7 - Cauchemars
Yunho se tortilla entre les couvertures pour échapper au soleil qui agressait ses paupières fermées. Il était si bien dans ce lit et… Yunho se redressa comme un ressort, se rappelant soudain où il était et avec qui. Mingi dormait toujours profondément à côté de lui, une main posée sur le haut de la cuisse du serveur qui la fixa de longues secondes sans rien dire. Une sensation de chaleur remonta dans son ventre et il l’accueillit en grimaçant. Mingi lui faisait définitivement de l’effet. Il plissa les yeux quand un nouveau rayon de soleil l’aveugla entre les rideaux fermés à la hâte.
La chambre de Mingi était un vrai capharnaüm. Des dessins et posters couvraient les quatre murs, si bien que Yunho aurait été incapable de deviner la couleur du papier peint dessus. Même le plafond était recouvert de peinture. L’océan était à l’envers, au-dessus de sa tête. L’eau translucide laissait voir le corail et des poissons multicolores. Le sable presque blanc lui donnait envie de passer sa main à l’intérieur pour sentir les grains rouler sur sa peau. Le talent du jeune homme endormi le frappa de plein fouet. Beaucoup des dessins accrochés au mur n’étaient que des esquisses mais, en quelques coups de crayons à peine, Yunho voyait au travers le regard de Mingi. L’émotion qui transparaissait dans certaines de ses œuvres était forte, violente. Ses yeux s’arrêtèrent sur une balançoire seule face à la mer déchaînée. C’était idiot, mais, quand il contemplait sa vie, Yunho se sentait comme cette balançoire. Seul face à la violence de son existence.
Quand son regard se posa finalement sur le réveil rouge hideux de Mingi, ses yeux s’écarquillèrent d’horreur. 9h04. Il avait deux heures de retard. Le patron allait le noyer dans l’océan. Yunho bondit hors du lit et s’enfuit comme un voleur, ne remarquant pas Hyunah à l’entrée de la cuisine l’observer filer par la fenêtre grande ouverte du salon, un petit sourire aux lèvres. Il avait pensé à attraper son sac et il sourit en y trouvant la peluche que Mingi lui avait achetée la veille. Une fois dans la rue, il ne se trouva pas plus avancé. C’était l’artiste qui l’avait emmené ici avec sa voiture. Si Yunho devait se rendre au bar à pied, il arriverait certainement à temps pour le service du soir.
— Putain de merde.
Il posa un regard de chien battu sur les maisons aux alentours et sourit de toutes ses dents en croisant le regard d’un voisin de Hyunah. Yunho livrait aussi les courses à Monsieur Yoon. Sans perdre de temps, il courut vers lui en le voyant monter dans sa vieille voiture cabossée. Si Yunho avait envie d’être méchant, il dirait que cette vieille titine avait vécu la guerre mais puisque cette voiture allait peut-être lui sauver la vie, il s’abstient.
— Qu’est-ce que tu fais ici, bonhomme ? lui demanda Monsieur Yoon après avoir baissé laborieusement la vitre de la fenêtre.
— Euh… j’ai fais les courses pour un voisin et ma voiture est tombée en panne mais je dois absolument aller au café pour travailler et-
— N’en dis pas plus et grimpe. Ma princesse et moi on va au front de mer de toute façon.
Yunho ne se fit pas prier et monta dans la princesse. Il écarquilla les yeux quand il se rendit compte qu’il voyait la route sous ses pieds. La tôle était plus trouée que le fromage français que les américains mangeaient quand ils venaient faire des entraînements à Ulleungdo.
— N’ai pas peur ! Ma princesse en a vécu des choses, pas vrai ?
Yunho se retint de dire au vieil homme qu’il ferait mieux de regarder la route au lieu de caresser le volant avec amour.
— Je vous fais entièrement confiance, monsieur, réussit-il à mentir convenablement.
Après une éternité à rouler, le compteur de vitesse étant cassé, Yunho n’avait même pas essayé de trouver l’allure exacte d’escargot qu’ils avaient, le vieil homme le déposa, sain et sauf, devant le bar. Au moins, ça avait été plus rapide que la marche. Yunho s’inclina une bonne dizaine de fois pour remercier monsieur Yoon.
— Aller file garçon si tu veux pas plus te faire disputer !
