assieds-toi ! » Ce dernier revint d'ailleurs avec Ian et ils avaient tous les deux les bras chargés de dossiers. Célia avait dû leur laisser le passage. Cette fois, ce fut Yves qui la détailla en train de peigner ses cheveux avec ses doigts. Il ne pouvait pas s'en empêcher. En dépit de ce que sa tête lui suggérait, son cœur lui, demeurait entièrement habité par elle. Même s'il en était en grande partie responsable, il vivait mal cette situation lui aussi.

Ian se mit à côté de Célia et Monsieur Éric prit la parole : « Messieurs et demoiselles, pour commencer votre formation au sein de ce cabinet nous avons décidé, avec Madame Winnie, de vous donner tout d'abord quelques affaires déjà traitées. » Ils furent tous surpris, pour ne pas dire contrariés. « Vous devrez les lire car vous serez interrogés chaque matin à partir de demain et ceci s'étendra jusqu'aux dix premiers jours de votre stage au minimum, les accabla-t-il encore plus (à l'exception de Natasha — qui s'en réjouissait). Ensuite, quand le moment viendra, vous nous aiderez Madame Winnie et moi à traiter des cas concrets et qui sait, peut-être que le meilleur d'entre vous pourra nous assister directement devant un tribunal ! »

Là, tous les cinq furent émerveillés par cette perspective : l'un d'entre eux allait avoir la chance de devenir presqu'avocat et de se tenir aux côtés d'une des plus grandes personnalités de la ville. Yves n'avait bien sûr jamais rencontré Madame Winnie en personne, mais son cabinet était si populaire que le mérite ne devait que lui être attribué. N'importe qui serait prêt à tous les sacrifices pour vivre une expérience aussi grandiose ; et ils étaient cinq à l'envisager.

  À la fin de la journée, Yves était dans son quartier. À force d'avoir passé son temps à lire page après page des affaires plus complexes les unes que les autres, il était complètement épuisé ; et il faut dire qu'être dans un même lieu que l'élu de son cœur sans avoir aucun contact avec lui était très frustrant. Il n'avait même pas le droit de la regarder et pire que ça, il devait à chaque seconde se forcer à ne pas penser à elle. Dieu seul savait pourquoi il se bornait à s'imposer cette punition.

« Alors comme ça Célia et toi, vous vous connaissez ? l'accueillit déjà Mariam, malicieuse.

— Je n'ai pas envie d'en parler.

— Aah vous étiez ensemble ! C'est une de tes ex, n'est-ce pas ?

— S'il te plait Mariam, je suis fatigué ! s'exaspéra-t-il. »

Pourtant Mariam ne paraissait pas prête à lâcher l'affaire. Elle lui barra le chemin. « Allez petit cachottier, je suis sûre qu'il a dû se passer des trucs à l'univers...

— Fiche-moi la paix putain ! hurla-t-il en la repoussant. Est-ce que tu cesseras un jour de te comporter comme une gamine ? C'est emmerdant à la fin ! » La petite sœur du jeune homme fut troublée car elle ne l'avait jamais entendu jurer de toute sa vie. Il ne lui avait jamais crié dessus, ou même bousculée comme il venait de le faire. Yves ne s'en excusa même pas, poursuivant sa route sans sembler se soucier de la blessure interne qu'il avait pu lui causer.

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