Blasius. [Partie 1]
« Je ne sais pas si vous vous rendez compte [...] de la solitude à laquelle vous m'avez arraché le jour où vous m'avez adressé la parole pour la première fois dans ce tramoiseau ».
Beaucoup de thèmes sont abordés dans la Passe-miroir. La morale, le mensonge, la vérité, la recherche de la paix et de l'amour pour ne citer qu'eux. Mais pour moi, rien n'est plus important que le travail fait autour de la solitude. Blasius est pour moi le meilleur exemple tous les tomes confondus, quoiqu'Ambroise sur ce point soit à deux doigts de lui voler cette place. Lorsque dans la pénombre de ce fourgon, il exprime enfin ce poids qu'il avait sur le cœur, cela m'a profondément ému (oui, pour ceux qui ne l'aurait pas encore compris, le tome 4 m'a pas mal remuée). Ce commis maladroit est en effet celui qui a le cran de l'exprimer concrètement à voix haute.
Toutefois, commençons par le commencement. Blasius est un authentique citoyen Babélien, né sur Babel et élevé sur Babel. Tout comme les autres Olfactifs, il dispose d'un grand nez qu'il a pointu. Son autre signe distinctif est une chevelure en épis, comme un hérisson. Il est atteint très vite d'une malchance perpétuelle qui est à l'origine de ce qu'il est devenu, mais nous aurons l'occasion de l'évoquer plus loin.
Blasius nous apprend qu'il a été au collège durant son enfance (sans doute pour remédier au manque d'éducation de son adolescence) et qu'il a donc fait ses classes (je fais référence ici au chapitre « Réminiscence » du Tome 3).
C'est aussi à cette époque qu'est né son admiration pour Lazarus, un homme reconnu, doué, charismatique... Tout ce que Blasius n'était pas. Sa gratitude aussi est née d'ailleurs à ce moment. Le futur commis lui était reconnaissant juste, car ce dernier ne le détestait pas et était l'adulte le plus bienveillant avec lui. Ses malchances, gaucheries et inclinations, n'avait jamais, je cite, « sembler le répugner ». L'Arche-trotteur le trouvait intéressant, si bien que le pauvre Olfactif se sentait « spécial ». Pas gentil ou sympathique. Intéressant. Et ça, c'est le maximum de bienveillance qu'il a reçu.
En plus, quand on sait que Lazarus ne s'intéresse que dans un but purement scientifique ou pour informer Dieu, on se rend compte que cet intérêt n'avait rien de franchement « bienveillant ». C'est même lui qui a fait en sorte de l'inscrire au Programme Alternatif. Si ses parents sont à l'origine de son entrée à l'Observatoire, le véritable traumatisme vécu par Blasius, c'est à Monsieur Conna** Premier du nom qu'il le doit.
Du coup, à cause de son homosexualité, il est envoyé par ses parents, dont nous savons très peu de chose, à l'Observatoire des Déviations afin qu'il soit « rectifié ». Je pense qu'on peut sans hésitation les désigner comme les pires parents du monde. Je ne me lancerai pas dans une explication sur à quel point concevoir l'homosexualité comme une déviance est une aberration (pour être poli), d'autres le feront mieux que moi. Je dirais juste que dans ce genre, aux Etats-Unis dans les années 1960, il existait de thérapies par l'aversion. Je vous laisse faire vos recherches....
Pire, il n'est seulement envoyé dans la partie « Vitrine » de l'Observatoire des Déviations, mais dans le « Programme alternatif » comme j'ai pu le dire plus haut. Une jolie appellation qui recoupe de belles horreurs. Ophélie a réussi à s'en sortir avec l'aide de Thorn. Auparavant, elle avait pu grandir, se forger ses propres convictions, développer un sens critique, son sens de l'éthique, ce que ne devrait pas vivre un être humain... Bref, elle avait un mental solide et équilibré (avec la mémoire d'un Dieu/Dilleux évidemment, mais c'est un détail...)... Ici, on balance un enfant encore en construction dans un pareil endroit et seul de surcroît !
Bref, débarqué dans cet Observatoire contre sa volonté, il lui est impossible d'en sortir. Or il avait la volonté de sortir ! Chaque mois, il demandait à rentrer à la maison et à chaque fois, on lui disait que la décision ne lui revenait pas. On l'a dépossédé de son libre arbitre, lui montrant que les décisions les plus élémentaires ne lui appartenaient pas. Les autres décident pour lui, c'est une leçon avec laquelle il a grandi. Pire, on lui répondait pas à chaque question posé, on ne discute pas avec lui, on ne lui dit rien. Il est nié complétement comme individus, mis en quarantaine sociale forcée jusqu'à sa majorité.
