Chapitre 11 : Olivier
Quand j'arrive chez moi, Olivier est en train de dîner avec les enfants, il leur a cuisiné leur repas préféré, pastina de courgettes au kiri, un des classiques des vendredis soirs ou des jours de flemme.
— Maman ! s'écrient en chœur mes enfants.
Mon mari ne dit rien, mais son sourire vaut tous les mots. Il ajoute une assiette, dans laquelle il verse la moitié du contenu de la sienne et commente :
— C'est une belle surprise.
— J'avais juste un petit truc à faire, et je me suis rendu compte que j'avais envie d'être avec vous alors je suis rentrée.
— Pourquoi ? interroge Layla. On est ensemble tous les soirs.
— Je te remercie de ton accueil chaleureux.
— C'est pas ça, mais le vendredi c'est ta soirée, tu devrais en profiter.
Je souris fièrement et croise le regard amusé d'Olivier. La relève féministe est assurée.
— C'est vrai, et c'est ce que je fais en général, mais ce soir, les seules personnes que je voulais voir, c'est vous.
Elle esquisse une moue dubitative, et s'en retourne à ses pâtes.
Le repas achevé, je me lève et fais mine de débarrasser, mais c'est mon fils qui me chasse.
— Ah non, le vendredi c'est pas ton jour ! T'es pas censée être là alors tu vas sur le canapé, c'est papa qui doit s'en occuper.
— De mieux en mieux, rit Olivier avant de les envoyer se brosser les dents.
Restés seuls, son regard m'interroge.
— J'y suis allée. Chez Marc.
— Et alors ? demande-t-il, à brûle-pourpoint.
— Tu es sûr de vouloir savoir ?
Il hoche la tête.
— J'ai eu du mal. A y aller, à sortir de la voiture, à sonner. Mais j'ai réussi.
— Et ? Qu'as-tu ressenti en le revoyant ?
— Rien. Peut-être un peu de pitié, mais c'est tout. Pas de colère en tout cas.
— Ah c'est bien ! Je suis content, ça va peut-être...
— Non, tu ne comprends pas, chéri. Je n'ai rien ressenti du tout. Juste de l'indifférence. Marc n'est plus rien pour moi, c'est un étranger.
Olivier m'observe gravement, probablement déçu, attendant que je développe.
— Pendant ces vingt ans, je me suis construite, sans lui. Il n'a rien à voir avec la femme que je suis aujourd'hui. Et maintenant, je peux affirmer que je me fiche de son sort.
— Tu en es bien certaine ? demande Olivier à voix basse.
— Oui. Cet homme n'est rien pour moi.
A nouveau, il hoche la tête, sans répondre, sans me regarder. Ce n'est probablement pas ce qu'il attendait, ce qu'il espérait, mais c'est la vérité.
— J'aimerais y emmener les enfants.
Surpris, il relève la tête, et me dévisage.
— Disons que ce sera comme le dernier souhait du condamné. Il me l'a demandé, je n'ai pas le cœur de lui refuser. Mais surtout, je le fais pour eux, pour qu'ils ne me le reprochent pas un jour. Et puis, il est grand temps de leur dire la vérité. Qu'en penses-tu ?
— Je crois que c'est une sage décision.
Nous attendons le dimanche pour en parler à nos enfants. La veille, je dors mal, peu, et même les bras d'Olivier ne me rassérènent pas. J'appréhende leur réaction, surtout celle de ma fille. J'ai peur qu'ils ne comprennent pas, se fâchent, m'en veuillent. Mon mari a la délicatesse de ne pas en rajouter, d'éviter le refrain du « je te l'avais bien dit », même si je sais que c'est ce qu'il pense. Il est derrière moi, me soutient. Comme toujours, ou presque.
Je choisis la fin du repas pour leur parler. Lorsque nous déjeunons chez nous, c'est le moment où on s'installe devant un film les jours de pluie, où on sort les jeux de société, où on va se promener avant de rentrer goûter de brioche et de chocolat chaud. Mais aujourd'hui, je les laisse s'assoir sur le canapé, à côté de leur père, tandis que je prends place face à eux, assise sur la table basse.
— Oh là... ricane Layla, impressionnée par la mise en scène.
— J'ai quelque chose à vous avouer.
