Bérénilde [Partie 2]

J'ai pour l'instant dépeint le portrait d'une femme forte. Cependant, en observant bien, Bérénilde n'existe que par le prisme des hommes (Thorn, mais on l'a déjà dit) et de fonctions « féminines » (je mets volontairement les guillemets). Je m'explique.

Pour les périphrases permettant de désigner des hommes, j'ai le choix avec leur métier, comme « intendant », « ambassadeur »... Avec Bérénilde, et c'est très révélateur, je me retrouve uniquement avec « la tante de Thorn » ou « la favorite de Farouk ».

Bérénilde n'a pas eu le choix. Elles sont rares les aristocrates qui peuvent exercer une profession comme Cunégonde ou Hildegarde. Cette vision de Bérénilde est donc essentiellement due au fonctionnement du monde sexiste dans laquelle elle a évolué et qui ne lui a pas permis d'être autre chose. Si pardon, j'exagère : elle pouvait être bienfaitrice en province, comme on a pu le voir aux Sables d'Opale dans le Tome 2. Cela n'a rien d'étonnant, dans l'Histoire de France et d'ailleurs, le financement de bonnes œuvres était aussi l'occupation des femmes nobles ou bourgeoises. Etait-ce d'ailleurs une manière pour Bérénilde de compenser la cruauté et l'absence de moral dont elle pouvait faire preuve à la Cour ? Je vous laisse en débattre.

Cette membre du clan des Dragons est la figure de la mère dans les romans de Passe-miroir, plus encore que peut le représenter la mère d'Ophélie. Ces deux figures s'opposent d'ailleurs sur plusieurs points mais se recoupent : elles protégeront bec et ongle leur enfant jusqu'à permettre à ces derniers de prendre eux-mêmes leur envol. Parce que l'a mère d'Ophélie l'aime, il n'y a qu'à voir à quel point elle est bouleversée de ne pas avoir su la protéger dans le Tome 4. Les pères sont absents, mais les figures maternelles dans la Passe-miroir constituent réellement des soutiens pour la génération suivante. Ce sont des figures capitales dans le développement de leur enfant. Leur cran et leur courage est en effet digne de respect et d'admiration.

Je reviens un instant sur les différence entre la mère d'Ophélie et Bérénilde : « rouge et matérialiste » pour la mère d'Ophélie, « Blanche et éthérée » pour Bérénilde. Leurs caractères sont bien différents : « Crier et courir » semblent être les deux grands piliers d'éducation pour la mère d'Ophélie (elle me faisait souvent penser à Mrs Bennet d'Orgueil et Préjugé dans sa manière de vouloir lui trouver un mari...), tandis que la seconde fait montre d'un calme impressionnant. Les deux ont su cependant protéger l'héroïne, la première en lui offrant une belle enfance et la seconde en la protégeant à la Cour.

C'est d'ailleurs, en voulant la protéger que Bérénilde prend une des décisions les plus lourdes de conséquences pour un personnage de ce roman. A la fin des Fiancés de l'hiver, Bérénilde décide de se mettre sous la protection de Farouk. Elle se remet entre ses mains et perd son indépendance pour Thorn et Ophélie. Elle va jusqu'à s'enfermer dans le gynécée : à présent, sa vie est Farouk et rien que lui. A partir de cet instant, elle dépend de l'Esprit de Famille. S'il lui retire ses faveurs, elle n'a plus rien. Toute sa place et sa légitimité ne dépend plus que de lui. Pour une femme aussi forte, c'est une lourde et grave décisions, et demeure pour moi, une incroyable preuve de l'affection qu'elle porte à Thorn et à Ophélie.

Alors, évidemment que Bérénilde, comme la mère d'Ophélie sont brusques, parfois tyranniques, mais quand le moment est venu, on peut compter sur elles. Peu à peu, Ophélie va quitter le giron de ces deux femmes en gagnant mutuellement le respect de l'une et de l'autre. Elle en a tiré de nombreux enseignements, tout en se créant une personnalité bien distincte de ce deux modèles bien distinctes. Une mère, la jeune Animiste ne pourra pas l'être, mais une famille, elle sait ce que c'est, en grande partie grâce à ces femmes.


Cette figure de mère ne quitte pas Bérénilde, surtout parce que c'est l'attachement qu'elle porte à ses enfants qui fait d'elle ce qu'elle est : une femme que la mort de sa progéniture a brisé en profondeur.

