Juin 1950

Jean a retiré sa veste pour la mettre sous la tête de ce pauvre Marco, toujours sans connaissance sur le sol. Nous sommes tous réunis autour de lui, attendant qu'il ouvre les yeux. J'avais complètement oublié qu'il travaillait ici... pauvre lui. Voir son premier amour ressurgir après dix ans de présumé mort doit être un choc. Moi, il était mon frère et j'ai toujours l'impression de ne pas croire que c'est bien lui. Souriant tendrement, Jean passe ses doigts dans les cheveux du pauvre garçon évanoui.

-J'aurais voulu qu'il apprenne mon retour autrement, avoue-t-il, jamais je n'aurais cru lui procurer ce genre de réaction. Il n'a pas vraiment changé avec le temps. Toujours le même visage tacheté.

-Il ne t'a jamais oublié, tu sais, répond Eren, c'est lui qui entretient ta tombe depuis le temps. Il y va très souvent.

Jean ouvre grand les yeux, probablement stupéfaits d'entendre qu'il a une tombe. Ça doit être très bizarre pour lui de savoir que tout le monde le croit mort depuis dix ans! Il aurait pu au moins nous écrire pour dire qu'il est vivant. Plus j'y pense et plus je trouve qu'il a agi en connard en gardant tout ça secret. Ses raisons semblent manquer de vérité, comme s'il cachait un truc. Je veux bien croire qu'il a eu des troubles de mémoire, mais je doute que cela ait duré si longtemps. Une simple lettre disant « je vais bien » ne l'aurait pas tué!

-Je ne sais pas si je vais vouloir la voir, sourit Jean, ça va me tourmenter...

-C'est comme si tu étais un mort vivant, répliquai-je, ou encore que tu faisais un voyage dans le temps.

-Il va y avoir tant de choses qui vont te surprendre! Ajoute Eren, par exemple, ce commerce m'appartient. J'en suis le fier propriétaire.

-En fait, ce qui me surprend le plus pour l'instant, c'est de te voir bien t'entendre avec Livai. Jamais je n'aurais pensé que vous enterreriez la hache de guerre un jour.

Je suis surpris de cette réflexion, tournant la tête vers Eren qui a fait de même. Est-ce vrai que nous nous entendons mieux depuis un moment? Nous avons une relation presque amicale depuis mon retour, ce qui me surprend. Je n'ai plus envie de lui donner un coup de pelle chaque fois que je vois son visage. En fait, je n'aimerais pas lui faire mal. Le nouveau Jaeger n'est plus un monstre. Même qu'avec honte, je dois avouer l'apprécier.

-Disons qu'on a changé, répond Eren, j'ai pris en maturité.

-Si tu le dis. Comme moi, j'imagine?

Jean repose son regard vers Marco à qui il caresse toujours les cheveux. Ses yeux descendent doucement le long de son corps avant qu'il fronce les sourcils. Son sourire effacé, il lève doucement sa main gauche pour regarder son alliance.

-Avec qui...souffle-t-il.

-Son père lui a organisé un mariage arrangé, explique Armin, je t'assure qu'il n'y a rien entre lui et sa femme. Ils se détestent! Je n'ai jamais vu Marco autant haïr une personne. Il n'est pas heureux depuis que tu es partie. Il ne se laisse pas le droit de tomber amoureux à nouveau.

Je vois bien que Jean semble mal, comme si quelque chose le tracassait. Il repose la main de Marco sur son corps et ce dernier commence doucement à bouger. Ses paupières papillonnent, puis ses yeux s'ouvrent avec lenteur.

-Jean...comment... est-ce que je suis mort?

-Non Marco, c'est moi qui suis vivant. Comment va ta tête? Tu te l'es cogné en tombant.

-Bon, je crois qu'on va les laisser seuls, affirme Armin en se levant, ils ont des choses à se dire!

Moi et Eren acquiesçons avant de nous lever pour nous éloigner des deux anciens amoureux. Je me demande ce que ça va donner entre eux? Marco est marié et l'adultère est grave, même si c'est avec un homme. Je ne crois même pas qu'il consomme son mariage avec sa femme de toute façon. À voir la manière dont ils se parlent, je pense qu'un simple baiser entre eux équivaut à une torture.

Eren sort de sa poche une cigarette qu'il allume, puis il en offre une à moi, puis à Armin. J'accepte, laissant le brun me prêter son feu.

