02. Les autres stagiaires


  Yves fixait cette personne qu'il n'avait plus revue depuis bientôt quatre ans. Il était étonné. Et malgré ses cheveux naturels dont l'extrémité touchait presque ses épaules, elle n'avait pas changé pour lui ; elle était toujours cette étudiante à la longue coiffure assez volumineuse, celle qu'il avait connue en plein milieu de sa majorité. Célia le regardait aussi. Ses lèvres tremblaient et ses yeux, comme autrefois, brillaient déjà sous le coup de l'émotion. Tantôt elle semblait vouloir sourire, tantôt elle avait l'air d'être prête à s'effondrer. Mariam ne comprenait rien. Célia allait parler, mais aucun mot, aucune lettre ne se fit entendre de sa bouche ; juste le bruit de sa respiration. Elle essaya de lever son bras droit, comme pour inciter Yves à venir vers elle, mais une drôle d'expression prit place sur le visage de ce dernier après qu'il eût deviné son intention : une crainte soudaine semblait l'avoir envahi. Tout doucement, il effectua quelques pas en arrière et il s'en alla, laissant Mariam totalement égarée. Célia ramena son bras à son corps et les larmes aux yeux, elle s'enfuit également. Mariam était plantée là, cherchant à saisir le fin fond de cette histoire qui lui paraissait aussi mystérieuse que la rotation de la terre autour du soleil avant Jésus-Christ.

  Dans le bus, Yves était encore sous le choc : Célia était là, alors qu'il croyait ne plus jamais la revoir. Son inquiétude était facile à déceler, et son silence l'exprimait bien plus qu'il ne le pensait. Dans sa tête, il refit un saut vers sa première année d'université, dans cette ville éloignée de celle où il se trouvait actuellement : tout avait commencé par son coup de foudre pour Corinne, ensuite après quelques heures il y avait eu sa rencontre avec Célia, son incapacité à choisir entre les deux les jours suivants, sa découverte de l'amour physique avec la première, celle de l'amour véritable avec la deuxième, le décès de la jeune métisse, le début de sa relation avec son premier amour, la venue de son ex quelques mois plus tard, les rumeurs, et la suite des événements qu'il ne voulut pas se rappeler... Avec ses mains, il se couvrit la figure tout en soupirant, afin de se calmer.

Le véhicule s'arrêta et le jeune homme descendit. Il marcha environ quelques mètres puis entra dans un immeuble : c'était celui où il devait effectuer son stage. Il y avait deux corridors dedans — l'un du côté gauche et l'autre du côté droit — une porte au coin du mur gauche en face de lui, une autre (du côté droit du mur qui était devant l'entrée), et un escalier en plein centre de ce rez-de-chaussée qui servait, aussi, de salle d'attente. « Vous êtes stagiaire monsieur ? l'interrogea le portier.

— Oui ; répondit Yves, qui ne l'avait apparemment pas encore remarqué avant.

— Prenez l'escalier et au premier étage, vous frappez à la première porte à gauche. C'est là le bureau de Monsieur Éric.

— Oh ! » Il regarda l'escalier en question. « Merci monsieur ! » le gratifia-t-il.

Il grimpa les sept marches qui conduisaient vers le premier étage et dès qu'il aperçut la porte à gauche, il fit ce que lui avait dit le portier. À ce même instant un homme grand, aux environs de la quarantaine, vint à sa rencontre. « Bonjour monsieur, se lança le moins âgé.

— Bonjour, répondit l'homme en le conduisant à lui serrer la main, tu es sûrement Yves ?

— Oui monsieur.

— Je suis Monsieur Éric.

— Oh, je suis enchanté de faire votre connaissance Monsieur Éric !

— Moi de même Yves. Tu es en retard dis-donc ?

— Je ne pense pas, non.

— Ah si, les stagiaires doivent toujours être là au moins quinze minutes avant les travailleurs dans ce cabinet ; c'est l'une des règles.

— Ah bon ! Je l'ignorais, pardonnez-moi.

— Je comprends, mais tu es mis au courant maintenant. » Il le prit par l'épaule. «  Tu peux m'attendre à l'intérieur avec les autres, j'ai une petite affaire à régler. Vous en profiterez peut-être pour faire plus ample connaissance !

— D'accord monsieur. » Monsieur Éric repartit et Yves ouvrit la porte de son bureau.