Vivre cela chaque jour n'aide pas à construire non seulement de la confiance en soi, mais aussi son évolution vers son « moi adulte ». Devenir adulte c'est apprendre à prendre ses propres décisions, à prendre son indépendance. Dans cet Observation (il faudrait que j'y consacre une partie entière, je vais donc uniquement me concentrer sur les aspects qui ont eu un fort impact sur Blasius), il se passe l'exacte inverse. On le prend pour une enfant, en le gardant dans une éternelle situation de tutelle (c'est d'ailleurs spécialement spécifié : lorsqu'on entre à l'observatoire on est sous-tutelle).
Je me permets de rappeler la définition d' « être sous-tutelle ». Il existe plusieurs définitions, si j'ai bien évidemment évincé celle juridique, il demeure quelques-unes très intéressantes. On déclare sous tutelle les personnes dont les capacités mentales ou physiques sont altérées. Dans cette situation, le tuteur a toute responsabilité sur une personne et ici, tout contrôle. Cette personne peut se trouver aussi dans un état de dépendance. Tout ce que je viens d'énoncer se retrouve en pire dans ce qu'à pu vivre Blasius, jusqu'au point où son corps et ses mouvements ne lui appartenait plus.
J'irais donc plus loin, toute son adolescence et son enfance on l'a considéré comme un objet. Blasius le dit lui-même lors de cette sortie dans le café-concert clandestin des Sales Gosses de Babel : « Certains humains sont des objets de leur vivant ». Cette confidence surprend Ophélie et le lecteur et ouvre sur la possibilité que ce commis ait eu un passé plus dur qu'on pouvait l'imaginer.
C'est lors de l'adolescence que l'on se construit, non seulement l'image qu'on a de soi mais celle du monde qui nous entoure. Blasius a été considéré toute cette période comme un bête de foire, différente et répugnante dans sa différence, tout juste bon comme sujet d'expérience. Je note qu'il n'a pas viré fou, ce qui prouve une force d'esprit tout de même ! Il aurait pu vraiment être quelqu'un de différent s'il n'avait pas vécu cette expérience traumatisante.
Quel modèle, quel exemple du monde Blasius a-t-il pu avoir ? Quelles rencontres ? Car durant l'adolescence, c'est aussi un moment où l'on fait d'importantes rencontres qui peuvent modifier notre vision de voir le monde ou d'agir. Ces rencontres sont capitales, comme Sirius Black a pu grandir et s'éloigner de l'idéologie de famille en côtoyant James Potter (Référence à Harry Potter : check).
Encore une fois, quelles rencontres Blasius a-t-il pu faire ? Si vous vous souvenez bien du Tome 4 de la Passe-Miroir et des patients croisés, ce ne sont pas les rencontres les plus enrichissantes... Des zombies incapables de penser et de réfléchir par eux-mêmes pour qui le monde se réduit à leur chambre et aux expériences. Partons donc du principe qu'avant sa majorité, Blasius n'avait connu que ces patients et ces « scientifiques/médecins/chercheurs » (même si cela me tue d'employer ces termes pour des personnes si éloignées de ce que doit représenter un scientifique/chercheur/médecin).
Donc, pour ceux qui prennent des notes : amis, premiers amours, parents, confiance en lui... On s'assoit dessus.
Autrement dit, Blasius s'est construit dans la solitude. Et contrairement à Ophélie qui a délibérément choisi d'être seule, on ne lui a pas laissé le choix. Il a grandi en étant persuadé de ne pas être normal.
Pire, on lui a appris à concevoir sa maladresse et son orientation comme de véritables maladies. S'il a réussi à surmonter cela pour son homosexualité, cela n'a pas été le cas pour sa maladresse. Personne n'a jamais essayé de lui expliquer qu'il n'était pas responsable de tous les malheurs du monde. D'où d'ailleurs cette impression la première fois qu'on le rencontre qu'il porte toute la misère de Babel sur ses épaules. Cette malédiction l'accable...
Encore pire, on ne lui a jamais appris à gérer sa maladresse et sa malchance. Cela l'a aggravé car il part de fait du principe qu'il ne peut le changer. Or, plus on croit qu'on est maladroit et malchanceux, plus on l'est réellement. C'est psychologique. Et j'en sais quelque chose...
