6. Seven
Le taxi me dépose en bas de mon immeuble. Je refuse que Rose m'accompagne. J'ai besoin d'être seule, tranquille. Elle me répète qu'elle doit me surveiller et que je peux faire de nouveau une chute. Je me sens mieux. Je n'ai plus la tête qui tourne. Je prends l'ascenseur et regarde mon téléphone que je retrouve dans ma poche. Dix-sept appels en absence. Dix de mon chef. Sept de ma secrétaire. J'écoute le message vocal. J'aurais mieux fait de reculer mon oreille de l'appareil. La voix stridente de mon chef attaque mon tympan. Je pourrais perdre l'audition, rien qu'avec ce message. Et voilà que je m'y attendais, j'ai perdu mon travail. Je maudis Rose à ce moment précis. Je lui envoie un message en lui ordonnant de me trouver un nouveau job, vu que c'est sa faute si j'ai perdu le mien.
Je me laisse tomber sur mon lit. J'aurais mieux fait de succomber à ma chute. Au moins, je ne serai pas en train de me demander comment je vais faire pour payer mon loyer.
Je me redresse et me rends compte que mon t-shirt est tâché de sang, que mes cheveux collent à cause de ça. Je me déshabille et me glisse sous l'eau chaude. C'est délicatement que je me lave les cheveux parce que je dois dire que rien qu'effleurer ma blessure, la douleur est intense. L'eau devient enfin claire. J'en profite un peu plus jusqu'à entendre la musique de mon interphone raisonner dans le salon. J'attrape une serviette dont je m'entoure le corps. Je cours en essayant de faire attention.
— Allô, je réponds.
— Mademoiselle Miller, un jeune homme voudrait vous voir. Puis-je le faire monter ? me demande le concierge.
Je n'attends personne. Aucune visite en perspective. Notre concierge est un monsieur d'un certain âge adorable. Généralement, quand il nous appelle de cette manière, c'est que notre visiteur lui est inconnu.
— Faites-le monter.
Seven, tu perds la tête, ma pauvre fille, me répète ma voix intérieure alors que je vais jusqu'à ma porte d'entrée. Une porte d'entrée que je referme immédiatement quand j'aperçois la personne droit devant moi. Ah, ça non. Il est hors de question que je lui parle ou qu'il envahisse mon monde. Il tape deux grands coups sur la porte qui vibre sous la force de monsieur.
— Qu'est-ce que tu fais là ? Comment as-tu su où j'habitais ?
— J'ai suivi votre taxi. Je ne pouvais pas te laisser partir comme ça, dit-il en tournant la poignée de la porte. Son casque dans sa main gauche, il ouvre légèrement sa veste en cuir.
— Je suis une grande fille, Jax. Je vais parfaitement bien. Tu peux partir, tu connais le chemin.
J'agrippe un peu plus fort la serviette que j'ai autour de moi. C'est le seul vêtement que je porte à cet instant, et je me trouve idiote de n'avoir pas enfilé rapidement quelque chose. Je ne pouvais pas savoir que c'est cet idiot qui débarquerait chez moi sans prévenir. Je me tourne, m'apprêtant à aller enfiler une tenue pour la journée, quand je sens sa présence derrière moi. Son jean touche le derrière de ma cuisse et son souffle est dans mon cou. Il pose ses doigts dans mes cheveux, regardant ma blessure à la tête. Il est délicat. Tout le contraire de ce qu'il laissait paraitre hier soir en se battant.
— Tu es une dure à cuire, me lance-t-il en ne retirant toujours pas sa main.
Je lui mets un coup dedans afin qu'il se retire. Je me retourne et le regarde droit dans les yeux. Seulement, étant plus préoccupée à m'occuper de monsieur, je ne prête pas attention à ma serviette qui commence à glisser.
— Tu as été là au bon moment, c'est vrai. Grâce à toi, je ne suis pas à l'intérieur d'un cercueil. Cependant, je ne te dois rien, Jax. Tu n'auras rien de moi.
Et le drame arriva. Ma serviette au sol, je me retrouve totalement nue devant lui. Ça ne dure que quelques secondes, mais cela suffit pour qu'il pouffe de rire et que je me sente mal à l'aise. Le rouge me monte aux joues. Je cours jusqu'à ma chambre, enfile rapidement une tenue.
Ma vie n'est pas assez compliquée comme ça pour que je rencontre un homme hier qui m'énerve au plus haut point, qui me sauve la vie et pour couronner le tout, me voit toute nue. Enfant, je dois dire que je n'étais pas pudique. Je ne l'aurais pas été si je n'avais pas connu le drame numéro cinq. C'est celui qui m'a le plus changé par rapport aux regards des autres et à mes relations.
