2 - The night we met

Le soleil s’était évanoui à l’horizon. Le ronronnement incessant des vagues accompagnait ses pas alors qu’il se rendait au bar de la plage. Ce bar restaurant était un des rares de l’île et tous les jeunes savaient que toutes les meilleures soirées -et les seules- se passaient là-bas. Mingi marchait sans regarder devant lui, le regard rivé sur la mer d’encre à peine éclairée par la lune. Un porte conteneur voguait au large des côtes, une simple lumière sur une étendue baignée dans l’obscurité. Le vent faisait voleter ses cheveux ébènes et il passa sa main cernée de bagues dedans pour les dégager de ses yeux.

Le crissement du sable sous ses pieds accompagné du vent et des cigales fut bientôt remplacé par un brouhaha indistinct de rires, de discussions animées et de Deam On d’Aerosmith alors qu’il s’approchait du restaurant. Le soir, le bar qui donnait sur la plage tournait à plein régime jusqu’à deux heures du matin. Sur pilotis et quasiment les pieds dans l’eau, une grande toile rayée blanche et bleue uniquement soutenue par des piliers de hêtre, la terrasse du bar était à elle seule une carte postale d’un coin de paradis.

Des fauteuils bleus et beiges étaient posés çà et là sur la terrasse ainsi que quelques tables. Le zinc, posé contre le seul mur de la terrasse, complétait le tout dans une décoration orange vif qui piquait sérieusement les yeux. Des bouteilles et des verres étaient posées en équilibre sur des étagères et deux serveurs s’activaient derrière le comptoir, à moitié camouflés par des tireuses à bière. Sur des chaises hautes, les consommateurs trinquaient entre eux, les coudes appuyés sur le bar. Une porte derrière le zinc donnait accès à l’intérieur du restaurant, fermé à cette heure. Seuls les serveurs faisaient des allers-retours pour récupérer les plats préparés par la cuisine.

Mingi se trouva une petite place sur une table inoccupée dans un coin, contre la rambarde. Il sortit sans attendre son carnet de croquis et sa trousse de son tote bag et l’ouvrit à une page vierge, comme pour se donner une contenance. Il tapotait le bout de son crayon sur le papier, il n’avait pas dessiné dedans depuis des années. L’air d’Ulleungdo semblait faire remonter l’ancien lui à la surface. Il passait ses journées à dessiner avant. Il avait même rêvé d’intégrer une école d’art, se rebeller contre ses parents et devenir un artiste. Un rire ironique secoua ses épaules. On n’échappe pas à son destin, il l’avait bien compris. Il s’était inscrit dans une filière d’administration publique, comme l’avait souhaité ses parents. L’idée de devenir artiste était morte -sans même être enterrée- cinq ans avant, tout comme une partie de son âme. 

Rien que penser à ses études et ses parents lui suffit à jeter son crayon contre la table. Il soupira à nouveau longuement et s’adossa contre la chaise. Ses doigts pianotèrent contre le dossier en osier alors qu’il scrutait tout ce qu’il se passait autour de lui. Une fille avoisinant son âge buvait un cocktail, sa jupe courte et son débardeur dangereusement jugés par des personnes plus âgés à l’autre bout de la terrasse. Mingi était fasciné par la confiance tranquille qui se dégageait d’elle. Sa peau dorée reflétait les lumières tamisées de la terrasse. Ses longs cheveux ébènes tombaient en cascade sur ses épaules jusqu’à sa taille. Mais ce qui attira les yeux de Mingi fut le jeune homme qui s’assit près d’elle. Ses cheveux étaient mi-longs et caressaient sa mâchoire dessinée d’un trait sûr et sec. Il adressa un regard froid aux vieux hommes qui fixaient la jeune femme de manière insistante. Il avait un putain de charisme. Ils partageaient les mêmes cheveux brillants et la même peau tannée. Des frères et sœurs peut-être ? Il avait un look androgyne et une tenue qui contrastait avec masculinité dure des traits de son visage.