-J'ai l'impression que cette journée est la plus surprenante de toute ma vie! S'exclame-t-il, mon meilleur ami revient d'entre les morts et c'est comme si c'était normal. J'ai l'impression que mon cerveau va exploser. Tout ça c'est juste... wouah.

-Je crois que personne ne réalise vraiment ce qui se passe, réplique Armin, il est arrivé chez nous comme s'il n'était que parti en vacances. Je comprends la réaction de Marco. Si Annie disparaissait demain et qu'elle revenait brusquement, je crois que j'aurais du mal à digérer la nouvelle. On ne peut pas mettre dix ans sur table... C'est trop long.

Nous continuons à discuter avant que Jean vienne nous dire que nous pouvons les laisser seuls, qu'il va s'arranger pour rentrer par lui-même. Je me demande ce que je vais faire de ma journée? Je n'ai pas très envie d'aller travailler sur la ferme avec Erwin et Mike aujourd'hui. J'imagine que je vais en profiter pour me balader? Aller voir des lieux qui me rappelleront de bons souvenirs?

-Tu veux aller à la rivière? Me propose Eren, tu avais dit que tu aimerais y retourner? Je ne peux pas rouvrir mon commerce après l'avoir fermé.

-Je croyais que tu m'avais dit qu'il y avait d'énormes araignées d'eau?

-Tu te souviens de ça? Ce n'est pas très grave. Je n'ai pas peur des araignées.

Étrangement, passer du temps avec lui ne me dérange pas. Nous proposons donc à Armin de nous accompagner, mais il décline notre offre en nous avisant que lui, il doit aller travailler s'il veut avoir les moyens d'entretenir la maison dans laquelle il va vivre avec Annie quand ils se marieront. 

Comme la rivière longe le village, elle n'est pas loin et moi et Eren pouvons y aller en marchant. Il fait très chaud dehors, me forçant à remonter le bas de mon pantalon d'une manière très peu séduisante. Sur la route, je fume quelques cigarettes avant que nous arrivions dans le sentier qui descend près de l'étendue d'eau. C'est exactement comme dans mes souvenirs. Les arbres forment une sorte d'arche autour du petit chemin dans lequel de grosses pierres ont été dispersées. Des pétales de fleurs blanches tombent des hautes branches des pommiers, rendant ce lieu magnifique.

Une fois auprès de la rivière, je m'empresse de retirer mes souliers pour marcher sur le gravier naturel qui descend dans l'eau. Le calme est maitre dans cet endroit qui ne me fait pas regretter la ville un instant. C'est ici que je veux vivre et nulle part ailleurs.

-C'est exactement comme dans mes souvenirs, souris-je, je me souviens quand ma mère venait nous donner le bain ici... maintenant que j'y pense, Jean a déjà failli me noyer en ce lieu.

Comme je n'ai aucune réponse de mon accompagnateur, je me retourne vers l'endroit où il était quelques instants avant, mais je ne le vois nulle part. Il est où? Il ne s'est tout de même pas volatilisé en m'abandonnant ici? En même temps, cela ressemblerait au comportement typique de Jaeger.

-Je fais la bombe!

En l'entendant hurler, je me retourne vers l'endroit d'où provient sa voix. Eren a retiré ses vêtements, gardant uniquement son caleçon, puis est désormais perché au sommet d'un haut rocher sous lequel doit se trouver un bassin. Son corps... je ne peux m'empêcher d'admirer ses muscles si bien dessinés sur cette silhouette fine qui est sienne. Il me lance un sourire, puis saute dans l'eau en repliant ses genoux devant lui. Je ne le vois pas ressortir. J'espère qu'il va bien?

Quand sa tête retrouve la surface, Eren envoie valser sa chevelure brune par en arrière d'un geste fort séduisant. Je me sens mal de le dévisager de la sorte, de détailler sa beauté. Comment ce type hideux a pu devenir un tel chef-d'œuvre avec le temps? Les années lui ont été profitables et personne ne pourrait dire le contraire.

-Tu viens? S'exclame Eren, saute si tu en as le courage!

Je regarde le rocher imposant, puis l'eau dans laquelle se baigne le garçon. J'aimerais bien sauter, mais il y a un honteux problème. Je ne sais pas si je dois lui dire, mais en même temps, mourir noyé dans le liquide sale de la rivière ne me dit rien.

-Est-ce que l'eau est creuse devant le rocher? M'enquis-je.

-Assez pour que tu ne te frappes pas dans le fond. C'est ce qui t'inquiète?

