XIV

Licinia regarda autour d'elle les dégâts qu'elle avait commis. Sa chambre était totalement détruite. "Mère va m'égorger..." Constata-t-elle sans vraiment être anxieuse.

Sa rage s'était apaisée, car la prochaine action qui se produirait serait exaltante. Elle tuerait Titus avec une passion si apparente que l'hyperbole même de la magie serait outrée. À la simple pensée d'entendre ses cris déchirants, tout en se prosternant devant elle pour lui demander le pardon, Licinia sourit. La douleur lui procurait une grande chaleur. Car en soi, qu'elle fut la vie sans la souffrance ? Elle serait bien ennuyante.

⏤ Licinia ! S'exclama une qruize inconnue qui arriva précipitamment dans sa chambre.

Les qruizes étaient des cousines des elfes. Elles étaient des êtres de petite taille pouvant aller de soixante à quatre-vingt-dix centimètres de haut. Elles étaient généralement maigres et avaient des bras et des jambes grêles. Leur tête, surdimensionnée par rapport à leur corps, était dotée de grands yeux globuleux et d'oreilles semblables à celles d'une chauve-souris. Il était compliqué, d'un point de vue physique, de différencier un mâle d'une femelle.

Tel que les nains, elles étaient connues dans le monde ancien pour jurer beaucoup.

⏤ Il y a un putain de problème... continua-t-elle d'un ton funeste.

⏤ Vous êtes ? Fit Licinia confuse.

⏤ Venus. Mais y'a pas l'temps pour les présentations. Je suis une députée, alliée de M. Decimare, et...  lui et sa femme sont morts, annonça-t-elle froidement. Morts par cette même personne ; Titus Solonius.

Licinia ricana d'une voix nerveuse.

⏤ QU'A-T-IL OSÉ FAIRE CE SALE CHIEN ! Hurla-t-elle brusquement alors que ses yeux redevenaient entièrement noirs. Oooh, la mort lui sera encore plus virulente... Reprit-elle plus doucement.

Elle n'eut pas le temps de pleurer leur mort, car Venus lui ordonna de préparer quelques affaires plus fuir l'Italie, étant donné que Titus voulait à présent lui retirer la vie.

Elle mit dans une fine couverture blanche ce dont elle avait besoin, puis quitta la demeure avec Venus.

Venus la guida dans une calèche tirée par des sombrals, et les chevaux ailés finirent par s'envoler dans le ciel.

⏤ Navrée que ce soit si précipité, déclara Venus en allumant calmement sa pipe. Et navrée également, de n'être pas intervenue lors de l'assassinat de ton père. Comme beaucoup des alliés de Decimare, on nous a retenu en dehors du sénat.

⏤ Je ne pourrais pas vous en vouloir, la rassura-t-elle d'une voix douce. Seuls les meurtriers méritent ma haine.

⏤ Avant que tu ne planifie une vengeance morbide, je me dois de te donner quelques indications. Ton oncle Hector Publius, le frère de ta mère, tu dois le retrouver à Albion.

⏤ En d'autres termes, les terres britanniques, rectifia-t-elle, n'aimant par le terme "Albion" qui évoquait la gloire de Merlin.

Des heures passèrent et les bêtes firent une pause. Les sombrals finirent par atterrir dans une plaine où le froid fut effrayant et blessant. En voyant en vieux papier sur l'industrie moldue reposer sur le sol, Licinia sut qu'elle était à présent quelque part en Suisse - sans doute au sud.

Elle et Venus, érigèrent une grande tente à l'aide de leur magie, finirent par y entrer, et posèrent leurs méfaits à l'intérieur.

Épuisée et attristée, Licinia s'affala sur la couche et alluma sa pipe pour se préparer au sein d'un voyage spirituel unique.

Deux heures après l'installation de la tente, Licinia se reposait sur un divan moelleux. Les yeux clos, elle jouissait des odeurs du vin et des plaisirs que procurait la fine odeur de la mandragore. La fumée de la pipe en or venait se mélanger avec celle de l'encens.

⏤ Tu as de la visite, annonça Venus.

Elle lâcha un grognement. Elle n'appréciait pas le fait qu'on ose la réveiller alors que son corps flottait dans les nuages rosés.

Licinia se redressa et fit face à Venus. Ses yeux étaient présents et absents en même temps. Les pupilles se dilataient et les points rouges venaient se mélanger avec ses allèles marrons.

Venus la gifla, et Licinia releva doucement la tête.

⏤ Merci... marmonna cette dernière. Nuit ou jour ?

⏤ Nuit. Vous pouvez rentrer ! Accorda Venus d'une voix résonnante.

