23 : Du sang, une omelette et un « je t'aime »

Je suis entrée en larmes et en courant dans le McDonnald's et me suis précipitée au comptoir. J'ai poussé quelques personnes et me suis postée devant les caisses, à bout de souffle. Nathan m'a dévisagée, d'une manière si glaciale et hautaine que je lui aurais bien donné une claque si je n'avais pas été expressément en danger.

Le voir en face de moi m'a fait l'effet d'eau sceau d'eau glacée au réveil. Ça faisait un mois, un mois que je l'avais lâchement abandonné. Trente jours à peine, mais ce connard avait eu le temps de me manquer.

- Aide... aide-moi, ai-je soufflé, haletante.

- Pourquoi ?

Deuxième sceau d'eau glacée. Il a demandé à la personne suivante d'avancer. Augustin est entré dans le McDonnald's et a crié mon nom - sublime entrée théâtrale que je gardais dans un coin de ma tête pour plus tard. Tous les regards se sont tournés vers lui, tous sauf le mien, que je gardais accroché au visage de Nathan comme j'aurais pu m'accrocher à une bouée de sauvetage. En voyant Augustin, il a froncé les sourcils. Puis il a posé ses yeux bleus et inquiets sur moi.

- S'il te plait, ai-je murmuré, les lèvres tremblantes.

Je sentais mes larmes tomber dans le creux de mon cou. Je n'ai eu le droit qu'à un simple regard d'incompréhension, car Augustin m'a vite trouvée, attrapée et obligée de le suivre hors du fast-food. J'étais exténuée, et me débattre n'allait me servir à rien. Je pleurais, seulement, comme une petite fille à qui on aurait volé sa sucette.

Comme une adolescente qui venait de se faire larguer par son premier copain qu'elle pensait être l'amour de sa vie.

Augustin m'a jetée sur le sol, et je me suis griffée la cuisse sur un bout de verre qui trainait. Le sang coulait déjà le long de mes cuisses et j'ai pensé que c'était une très belle métaphore de ce qui allait se passer par la suite.

- Excuse-moi ?

Je ne l'avais pas vu arriver. Nathan était derrière Augustin, tout sourire. Ce dernier s'est tourné vers lui.

- Je peux savoir ce que tu es en train de faire ? lui a-t-il demandé, toujours souriant.

- Ça te regarde pas, dégage !

Nathan a secoué la tête, lèvres pincées.

- Mmh, mauvaise réponse. Désolé.

Et en une fraction de seconde, j'ai vu le poing gauche de Nathan embrasser le visage d'Augustin. Embrasser violemment.

Enfin il lui a fichu un sale coup de poing, quoi.

Augustin a fait quelques pas en arrière, sous la violence de la frappe. Il a porté une main à son nez, qui saignait - décidément, c'était une très belle métaphore - puis a commencé à courir vers Nathan en hurlant, pour riposter sûrement.

Je me souvenais encore, quand Nathan m'avait dit qu'il avait fait de la boxe pendant qu'il était au lycée. Je m'étais moquée de lui en disant que c'était un sport nul, parce qu'inutile ; lui, se battre ? Il était bien trop mignon pour ça.

J'étais en train de revenir sur mes propos. En réalité, c'était assez rentable.

Il ne l'a pas massacré, comme dans ces films qu'on voyait à la télévision. Non, il l'a juste esquivé et jeté sur le sol, mais dans une souplesse que je n'avais encore jamais vue de sa part. Il s'est penché au-dessus de lui, Augustin venait de se manger le mur du fast-food et se trouver dans une très mauvaise posture.

- Tu la touches encore une fois, connard, et tu passeras le restant de tes jours dans un hôpital.

Augustin a lâché un grognement incompréhensible. Je suis restée sur le sol, à quelques mètres d'eux, avec ma cuisse qui saignait encore. Nathan m'a lancé un regard froid, a ôté sa casquette puis a passé l'une de ses mains dans ses cheveux. Qu'est-ce que j'aimais quand il faisait ça, ses mains disparaissaient complètement dans sa tignasse bouclée qui m'avait l'air indomptable.

