8. Seven
Je ne sais pas ce qui m'a pris d'accepter ça. Diego semblait si inquiet. Il avait besoin d'aide et n'étant pas le genre de fille méchante, je me devais de dire « oui ». N'expliquant pas clairement sa demande, j'avais quelque peu foncé tout droit sans me poser de questions. Sur le chemin, il m'avait mis entre les mains un bol d'eau et un torchon. Je l'avais regardé, surprise, sans pour autant poser la moindre question. Devant la porte sur laquelle il était noté vestiaire, Diego m'avait décrit ma mission. J'aurais dû faire marche arrière. Mais non. Installée tout près de Jax, je n'avais émis aucun son, n'avais rien dit. Posant ma main sous son menton, je lui redresse la tête pour pouvoir le soigner. Ses traits ne sont plus les mêmes. Bleu et gonflé, il ne peut ouvrir d'un seul œil. Le sang inonde son visage.
— Tu ne vas tout de même pas faire l'enfant, dis-je en le regardant reculer lorsqu'il s'aperçoit que c'est moi.
Je trempe le torchon dans le bol d'eau et l'essore. Je m'avance de nouveau vers Jax. Je sais que je dois être délicate et prudente. L'essentiel est que j'arrive à retirer le sang. Le reste, je ne vais pas pouvoir faire autre chose. Son état est pitoyable. Je ne suis pas sûre que cela soit les vestiges d'un combat. Jax est douée au combat, à ce que j'ai vu la dernière fois. Derrière ces blessures, il y a autre chose. Autre chose qui ne me regarde pas.
— Laisse-moi juste retirer le sang. Je ne te pose aucune question.
Jax se place face à moi, se tenant droit, n'essayant d'avoir aucune expression sur son visage. J'avance le torchon doucement de son visage en commençant par le front. Méticuleusement, je tamponne le sang en ne voulant pas le blesser davantage. Quand j'arrive sur son arcade, il grimace légèrement. Je change de zone. Je sais que c'est douloureux pour lui. Il me faut une bonne demi-heure pour qu'il n'y ait plus rien du tout. Il reste quelques gouttes près de ses lèvres. Au moment où je vais le retirer, Jax attrape mon poignet.
— Tu peux me faire une promesse ? me demande-t-il.
Je ne suis pas sûre de comprendre sa question. Pour quelles raisons, je lui ferais une promesse. Je ne lui dois rien. Mon geste était pour mettre ma dette à zéro. Il m'a aidé la dernière fois, je l'aide aujourd'hui. Nous sommes quittes.
— Pourquoi je devrais te faire une promesse ?
— Je veux juste que tu fasses attention à toi. Ne sors jamais toute seule.
Je jette le torchon au sol et je sors des vestiaires. Je n'arrive pas à comprendre. Cet homme est une vraie balance. Un coup noir, un coup blanc. Lui faire la promesse de faire attention à moi. Je suis sûre que Rose n'a pas réussi à tenir sa langue et qu'elle lui a parlé de certaines choses. Ce n'est pas possible. Parfois, je me dis que je ne devrais rien lui dire. Je devrais garder les choses pour moi. Je croise Diego qui hausse les épaules en essayant de comprendre la situation.
— Je me casse. Débrouille-toi avec ton pote. Ça ne tourne pas rond dans sa tête.
— Tu ne veux pas que je te trouve un poste.
— Hors de question que je travaille avec un type comme ça.
Au départ, j'étais revenue ici pour essayer de trouver une place. Je voulais travailler quelques soirs par semaine afin de me faire un peu d'argent, le temps de retrouver un vrai travail. Je n'aurais pas dû. Moi, serveuse ! Je n'ose même pas imaginer ce que ça rendrait. J'ai fait des études de marketing. J'ai fait des stages dans des grands groupes internationaux. Je n'ai rien contre ce métier, mais je ne me sentirais pas à ma place. J'ai besoin de créativité, d'objectifs et d'un salaire plus important. Je ne suis pas une dépensière, seulement j'aime le fait de ne pas devoir compter, de pouvoir m'offrir ce que je veux.
— Seven, m'appelle Jax de l'entrée du restaurant. SEVEN !
Je ne me retourne pas. Qu'est-ce qu'il va encore me dire ? Je voudrais qu'on sorte un soir, vient prendre un verre avec moi. Ou bien, des excuses par rapport à ce qu'il m'a dit. Je suis une grande fille. Je sais me débrouiller toute seule. Je n'ai pas besoin de faire une promesse à une brute qui utilise plus ses poings que son cerveau. Mais en fait, je décide de me retourner et je lève ma main pour lui faire un doigt d'honneur. Ma mère serait folle de rage de me voir faire ça. Il le mérite.