Même à la fin du tome 4, elle reste marquée par cette peur. A chaque fois que sa fille Victoire tombe, elle veut aller la relever. Le simple fait qu'elle se fasse mal, la torture.

Son amour pour sa fille est si fort et son angoisse pour elle si poignante... Lorsque la petite prononce enfin ses premiers mots dans la Tempête des Echos, Bérénilde va jusqu'à tomber à genou en criant et en prenant sa fille dans les bras. Cette petite est autant une bénédiction qu'une source perpétuelle de craintes.

Bérénilde en effet, ne carbure plus qu'à la peur et plus on avance dans le livre, mieux on le comprend et on le constate. Cette femme a trop perdu, elle sait ce que cela fait de ressentir de tels déchirements. Elle appréhende donc le monde en fonction de ce qu'elle peut perdre et non pas de ce qu'elle peut gagner.

C'est pour cela que de mon point de vue, la situation l'affecte tellement. Alors que Renard se renforce, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. On note que cette force ne le mettra pas à l'abri. Dans cette fin, tous les personnages forts comme Janus perdent la vie, tandis que ceux affaiblis survivent. Bon sang, la fin du Tome 4... J'ai mis du temps à la digérer...

Bref !

Sa splendeur disparut, ses véritables angoisses se lisent sur son visage limpide comme un livre ouvert. Elle est loin l'image du voluptueux ange que découvre Ophélie dans le sombre petit salon, le soir de son arrivée au Pôle.

Voilà encore une belle évolution de personnage...

Mais une mère pleine de crainte et vidée de sa colère, ce n'est pas ainsi qu'elle a toujours été. Lorsqu'elle a découvert qui étaient les meurtriers de ses trois premiers enfants, sa rage vengeresse n'a pas connu de limite.

Bérénilde a donc provoqué en duel et tuer dans d'atroces souffrances ceux qui étaient la cause de son malheur. Ces personnes, un couple de Mirage était les parents d'un personnage qu'il est temps que nous introduisions : le Chevalier.

Tout bon gentil se crée son ennemi. Car que le Chevalier ait toutes les bonnes intentions du monde, ne change rien au fait qu'il a été un des antagonistes principaux de la Passe-Miroir. Il a bien failli provoquer un désastre ce petit imbécile dans le tome 4... J'avoue cependant, avoir toujours compris l'attitude de Bérénilde à son égard. J'ai beau savoir ce qu'il a fait, cela reste un gosse. Mais j'aurais l'occasion d'en parler plus lorsque viendra son tour d'être analyser ! Mais du coup, je ne sais pas exactement où commencer et m'arrêter car j'ai peur d'en dire trop sur ce personnage. Essayons tout de même !

Les sentiments de Bérénilde à son égard sont essentiellement composés de culpabilité. Ses parents lui ont pris ses enfants et en se vengeant, elle prive leur enfant de ses parents. Elle lui a infligé la peine inversée de ce qu'elle a subi. Elle ne met pas beaucoup d'ardeur à le repousser, même si elle le remet plus d'une fois à sa place. Il est pourtant à l'origine de la perte de son clan et donc d'un des grands bouleversements de sa vie. J'en dénombre trois d'ailleurs : la perte de ses enfants, la perte de son clan et la naissance de Victoire. Je crois que sa culpabilité se trouve en confrontation avec un autre fait : elle ne veut pas faire de mal à un enfant.

Elle ne le repousse pas, mais lorsqu'on touche à Ophélie, elle se comporte comme une véritable mère et utilise enfin ses griffes sur lui (et nous prouve au passage à quel point, elle tient à Ophélie, si on en doutait encore). Elle a peu de points faibles, mais ses enfants, dans lesquels j'inclue Thorn et Ophélie, sont de véritables talons d'Achille. Taper dedans, cela lui fait mal et elle se révèle être une véritable lionne protégeant sa progéniture.

Mais revenons à nos moutons ! Bérénilde n'est pas seulement une figure maternelle, c'est aussi une favorite.

La figure de la maîtresse d'un personnage puissant est très courante dans la littérature, surtout parce que l'Histoire est pleine de concubines et d'amantes de ce genre. Seulement, dans le monde de la Passe-miroir, elle possède une légitimité et une reconnaissance assez déroutante et pas banal. La place de première favorite par exemple est très semblable à celle de l'épouse par exemple.