Trois autres stagiaires, deux filles et un garçon, étaient assis autour de la table qui occupait cette pièce assez large. Il les salua et en chœur, ils lui rendirent sa salutation. Cependant l'une des filles le toisait avec dédain. Pour cette raison, il préféra se mettre à côté du garçon, qui leur faisait face. La fille n'arrêtait pas de le fixer, presque méchamment. Ça le perturbait. « C'est quoi ton nom en fait ? lui demanda son voisin.

— Yves, se présenta-t-il, et toi tu t'appelles comment ?

— Moi je m'appelle Ian.

— C'est bon Ian ! Vous êtes arrivés depuis longtemps en fait ?

— Ça fait environ trente minutes. On a dû d'abord attendre à l'extérieur, les portes étant encore fermées, et ensuite Madame Winnie est arrivée et nous sommes entrés avec elle.

— Madame Winnie ?

— La patronne de ce cabinet mec ! Tu ne la connais pas ? » La fille ne le regardait plus, mais un sourire moqueur s'était esquissé sur son visage. « Comment tu as eu cette place alors ? reprit Ian à voix basse.

— C'est... grâce à un oncle, reconnut Yves timidement.

— Donc c'est la première fois que tu découvres cet endroit ?

— J'avoue oui.

— Oh ! Dans ce cas, laisse-moi te faire les présentations. »

Ian était un garçon noir, bien qu'il ne l'était pas à l'extrême. À peu près de la même taille qu'Yves, il n'était pas très mince, mais son inaptitude était facile à deviner. Une légère touche d'orgueil émanait de lui avant même qu'il n'ait pu commencer à parler. Au fond, Yves ne l'appréciait pas vraiment, mais il n'avait pas le choix : il devait se remettre entre ses mains. « Celle qui a l'air tout le temps fâchée c'est Natasha, commença celui-ci en se penchant vers lui. Apparemment, c'est le genre de filles très intelligente et qui prend les études un peu trop au sérieux à mon goût. » Yves l'observa. Elle lui lançait encore des éclairs avec ses yeux. Il se demandait ce qui n'allait pas chez cette fille. «  L'autre elle..., poursuivait son interlocuteur, je ne sais pas ce qu'elle fait ici !

— Pourquoi ? chuchota tout comme lui le jeune homme.

— Je ne savais pas que ce cabinet acceptait les... Comment dire ça de façon catholique ? Les Filles publiques.

— Attends tu veux dire que cette fille c'est une...

— Ouais ! Du moins, c'est ce qu'elle était à l'époque où je l'ai connue.

— Je n'aurais pas pu l'imaginer !

— Il n'y a qu'à voir ce dessus qui crie « Admirez le chef-d'oeuvre » et son maquillage pour le deviner ! Remarque aussi la façon dont ses jambes sont placées, c'est une invite directe ! Oh et devine son prénom : Jolie ! »

Ian ricana tout doucement tandis qu'Yves la fixait. Elle ne se doutait même pas qu'elle était le sujet de leur conversation. Il examinait ce physique attrayant, mis encore plus en valeur par des lèvres roses, ces yeux aguicheurs — malgré eux semble-t-il —, jusqu'à cette sériosité qui détonnait de l'assortiment complet. Seulement, le jeune observateur se comportait en juge, n'ayant pas les mêmes pensées luxurieuses que celles qu'il avait perçues dans les yeux de celui qui avait d'une certaine manière dénigré la jeune femme. Son esprit savait qu'il ne devait pas s'attarder sur ce genre d'idées, vu les nombreux préjudices auxquels elles l'avaient conduit par le passé.

La porte s'ouvrit et Yves manqua de faire un arrêt cardiaque : au pas de l'entrée, Monsieur Éric venait de faire son retour avec, à sa droite, une Célia aussi surprise que lui mais qui sut se contrôler à temps cette fois-ci. « S'il vous plait, fit Monsieur Éric pour attirer leur attention à tous les quatre. J'aimerais vous présenter Célia, elle sera des vôtres durant ce stage. Vous êtes donc tous arrivés ! » Yves tressaillit de son siège sans que personne ne l'eût remarqué. À en croire la tête qu'il affichait, il ne l'avait pas pressenti. Il l'avait presque fuie, et la voilà qui se retrouvait au même endroit que lui.

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