Je retourne chez moi. Je me fais couler un cappuccino, m'installe sur le canapé et ouvre le tiroir. Je fouille au fond et attrape une enveloppe. À l'intérieur, je sors un papier rose. L'odeur du parfum de maman m'arrive directement aux narines. J'ouvre délicatement la lettre. Une larme coule le long de ma joue. Chaque fois que je regarde son écriture, les souvenirs reviennent, les odeurs m'envahissent.
" Mon ange,
Ta naissance a été un merveilleux cadeau, comme celle de ta sœur. Au moment où j'écris cette lettre, tu es dans ton berceau en train de dormir paisiblement. Déjà si petite, mais déjà, tu as sur les épaules les douleurs d'un passé familial. Ta lignée n'est pas comme les autres. Cette phrase peut paraitre folle, mais tu la comprendras en grandissant. Je ne peux pas tout te raconter, cependant, sache que tu devras être forte. Tu devras surmonter des peines que la plupart des gens n'auront jamais dans leur vie. Tu devras te relever de douleurs. Ton arrière-grand-mère et ta grand-mère ont été le témoin de cette folie. Elles n'ont jamais réussi à gagner contre le destin. Tu peux être celle qui change tout ça.
Tu dois te demander pourquoi toi ? Pourquoi pas Maddie ? La réponse est facile. Tu es la deuxième fille. Je ne pourrais pas t'en expliquer plus. Je n'ai pas les réponses. Je sais juste que ton prénom n'a pas été choisi par hasard, il est ton destin.
Ton père n'est au courant de rien. Je préfère que cela soit le cas. Il ne comprendrait pas et voudrait trouver une solution. Cette solution ne pourra pas venir de lui.
Tu trouveras cette lettre à tes dix-huit ans. Je ne sais pas à combien de drames tu en seras. Ton bonheur est entre tes mains.
Je t'aime.
Ta maman."
Je me devais de lire une nouvelle fois cette lettre. Je ne sais pas pourquoi, parce que finalement, je ne sais rien du tout de plus. Je n'aurais pas pu avoir un mode d'emploi. Pourquoi ma grand-mère ou mon arrière-grand-mère ne m'ont pas laissé une lettre. Elles ont eu combien de drames ? De quoi sont-elles mortes ? Tant de questions sans réponse.
C'est dans ces moments que j'aimerais qu'elle soit là, qu'elle me prenne dans ses bras et qu'elle me dise que tout va bien se passer. Je replie délicatement la lettre et la glisse dans le tiroir. Je ferme les yeux. Et si la mort venait me prendre en cet instant, m'endormir pour ne plus me réveiller. Je ne manquerai à personne. Personne ne viendrait mettre de fleurs sur ma tombe. La lignée des Miller s'arrêtera avec moi. Mon père était fils unique et la petite sœur de ma mère n'a jamais eu d'enfants. Elle a préféré mettre un terme à sa vie, plutôt que de faire subir à un enfant une malédiction.
— Seven, réveille-toi ! s'exclame Rose en me secouant brutalement.
Je suis toujours sur le canapé, cependant Rose est près de moi. Effrayée, elle me regarde en attendant que j'ouvre les yeux. Je déteste ce genre de réveil brutal, surtout lorsqu'on est en plein rêve. Un rêve à la fois intense et étrange. J'ai même eu l'impression qu'il était réel, pourtant je ne suis pas dans mon lit et pas d'homme avec moi. — Trois jours sans nouvelles, s'énerve-t-elle. J'étais en train de toquer à la porte, quand tu t'es mise à crier. J'ai utilisé ma clé. Je n'arrive pas à croire que tu dormais et que ce n'était qu'un rêve érotique.
Je me redresse et fais comme si je ne comprenais pas ce qu'elle me disait. Elle me mit une tape sur le bras en me tirant la langue. J'ai encore des frissons sur tout le corps.
— Je dormais tout simplement, mentis-je.
Ces grandes mains sur mon corps. Sa bouche parcourant mon ventre, déposant des baisers parfois tendres, parfois me mordant légèrement. Son souffle chaud dans mon cou pendant qu'il me déshabillait. Ses lèvres humides et charnues sur les miennes. Des rêves érotiques, j'en avais fait des dizaines. Seulement, jamais une fois avec quelqu'un que je détestais. Dans ce rêve, tout était fluide. Je ne me rappelais même plus comment il avait commencé. Je me souviens de nos deux corps sur le lit, de ces gestes et de cette apothéose que j'avais ressentie lorsque je l'avais senti rentrer en moi. Cela n'avait rien à voir avec la brutalité de son combat.
— Arrête de me mentir. Tu as même crié son prénom.
— C'est bon, Rose ! C'était un rêve. On ne va pas en faire toute une histoire.
— Simplement, un rêve ! On ne rêve pas d'un type qu'on déteste.
— Tu veux savoir, Rose. C'est un gros crétin. Peut-être que mon subconscient rêve de lui, mais la fille en face de toi, non.
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