Le fait est que grâce à cette position et l'enfant qu'elle porte, Bérénilde, quoiqu'en dise les langues de vipère de la Cour, reste parfaitement légitime de rester dans la Citacielle même après le massacre des Dragons. Je ne sais pas si j'ai insisté assez sur ce point, mais elle attend un enfant de son Esprit de Famille. C'est une première depuis des siècles ! Surtout qu'elle et son enfant, seraient les seules personnes auxquelles tient Farouk ! Ce n'est pas rien ! Cela place Bérénilde dans une sacrée position d'exception.


Je ne pouvais pas parler de Bérénilde sans parler de son lien avec tante Rosaline. Dans le premier tome, cela semblait mal parti. La terrible Dragon semblait mal prendre que cette animiste en tout point son opposée, ne serait-ce qu'avec l'apparence, lui donne des leçons. Le fait que le Chevalier l'ait plongée dans un songe inextirpable ne la souciait pas plus que cela.

Cependant, lorsque la tante se réveille, Bérénilde n'en croit pas ses yeux et je crois que c'est à ce moment qu'elle a gagné son respect. La tante de Thorn n'a jamais eu vent de l'intervention de la Nihiliste. Pour elle, la Tante Rosaline s'est sortie toute seule, rien que par la force de sa volonté, de l'illusion dans laquelle elle était emprisonnée.

Je pense que cela a dû lui faire un choc et remit en question tout ce qu'elle pensait sur cette femme.

Bien vite, elles ont fini par développer une véritable affection. Entre veuves, elles connaissaient toutes les deux la douleur de perdre un mari. Et heureusement que la Tante Rosaline était là pour lui éviter beaucoup d'excès ! Elle le reconnait elle-même lorsqu'elle se trouve au sanatorium dans le Tome 2. Ce garde-fou a été nécessaire pour Bérénilde et lui permet de construire une relation saine avec son enfant. Nous le voyons notamment à la fin du Tome 4, lorsqu'elles sont toutes les deux sur un banc à regarder la petite Victoire jouer.

D'ailleurs, à la fin du Tome 4, on a l'aboutissement de l'évolution de ce personnage. Dans les premiers tomes, Bérénilde apparaît fausse, toute derrière un masque. D'une humeur capricieuse, elle soumet souvent Ophélie et Tante Rosaline à ses sautes d'humeur. A la fin de ce Tome 4, Bérénilde montre enfin son vrai visage et laisse tomber les faux-semblants, son vernis de Cour. Elle quitte cette impression de puissance terrible pour une vie plus simple. Vie qui lui permettra plus que l'ancienne de garder son enfant en vie. Enfin, elle n'a plus la pression sur ses épaules. C'est à Ophélie de veiller sur Thorn et la Cour ne l'assaille plus.


Pour conclure, Bérénilde est une femme qui démontre la capacité à survivre dans ce genre de monde de fous, même en ayant subi des traumatismes terribles. Dans le premier tome, elle passe pour celle qui tire vraiment les ficelles dans l'arrière-boutique, alors que depuis le début, ce n'est jamais qu'une femme qui souhaite protéger ceux auxquels elle tient. Belle et terrible, son besoin de devenir mère et sa volonté de protéger le dernier enfant qu'il lui reste, elle n'a aucun scrupule à sortir ses griffes. C'est un modèle, il n'y a qu'à voir l'effet qu'elle a sur Agathe la sœur d'Ophelie (qui me fait penser d'ailleurs à la blonde sœur de Sophie dans le château ambulant... Comme il y avait peu de chance que je fasse ce personnage en analyse je me suis permis de le caser ici).

Pour revenir sur l'esthétique de Miyazaki, je trouve que le personnage auquel Bérénilde ressemble beaucoup est Gina dans Porco Rosso. Elles ont toutes deux un bon fond et sont capables en quelques phrases et une chanson de charmer un homme.


La question à mille dollars : Comment est-elle tombée amoureuse de Farouk ? Un bébé n'est pas une raison suffisante, enfer et damnation!


Et voilà ! Nous voici enfin au terme de notre deuxième analyse de personnage ! La troisième sera consacrée au personnage de Blasius qui apparaît dans le tome 3. On se retrouve pour cela dans une semaine pour la première partie. J'ai hâte que vous me disiez ce que vous en pensez !

Des conseils pour améliorer le format ?

Des idées de personnages pour la quatrième analyse ?

Cookies ?

Que l'écharpe soit avec vous !

La question de fin d'analyse : Quel est votre moment préféré avec Bérénilde ?


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