Chapitre 9 : Olivier
Quand j'arrive chez moi, la maison est silencieuse, Olivier doit être déjà couché. J'entre sans bruit, mais une lampe du salon est restée allumée. Et, assis sur le canapé, droit comme la justice, mon mari m'attend. Sur la table basse, la paire d'escarpins que j'avais prêtée à Kenza la semaine dernière me nargue.
Je regarde les chaussures, puis Olivier, qui me tend le petit mot griffonné sur un ticket de caisse.
Merci pour les chaussures ! Elles étaient top avec la robe, tu avais raison. Je dîne avec Steph pas loin, je suis passée les déposer au cas où tu aurais besoin de ces merveilles les prochains jours. Bisous ma cops, à très vite !
Sans un mot, je vais m'assoir à ses côtés, le regard bas et le cœur en miettes. Je pourrais mentir, lui dire que je me suis trompée de prénom ce matin, que Kenza a annulé au dernier moment, n'importe quoi pour sauver le navire, mais je ne veux plus de mensonges entre nous. Je suis déjà allée beaucoup trop loin.
Je me mets à pleurer. Je déteste cela et ce n'est vraiment pas mon genre, les larmes pour attendrir l'autre, mais à cet instant, la seule chose que je ressens, c'est du désespoir, celui de l'avoir blessé, celui d'imaginer que je pourrais le perdre.
Olivier ne se laisse pas émouvoir.
— Avec qui étais-tu ? demande-t-il d'une voix plate derrière laquelle perce, malgré tous ses efforts pour la camoufler, une certaine forme de panique. Peut-être espérait-il, au fond, une explication toute bête. Peut-être que si je lui avais sorti un nouveau mensonge, il l'aurait gobé, trop heureux que ce ne soit « que ça ».
— Avec Simon.
— Ton ex ? s'étrangle-t-il, sans pouvoir davantage masquer ses sentiments.
— Oui.
Il se lève, fait quelques pas dans la pièce, alors que je sèche mes larmes, puis vient se rassoir.
— Tu m'expliques ?
— J'ai repris contact avec lui il y a deux mois, après l'appel de ma mère... concernant Marc.
Je lève les yeux vers lui, il ne moufte pas. Son expression est dure, je sais déjà que jamais je ne me pardonnerai de lui avoir fait du mal.
— On s'est revu quelques fois, et...
— Pourquoi lui ? me coupe Olivier, d'une voix glacée, si différente de son timbre habituel, bas et chaud.
— Parce qu'il était là quand j'ai vécu ce que je t'ai raconté l'autre soir. C'est de lui dont j'avais besoin.
Mon mari ferme les yeux, et reprend d'une voix douloureuse :
— Donc, pendant que je me tordais l'esprit pour savoir comment t'aider au mieux, pendant que j'essayais de t'entourer de tout mon amour, que je t'accordais toute mon attention, c'est à lui que tu te confiais. Pendant que je gardais les enfants, c'est avec lui que tu t'envoyais en l'air.
— Non. C'est faux. On n'a pas de liaison.
— Et tu t'imagines que je vais te croire ? Toi, la reine des mensonges ?
Je me remets à pleurer. Il a raison. Comment j'ai pu croire que j'allais m'en sortir à si bon compte ?
— Ce soir, il m'a embrassée, c'est vrai, mais... mais je l'ai repoussé. Parce que c'est toi que j'aime.
Olivier se lève, et comme plus tôt, fait quelques pas nerveux dans le salon. Puis il revient se planter devant moi.
— Dis-moi que tu n'as pas eu envie de lui, articule-t-il d'une voix sourde que je ne reconnais pas. Dis-moi que tu n'as pas pensé à coucher avec lui.
Je me lève à mon tour, et plonge mes yeux dans les billes noires de mon mari, prête à aller jusqu'au bout.
— Tu veux la vérité, Olivier ? commencé-je d'une voix tremblante. Eh bien oui, j'avais envie de lui. C'est ça que tu veux entendre ? Oui, j'avais même très envie de faire l'amour avec lui. Et on était dans son appartement, et on aurait parfaitement pu coucher ensemble. Mais je ne l'ai pas fait Olivier, parce que je t'aime, et que je ne veux pas te perdre.
Il me toise quelques instants, une expression indéfinissable sur le visage.