Un homme fit son apparition. Son accoutrement fait par du crin de sombral et les tissus de sa veste récoltées par quelques poiles de chimère confirmaient qu'il était bel et bien un sorcier de sang pure de bonne famille. Or, Licinia devina facilement que ce n'était qu'un simple moderniste. Ses yeux étaient charbonneux et ses cheveux noirs comme le firmament, bien coiffés tel un aristocrate ; Achille Donatelo se nommait-il.

⏤ Mme Decimare, ce sont des nouvelles de Rome, annonça-t-il en baissant la tête.

Malgré les éloges évoquées à son sujet, les échelons qu'il avait escaladé, ce sang pure était soumis face à la puissance de l'héritière Decimare. Même un tel homme, au crin de baguette si puissant, ne pouvait rivaliser face à son profond courroux.

⏤ Parle pauvre vers de terre !

Licinia qui était sous le septième ciel il y avait à peine quelques minutes, gardait en elle sa voix tranchante et son agressivité.

⏤ Je suis profondément désolé mais il faut que l'héritière Decimare se prépare dans son grand voyage dans l'au-delà.

Le silence transperça le tissus de la tente.

⏤ Quand ? Demanda-t-elle tout simplement.

⏤... maintenant.

Il baissa la tête et se retira de la tente.

Ce fut comme un claque pour Licinia. Ses yeux furent brouillés par les larmes. L'eau salée se mélangea avec la couleur rougeâtre de ses yeux. Licinia feignit d'être chamboulée et affectée. Mais en vérité, elle fut bien hâtée de ce qui allait se dérouler par la suite.

⏤ On le laissera pas faire, la rassura Venus en se postant à l'entrée de la tente.

Plusieurs sorciers finirent par entrer dans la tente, et avant que Venus ne tente quoi que ce soit, un elfe fut plus rapide, la projetant contre les pans de la tente, inconsciente.

Ils avaient les regards carnassiers. Leurs lueurs dans leurs pupilles étaient cruelles et incontrôlables. Licinia reconnut sénateurs. La jalousie rongeait leurs os, c'était comme une bonne bouchée à chaque repas pour plus de fureur au moment propice.

Elle aperçut Titus Solonius arriver d'un air regard vainqueur et son sang ne fit qu'un tour.

Licinia se leva, feignant d'accepter le châtiment mené par Titus en personne. Il tenait lui-même le glaive qui allait s'enfoncer dans sa gorge.

⏤ Une incantation qui vous tue, n'est pas assez douloureuse, pas assez significative. C'est bien trop simple, vous ne méritez pas de mourir ainsi, vous méritez de mourir dans l'agonie et le tourment !

⏤ Vous êtes en colère Titus ! Mais pourquoi ? C'est vous qui avait tué Tiberius n'est-ce pas ?

Une étincelle de fureur passa dans ses yeux. Il lui envoya une gifle et sa tête se tourna automatiquement.

⏤ Je crois en connaitre la raison finalement ! S'exclama-t-elle d'une voix insolente alors que sa lèvre saignait. Vous êtes jaloux de mon père parce que ma chère mère ne vous a jamais aimé ! C'est ainsi que vous les avez tués ! Vous êtes pitoyable.

Il ricana de manière sarcastique. Il savait qu'elle n'oserait plus l'insulter de la sorte, lorsque qu'il la pourfendrait pour mettre fin à cette tyrannie.

⏤ Vous, les femmes du diables, battaient vos amants, car vous avez toutes un coeur de chienne. Ta mère Gaia fit un pet foireux et tu naquis de sa colique.*

Licinia secoua la tête.

⏤ Fais ta prière.

⏤ Non.

Ses lèvres s'étirèrent et ses pupilles s'illuminèrent. La dague qu'elle tenait dans sa main droite s'enfonça dans la chaire de son ennemi. Un écoulement de sang vif sortit de la bouche de cet homme afin de tacher le beau tissu doré du divan sur lequel était assise Licinia.

Les quatre autres sorciers allaient la saisir afin de clôturer sa misérable vie. L'un d'eux prononça une incantation. Les étincelles jaillis de sa main pour toucher le corps de la jeune femme n'eurent aucun effet. Licinia resta assise en tailleur, les fixant de ses pupilles dilatées.

Ses mains tapotèrent le corps sans vie de Solonius, tout en crachant la fumée de sa douce mandragore enfermée dans cette pipe en or.

⏤ Alors ? Tuez moi.

Elle ouvrit ses bras en V pour accueillir cette mort froide chaleureusement.

⏤ Je suis vulnérable, seule contre tous.

Elle prenait des airs dramatiques, les yeux larmoyants, comme une pauvre jeune fille en peine.

