2. Les nouveaux venus
Yves se préparait à sortir de sa chambre quand son colocataire entra, enveloppé d'un peignoir bleu marine et d'une serviette rose sur la tête.
- Bonjour ! dit Yves.
- Bonjour, lui répondit-il, toujours avec un certain manque de cordialité. Tu comptes t'éterniser ici ou quoi ? Parce que moi je voudrais m'habiller !
- Ne te fâche pas ! Je m'apprêtais à aller en cours d'ailleurs.
- D'accord, fit-il en mettant ses mains sur ses hanches.
Yves prit son sac et laissa ce « Nathy », qui avait l'air d'être exaspéré par lui sans savoir que c'était presque réciproque.
Lorsqu'il fut hors de la chambre, trois garçons qui étaient derrière lui s'approchèrent.
- C'est toi le colocataire de la fiotte ? demanda le premier.
- Oui, répondit-il, surpris.
- Comment elle est avec toi ? le questionna ensuite le deuxième en souriant. Elle essaye sûrement de te draguer à chaque instant ; je n'ai pas raison ?
Yves sourit également, mais avec une certaine gêne, contrairement aux autres.
- Ne nous dis pas que tu l'es toi aussi ! s'écria le troisième.
- Que je suis quoi... Oh non ! s'exclama Yves, agité. Je ne suis pas...
- Comprenez, dit le premier, c'est un silence de première année qu'il nous fait. Tu es bien en première année non ?
- Oui oui, première année de droit ; répondit Yves.
- Et bien, reprit le premier d'un air menaçant, en plus de savoir où se trouve ta chambre, on sait aussi où tu suis tes cours, bleu !
Ils ricanèrent en s'en allant. Yves comprit alors qu'il venait de se présenter à des anciens sans le vouloir et l'anxiété se mit à l'envahir.
Pendant qu'on donnait cours, Yves, sur la deuxième rangée, n'avait pu le suivre qu'un court moment. Son regard se diriga évasivement vers la quatrième et dernière rangée de la salle et il y vit Célia, la fille excentrique de l'autre fois, assise près du mur. Il souriait encore en se remémorant ce qui s'était passé quand il entendit des filles bavarder.
- Tu connais la métisse, Corinne ? disait l'une d'elles.
- Ah oui ! répondit l'autre. La seule de la salle non ?
Yves sentit son cœur faire un bond ; il savait maintenant comment elle s'appelait. Corinne, un nom qu'il ne comptait plus jamais oublier.
- Hier elle a failli se brûler en jouant avec le feu, déclara la première.
- Comment ça « se brûler » ?
- Elle a tenté de séduire un professeur !
- Tu n'es pas sérieuse ? cria presque son interlocutrice, oubliant probablement que le silence est de mise en cours.
- Si ! Elle a commencé à le tutoyer, lui dire qu'il était beau et séduisant ; elle a même essayé de le prendre par le bras ; mais le professeur n'a pas pris de gants et l'a remise à sa place ! Il aurait dû la signaler aux responsables de l'établissement à mon avis !
- Non mais qu'est-ce qu'elle croit ? Qu'on est en Europe ici ou quoi ?
- Alors là, c'est sûr qu'elle doit le penser ! Je sens que c'est une mauvaise fille celle-là !
- Oui. Je suis d'accord avec toi. Et dire que je ne me le serais jamais imaginé !
Yves, qui avait tout entendu, jaugea du regard celle dont parlaient les deux étudiantes derrière lui, bouleversé par ce qu'il venait d'entendre sur elle. « Comme quoi, se disait-il, on ne sait jamais de quoi les gens sont vraiment capables ! ».