— Au final, je ne sais pas ce que je préfère, les mensonges, ou une telle franchise. Tu peux monter te coucher, je resterai sur le canapé ce soir, conclut-il sèchement.
— Chéri...
— Laisse-moi, Juliette. J'ai besoin de temps pour digérer tout ça.
Je monte, la mort dans l'âme. Assise sur le bord de la baignoire, je laisse les larmes couler. Je finis par me calmer et me démaquille, me brosse les dents. Je passe embrasser les enfants, comme chaque soir avant de rejoindre mon lit. Milan dort paisiblement, sur le dos, son beau visage aux traits lisses parfaitement détendu. Layla est comme toujours sur le ventre, la tête enfouie dans l'oreiller, et je dépose un baiser au hasard de la touffe de cheveux bruns qui sent l'amande douce de son shampooing.
Je redescends dans le salon. Allongé sur le canapé, Olivier lit, et ne tourne pas la tête vers moi. Je remonte alors et me glisse sous les draps, brisée par le chagrin. En quinze ans, c'est la première fois que nous faisons chambre à part et c'est entièrement de ma faute. Notre lit me paraît bien vide sans lui, la nuit me paraît bien effrayante sans son souffle près de moi.
Je me suis endormie très tard, et je me réveille avec la sensation d'avoir la gueule de bois.
Malgré nos années de mariage, nous sommes restés très proches physiquement. On s'embrasse souvent, chaque matin avant de partir, chaque soir en rentrant, et à bien d'autres moments. Contrairement à la plupart de mes amies en couple depuis longtemps, nous faisons encore l'amour plusieurs fois par semaine, nous paressons au lit de longues minutes le week-end, dans les bras l'un de l'autre, avant de nous lever et cela me manque ce matin comme jamais.
Quand je me lève, tout le monde est debout. Olivier est même déjà douché et habillé. Je tente d'accrocher son regard, mais il m'ignore superbement, ne m'adressant que le minimum de mots pour ne pas attirer l'attention de nos enfants. Je me sers un café et les rejoins à table, m'efforçant de faire bonne figure, puis, le petit déjeuner achevé, je les envoie faire leur lit et leur toilette. Je reste en tête à tête avec mon mari, chacun à un bout de la table couverte des restes du petit déjeuner. Olivier se lève, remplit à nouveau sa tasse et, appuyé contre l'évier, me fixe. Je fais tout ce que je peux pour ne pas fondre à nouveau en larmes devant ce regard-là.
— Chéri... Je suis désolée.
Il esquisse une moue qui semble signifier « c'est bien la moindre des choses », sans pour autant dire un mot. Il boit une gorgée de son café. Je me lève à mon tour et m'approche pour l'enlacer mais il me repousse. C'est trop tôt. Ou trop tard.
— Je me sens trahi, Juliette, dit-il enfin.
— Je sais. Je ne...
— J'avais confiance en toi, en nous, et tu m'as poignardé dans le dos. J'ai besoin de réfléchir, de prendre un peu de recul. Je vais aller passer la journée dehors aujourd'hui, si tu veux bien t'occuper des enfants. Je ne me sens pas le courage de jouer la comédie devant eux. Je rentrerai quand ils seront couchés, et nous discuterons à ce moment-là, en espérant que j'arrive à y voir plus clair.
Je ne peux que hocher la tête. Il vide sa tasse, la met dans le lave-vaisselle, et monte embrasser Milan et Layla avant de partir.
La journée passe beaucoup trop lentement. Malgré le rythme dense des tâches ménagères et des devoirs des enfants, j'ai du mal à me sortir toutes ces dernières émotions de la tête. Le baiser de Simon, la chaleur de sa langue dans la bouche, de son corps contre le mien, puis le ton, l'attitude, le regard glacé de l'homme que j'aime. Je redoute la discussion de ce soir, parce que je le connais, et je sais que ce soir quand il rentrera, il aura pris une décision. Il est parti avec ses chaussures de marche, son sac à dos, de l'eau et des barres protéinées. La randonnée a toujours été pour lui un moyen de se retrouver lui-même, de trancher en cas de choix difficiles. J'ai peur, mais je n'ai pas de pouvoir là-dessus. Les cartes sont entre ses mains.
C'est une très belle journée de printemps et l'espace d'une belle promenade en vélo avec Layla et Milan, j'oublie un peu ce qui me torture. Les enfants n'ont pas posé de question, je ne sais pas ce que leur père leur a dit avant de partir, ou s'ils ont senti la distance entre nous.