- Tu devrais aller chez Eliott pour qu'il te soigne, a-t-il soudainement dit. Je lui envoie un message. Tu peux conduire ?

J'ai bredouillé une suite d'onomatopées, ai essayé de me relever et ai soupiré.

- Attends.

Nathan est arrivé près de moi et m'a aidée à me mettre sur pieds. Face à lui, je suis restée immobile, mes yeux perdus dans les siens. Venait-il vraiment de me sauver la vie ? Ou j'étais juste en train de rêver ? (Si c'était ça je devais réellement revoir les termes de notre relation avec Augustin, ou alors carrément changer de PQR.)

- Nathan...

- Je pense que ce serait mieux si tu ne parlais pas.

J'ai fermé ma bouche, en claquant mes dents au passage. J'ai grimacé. Nathan m'a lâchée et a tourné les talons pour rejoindre l'intérieur du McDo, en renfilant sa casquette. Il a enjambé le corps d'Augustin, qui gisait toujours sur le sol et qui grognait toujours autant.

- Nathan, s'il te plait.

Il s'est retourné d'un air las.

- Quoi, Alice ?

Entendre mon nom sortir de sa bouche m'a électrisée. J'ai inspiré longuement. Je le voyais s'impatienter.

- Je...

- Alice, passe la seconde, je dois aller bosser.

- Je suis vraiment désolée.

Il est resté immobile pendant quelques secondes. Puis il est entré dans le fast-food.

• • •

Mes yeux étaient accrochés à l'écran de la télévision, mais j'étais complètement absente. Mes pensées étaient si éloignées de mon corps qu'on n'aurait pas pensé à les associer ensemble. Je me remémorais les évènements de la soirée, encore et encore. Quand Eliott m'avait ouvert aux alentours de minuit, j'avais éclaté en sanglots et m'étais réfugiée dans ses bras. Il n'avait pas prononcé un seul mot pendant une demie-heure, trainant sa main dans mes cheveux, me serrant dans ses bras. Puis je lui avais tout raconté, même si je savais qu'il détestait ça. Il m'avait écoutée, conseillée, puis m'avait bordée dans mon ancien lit et je m'étais endormie grâce au son de sa voix, apaisante, grave et douce à la fois.

La raison pour laquelle je me sentais si mal, ce n'était pas Augustin. Il n'en valait pas la peine, et j'avais connu pire. Non, la raison pour laquelle j'avais pleuré dans les bras de mon frère, celui que j'avais insulté de tous les noms, c'était Nathan. Il était resté indifférent, glacial, neutre. Il avait cassé la gueule d'Augustin juste parce que c'était un connard, mais pas parce que c'était un connard qui s'en prenait à moi. Non, il s'en foutait de moi.

Mais je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même, tout ça était de ma faute. Et je ne pensais pas ça pour qu'on me dise le contraire ou qu'on me prenne en pitié ; je pensais ça car c'était la vérité. C'était moi qui m'étais enfuie lorsque Nathan m'avait avoué ses sentiments, moi qui avais coupé tout contact avec lui pendant un mois, et moi qui avais décidé de coucher avec Augustin. J'étais la seule responsable de tout ce qui m'était arrivé.

Le bruit de l'ouverture de la porte de l'appartement de mon frère (elle avait toujours grincé) m'a sortie de mes pensées matinales. J'ai froncé les sourcils et me suis retournée ; je pensais que mon frère était encore en train de dormir. Mon regard s'est posé sur un jeune homme inconnu, un petit blond à la barbe fournie, habillé d'une chemise à manches courtes à carreaux et d'un short bleu canard. Lui aussi avait l'air surpris de me voir. Eliott a choisi ce moment pour débarquer dans le salon, en tout et pour tout habillé d'un boxer. Il a toisé de haut en bas l'inconnu, puis a marmonné, après s'être décroché la mâchoire en baillant :

- Etienne, qu'est-ce que tu fous ici ?

- C'est qui, elle ? a-t-il dit en me pointant du doigt, un brin d'agacement dans la voix.

- Alice.