L'attention de Mingi se posa sur un serveur qui venait d’apparaître auprès des deux jeunes adultes et y resta gluée. Joie de vivre. Simplicité. Douceur. Tels étaient les mots qui lui venaient à l’esprit quand il observait le serveur. Chacun de ses gestes étaient gracieux et méticuleux, il semblait flotter plus que se déplacer. Les lumières chaudes des lanternes et guirlandes lumineuses donnaient à sa peau une couleur de miel. Son sourire illuminait son visage quand il discutait avec des clients.

Sans même réfléchir ni regarder un instant son carnet de croquis, Mingi saisit son crayon et se mit à dessiner. C’était la première fois en plus de cinq ans que les tracés venaient naturellement et qu’il avait envie de laisser une trace indélébile sur le papier. Son art l'absorba. Tout autour de lui semblait disparaître, ne demeurait que l’image fugace du serveur aux pommettes rondes absolument adorables. Les traits formèrent bientôt un visage aux traits doux et aux yeux pétillants. Mingi sourit à son œuvre et mâchouilla quelques secondes la pointe de son crayon avant de se remettre au travail. Il chercha des yeux son modèle mais celui-ci avant mystérieusement disparu.

— Je vous sers quelque chose ?

Mingi sursauta et tourna la tête vers la gauche si vite qu’il faillit se briser la nuque. Il croisa le regard doux et amusé du serveur qui baissa rapidement les yeux sur son carnet de croquis. Un sourire étira ses lèvres charnues et rouge framboise. Mingi s’empourpra. Il ferma son cahier d’un geste du bras et s’enfuit du bar sans demander son reste. Il entendit à peine la voix rauque et inquiète du serveur l’appeler alors qu’il s’éloignait jusqu’à son vélo. Une fois à califourchon sur la selle, il se rendit compte de l’absurdité de son geste et pensa franchement à se jeter sous les roues de la première voiture qui passerait. Il avait été stupide, ridicule, embarrassant, gênant. Tous les adjectifs qu’il connaissait pour décrire sa situation y passèrent. Pourquoi est-ce qu’il avait fait ça ? Il était vraiment aussi con que ça ? Putain oui. Il s’était enfui. Enfui comme un putain de gamin de douze ans devant son premier béguin.

— Mingi t’es pitoyable, se dit-il.

Il pédala encore plus vite jusqu’à l’autre bout de l’île où habitait sa grand-mère. Les longs ponts enjambaient la mer calme et noire d’encre. Le cris des vagues se brisant contre les rochers couvraient tous les autres bruits. Peu de voitures circulaient à cette heure, Mingi repéra des phares rouges loin devant lui. Il pouvait presque se sentir seul au monde. Son tote bag frappait sa cuisse à chaque coup de pied sur les pédales. Son souffle saccadé par l’effort résonnait à ses oreilles. Il se demanda soudain pourquoi il n’était plus revenu à Ulleungdo depuis si longtemps. Cette île si loin de tout pouvait presque lui donner le sentiment que le monde n’existait plus. Presque… Il accéléra encore pour chasser ses pensées. Pourquoi avait-il espéré que ses démons resteraient sur le port alors qu’il embarquait vers l’île ?

Une fois en haut de la colline, il aperçut les lumières de la fête foraine annuelle briller au loin. Elle allait rester là tout l’été, Mingi n’avait pas l’intention d’y mettre les pieds. Une voiture passa en face de lui et l’éblouit un instant. Il n’avait pas pris sa montre avec lui, il n’avait aucune idée de l’heure qu’il était. Il se doutait que sa grand-mère s’inquiète pour lui, elle était plutôt du genre imperturbable dans toutes les situations. Après tout, c’était elle qui avait envoyé Mingi sortir en vélo en pleine nuit. Il laissa le vent frais de la côte le pousser jusqu’à la maison. Il jeta son vélo dans les buissons et s’enterra sous sa couette, prenant juste le temps de retirer son pantalon, son pull et son T-shirt. Malgré toutes ses tentatives, il n’arrivait pas à s’enlever de la tête sa fuite minable devant le serveur.

 — Quel con… murmura-t-il pour lui-même alors qu’il s’endormait. 