Non, le problème, c'est que je ne sais pas nager. Peut-être que si je saute assez loin, je vais toucher le fond et que Eren ne verra pas ma difficulté. Il est hors de question que j'ai l'air faible devant mon ancien bourreau! Même si j'angoisse un peu, je me dévêtis sur le rivage, accrochant mes vêtements à un arbre pour ne pas les laisser sur le sol et risquer que des insectes y grimpent.

Sous le regard attentif du beau brun, je monte sur le rocher en grimaçant lorsque je viens près mettre ma main dans une toile d'araignée. Une fois au sommet, je fixe l'eau avec crainte. Le creux ne doit pas être large...

-L'eau est tiède! Affirme Eren, je crois qu'un petit poisson vient de me mordre la grosse orteille. Tu crois qu'ils mangent mes peaux mortes? C'est drôle comme sensation.

Je regarde une dernière fois la rivière, puis après avoir pris une grande inspiration m'élance le plus loin possible. Mes pieds ne touchent pas le fond... j'essaie de remonter à la surface en battant des bras, cherchant mon air, mais la panique grimpe en moi. Je dois avoir l'air d'un petit chien. Pourquoi est-ce si compliqué alors que ça semble si facile?

J'arrive à respirer une fois avant que ma tête replonge dans l'eau à nouveau. Je dois prendre pied, remonter à la surface... alors que je me débats, je sens deux mains se glisser sous mes aisselles pour me tirer. Par réflex, je m'accroche à la masse qui m'aide. Dès que je sens l'air rentrer dans mes narines, je me mets à tousser.

-Mais tu es idiot ou quoi? Tonne Eren qui me tient contre lui, tu aurais dû me dire que tu ne sais pas nager au lieu de sauter! Qu'est-ce qui t'a passé par la tête?

Maintenant ma respiration plus régulière, je me sens honteux.

-Je ne voulais pas paraitre faible, marmonnai-je, ne répète ça à personne.

-J'oubliais qu'à tes yeux j'étais encore le parfais connard. Qu'est-ce que je dois faire pour que tu comprennes que j'ai changé?

Je baisse les yeux vers l'eau. Eren me tient encore contre lui, comme s'il craignait que je coule. Cette situation est embarrassante, mais ne me déplait pas. Il a raison, le courant est tiède, même si la chaleur commence à gagner mon corps. Ses muscles sont si bien formés. Dans la position dans laquelle je suis, j'arrive à les sentir contre mon torse qui est collé au sien. J'aimerais le toucher et cette pensée me fait rougir.

-Non, je sais que tu as changé et c'est ce qui me met hors de moi... je ne te déteste plus, Eren.

Je crois que j'ai surpris le garçon qui ouvre grand les yeux. J'ai parlé sans réfléchir, mais je suis mauvais menteur. Je ne veux pas qu'il croie que la haine qui brulait en moi existe encore. Cette flamme s'est grandement apaisée après l'agréable moment dans sa voiture lors de notre « rencontre », puis je l'ai vue s'éteindre encore plus à chacune de nos interactions, même si jusqu'à maintenant, je refusais de l'assumer. Est-ce possible qu'au fond, je l'aie reconnu quand il m'a aidé ce jour de pluie? Peut-être que mon subconscient m'a simplement empêché d'accepter que ce soit par lui que je sois attiré?

Je lève mes yeux vers les siens, découvrant sur ses lèvres un sourire satisfait. Je sens ses mains qui jusqu'à maintenant maintenaient mon dos glisser le long de mes hanches, me faisant frissonner. Mon ancien ennemi me plait.

-Je suis heureux de l'apprendre, souffle Eren, moi non plus je ne déteste plus... je ne t'ai jamais détesté en fait.

-Hein? Comment ça jamais...

Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que ses lèvres chaudes se plaquent contre les miennes. Eren m'embrasse? Je suis d'abord surpris, mais ne tarde pas à lui répondre en entourant son cou de mes bras. C'est si bon. Les yeux fermés, je profite de ce baiser dans cette rivière, soupirant d'aise en sentant ses lèvres descendent dans mon cou pour le suçoter. Je me moque de ce qui nous entoure en ce moment.

J'oublie le passé.

Un grognement d'insatisfaction franchit la barrière de ma bouche lorsque Eren s'arrête, fixant mes cheveux, les sourcils froncés. Pourquoi il ne continue pas alors que je suis docile?

-Tu as une araignée d'eau dans les cheveux, déclare-t-il calmement.

-MAIS BORDEL, ENLÈVE-MOI ÇA!