L'inconnu lui a lancé un regard noir. Eliott a soupiré, puis s'est dirigé dans la cuisine en lançant :

- Ma sœur. Je suis pas devenu hétéro en deux jours, faut vraiment que tu commences à avoir confiance en moi, bébé.

J'ai fait les gros yeux. Bébé ? Depuis quand Eliott appelait un inconnu bébé ?

Je les ai suivis dans la cuisine. Eliott s'affairait au-dessus de la poêle, et Bébé était adossé au Frigo. Ils parlaient de leur rentrée qui avait lieu dans un peu plus d'une semaine. Quand mon cerveau s'est enfin débarrassé du brouillard matinal et que j'ai enfin compris ce qu'il se passait, tout en me souvenant que le nom d'Etienne ne m'était pas inconnu, j'ai réagi.

- Eliott ! ai-je hurlé, les faisant tous les deux sursauter. T'es en couple et tu ne me l'as même pas dit !

Il a soupiré, et a répondu, revenant à son omelette aux champignons :

- Si, je te l'ai dit. Mais tu as du oublier.

J'ai fait la moue, et j'ai vu Etienne esquisser un sourire.

- Donc, c'est toi l'élu, lui ai-je dit.

- C'est donc moi, a-t-il dit sur le même ton.

Je l'ai longuement détaillé.

- Eliott, depuis quand t'es attiré par les hipsters ?

Etienne a éclaté de rire, et j'ai deviné qu'Eliott roulait des yeux en souriant - un tic que nous avions tous les deux.

- Depuis que je m'en fiche. Tu pourrais pas aller t'habiller s'il te plait ? T'es en string devant mon copain et ça le gêne.

- Il est hors de question que je vous laisse seuls dans une pièce qui comporte des objets coupants.

Je me suis approchée de la plaque de cuisson. J'ai levé le regard vers Eliott, qui souriait. Ça m'a arraché un sourire. Mon idiot de frère était amoureux, ça se voyait aux étincelles qu'il avait dans les yeux.

- Etienne, tu pourrais pas nous laisser, juste deux minutes ? lui a soudainement demandé Eliott. Je dois parler avec ma sœur.

Etienne a hoché la tête, et avant de partir dans la chambre de mon frère, il lui a déposé un furtif baiser sur l'épaule. Eliott a retourné l'omelette puis s'est tourné vers moi.

- Tu l'aimes ? ai-je commencé avant lui.

- Ça se pourrait bien.

Un large sourire recouvrait son visage. Ça se pourrait très bien, plutôt.

- Je voulais te faire part d'une chose, a-t-il continué. Je sais que ça ne va pas te plaire, parce que c'est lié à Nathan, mais... je tiens vraiment à te le dire.

Mon sourire s'est effacé, laissant place à l'indifférence, puis à la confusion. Qu'est-ce qu'il pouvait bien vouloir me dire ?

- C'est bête, hein, mais je trouve que, depuis que tu as rencontré Nathan, tu... tu as changé.

- En quoi j'ai changé ?

- Disons que tu es plus posée, moins impulsive. Tu as l'air de prendre de plus en plus tes responsabilités et d'apporter plus d'importance à ce qui t'entoure. Tu évolues, et ça me rend fier de toi. Je tenais à te le dire.

Les coins de mes lèvres se sont relevés, et j'ai cligné des yeux pour m'empêcher de verser une larme. C'était la première fois que mon frère - ou que l'un des membres de ma famille tout court - me disait qu'il était fier de moi.

- Merci alors, ai-je soufflé.

Il m'a souri en retour, a retiré l'omelette du feu et a ouvert ses bras vers moi.

- Tu sais que tu peux compter sur moi, sœurette.

Je l'ai pris dans mes bras, et pour la deuxième fois en moins de vingt-quatre heures, mes larmes se sont déposées dans son cou. À la simple et grande différence que c'étaient, cette fois-ci, des larmes de joie.

- Eliott ?

- Oui Alice ?

- Je ne te le dis pas assez souvent, mais je t'aime, tu sais.

Il m'a éloignée de lui et a caressé mon visage.

- Je l'ai toujours su, ne t'en fais pas pour ça.

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