— T'as fait une bêtise, maman ? demande Milan.
— Pas tout à fait. Disons que parfois, les adultes cachent la vérité à leurs enfants, parce qu'ils jugent que c'est mieux pour eux. C'est ce que j'ai fait avec vous. Je vous ai menti, mais pas pour être méchante, pour... vous protéger.
Les enfants restent silencieux, intrigués, un peu inquiets aussi. Le regard d'Olivier m'encourage à continuer.
— Il y a très longtemps, je me suis fâchée avec mon papa. Fâchée très fort, si fort que je ne voulais plus jamais le voir. C'est pour cette raison que je vous ai dit qu'il était mort. Parce que j'étais tellement en colère contre lui que pour moi, c'est comme s'il était vraiment mort.
Olivier ferme brièvement les yeux. Il souffre.
— Pourquoi vous êtes fâchés ? interroge doucement Layla.
— Parce que... parce qu'un jour, il s'est séparé de mamie, et il n'a pas été correct. C'est normal que parfois, les couples se séparent, quand ils ne s'aiment plus, ou quand l'un a fait une grosse bêtise, vous connaissez cela, chez certains de vos camarades...
— Oui, comme les parents de Jade, intervient Milan.
— Voilà, comme les parents de Jade. Cela arrive, et ce n'est pas grave. Il arrive même que ce soit mieux, car les parents se disputent, et cela fait de la peine à tout le monde. Mais quand mes parents se sont séparés, cela s'est très mal passé, et mon père a fait beaucoup de choses pas chouettes du tout. On s'est... disputés plusieurs fois, et la dernière fois, j'ai décidé de ne plus le revoir.
— Il a fait quoi ? s'inquiète Layla.
— Ce sont des histoires d'adultes, mon amour, mais tu sais, ça a toujours été compliqué entre lui et moi. Rien à voir avec ta relation avec papa. Vous, vous avez un père extraordinaire. Je vous assure que je n'avais pas cette chance. Je suis désolée de vous avoir menti. Mais je crois sincèrement que ça n'aurait pas été un très bon grand-père pour vous.
— Oui, et puis, on a déjà papi Bertrand, et Philippe, aussi, lance Milan.
— Oui c'est vrai.
— Pourquoi tu nous le dis aujourd'hui ?
C'est peut-être le moment le plus difficile à négocier. D'autant que je n'ai jamais été douée pour enrober les choses. Je suis cash, je suis braque, comme dirait ma mère.
— Parce que j'ai appris il y a quelques semaines qu'il était très malade, et qu'il allait bientôt mourir, pour de vrai cette fois. Il m'a fallu beaucoup de temps, mais j'ai décidé d'aller le voir.
— Il a quoi comme maladie ? T'étais contente de le voir ou encore en colère ?
— Une maladie très grave, mon chéri, un cancer. Je n'étais ni contente, ni en colère, c'est comme si je m'en fichais un peu après tout ce temps. Mais il a demandé à vous voir. Et je me suis dit que peut-être, vous en auriez envie aussi.
— On est obligés ? demande Layla.
— Non, pas du tout. Et il faut bien que vous compreniez que si vous le rencontrez, ce ne sera probablement qu'une fois, parce qu'il est vraiment très malade. Mais si vous n'en avez pas envie, personne ne vous y obligera.
— Moi je veux bien, dit Milan. Je me demande à quoi il ressemble.
— Je peux réfléchir ? demande à nouveau ma fille.
— Oui, bien sûr. Prends le temps qu'il te faut, et je te le redis, tu n'es pas obligée ma chérie.
— Mais si je mets trop de temps, s'inquiète-t-elle, il va peut-être mourir avant ?
J'hésite et croise le regarde de mon mari. C'est lui qui prend la parole pour la première fois.
— Oui, c'est un risque. Mais ça ne change rien, Layla, prends le temps dont tu as besoin.
— Tu le savais, toi, que le papa de maman n'était pas mort ?
— Oui, je le savais. Maman et moi, on se dit tout.
Je le dévisage, et il sourit. Ce n'est pas un reproche. Je me penche pour attraper sa main et la serre dans la mienne.
Notre geste n'échappe pas à Layla qui lève les yeux, nous regarde à tour de rôle, sourit, avant de demander :
— On fait un puzzle tous ensemble ?
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