Plusieurs siècles après la destruction de la Source d'Éternité :

Sous les pics sombres surplombant la Forteresse Noire, lors de l'intronisation de XiongQing, l'oracle s'inclina devant lui et rendit son office.

« Ô mon Maître, de ta semence naîtront trois fils. Le premier deviendra le plus grand Roi Démon que notre monde ait connu. Le second sera l'instrument de ta fin, et subira le même sort par la main de son propre fils. Quant au dernier, il sera un mage de l'Obscur capable de rivaliser avec les dieux immortels, mais dont la chute sera scellée par la Source Pure. ».

XiongQing, les poings serrés, dissimula dans un silence glacé l'ombre de l'inquiétude. La prédiction se grava dans son esprit comme une malédiction indélébile. Personne d'autre ne devait savoir. Dans le secret de sa chambre, il se jura de mettre tout en œuvre pour que jamais elle ne se réalise.

De nombreuses années passèrent et l'heure sonna pour lui de prendre femme afin d'assurer sa descendance et de garantir un protecteur à la Source de Vitalité. Il enleva la princesse aînée de la secte de Jade. Un an plus tard, un cri perça l'air, celui de son premier fils. Héritier légitime et début de la prophétie, selon sa vision des choses....

Mais les dieux, dans leur ironie cruelle, avaient aussi fait naître un autre enfant, au même instant. Dans les recoins sombres du palais, là où l'espoir se fanait comme des fleurs oubliées, une concubine, maintenant ignorée, donna la vie à un garçon.

La rumeur parcourut les couloirs, mais nul ne sut dire lequel des deux vit le jour le premier.

XiongQing, dans son orgueil et sa paranoïa, considérait son fils légitime comme le futur grand roi et celui né dans l'obscurité du harem, comme la menace à éliminer. Il convoqua son fidèle eunuque, chargé de ses femmes, et lui confia l'ordre impitoyable : tuer le bâtard.

Cependant, le Seigneur Noir ignorait l'amour secret que le serviteur portait à la douce HuaJia, la mère de l'infortuné bébé. Le sort réservé à cet enfant révoltait son cœur. Lui, d'ordinaire docile, prit une décision risquée. Il sauverait le nouveau-né de la belle captive. Dans les recoins sombres du harem du bas, la vie était éphémère, il trouva le cadavre d'un nourrisson sans nom. Avec un geste précis, il trancha la tête du petit corps, l'âme tourmentée, mais résolue. Il la présenta ensuite à son maître, froide et sanguinolente, en espérant que la supercherie ne serait jamais découverte.

Pendant cinq ans, une paix fragile prédomina. HuaJia, cachée dans une aile reculée de la forteresse, éleva son fils loin des regards. XiongQing, quant à lui, poursuivait son règne ignorant tout du secret qui grandissait dans les entrailles de son palais.

Mais un jour la tromperie fut dévoilée, et le vent des conséquences se mit à souffler, prêt à renverser tout ce que le Roi Démon avait bâti.

L'eunuque tenta de fuir tenant fermement la main de HuaJia et portant dans ses bras l'enfant qu'il avait appris à aimer comme le sien et à qui il avait donné son nom. Voyant les soldats les rattraper, il cacha sa douce et son fils dans un recoin des remparts.

Le claquement des bottes résonnait, trop proche. Le visage figé par l'angoisse, il chercha désespérément une échappatoire. Mais la traque fut brève. Les gardes se saisirent de lui, son corps frêle ployant sous leur poigne de fer. Il ne prononça pas un mot, le regard fixé sur l'endroit où HuaJia s'était dissimulé avec son précieux fardeau.

La sentence, réservée aux traîtres, tomba aussi lourde qu'inévitable : il fut écartelé.

HuaJia, maintenant seule en terre hostile, marcha jusqu'au gouffre du Dragon, là où les flots tumultueux déferlaient entre des rochers acérés. Détentrice d'un secret inconnu du Roi Démon, elle ne fléchit pas. Les légendes parlaient d'un abîme sans retour, un passage vers les enfers, où les âmes étaient avalées par les eaux du fleuve de l'oubli. Ses bras se refermèrent une dernière fois autour de son enfant. Et, sans un cri, elle se jeta dans le vide, sous les regards ébahis des soldats.

Dans la salle du trône, la nouvelle parvint à XiongQing. La prophétie semblait enrayée et son avenir ainsi que celui de son aîné, assurés.

Les saisons défilèrent et deux ans plus tard, son troisième fils, QiuLei vint au monde, ravivant son orgueil. Né de sa concubine favorite, vestale de la Source versée dans les arts obscurs, l'enfant grandit sous l'aura mystique des énergies occultes. Dès son plus jeune âge, son talent dépassait l'entendement. Le Seigneur Noir, contempla ses fils, voyant l'avenir de son clan assuré. Son héritier serait un chef redoutable, et le cadet, un mage dont la puissance servirait à cimenter l'hégémonie familiale.

Pourtant, alors qu'il détournait le regard, absorbé par ses ambitions, une flamme avide brûlait dans les yeux sombres de son aîné.

Un soir qu'il admirait les vastes plaines du royaume qu'il avait si durement conquis, il ne sentit pas sa présence derrière lui. La lame jaillit, silencieuse, perçant son cœur. Un éclair de douleur lui coupa le souffle. Tandis qu'il tombait à genoux, la trahison éclata sous la forme du rictus cruel de son fils favori. Le visage de celui-ci brillait triomphalement, alors qu'il retirait le poignard avec lenteur, savourant chaque instant.

Le roi déchu, agonisant, se souvint de la prophétie faite lors de son accession au trône. Il comprit enfin que ce n'était pas le bâtard né dans les chaînes de l'esclavage qui avait scellé son destin, mais celui qu'il avait chéri, formé et aveuglément nourri d'ambitions démesurées.

Une larme solitaire coula le long de sa joue.

Dans ses derniers instants, alors que la vie s'échappait de son corps, une étrange paix s'installa en lui. Oui, la prophétie s'était accomplie, chaque détail avec une précision implacable. Peut-être restait-il un acte à se jouer dans ce cycle de trahison.

Un sourire énigmatique apparut sur ses lèvres qui se figèrent ainsi dans la mort pour l'éternité.