🌊🌊🌊

Un long sifflement sortit Mingi du sommeil. La lumière entrait en grand dans sa chambre, il n’avait même pas pensé à fermer les rideaux avant de s’affaler sur le lit. Il regarda quelques instants la poussière voleter dans le rai de lumière. Sa chambre était restée intacte depuis sa dernière visite, huit ans auparavant. Un poster hideux des ZZ Top couvrait une partie d’un mur. Il aimait toujours ce groupe, il était juste moins… excessif. Tout autour s’étendait des dessins plus ou moins ratés et bariolés. Le Mingi de quatorze ans avait l’air d’une toute autre personne. Des babioles dont il n’avait même pas souvenir d'avoir possédé un jour dans sa vie décoraient une commode de bois clair. Il aurait été bien incapable de dire de quelle couleur était le papier peint tant les dessins recouvraient chaque milimètrre carré des quatre murs. 

La sonnette de la maison retentit à nouveau et Mingi grimaça, comprenant que c’était elle qui l’avait réveillé. C'était beaucoup trop tôt le matin pour entendre ce bruit strident. Il se tira de son lit en grognant quand le visiteur insista une troisième fois après une dizaine de secondes. Qu’est-ce que faisait sa grand-mère ? Il enfila un jogging à la hâte et ignora le T-shirt roulé en boule au sol. La fraîcheur de sa chambre arracha un frisson à la peau nue de son torse.

— Mamie ! hurla-t-il en sortant de sa chambre.

— Je surveille une cuisson ! Ce doit être le petit Yunho qui m'apporte les courses. Tu veux bien aller ouvrir ?

En bougonnant, Mingi traversa le couloir, passant devant la chambre de sa grand-mère et une autre à jamais fermée. Il descendit lourdement les marches menant au rez-de-chaussée. Il passa rapidement sa main dans ses cheveux pour se coiffer et saisit la poignée. Qui pouvait bien être ce morveux qui sonnait aussi tôt ? Il ouvrit la porte d’un geste brusque et se figea en voyant le serveur de la veille. Il ne s'attendait pas à ce que le petit Yunho soit plus grand que lui.

— Bonjour ! lança joyeusement le serveur.

Mingi lui ferma la porte au nez. Un T-shirt. Il lui fallait un T-shirt. Vite, vite, vite, vite grouille-toi. Il monta les escaliers quatre à quatre jusqu'à sa chambre, attrapa le premier vêtement qui lui passa sous la main et redescendit tout aussi vite en manquant de s'éclater contre les marches. Il s'arrêta à bout de souffle devant la porte, hésitant à rouvrir. Il venait de se taper la seconde honte de sa vie quelques heures à peine après sa première et devant le même garçon. Mingi était maudit, il n'y avait pas d'autres explications.

— Aller ouvre sinon ça va être pire, s’encouragea-t-il tout bas.

Après une profonde inspiration, il ouvrit la porte. Yunho était toujours sur le palier, un grand sourire aux lèvres.

— J'ai cru que tu allais me laisser dehors ! Je ne mange pas tu sais ? rit-il en entrant.

Il passa avec deux sacs de course devant un Mingi cramoisi et se dirigea vers la cuisine. Il resta immobile dans l’entrée jusqu’à ce qu’il entende sa grand-mère saluer joyeusement Yunho. A contre cœur, il suivit le jeune homme. Celui-ci déballait déjà les courses alors que Hyunah remuait quelque chose dans une grande marmite. La cuisine était petite mais parfaitement équipée. Chaque recoin avait son utilité et Hyunah préférait voir Mingi hors de cette pièce le plus souvent possible. Petit, il avait cassé son wok préféré, elle ne s’en était jamais vraiment remise. Les grandes mains de Yunho déposaient avec douceur les produits sur la table, Mingi avait rarement observé autant de délicatesse chez une personne. Il pouvait presque s’imaginer comment il dessinerait chaque doigts, chaque tendons pour finir avec l’os. 