Après la fin des cours, Yves était en train d'aller vers sa chambre quand il vit partout autour de lui les étudiants de première année détaler dans tous les sens. Il eut un peu peur, car il se demandait ce qui pouvait bien se passer, et c'est alors qu'il vit des anciens de l'université arriver dans la cour. Il se retourna précipitamment dans le sens inverse, tremblant à l'idée d'être vu et bizuté ; malheureusement pour lui, les garçons de ce matin étaient également présents et lorsque l'un des trois l'aperçut, il le montra alors du doigt aux autres et ils décidèrent de se charger de lui personnellement. Sans crier gare, ils se mirent à courir après lui afin de l'attraper. Ayant entendu leurs pas, Yves se retourna mais n'eut même pas le temps d'essayer de leur échapper : il fut pris.
Dans la rue, en pleine nuit, les trois anciens se moquaient du jeune homme, qu'ils avaient habillé en élève d'école primaire avec une culotte noire et une chemise blanche, et essayaient de l'effrayer en usant de ces mots dont on se sert quand on est face à quelqu'un qu'on sait moins avantagé que soi. Ils le firent entrer dans un bar presque vide où il n'y avait que le gérant et quatre clientes parmi lesquelles se trouvait Corinne, la métisse qui était dans la même classe qu'Yves. Elles se retournèrent et s'esclaffèrent en le voyant avec cette tenue d'écolier bien trop petite pour lui.
- Franchement les gars, dit Corinne en gloussant, vous n'êtes pas sympas !
- Estime-toi heureuse la blanche, lui rappela l'un des garçons pendant qu'ils prenaient des chaises afin de s'asseoir à leur table. On aurait pu aussi nous charger de toi vu que tu es également en première année !
Corinne ne dit plus rien. Elle but une gorgée de bière, à la bouteille, tout en fixant Yves, que ses ravisseurs avaient laissé debout. Elle le regardait avec tellement d'insistance qu'il passa d'embarrassé à nerveux.
- Donnez-lui au moins une chaise juste pour qu'il se mette avec nous, reprit-elle.
- Qu'est-ce qui te prend Corinne ? s'étonna une de ses amies.
- C'est que ce pauvre garçon est tout couvert de honte...
Soudain, une pensée sembla lui traverser l'esprit.
- J'ai une idée : on n'a qu'à jouer à pile ou face pour savoir lequel d'entre nous le gardera !
- Pardon ! s'exclamèrent tous ses amis.
- Allez ! supplia-t-elle. Vous avez la trouille ou quoi ?
- Apparemment tu te prends pour sa frangine, dit l'un des garçons.
Corinne les fixait en faisant une moue de bébé pour les attendrir.
- On fait comment les mecs ? demanda-t-il aux autres.
- Hmmmmm..., hésitait un peu un autre. Bon, d'accord.
- Et toi ? dit-il en regardant le dernier.
- Okay ! fit celui-ci en relevant les épaules.
- On est tous d'accord Corinne, déclarait le premier. Pile nous continuons de nous amuser avec lui, face tu le prends et vous vous en allez ensemble.
Corinne enleva de son sac beige une pièce de monnaie, qu'elle remit au garçon avec qui elle avait négocié sur le sort d'Yves. Il la prit et dix secondes après, la lança en l'air. Tandis qu'Yves semblait furieux, Corinne, elle, était inquiète. La pièce toucha à nouveau la paume du garçon et quand il vit de quel coté elle était tombée, il redressa la tête en souriant. Tout semblait perdu pour Corinne.
- Face !
- Pardon ! s'écria Corinne en se levant de sa chaise.
- C'est face, répéta-t-il en lui montrant la pièce, tu as gagné.
Corinne sauta en poussant un monstrueux « Whoaouh » et ensuite, elle monta sur la table et shoota dans toutes les bouteilles qui l'occupaient, une après une.
- Corinne ! cria le gérant derrière le comptoir.
- Pas de souci Papi Éric, répondit-elle en dansant comme une folle, l'alcool y étant peut-être pour quelque chose. Je paie pour tout le monde. C'est ma tournée !
Yves ne savait pas comment se sentir. Devait-il penser que Corinne venait de le délivrer de ces trois jeunes hommes ou qu'il se retrouvait par contre dans une situation beaucoup plus périlleuse avec elle ?
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