Nous rentrons au coucher du soleil et je les laisse avec leur console de jeu. Je me sens vidée de mes forces et commande même une pizza qu'ils mangent devant la télé pendant que je tente de me détendre dans un bain.
J'entends Olivier rentrer vers vingt-deux heures. Il monte directement prendre une douche, sans passer par le salon, où je l'attends, fébrile. Impossible de lire ou de regarder la télévision, je passe mon temps à préparer mentalement mes arguments, à imaginer des conversations fictives, à répéter mes excuses.
Enfin, il me rejoint, seulement vêtu d'un jean et d'un tee-shirt noir qui met son regard sombre en valeur. Même après tant d'années, ses cheveux grisonnants et ses rides au coin des yeux, je le trouve tellement beau. Il passe sa main sur son menton, hésitant, et vient finalement s'assoir à côté de moi sur le canapé.
— Tu as dîné ? demandé-je d'une toute petite voix.
— Oui, je me suis arrêté chez Martial et Charline en rentrant. Ils t'embrassent.
Il grimace, comme s'il avait retenu in extremis une mauvaise blague.
Je le regarde s'adosser au sofa. Il soupire profondément, yeux fermés, puis se redresse, et plonge son regard dans le mien. J'ai l'impression d'être une accusée qui attend le verdict du juge.
— Comment tu réagirais, si je te disais que j'avais entretenu une liaison avec une collègue ?
Ses mots me font l'effet d'un coup de poignard.
— Pourquoi ? C'est vrai ?
— Ce n'est pas la question. Comment réagirais-tu ?
— Je ne sais pas... je serais effondrée, c'est sûr. J'aurais le cœur brisé.
— Tu me pardonnerais ?
— Je... je pense que oui. Tout dépend de ce qui s'est passé, de combien de temps ça a duré... mais si tu me disais la vérité, je crois que j'essayerais de recoller les morceaux.
— D'accord. C'est ce que tu me suggères de faire, pour Simon et toi ?
— Non. Car tu n'es pas moi, et je ne suis pas toi. Et parce que Simon et moi n'avons pas de liaison.
— Tout dépend de comment on définit ce mot. Vous vous êtes vus en cachette, tu m'as menti, il t'a embrassé...
— Mais je n'ai pas cédé.
— Et tu crois que ça suffit à faire toute la différence ?
— Oui.
Olivier hoche la tête, pensif, mais je sens qu'il se décrispe un peu.
— Juliette, j'ai besoin que tu me racontes tout.
— Je... ne comprends pas...
— Tout, avec lui, avec Simon. De ton premier contact, quand tu as appris pour ton père, à hier soir. Tu n'es pas obligée de me dire ce que vous vous êtes racontés, mais dis-moi ce que tu as ressenti. Tout ce qui m'impacte aussi, en somme. Et je t'en prie, sois honnête. Ne tais rien pour m'épargner, ou éviter ma colère. Je préfère tout savoir.
Alors je lui raconte tout. Mon sentiment de solitude, d'incompréhension qui a mené au premier SMS, nos retrouvailles, nos entrevues, la complicité, ses mensonges. Tout. Et aussi les regrets parfois, le désir qui renaît, son baiser. Tout, absolument tout. Parce que je connais mon mari, et que s'il décide de me pardonner, ce ne peut-être que grâce à la vérité. La vérité pure, la vérité dure. Celle que je lui assène, sans filtre, malgré sa mâchoire crispée, ses poings serrés.
— Mais je n'ai pas couché avec lui, je te le promets, Olivier, je te le jure, conclus-je en m'essuyant les yeux.
— Pourtant, tu en as eu envie... marmonne-t-il, sans me regarder.
J'assume, j'avoue.
— Oui. Mais ça ne change rien. Il ne se passera plus jamais rien entre lui et moi.
Tout le temps de mon récit, il a gardé les yeux sur ses cuisses, sur le tissu outremer de son jean, les sourcils froncés. Il relève alors la tête et se tourne vers moi.
— Je le sais, je te crois.
— Pourquoi ?
— Parce que tu aurais pu mentir sur le reste aussi, m'épargner, et malgré tout, tu m'as dit la vérité, même si tu sais combien ça m'a fait mal.
