IV
8 août 1898
⏤ Pourquoi le sol est-il distordu ? Pouffa Tiberius qui recracha la fumée apaisante de la douce mandragore.
Une odeur d'opium se mêlait à celle de l'encens, fusionnant tel deux amants. Certains coussins étaient spécifiquement dédiés à la débauche et à l'extase. Les pipes fumantes flottaient solitaires sur des plateaux dorés, et les clients allongés sur les divans les saisissaient avant de s'adonner doucement à une dépravation excitante.
⏤ Il n'est pas distordu, il a complètement disparu, ricana Licinia.
Ses yeux évasifs furent captivés par un large trou noir qui s'était formé dans le sol. Il semblait vide et infini. Aucun son ne vibrait cette atmosphère. C'était silence rude, froid, glacial, sec. Le trou noir était d'une ampleur telle que Licinia inclinait la tête vers lui, attirée tel un aimant.
⏤ Les enfers se sont ouverts sous nos pieds ! S'exclama-t-elle. On va tous mourrir.
⏤ La mort c'est sur-côté... Souffla Tiberius.
Ils rirent à gorge déployée.
⏤ Qui est plus puissant que la mort selon toi ? S'enquit Licinia d'une voix évasive.
⏤ L'amour.
⏤ L'amour ? Répéta-t-elle en se moquant.
⏤ N'est-ce pas magnifique ?
Licinia haussa les épaules en lui jetant un sourire narquois.
⏤ La mort nous est inconnue. L'amour est si... niais. Et l'amour ça déçoit.
⏤ T'a-t-on brisé le cœur au passé ?
⏤ Je suis encore un fruit mûre.
Telle fut sa réponse.
⏤ L'amour ne se réduit pas au plaisir.
⏤ Quoiqu'il en soit, je dirais que non... Ô ma vie est si rose ! Ironisa-t-elle en riant.
⏤ Une couleur qui t'irais à merveille, rit à son tour son ami.
⏤ Le rose c'est la couleur du soleil qui se couche... Je suis le soleil.
⏤ Un soleil qui brille de tous ses rayons.
Ses lèvres s'étirèrent davantage. De ses yeux rouges, elle contempla le visage de son ami. Il s'était lui-même retourné pour lui faire face. On aurait dit deux êtres humains qui se découvraient pour la première fois. Des sourires si abstraits furent peints à leurs visages, sortant du réalisme.
Leurs yeux étaient tout les deux égarés. Ils se plongeaient mutuellement dans les pupilles glacées, fascinés par une sorte de nouveauté qu'ils n'avaient jamais vue auparavant.
Licinia inspira une nouvelle fois dans sa pipe et la fumée de sa drogue pure et naturelle se répandit en elle tel un écoulement de lave. Elle brûlait, chatouillait et excitait sa gorge.
Tiberius entrouvrit les lèvres, et Licinia expira la fumée qui s'insinua en lui. Il ferma les yeux, se laissant bercer par la mandragore, tout en relevant le cou pour accentuer son errance déconcertante.
La fumée jaillit de sa bouche pour former quelques cercles envoutants.
⏤ C'est si... poétique, murmura Licinia passionnée.
⏤ Les cercles racontent une histoire ! S'écria Tiberius.
⏤ Une... histoire ?
⏤ Ils m'annoncent qu'un vilain vieillard britannique terrorisera le monde magique.
⏤ Mon ami tu as le don de clairvoyance.
⏤ Oh... C'est si... étrange et audacieux en même temps... Tergiversa-t-il en faisant quelques mouvements incompréhensibles. Il veut tuer les moldus... En fait c'est étrange. Qui est le méchant entre les deux ? Baragouina Tiberius.
⏤ Entre les deux ?
⏤ Oui. Il y a un jeune homme au visage maléfique et une autre personne au teint balafre qui n'a pas de nez. Il font des complots. Tout les deux...
⏤ Décris-moi le jeune homme de fumée...
⏤ Il a l'air élégant. Sa peau est pale, ses yeux sont assez clairs mais gardent quelque chose de maléfique et d'effrayant. Ses cheveux sont plus noirs que les miens. Il représente l'allégorie du mal. Si séduisant mais pourri à l'intérieur.
⏤ Que c'est excitant... J'ai presque envie de croire que ce que tu as vu fût un oracle.
⏤ La Triple Déesse a jugé bon d'écarter les voiles de l'avenir incertain, plaisanta-t-il.
⏤ Tu blasphèmes, le jugea Licinia.
⏤ Dans notre société actuelle entre l'ironie des croyances et une foi aussi haute que les montagnes, il est dur de percevoir une différence.
⏤ Tu radotes Tiberius, tu radotes...
❦
Le soleil de plomb n'arrangeait guère en ces temps de canicule. Apollon faisait son grand retour dans les contrées, écartant la Déesse Chioné.
Une calèche d'un noir scintillant volait dans le ciel, fusionnant avec le joli décor.
En observant les détails de cette voiture, on pouvait remarquer qu'elle était tirée par des sombrals, des créatures fascinantes. À l'intérieur, se trouvait un homme à l'allure menaçante dénué d'indulgence. Son long manteau noir hors de prix recouvrait la quasi-totalité de son corps. Ses cheveux courts étaient ébènes comme ses yeux, et son nom était Marcus Decimare. Le père de la famille Decimare.
Il avait pris un peu de repos et s'était décidé de rentrer chez lui pour revoir sa femme, sa fille et son cher ami Titus Solonius.
Marcus lisait le journal britannique, une pipe coincée entre ses fines lèvres. Il était confortablement installé dans la calèche qui représentait l'obscurité dans toute sa splendeur, seulement la lumière des cierges éclairait cet endroit. L'homme ne supportait pas les rayons lumineux du soleil, il avait donc fermé les rideaux.
Les informations qu'il lisait ne le surprenaient guère. On annonçait la mort d'Augustus Viperyn - un sénateuritalien - assassiné de manière peu orthodoxe. On l'avait découvert exsangue, son corps immergé dans son propre sang, orné de divers sortilèges manifestes au premier regard. Sa vie avait été fauchée par les rites de l'ancienne religion.
Un léger sourire effleura les lèvres de Marcus. L'assassin était déjà soupçonné, mais aucune investigation ne le visait, car sa puissance était trop redoutable, et la politique tyrannique le couvrait de son soutien.
Le sorcier referma son journal et s'abandonna au sommeil, bercé par le mouvement de sa voiture, menée par les sombrals.
Dans ses songes, ses souvenirs vinrent à lui. Des souvenirs à ne pas percer...
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