La tête posée sur le dessus d'un canapé de cuir rouge, les yeux mi-clos, Ebénezer laissait les vagues de la musique électronique déferler sur lui. La palpitation régulière des basses lui donnait l'impression de sentir son cœur battre à nouveau ; les effluves de sang des corps qui s'agitaient, tout proches, l'enivrait. Il ne se sentait jamais aussi vivant qu'ici, entouré de son troupeau. Qui eut cru que lui, Ebénezer de Malmaison, forgé dans les intrigues des bals de sa Majesté, se plairait en un tel lieu de débauche ? Finalement, la modernité n'avait pas que des inconvénients.

Rassasié spirituellement, il releva la tête en passant sa langue sur ses canines. Qui ce soir connaîtrait l'insigne honneur d'être choisi ? D'un œil expert, il jaugea la foule. Derrière le cordon doré de son carré VIP, des habituées rivalisant de beautés et d'atours lui lancèrent des œillades désireuses. Elles avaient attendu toute la soirée qu'il daigne enfin s'intéresser à elles, pathétiques. Ebénezer les ignora, il avait perfectionné l'art de se faire désirer depuis bien longtemps et, de toute façon, ce soir, il ne cherchait qu'une seule chose : un peu de nouveauté.

Son regard se porta au delà des danseurs, dans l'ombre des alcôves où se dissimulaient couples à la recherche d'intimité et âmes esseulées. C'est là qu'il la vit, lançant des regards mauvais à la dérobade, son corps tour à tour prostré et défiant. Elle lui évoquait un poisson hors de son bocal, mais pas n'importe quel poisson, non, un poisson-globe plein de piquant se gonflant pour impressionner les prédateurs. Ebénezer sourit, voilà qui le changerait.

Puisant dans son âme noire, il plongea son regard dans celui de sa proie. Ses lèvres esquissèrent un unique mot, muet : viens. L'esprit de sa proie ne lui résista pas. Il était faible, faible comme celui de toutes les outres à sang.