Yunho tourna les talons après un dernier remerciement et franchit en courant les portes du Jineun Hae, attirant tous les regards des clients sur lui. Il s’attendait à se faire foudroyer par le regard grave du patron mais il n’y avait que Wooyoung derrière le bar qui le scanna de haut en bas avant de sourire diaboliquement. Yunho n’avait pas changé de vêtements depuis la veille, ils devaient certainement être froissés par le sommeil, il s’était coiffé à la vis vite dans la voiture et n’avait pas pu se brosser les dents.
— Quelqu’un a eu une nuit intéressante ? lui chuchota Wooyoung sur un ton moqueur alors que Yunho disparaissait dans l’arrière boutique pour enfiler son tablier et récupérer son calepin et son stylo.
Il se contenta de souffler fort, ce qui fit beaucoup rire son ami. Yunho posa son front contre le mur de la petite pièce et prit une grande inspiration pour se donner du courage. Il savait que les questions de Wooyoung allaient plus le fatiguer que les quelques clients de la matinée. Il jeta un regard circulaire aux cartons empilés dans tous les coins de la pièce, observa les balais et serpillères à la recherche d’un échappatoire. La fenêtre était bien trop petite pour qu’il ne s’échappe par là et, de toute manière, il avait déjà assez donné en fuite ce matin. Il se mordit la lèvre, pendant soudain au garçon qu’il avait abandonné dans le lit, sans même un petit mot. Comment Mingi allait réagir en se réveillant ? Yunho espérait qu’il n’allait pas s’énerver ou croire que… Que quoi ? Qu’il n’était pas intéressé ? Bon Dieu, il se connaissait à peine, pourquoi fallait-il qu’il pense à ça ?
— Yunho ? J’espère que tu t’es pas enfui par la fenêtre ! Tu sais que tu peux pas m’échapper, hein ? le rire de sorcière de Wooyoung le fit gémir de désespoir.
— J’arrive, répondit-il d’une voix traînante avant de sortir de l’arrière boutique.
Wooyoung avait quitté l’arrière du bar pour servir un café à un couple d'habitués. Yunho s’attaqua à la plonge après un rapide coup d'œil circulaire à la salle. Il y avait peu de monde ce matin, Yunho avait raté le rush d’avant le départ au travail. Ses lèvres se tordirent en une moue coupable alors qu’il se mit à frotter vigoureusement les assiettes sales. La vingtaine de tables n’étaient occupées qu’au tiers par des personnes âgées ou des retardataires au travail comme lui. Un homme cabossé par le travail manuel lisait le journal du jour en tenue de marin. Le soleil entrait par la grande baie vitrée encore fermée, donnant une teinte plus claire aux lambris de bois au mur.
— Alors ?
L’arrivée discrète de Wooyoung le fit sursauter et les baguettes qu’il nettoyait retombèrent dans l’eau de l’évier. Son ami avait le menton posé sur la main, le coude appuyé contre le bar. Ses yeux pétillants l'analysaient avec amusement. Il avait relevé ses longs cheveux noirs pour en faire une queue de cheval qui suivait chacun de ses mouvements. Le tracé de sa mâchoire était encore plus mis en avant, de même que son cou musclé. Yunho aimait beaucoup cette coupe.
— Rien, mentit Yunho.
— Rien ? Tu arrives en retard pour la première fois en trois ans avec, pardonne-moi l’expression, la tête d’un mec qui s’est fait baiser toute la nuit.
Yunho piqua un fard et arrossa Wooyoung pour chasser sa gêne. Le serveur poussa un cri aigu quand la mousse s’accrocha à sa chemise propre.
— On n’a pas… il baissa la voix en remarquant que le marin avait quitté son journal des yeux pour s'intéresser aux deux serveurs. On n’a pas couché ensemble !
— Ah oui ? Wooyoung ne le croyait pas au vu de son ton. Vous avez fait quoi alors ? Et ne me dis pas rien, j’ai tenu le café sans toi ce matin et tu me dois bien ces infos pour te faire pardonner.
— Je suis désolé pour ça, s’excusa Yunho en baissant la tête. Je te prendrais une après-midi pour compenser ou…
Yunho suivit du regard l’indexe de Wooyoug bouger de gauche à droite juste devant son nez. L’air sérieux du serveur l’avait fait taire.