Bref, à sa majorité, il sort miraculeusement de ce « Programme Alternatif ». Du jour au lendemain sans explication, il est mis à la porte de cet endroit qu'après tout ce temps vécu à l'intérieur était devenu sa maison. Il est donc rejeté comme s'il ne valait rien, sans explication et il vivra toujours avec cette question : « pourquoi ai-je pu partir ? ». Bref, il est nié une plus une nouvelle fois et c'est sa base pour commencer sa nouvelle vie à l'extérieur.
Ouais, c'est hyper joyeux. J'aurais peut-être dû prévenir parce que jusque-là c'est à se tirer une balle.
Reprenons si vous avez encore un peu de joie de vivre en vous. Blasius est rejeté du seul endroit qui avait voulu de lui à cause de ses différences comme s'il ne valait rien. L'Observatoire l'avait habitué à ce qu'il n'ait aucune importance et aucune valeur en dehors de sa malchance. S'il ne possède même plus d'intérêt scientifique, alors que reste-t-il de lui ? Rappelons qu'il n'a presque connu que cela de sa vie globalement !
Son monde s'effondre et il est balancé dans l'inconnu. Il ne sait rien, n'a reçu aucune éducation que je qualifierais de scolaire, ne connait pas les métiers et ce qu'il peut faire, ne sait pas se comporter en société, ne sait pas comment s'intégrer à un groupe, comment discuter (on rappelle que personne ne lui parlait à l'Observatoire).... Bref, comment TOUT ! La seule chose qu'il sait qu'il ne vaut rien, qu'il porte la poisse et pire qu'il ne pourra jamais aimer et être aimé.
Je vous rappelle encore une fois que les parents qui sont censés être le modèle d'amour l'ont envoyé se faire « rectifier ». Peut-être qu'il a déjà aimé avant Wolf, rien n'ai dit à ce sujet, mais la société et l'Observatoire lui ont bien fait comprendre que de toute façon c'était des histoires sans lendemain. Il est donc convaincu qu'il restera célibataire toute sa vie, l'objet de son désir et de son amour étant là, sans qu'il ne puisse rien faire ni dire. Un supplice de Tantale.
En conclusion de cette partie pleine de joie, il a dû tout réapprendre en autodidacte.
Seul, pauvre et abandonné.
A cause de sa malchance et maladresse, il n'a probablement pas eu d'autre choix que de se reporter sur un travail de commis dans lequel il doit juste ranger des livres. En somme, pas d'amis, pas d'amants, ni de petits amis, un travail peu valorisant, des patrons tyranniques qui le méprisent et le rabaissent chaque jour, comme l'exécrable Miss Silence. A force d'entendre tous ces gens se placer au-dessus de lui, il a définitivement achevé de l'intégrer comme un état de fait inamovible. Nous avons donc un combo de la mort pour plonger quelqu'un dans la dépression.
[Babel... Un lieu si chaleureux n'est-ce pas ? De mon point de vue, cette Arche n'a rien à envier au Pôle. La seule différence est qu'ici tous les défauts sont encore plus cachés sous une couche d'hypocrisie. La Cour est décadente et corrompue, mais elle au moins ne s'en dissimule pas.]
On suppose que c'est à ce moment qu'il a rencontré le professeur Wolf. Professeur Wolf qui était enseignant à l'époque. Je note qu'il est plus âgé que lui, car il semble avoir été à l'école en même temps que Lazarus (grâce à une remarque sur son côté « m'as-tu-vu » qu'il avait déjà dans ses études).
Nous sommes à la fin de la première partie de cette analyse de personnage ! Je ne pensais pas déjà faire ce personnage, mais cela m'a fait relire les deux derniers tomes de la Passe-miroir et j'ai été contente d'avoir une occasion de m'y replonger. Surtout, je ne pensais pas avoir de quoi faire deux parties. On se retrouve dimanche pour la deuxième partie !
Des choses à ajouter ?
Que l'écharpe soit avec vous !
Question de fin de partie. Quel est votre antagoniste/méchant préféré ?
Notes. J'ai galéré à trouver des illustrations de Blasius, jusqu'à ce que je tombe sur cet Insta sur lequel je vous invite à faire un tour : https://gramho.com/explore-hashtag/lam%C3%A9moiredebabel
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