— Je suis tellement désolée, sangloté-je.
— Je sais.
Contre toute attente, mon mari me prend dans ses bras, me berce, et sèche mes larmes qui redoublent devant ce geste de tendresse, cette nouvelle preuve d'amour.
— C'est dur, chérie, c'est évident. Il faut même que j'évite de penser à cette scène, parce que juste l'idée d'imaginer un type qui pose les mains sur toi, qui t'embrasse, j'ai envie de tout casser. Mais je t'aime. Ce qu'on vit là, ton père, ton ex, c'est peut-être notre première vraie épreuve, et on s'en sortira ensemble. Je comprends pourquoi tu as eu besoin de lui, je vois bien que je n'ai pas été à la hauteur, et puis... et puis votre histoire en suspens... je n'y peux rien, et peut-être que toi non plus. Même si ça ne me plaît pas, elle fait partie de toi, et je dois l'accepter.
— Tu veux dire que tu ne vas pas me quitter ? reniflé-je.
— Non, Juliette, je ne peux pas vivre sans toi. Je crois que tu ne te rends pas compte d'à quel point je t'aime. Ça ne veut pas dire que je ne suis pas fâché, mais je sais que j'ai ma part de responsabilité. Et maintenant, c'est fini, on va pouvoir aller de l'avant.
Je quitte ses bras, et me mouche, puis je le regarde à mon tour.
— Olivier, murmuré-je. Je n'ai pas l'intention d'arrêter de voir Simon.
Il se recule dans un mouvement de surprise.
— Pardon ?
— J'ai encore besoin de lui. Tant que cette histoire avec mon père n'est pas finie...
— Juliette, tu te moques de moi ?
— Non. Je sais que cela te contrarie, et je le comprends. Mais je ne peux pas arrêter de le voir, et je ne veux plus te mentir.
— Alors on a un problème. Tu imagines que je vais te faire confiance ?
— Oui. Déjà, parce que si j'avais dû coucher avec lui, je l'aurais fait hier. Et aussi parce qu'on n'a pas le choix. Si tu ne peux plus me faire confiance avec lui, ce ne sera le cas avec personne, Olivier. Si à chaque fois que je sors, tu te demandes où je vais, si à chaque fois que j'envoie un sms, tu te demandes à qui, ça veut dire que notre couple est mort.
— Pourquoi Juliette, pourquoi tu m'imposes ça ? Tu m'as tout raconté pour ton père, je te comprends et je suis de ton côté, je te soutiendrai, tu le sais.
— Ce n'est pas pareil.
Mon mari passe ses mains sur son visage, et reste silencieux un moment. Il semble bouleversé. Comme hier.
— Et si je refuse ?
— Si vraiment tu me poses un ultimatum, je ne reverrai plus Simon. Parce que si je dois choisir, c'est toi que je veux, je croyais que tu l'avais compris. Mais tu sais aussi bien que moi que ça créera un rapport de force dans notre couple qui le déséquilibrera totalement, et qu'un jour, cela reviendra nous hanter. Je ne suis pas allée au bout de ma relation avec Simon il y vingt ans, je dois le faire aujourd'hui. Je t'en prie, je sais que c'est difficile pour toi, que ça te semble injuste, mais ne m'enlève pas ça.
— C'est trop dur, Juliette.
Je me lève, et lui fais face.
— Non, ce n'est pas dur, c'est très simple. Soit tu as encore confiance en moi, et tu me laisses le revoir, soit tu n'as plus confiance. Auquel cas, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Mais je crois que ce sera fini, Olivier, parce qu'on s'aime trop pour accepter de vivre dans la méfiance.
Je lui tourne le dos et m'apprête à quitter la pièce, pour ne pas m'effondrer devant lui, mais il se lève prestement et attrape mon poignet.
— Attends, souffle-t-il. Il m'attire à lui et je lève des yeux pleins d'espoir. Ensemble, on est plus forts que tout. Plus fort que ton passé.
— Tu es bien sûr ? demandé-je d'une voix tremblante.
Mon amour hoche la tête. Un minuscule sourire travers ses lèvres.
— Je n'arrive pas à croire à tout ce que tu me fais faire, chuchote-t-il, alors je pose la tête sur son épaule et là, contre lui, je laisse couler les dernières larmes qu'il me reste. Mais cette fois, je pleure de soulagement.
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