— Je m’en fous de ça Yunho. J’ai bien survécu certains soirs seul avec un Yeosang hors service en mode mon dieu San est l’homme de ma vie ! Regarde comme je bave sur son torse sculpté par un génie du mal, Yunho pouffa devant l’imitation foireuse de leur ami dont les oreilles devaient siffler à l’heure actuelle. Je m’en fous que tu sois en retard. J’ai remplacé Enchae à la dernière minute ce matin et tout est ok, vraiment. La seule chose que j’espère c’est que t’ai passé un excellent moment hier et cette nuit pour oublier ton réveil pour la première fois en trois ans.
Sans comprendre pourquoi, Yunho sentit les larmes lui monter aux yeux. Wooyoung fit la moue avant de le serrer dans ses bras.
— Tu mérites d’être heureux Yunho, peu importe si c’est avec Mingi ou quelqu’un d’autre. T’es trop jeune pour avoir des yeux aussi fatigué et avoir l’air d’avoir tout vu. Je m’inquiète pour toi, tu sais ? Promets moi d’essayer avec lui ou au moins essayer de prendre un peu de bonheur au passage.
Yunho hocha la tête. Il savait que s’il ouvrait la bouche, les larmes allaient tomber en cascade. Wooyoung serra fort ses mains entre les siennes avant de le laisser quelques secondes plus tard pour prendre la commande d’un nouveau venu. Pour passer le temps, voyant le café se vider petit à petit sans se remplir, Yunho raconta à Wooyoung sa sortie de la veille avec Mingi.
— Ah le tir à la carabine pour la peluche, c’est trop mignon, s’extasia Wooyoung pour la millième fois alors qu’il expliquait tout.
— Et on a failli s’embrasser sur la grande roue.
Le serveur en face de lui manqua de tomber du petit tabouret où il était assis.
— Vous quoi ?! Mais dis donc c’est du rapide entre vous, ricana-t-il en vidant un verre de coca au passage. Fait pas cette tête Yuyu ! C’est juste que je t’ai jamais vu avec personne, ça fait quelque chose à mon petit coeur de voir mon fils se dévergonder.
— Mais va te faire foutre, rit Yunho en lui jetant son torchon au visage.
Wooyoung l’évita mais tomba à la renverse dans le processus. Le bang résonna sûrement à l’autre bout de l’île.
— Ah putain mon cul !
— A défaut d’avoir baisé cette nuit t’auras caliné le sol.
Les deux serveurs tournèrent la tête vers Yeosang, accoudé contre la porte du bar. Yunho glissa sa main devant sa bouche pour rire sans retenue. Wooyoung roula des yeux mais accepta la main de l’étudiant pour se lever. A part eux et les deux cuisiniers qui préparaient les plats du midi, il n’y avait personne. Il était presque 11h30, les clients n’allaient pas tarder à arriver. Yeosang partit ouvrir la terrasse pendant que Wooyoung et Yunho dressaient les tables. Alors qu’il plaçait les verres sur les tables, l’esprit de Yunho se perdit à nouveau vers la veille et vers les bras de Mingi qui l’avaient portés avec tant de douceur jusqu’à son lit.
🌊🌊🌊
Le silence était épais dans le salon. Seheul tricotait sur le canapé et Yunho, à côté d’elle, essayait tant bien que mal de lire un livre. Il sentait que sa mère brûlait de lui poser des questions. Le soleil éclairait avec force la pièce et ses rayons traversaient les feuilles des plantes. Yunho soupira quand il relut la même phrase pour la cinquième fois d'affilée et posa le livre à côté de lui.
— Tout va bien mon chéri ? lui demanda sa mère en posant ses aiguilles sur ses genoux. Tu n’es pas rentré hier, où as-tu dormi ?
Les pelotes de laines grises et noires éparpillés à ses pieds n’étaient plus que des tas informe. Yunho se doutait qu’elle lui tricotait une énième écharpe pour l’hiver.
— Chez Mingi.
— Le petit fils de madame Song ? Elle me parle souvent de lui quand je la croise. Il n’était pas venu depuis cinq ans, elle doit être très heureuse de le voir. Je ne savais pas que vous étiez devenu amis.
Un ami… Yunho ne savait pas s'il avait envie que Mingi devienne son ami.
— Oui, c’est assez… récent.
— Je suis contente que tu te fasses de nouveaux amis ! Ça fait tellement longtemps que tu ne me parles de personne. Et en parlant de bonnes nouvelles, le médecin m’a dit que je pourrai bientôt recommencer à travailler.