La main de Yunho s’arrêta en plein mouvement et Mingi leva la tête. Son regard croisa celui du serveur et il vit une rougeur s’étendre sur ses joues rebondies. L’artiste détourna le regard, il devait avoir l’air d’un taré à fixé le jeune homme ainsi. L’image de ses grands yeux bruns presque noirs restait tout de même gravée dans sa rétine. L’envie de les dessiner lui démangeait les doigts. Hyunah sembla se rendre compte de son regard insistant car elle lâcha un instant des yeux sa marmite.  

— Yunho je te présente Mingi, mon petit-fils ! Il est là pour toutes les vacances.

— Oh... c'est donc lui le fameux Mingi ? Vous m'avez tellement parlé de lui.

Sa grand-mère avait fait quoi ?! Mingi jeta un regard outré à sa grand-mère qui l'ignora si bien qu’il en fut presque impressionné. Yunho avait l’air très amusé par la situation, un sourire laissait entrevoir ses petites dents blanches. 

— Vous vous êtes vu hier soir au Jineun Hae, n’est-ce pas ? enchaîna Hyunah en retournant remuer sa mixture. 

Quand Mingi croisa le regard de Yunho, ce fut à son tour de rougir. L’amusement faisait pétiller les yeux du serveur et l’artiste se revit partir en courant à la seconde où il avait ouvert la bouche pour lui parler. Quel con

— Brièvement, répondit Yunho. Avec tout le monde qu’il y avait, j’ai à peine eu le temps de lui dire bonjour. 

— Bien bien, sa grand-mère hocha la tête pour appuyer ses paroles. Veux-tu rester manger avec nous ?

Leurs regards ne s’étaient pas lâchés depuis le mensonge de Yunho. La cuisine aux tons blancs immaculée avait disparu, de même que le blabla incessant de sa grand-mère. Qu’est-ce que Mingi le trouvait beau. Ses mèches châtains tombaient sur ses grands yeux en croissant de lune, son nez droit et fin et puis sur ses lèvres à la fois fines et pleines qu’il avait dessiné avec tant d'ardeur et de fascination la veille. 

— C'est très gentil à vous mais ma maman m'attend. 

La voix douce et posée de Yunho le sortit de sa contemplation. 

— Un jour tu resteras ici, je te le promets ! rit Hyunah. 

Le serveur sourit et remercia sa grand-mère avant de s’incliner devant elle. Hyunah demanda à Mingi de raccompagner Yunho jusqu’à la porte. Mingi venait seulement de réaliser qu’il était déjà presque midi. Il avait dormi comme une masse. Il ouvrit la porte et se décala pour laisser passer le serveur.  

— Au fait, dit Yunho en s'arrêtant sur le palier. Tiens, tu l'as oublié au café hier. 

Mingi baissa les yeux sur le carnet de croquis que Yunho tenait entre ses mains.

— Oh... euh... merci ? bégaya-t-il en le saisissant. J'imagine que...

— Non, ce sont tes affaires, je n'y ai pas touché.

Il n'avait aucun moyen de le vérifier mais Mingi le crut sur parole. En même temps, il était sûrement plus facile pour sa dignité de penser que le serveur n'avait pas vu son dernier croquis.

— Merci, Yunho.

Le sourire que le jeune homme lui offrit fit rater un battement à son cœur. Comment quelqu'un pouvait-il avoir l'air aussi mignon et innocent en souriant ainsi à pleines dents ?

— On se reverra au café, ok ?

Ce n'était pas une question et Mingi le comprit très bien. Il hocha la tête avec un petit sourire et regarda Yunho s'éloigner vers la rue, monter dans une vieille voiture vert bouteille et disparaître de son champ de vision.

— Il est mignon, hein ? 

Mingi sursauta et poussa un cri en voyant sa grand-mère juste à côté de lui. Il ne l'avait pas entendu arriver.

— J’imagine, répondit-il sur la défensive. 

— Il fait craquer toutes les vieilles dames comme moi sur cette île. Un charmant jeune homme. 

— Un charmant jeune homme, répéta-t-il automatiquement. 

Peut-être allait-il ressortir de cette maison plus tôt que prévu. Se rendre au café lui semblait tout à coup une excellente idée. 

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