5. Seven - Drame 1

Flashback. L'année de mes six ans.

— Maddie, sors de ta cachette.

Cela fait dix minutes que je tourne en rond et que je cherche ma grande sœur dans tous les recoins du jardin. Derrière les buissons, personne. Dans l'atelier de papa, personne. Dans notre cabane, personne. J'ai beau regarder de partout, impossible de la trouver. Du haut de mes six ans, je ne peux pas être aussi douée qu'elle. Elle a huit ans et elle est une as du cache-cache. Une fois, elle est restée toute une après-midi cachée. C'est papa qui a dû la chercher en rentrant du boulot et qui l'a retrouvé dans la cave. Une cave où je n'ai pas envie d'y aller. Maddie disait tout le temps qu'une sorcière était cachée dedans et qu'elle adorait manger les petites filles. 

— Seven, Maddie, crie maman. C'est l'heure du goûter. 

Ouf, sauvée par maman, Maddie sort de derrière le buisson qui sépare notre maison et celle du voisin. Nous n'avons pas le droit d'y aller. Interdiction des parents. Mais Maddie n'avait que faire des règles. Contrairement à moi, elle aimait les enfreindre. 

— Tu as perdu Seven, me taquine ma sœur. 

Je ne réponds même pas et je cours jusqu'à la cuisine où maman nous a préparé un énorme goûter comme elle sait si bien les faire. Une limonade bien fraîche avec une gaufre à la chantilly et aux petites boules colorées, des myrtilles et des framboises. Maman a toujours fait en sorte de nous offrir le meilleur. Elle a arrêté de travailler pour s'occuper de nous à cent pour cent. On ne mange rien d'industriel, on ne regarde aucun écran, on sort tous les jours après nos devoirs. On peut dire que nous avons une vie saine et sereine avec deux parents aimants. Nos parents, c'est l'histoire d'amour extraordinaire, une rencontre inattendue et un amour qui ne s'arrête pas. Je vois leurs regards quand papa rentre le soir et je me dis que je voudrais avoir la chance de connaître la même chose.

— Une fois que vous aurez fini, on ira faire une petite balade près du lac.

J'engouffre tout ce qui est dans mon assiette sans me faire prier. Maman sourit et boit sa tasse de thé.

Au bord du lac, je ramasse des cailloux afin de faire des ricochets sur l'eau. Maman est allongée sur l'herbe munie de ses lunettes. Elle profite du soleil en n'oubliant pas de faire attention à nous. Maddie ramasse des fleurs pour en faire un bouquet. Elle s'éloigne un peu et je cours la rejoindre.

— Maddie, on ferait bien de retourner vers maman. Ce n'est pas bien de s'éloigner.

— Elle n'est pas loin, Seven. Regarde, elle est juste là. Elle peut nous surveiller.

— Bonjour, les petites princesses, surgit un homme aux lunettes rondes. Il a un petit chaton dans les bras qui est à croquer.

— Oh qu'il est beau ! Est-ce que je peux le toucher ? demande Maddie.

— Bien sûr. Si tu veux, je peux t'en montrer d'autres ?

Maddie caresse doucement le chaton. L'homme fait même en sorte qu'elle le prenne dans ses bras. Je vois bien que ma sœur est en adoration devant ce petit chat. Cependant, je n'aime pas cet homme. Maman dit toujours qu'il ne faut pas parler à un inconnu, cet homme est un inconnu. Je jette des coups d'œil furtifs entre Maddie et l'homme puis maman. Il faudrait que j'arrive à courir vers maman avant que Maddie suive cet homme.

L'homme attrape la main de ma sœur. Elle ne dit rien. Elle ne le repousse pas. Qu'est-ce qui peut bien se passer dans sa tête ? Elle se rend pas compte du danger ? Elle n'a pas dû entendre en fond sonore les informations quand on joue tranquillement dans le salon. Je sais que des petites filles disparaissent tous les jours et encore plus quand elles ont un visage angélique avec de jolies boucles blondes et des yeux bleus. 

— Maman, criais-je. MAMAN ! MAMAN ! 

Elle ne tourne même pas la tête vers nous. Elle regarde ailleurs. 

— Chut, petite ! me dit l'homme. 

Moi, me taire mais pas du tout. Je ne le ferai pas. Maddie me regarde et avance avec l'homme. Son regard est plein de malice et de rêverie. A ce moment-là, je ne sais pas encore que cela sera la dernière fois que je verrais ses deux prunelles qui ressemblent à la couleur du ciel.

— T'inquiète, Seven. On va juste voir des chatons.

Je cours vers maman. Je ne peux pas rester sans rien faire.

— Maman, maman, dis-je en essayant de reprendre mon souffle. C'est Maddie.

— Calme-toi, Seven.

J'attrape la main de maman et je me mets à la tirer où quelques secondes plus tôt, on a fait la rencontre de cet homme. Il n'est plus là et ma sœur non plus.