Sanguino cottonare !

L'incantation sur Licinia n'eut aucun effet. La rage et l'excitation dominaient d'une telle puissance son esprit, que le sortilège s'était estompé - pas assez puissant pour percer ses noires ténèbres.

Le groupe de sorciers resta bouché-bée, figé, ne sachant que faire. Selon eux, Licinia Decimare n'était pas humaine. Personne ne sortait sans blessure face à une incantation virulente.

⏤ Allez tuez moi ! Les supplia-t-elle en mettant ses mains en pénitence. Vos têtes ne me font pas rire, pourquoi cet air si sérieux ?

L'esprit frivole s'engouffrait dans ses pensées. Ils la pensaient atteinte de folie.

⏤ Vous ne me laissez pas le choix alors ; c'est tuer ou être tués.

Ils allaient s'enfuir, car elle pouvait faire ce qu'elle voulait d'eux, car Licinia était regorgée de magie cruelle.

Ses yeux fusillèrent les sorciers. Leurs os furent bloqués.

Licitai invoqua quatre bocaux qu'elle ouvrit par la suite. Quatre grosses sangsues en sortirent. Elles s'écrasèrent contre le sol comme des pommes avariées et rampèrent en direction des quatre pétrifiés.

⏤ PAR PITIÉ MADAME ! Hurla l'un d'eux.

Elle les ignora.

⏤ JE VOUS EN CONJURE !

Ils s'agitèrent afin d'échapper au funeste destin qui les attendait, or, le destin était inévitable.

⏤ VEUILLEZ NOUS PARDONNER !

⏤ PAR CANIDIE JE VOUS EN PRIS !

Les lèvres de Licinia s'ouvrirent pour leur dire quelque chose. Toutefois, ils étaient dos à elle - ils ne pouvaient guère la voir.

⏤ Vous jurez par Canidie ? VOUS JUREZ PAR CANIDIE ?! Cette saleté... Qui fait honte à notre belle et vénérée magie ! J'allais vous libérer, car on me vénère pour ma douce sagesse. Car je dois être vénérée. JE LE MÉRITE !

Mégalomane était-elle. Ils l'avaient courroucée. Ses yeux étaient tranchants, noirs, profonds, car Licinia était dominée par ce grand courroux. Car Licinia n'aimait pas Canidie.

⏤ J'apprécie entendre les gens crier. Car ça doit être si douloureux...

⏤ Alors par vous Decimare ! Votre excellence laissez-nous !

⏤ Par Decimare... Répéta-t-elle.

Elle sourit.

⏤ J'aime bien...

⏤ Oui par Decimare ! Insista un autre.

⏤ Voici le langage poétique tant évoqué par Heidegger...

Ils commencèrent tous les quatre en coeur à prononcer ces phrases pour manipuler son esprit instable.

⏤ Libérez-nous votre excellence ! Par Decimare libérez-nous !

Elle entendait ces demandes comme une prière. On l'honorait.

Les sangsues commencèrent à escalader leurs chevilles. Elles avaient toutes les quatre un rythme régulier et elles progressaient leurs chemins en même temps. Licinia voulait entendre ces sorciers crier tel un seul homme.

⏤ Par Decimare libérez nous ! Par Decimare libérez nous !

Ils commencèrent à paniquer et insistèrent dans leurs paroles.

⏤ C'est si... poétique. Peut-être que l'on vous accueillera dans l'au-delà, puisque vous m'avez honorée.

Elle sourit froidement.

Licinia ne vit point leur réaction, mais entendit leurs cris. Les sangsues aspirèrent avec voracité leurs chaires afin de récupérer le sang encore chaud qui bouillonnait en eux afin qu'ils fussent exsangues. "Quels bruits stridents !" Pensa-t-elle toute émoustillée, la chaleur la prenant de court. Les cris perçants étaient pires que les corbeaux, ils donnèrent une cacophonie effrayante en ces lieux-ci.

Ils perdaient la vie, leurs sangs se vidant lentement, donnant plus de goût à la douleur. Et puis, ce fut la mort.

Ils tombèrent tous les quatre en même temps, baignés dans une mare de sang qui fut la leur.

Licinia trancha la tête de Titus, son sang lui giclant en plein visage. Elle poussa son corps et le liquide rouge de Titus se mêla à ceux de ses compagnons.

Elle saisit sa tête par les cheveux et la balança en dehors de la tente. Ainsi, si d'autres sénateurs se rendaient en ces lieux-ci, ils verraient le message clair de Licinia destiné à tous ceux qui souhaitaient mettre fin à sa vie.

Nda : *toujours une si belle phrase d'Appolinaire.

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