Juin 1950

Deux jours se sont écoulés depuis l'arrivée de l'anglais et depuis, je n'en ai plus entendu parler. Je m'attendais à ce que la ville soit remplie de commérage, que tout le monde parle de cet étranger, mais non. Je crois que personne ne l'a vue pour l'instant en fait, qu'il reste enfermé chez les Jaeger.

Comme il fait un temps très beau à l'extérieur et que je n'ai rien de mieux à faire, j'ai préparé un petit repas que je compte aller manger avec Eren sur son heure du midi. J'ai décidé de faire simple en préparant de simples sandwichs aux tomates, puis suis arrêté au dépanneur du village, prendre des petits gâteaux et de la liqueur. Le soleil est vraiment intense et j'ai terriblement chaud quand je vais au marché où le brun travaille.

Une fois à l'intérieur du marché, je cherche ma cible du regard. Il y a quelques clients, rien d'extraordinaire. Je reconnais la tête brune de Marco qui replace des chandails aux bons endroits, puis m'en approche. Il sursaute quand je lui touche l'épaule avant de se retourner vers moi.

-Est-ce que tu sais si Eren est en pause diner? Demandai-je.

-Je crois qu'il y va dans quelques minutes. Il doit être à la caisse. Je sais qu'il terminait avec un client.

-Merci.

Je lui fais un signe de tête pour le saluer, puis me dirige vers les caisses, toujours munie de mon petit panier de nourriture. J'aperçois Eren en pleine conversation avec une vieille dame, puis attends qu'il ait terminé avant de m'en approcher. Il sourit de pleines dents en me voyant, surement curieux de ma visite. Je n'ai pas pensé l'avertir.

-Tu passes me dire coucou? S'étonne-t-il, c'est une agréable visite.

-Hum... je viens t'offrir de manger avec moi? J'avais envie de faire un pique-nique au bord de la rivière.

La rivière est tout près, donc je me dis que c'est le meilleur endroit où passer du temps sans les regards indiscrets. Depuis notre baiser, nous n'avons eu aucun autre moment où nous étions seuls. Pourtant, j'aimerais avoir du temps pour parler avec lui et apprendre à connaitre le nouveau Jaeger. Je veux savoir ce qu'il est devenu, savoir ses passions, ce qu'il a fait depuis mon départ. Je veux comprendre pourquoi il m'a embarrassé...

-Un pique-nique? C'est une idée qui me plait. Je vois que tu as déjà tout préparé! Je crois que je peux prendre une heure pour t'y accompagner. Marco peut gérer tout seul. Il n'y a pas beaucoup de clients avec la canicule.

Eren va avertir son employé de son départ, puis il revient vers moi. C'est ensemble que nous sortons de la bâtisse. Le garçon ne cesse pas de sourire, visiblement heureux que j'aie pris l'initiative de l'inviter. Il me lance continuellement des petits regards avant de détourner la tête aussitôt. C'est mignon...

Nous descendons comme la dernière fois à la rivière par le même sentier entre les arbres. Les oiseaux chantonnent, me faisant profiter du moment. J'adore les bruits de l'été. Cette odeur de fleur, la chaleur, la tranquillité. Une fois arrivé près de l'étendue d'eau, je sors la vieille couverture que j'ai pris la peine d'amener, puis je l'étends sur le sol rocheux avant de m'y assoir. Eren fait de même.

-Tu as vraiment tout prévu, remarque-t-il, je ne savais pas qu'un côté romantique vivait en toi. Ça me plait.

Je sens mes joues rougir. Comment peut-il dire de telles choses sans se sentir timide? Je me contente de marmonner quelque chose que moi-même ne comprends pas, ce qui le fait rire, puis je sors le repas. Mes sandwichs sont très bons et je crois qu'Eren les aime aussi puisqu'il en reprend. Nous terminons par les petits gâteaux que j'aime bien, même si je ne suis pas un grand admirateur de desserts.

-Au fait, comment ça se passe avec Floch? M'enquis-je par simple curiosité, il n'a rien essayé de te voler?

-Pour l'instant, il reste enfermé dans sa chambre et ne bouge pas. J'ai cru un moment qu'il était mort et j'ai dû envoyer Mikasa vérifier. Il parait qu'il est juste déprimé. Il ne voulait pas manger, donc elle l'a forcé à avaler un pain, au moins.

-Je vois... Jean aussi ne semble pas aller très bien. Il s'est fâché après une vache et lui a crié dessus. Il ne veut pas me dire comment s'est passé sa conversation avec Marco.

-Pauvre vache... tu sais, il y a un gars qui semble flirter avec Marco au travail. Il vient presque chaque jour faire son tour pour discuter, mais il part presque toujours les mains vides. Marco ne semble pas s'en apercevoir, mais moi, j'ai l'œil et c'est clair que ce petit Hoover en pince pour lui!

Nous terminons nos gâteaux, puis Eren met le panier de côté pour s'allonger sur la couverture, les bras derrière sa tête. J'hésite d'abord quand il me fait signe de faire de même, mais je finis par me coucher près de lui. Le ciel est très bleu aujourd'hui. Aucun nuage n'est à l'horizon et je pourrais presque voir la chaleur.

-Tu ne me parles presque jamais de toi, remarque Eren, pendant que tu étais à Québec, tu as bien dû vivre des aventures. Ça s'est passé comment, là-bas? Est-ce que tu as déjà été amoureux?

-Tu en poses des questions... Il n'y a rien d'exceptionnel à raconter.