— Un homme est parti avec Maddie, articule-je en regardant maman droit dans les yeux. Il voulait lui faire voir des chatons.

— Où sont-ils partit mon ange ?

Ma mère semble calme à cet instant. Elle pense que ma sœur est simplement en train d'admirer des chatons juste à côté. Cependant, même du haut de mes six ans, je sais que quelque chose ne va pas. Je la vois sortir son téléphone. Elle parle vite, trop vite. La personne au bout du fil ne doit rien comprendre. Elle glisse sa main dans la mienne et se met à courir de partout. Elle crit le prénom de ma sœur.  Les passants la regardent sans pour autant lui demander ce qui se passe ou si elle a besoin d'aide. Une sirène se met à retentir de plus en plus fort. Une lumière tourne et se rapproche de nous. La police. Quand la police arrive, tout devient tendu. Maman explique de nouveau la situation. Le policier se met à ma hauteur et me demande de décrire l'homme qui était avec nous. J'ai l'impression de porter le poids du monde sur mes frêles épaules de petite fille.

—  Il était grand avec des lunettes rondes, je commence. Euh... euh... il avait un chaton dans les bras. Il avait pratiquement zéro cheveu et il faisait peur. Euh... oui son pantalon avait des trous, pleins de trous.

— Tu t'en sors comme une grande, me déclare le policier en notant tout ce que je lui disais. On va retrouver ta sœur. Et sache que tu n'es pas responsable de ça.

Le souffle du vent dans mes cheveux, les feuilles qui commencent à tomber, le parc n'est plus le même à cet instant. Je ne vois plus les choses de la même manière. Ce parc semble effroyable désormais, il sera pour toujours le théâtre d'une journée glaçante. Pourtant, nous avons tellement de bons moments en famille ici. Notre rituel était de venir tous les dimanches après-midi de printemps et d'été pour faire un pique-nique en famille. Papa partait toujours nous acheter des glaces. Pistache pour moi et fraise pour Maddie.

Quand nous sommes rentrés à la maison, une heure plus tard, maman s'est effondrée dans l'entrée. Elle était pâle. Elle tremblait. Je me suis blottie contre elle et elle s'est mise à pleurer dans mes cheveux.


Six mois plus tard.

Notre histoire a fait la une des journaux. Nous sommes passés à la télévision. Tout a été mis en œuvre pour retrouver Maddie. Mes parents ne voulaient pas perdre espoir. Pour eux, Maddie allait rentrer à la maison et notre famille serait au complet.

Je pousse la porte de sa chambre et m'installe sur son tapis rose. Je pris l'une de ses peluches et la sers contre mon visage. Elle a l'odeur de Maddie. L'odeur de ma grande sœur qui me manque énormément. On avait beau se chamailler souvent, je l'aimais plus que tout au monde.

La sonnette de la porte d'entrée retentit. Je sursaute de surprise et je vais m'installer près de l'escalier pour pouvoir observer la scène. Maman ouvre la porte à un homme en uniforme. Il est de la police. Son regard est froid et compatissant. Il regarda maman, passe sa langue sur ses lèvres. Il semble réfléchir à la manière dont il allait annoncer quelque chose.

— Nous arrêtons les recherches, madame Miller, informe-t-il. Nous n'avons pas de nouvelles pistes.

— Vous ne pouvez pas. Ma fille est quelque part.

À ce moment-là, je perds encore une fois maman. Elle a eu tellement d'espoir quand la police a arrêté cet homme il y a une semaine. Un homme qui a séquestré, violé et tué plusieurs jeunes filles, mais en lui montrant la photo de Maddie, il n'a pas reconnu ma sœur. Je crois que mes parents auraient préféré retrouver un corps que rien du tout. Le deuil va être long. Même moi, du haut de mes six ans, je ne me sens pas prête à être fille unique. Ma grande sœur était mon modèle. Elle ne respectait pas beaucoup les règles, cependant elle excellait à l'école. On disait d'elle qu'elle était charmante, pleine de vie et intelligente.

— Sortez de chez moi, hurle maman. Vous êtes des incapables. Elle n'a que huit ans. Elle est peut-être perdue dans le froid sans personne. Vous n'avez pas le droit de la laisser comme ça.

Maman s'avance vers le policier avec un doigt accusateur. J'attends le bruit du moteur de la voiture de papa. Il arrive en courant et prend sa femme dans ses bras. Il l'embrasse sur le front et adresse au policier ses excuses. Il rentre dans la maison et ferme la porte. Je descends immédiatement les marches et vais me coller contre eux. Avec mes petits bras, je les sers le plus fort possible. Papa le remarque. Il se met à ma hauteur, prend mon visage entre ses mains et me regarde droit dans les yeux.

— Je t'aime, Seven. Ne t'inquiète pas, nous sommes là. Maman et moi veillerons toujours sur toi.

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