L'Ange du Bonheur


Les deux filles grandirent rapidement, sous l'œil vigilant de leurs anges gardiens. Comme Mayla l'avait prévu, leur enfance se passa sans problème majeur. Pourris gâtées par leurs parents, elles s'affichaient avec morgue et arrogance devant le grand public. Damien comprenait enfin pourquoi il détestait cette technique; il méprisait alors son Client et cela tournait obstinément mal.

Un beau jour, elles entrèrent au gymnase. Cela n'aurait eu rien de particulier si cela n'avait été une école publique. Celle-ci jouissait d'une telle réputation que les parents des deux jeunes filles n'avaient pas eu à hésiter longtemps.

Une fois arrivées dans le hall, les deux jumelles eurent une moue de dégoût.

— C'est infesté par la vermine ici ! s'exclama Marguerite en fronçant son petit nez mutin.

Sa sœur se rapprocha d'elle sans rien dire, dans un consentement silencieux.

Damien lui avait déjà fait vivre quelques situations malaisées pour la confronter avec le monde réel. Contrairement à Mayla, il aimait façonner ses Client selon sa morale.

Des regards curieux se tournèrent vers elles, inclinaient la tête avec déférence. Elles n'eurent aucun mal à installer leur petite cour et de hiérarchiser l'école afin de trôner en dictateurs.

Marguerite trouva facilement un souffre-douleur, très vite reconnu comme tel par toute la classe. Seule larme noire dans une marée blanche, il encaissait chaque jour remarques et plaisanteries racistes sans broncher.

Les six premiers mois passèrent sans remous et Noël arriva. On tira dans la classe des prénoms de camarades pour jouer aux « Anges du bonheur ». Chaque élève devait, en tant qu'Ange, donner discrètement un petit cadeau à la personne nommée sur le petit papier.

Diane sentit une goutte de sueur glisser sur sa joue. Le nom de la personne qu'elle avait harcelée tout le semestre s'étalait en lettres noires devant elle.

Personne ne lui tiendrait rigueur de ne rien faire.

Au contraire.

***

Les vacances se présentèrent et les élèves commencèrent à dévoiler leurs identités d'Ange du bonheur. Des remerciements et rires résonnèrent dans la salle tandis que des flocons mouillés s'écrasaient sur la fenêtre.

Le souffre-douleur restait dans son coin et ne trahissait rien des émotions qui bouillaient en lui. L'élève à qui il avait offert une statuette sculptée par ses soins, des heures de travail acharné, l'avait remercié du bout des lèvres, avant de rejoindre les autres, dans la lumière.

Au milieu de la salle, Diane se mordit la joue, nerveuse, et lui jeta un coup d'œil. Alors qu'elle avait pris sa décision, la plus raisonnable, elle était tombée par pur hasard sur une pile de disque de musique classique qu'il avait avoué convoiter devant le prof.

Une vieille collection de sa mère, enfouie dans la poussière du grenier. Comment était-elle donc arrivée là ? Ah, oui, elle s'en rappelait à présent.

Par une malchance incroyable, elle avait reculé trop fort son livre, placé sur la table de nuit, et cassé sa lampe de chevet. La réserve de celle-ci se trouvait au grenier.

Damien se frotta les mains, il avait fait du bon travail. Mayla le regardait avec inquiétude, elle voyait le dénouement probable de cette histoire d'un mauvais œil.

Diana s'approcha de la victime attitrée de la classe.

Mayla augmenta les chances d'un vase de tomber sur elle. Les conséquences d'une telle insubordination se répercuteraient sur sa Cliente. Damien leva un sourcil et contrecarra la manœuvre avec l'aide de l'Ange du souffre-douleur.

— Et bien, tu ne me remercies pas ?

Diane tendit sa main vers Jean.

— Je suis ton Ange du bonheur, insista-t-elle en un grand sourire.

Le silence s'était installé dans la classe. Jean leva la tête, muet devant cette fille qui se penchait vers lui, la main tendue, auréolée d'une lumière chaleureuse, qui ne l'avait jusqu'à présent pas touché, comme absorbée par sa peau noire.

Les yeux de Marguerite se remplirent de haine.

La scène se fondit dans un tumulte bruyant.

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