Je pensais qu'il était parti, qu'il avait bien compris que je ne voulais pas de lui chez moi. Mais quelle surprise quand je le vois installé sur mon canapé, ses chaussures sur ma table basse, son casque à côté de lui, en train de tripoter une statue venant de ma tante. Je la lui arrache des mains et pousse ses jambes.
— Qu'est-ce que tu n'as pas compris quand je t'ai demandé de partir ? je lui demande en reposant la statue à sa place et en croisant les bras sur ma poitrine.
Il se relève et me surplombe de sa hauteur. Il a beau faire plus d'un mètre quatre-vingts, il ne m'impressionne pas.
— Tu aurais au moins pu offrir un café à ton sauveur, rigole-t-il. Tu sais, tu n'es pas le genre de fille qui m'intéresse. Mais au vu de l'attitude de ton amie, je me devais de vérifier que tu étais rentrée saine et sauve. Tu caches un secret, ça, c'est sûr.
Un secret, c'est un bien grand mot. S'il savait, il ne parlerait pas de secret. Ma vie est un drame. J'en ai accumulé six en tout. Je ne pourrais pas dire à quel instant j'ai compris que le septième serait le dernier. Peut-être, le jour où j'ai reçu cette lettre venant de ma mère. Une lettre qu'elle avait écrite à ma naissance et qui devait me parvenir le jour de mes dix-huit ans. Je me rappelle encore certains passages. « Ta lignée n'est pas comme les autres... » « Ton prénom n'a pas été choisi par hasard, il est ton destin... » Je me dois de la ressortir et de la lire de nouveau. Il se peut que je découvre de nouvelles choses.
Il s'approche encore un peu, son bassin heurtant mon ventre. Je me sens mal à l'aise. Je recule d'un pas, mais il avance d'un. Je fais la même chose plusieurs fois jusqu'à ce que je sente le mur dans mon dos. Je suis prise au piège telle une souris. Je n'aime pas du tout. Je ne veux pas revivre ça une nouvelle fois.
— Je n'ai pas de secret et même si j'en avais un, ça ne te regarde pas, dis-je en le poussant de mes deux mains. Je n'ai pas assez de force face à lui. Une main plaquée sur le mur près de mon visage, il m'observe. Il colle son corps encore plus. Je sais qu'il essaye de me faire peur. Il pense que je vais céder, que je vais lui dire.
J'imagine Rose dans cette situation, elle aurait joué le jeu. Elle aurait fait en sorte que les rôles s'inversent pour qu'elle soit celle qui contrôle. Je ne suis pas comme elle. Je suis incapable de le faire, surtout que ça m'angoisse directement quand on me bloque de cette manière. J'ai l'impression de revenir en arrière. Les images commencent à défiler dans mon esprit. Des mains sur mon corps. Les rires. Des vêtements qui se déchirent.
— Stop, je murmure tellement doucement qu'il ne m'entend pas. STOP ! STOP !
Ma voix se fait enfin entendre. Des larmes coulent sur mes joues. Je tremble. Mon corps me lâche. Je glisse contre le mur et Jax s'éloigne. À travers mes sanglots, je vois son regard confus. Il est mal à l'aise, mais ça ne l'empêche pas de revenir vers moi. Il attrape ma main et me redresse pour faire en sorte que je m'installe sur le canapé. Avec son doigt, il sèche la dernière goutte qui glisse sur ma joue. Je tourne la tête, détestant qu'on me voit ainsi.
— Je suis désolé, me souffle-t-il. Je ne voulais pas... Et puis, zut !
Il prend son casque et sort de mon appartement en trombe. La porte d'entrée claque brutalement et résonne jusqu'au salon. Au vu de son départ, je comprends qu'il se sent responsable, alors que pas du tout. Il ne connait pas mon passé. Il ne pouvait pas prévoir que ça allait se finir comme ça.
Je finis la journée installée sur mon canapé devant une comédie romantique avec un énorme bol de pop-corn.
Pendant trois jours, je ne mis pas le pied dehors. Mon téléphone fut rempli d'appels en absence et de messages. Rose pour la plupart. Elle sonna plusieurs fois chez moi, mais je fis la morte. Elle essaya de rentrer la clé que je lui avais donnée. Seulement, j'avais prévu le coup en laissant la mienne derrière. La seule personne qui fut autorisée à venir rompre mon silence était un mec que j'avais rencontré en boîte de nuit deux semaines plus tôt. J'avais besoin de penser à autre chose, j'avais besoin de ressentir le bonheur d'un orgasme. Il resta la nuit entière. Aucune tendresse. Aucun baiser. Ce fut brutal et animal. Je perdis le contrôle une fois quand le visage de l'homme se brouilla et que je vus Jax à la place. Cette hallucination me perturba quelques secondes.
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