-Je veux quand même savoir, ça m'intrigue.

Pour mieux m'écouter, Eren se tourne sur le côté en tenant sa tête avec sa main. Voyant qu'il tient vraiment à m'entendre, je me décide à lui raconter un peu de ma vie à Québec. Je lui parle de mon oncle, de l'usine, de mes amis. Il semble particulièrement amusé par la personnalité colorée de Hansi et Farlan sur qui il me pose plusieurs questions. Ces deux-là me manquent, maintenant que j'y pense... je vais les appeler en rentrant, je crois.

Une fois le sujet terminé, je retourne la question au beau brun qui ne tarde pas à répondre :

-Ces dernières années, je les ai surtout consacrés à bâtir mon commerce. Je ne suis pas né dans une famille riche, donc mon père n'a pas pu m'aider financièrement. J'ai dû demander l'aide à quelques amis pour m'aider à rénover une vieille bâtisse que j'ai eue à un bon prix. Ça nous a pris du temps, mais on est parvenu à ce que tu vois aujourd'hui. Je me suis trouvé des personnes voulant investir et même si cela a été compliqué, ils sont presque tous remboursés en ce moment. Au début, je travaillais des nuits entières. Je m'étais même fait un petit lit dans l'entrepôt pour rester plus longtemps. C'est seulement l'an passé que j'ai commencé à avoir plus de temps pour moi.

-Mais aujourd'hui, ton commerce va bien, j'ai l'impression?

-J'ai des hauts et des bas. J'ai la chance d'avoir un bon employé pour m'aider, sinon je serais incapable de gérer. Parfois, je dois attendre une semaine pour le payer, mais j'essaie de retarder ses payes le moins possible. Je pense demander à Floch de travailler pour moi aussi quand il sera mieux, mais j'ai peur que ça se termine en meurtre.

-Si tu as besoin d'aide, fais-moi signe. J'aide sur la ferme, mais j'ai l'impression que Mike et Erwin gèrent bien.

-Je vais en prendre note, merci.

Eren semble très heureux par ma proposition. Je frissonne quand sa main passe doucement sur ma joue. Sa peau est rude, signe qu'il a beaucoup travaillé manuellement, ce qui est loin de me déplaire. Peut-être est-ce cette expérience qui l'a rendu plus mature? Son corps se rapproche du mien, puis je sens ses lèvres chaudes effleurer mon front. Mon cœur palpite sous le plaisir quand elles descendent vers mon cou. Cette sensation est si agréable.

Alors que l'une de ses mains caresse affectueusement ma hanche et que sa bouche continue ses succulents baisers, une question me traverse l'esprit. J'ai besoin d'avoir une réponse, donc je me décide à la poser.

-Eren? Je peux te poser une question à laquelle je veux que tu répondes honnêtement?

-Hum? Vas-y.

Il éloigne son visage pour me regarder droit dans les yeux, sans pour autant cesser les caresses que fait sa main. Il est encore si près, que je me sens intimidé.

-Pourquoi agissais-tu comme ça avec moi quand nous étions jeunes? Qu'est-ce que j'avais fait pour que tu me détestes?

Eren pince les lèvres, n'aimant visiblement pas cette question. Je crois qu'il a honte de savoir à quel point il était un monstre à l'époque, qu'il préfèrerait oublier cette période. Alors que je crois qu'il va se désister, je l'entends soupirer.

-Je suis vraiment désolé pour ce que je t'ai fait... j'étais jeune et un peu con, mais je peux te promettre que je ne te détestais pas. Je crois qu'au fond, je t'enviais.

-Tu m'enviais?

-Oui. Tu étais dans une famille aisée et avais tout ce que tu voulais. Ton frère était mon meilleur ami, alors que le mien, il était trop âgé pour passer du temps avec moi. L'enseignante t'adorait, alors que moi, elle n'arrêtait pas de me punir. Je crois que je t'ai fait payer ma jalousie et j'en suis sincèrement désolé aujourd'hui.

Je baisse ma tête pour réfléchir. Je m'attendais à mieux comme explication, mais je le sens sincère. Ainsi donc, il s'en prenait à moi parce que j'avais une meilleure vie? C'était mal me connaitre. Seules ma mère et Erwin étaient là quand j'en avais besoin, sinon, j'étais seul. Le beau brun glisse son doigt sous mon menton pour me forcer à le regarder.

-Mais tu sais, continue Eren, l'important c'est ce que nous sommes aujourd'hui et je t'apprécie beaucoup. Tu es un garçon pas comme les autres, Livai Ackerman.

Il se penche pour déposer ses lèvres contre les miennes. C'est la deuxième fois que nous échangeons un baiser et j'ai l'impression que c'est encore meilleur que le premier. Caressant ma hanche, je sens la langue d'Eren pousser sur l'entrée de ma bouche et je lui offre l'accès sans la moindre hésitation. J'aime l'embrasser. Il me plait lui aussi. Cet étrange sentiment qui se développe en moi m'est inconnu. Je me sens bien, me sens heureux quand il est là. Sa présence ne m'ennuie pas et chaque fois que ses magnifiques yeux émeraude croisent les miens, j'ai l'impression qu'une énorme chaleur consume mon cœur.

De toute ma vie, c'est la première fois que quelqu'un me fait ressentir cela et pour l'instant, j'ignore si cela me plait ou pas.

Dépanneur: Un petit magasin dans lequel on peut trouver un peu de nourriture et diverses choses qui reste ouvert très tard le soir.