Yunho se crispa contre le dossier du canapé. C’était le même médecin qui lui avait dit qu’elle pouvait retourner travailler l’été précédent alors que son cancer s'aggravait. Cet homme n’était rien d’autre qu’un charlatan qui faisait payer une fortune à ses patients pour la moindre consultation. Malgré tout, il restait le moins cher sur la côte du continent.
— Est-ce que le médecin ne t’a ne serait-ce que examiné une seconde ? demanda Yunho en tentant de maîtriser sa colère.
— Mon chéri, tu sais que les soins coûtent cher.
Yunho se leva d’un bond du canapé.
— Bien sûr que je le sais, c’est moi qui les paie !
C’était lui qui payait les soins, la maison, les courses et tout le reste. Il faisait tout pour prendre soin de sa mère, pour qu’elle ne manque de rien jusqu’à se priver lui-même. Seheul reculait contre le dossier, surprise de la colère de son fils.
— Et il nous a menti l’année dernière ! Tu aurais pu… mourir, il souffla ce dernier mot, soudain à court d’air.
Yunho essaya de garder un air neutre malgré la vague de peur qui l’étreignit. Il devait rester fort pour eux deux. Sa mère attrapa ses poignets et le tira vers elle. Ses genoux heurtèrent les coussins du canapé et il se laissa tomber dans les bras de Seheul.
— Je vais mieux, je te le promets, souffla-t-elle alors qu’elle caressait ses cheveux. Je ne te laisserai pas mon chéri. Je sais que tu as peur pour moi mais je vais bien.
Malgré les paroles douces de sa mère, Yunho ne pouvait pas s’enlever de l’esprit les heures passées à l’hôpital à tourner en rond à regarder sa mère branchée à un tas de machines. Il sentait encore les regards pleins de pitié des infirmières sur lui. Il entendait encore les médecins lui demander ce que sa mère avait prévu pour son enterrement. Il voyait encore son teint cadavérique, jour après jour. L’impuissance qui l’avait dévoré n’avait presque rien laissé derrière elle. La guérison de Seheul avait été qualifiée de miraculeuse mais Yunho était bien trop épuisé pour la fêter, pas après avoir passé plusieurs jours dans des magasins de pompes funèbres pour choisir un cercueil et des fleurs.
Il étouffa un sanglot contre sa main. Sa mère ne se rappelait de rien de ces quelques semaines de calvaires. Yunho ne lui avait jamais raconté comment il s’était senti à ce moment. Rien qu’y penser lui donnait la nausée et l’envie de se rouler en boule dans son lit. Il ne voulait pas rajouter de la culpabilité à Seheul. Savoir qu’elle avait indirectement rendu son fils aussi triste ne l'aidera pas à aller mieux.
Après quelques minutes à essayer de se calmer, Yunho essuya ses yeux humides et se redressa. Seheul tenait toujours fermement ses mains.
— Maman, je veux que tu changes de médecin.
— Les autres sont hors de prix mon chéri, tu le sais bien, tenta-t-elle en caressant son poignet.
— Alors je travaillerai plus. Je refuse que tu retournes le voir. Je te trouverai un autre médecin et je prendrai rendez-vous pour toi.
Son air déterminé fit flancher Seheul qui accepta. Yunho ne voulait plus jamais la voir ainsi, ses cauchemars étaient déjà suffisants. Trois ans que cela durait. Trois ans à s’inquiéter et à trimer pour essayer de rattraper les bouts de sa vie en morceaux. Ses rêves de quitter Ulleungdo et de faire des études, il les avait enterrés depuis longtemps. Seul comptait sa mère et sa guérison. Yunho ne vivait plus que pour cela.
— Je vais faire à manger, dit Seheul en se levant.
— Je vais t’aider.
— Non, Yunho. Va te reposer, lui ordonna sa mère en caressant sa joue. Je fais une soupe et tu as déjà coupé les légumes hier soir, il n’y a rien à faire à part vérifier la cuisson. Je t'appellerai quand tout sera prêt.
A contre cœur, le jeune homme monta les escaliers et entra dans sa chambre. Il s’effondra sur son lit, l’esprit vide. Il posa les yeux sur son petit sac posé au pied de son lit et tendit le bras. Il en sortit la peluche en forme de Golden retriever, la serra contre son torse et se roula en boule. Yunho savait que les cauchemars ne l’épargneraient pas cette nuit.
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