Partie 29

« Ils ne viennent pas d'ici. » me signala Ulrich

Il apparu au dessus d'un des cadavres.

« À quoi tu sais ça ? »

« Leurs vêtements. Les boutons ne sont pas cousus avec le même motif qu'emploie tous les artisans de la ville. De plus, leurs chaussures sont faites avec le cuir d'une quelconque bestiole des montagnes. »

— Que dit ton autre-toi ? s'informa la Dame Blanche en me voyant le regard vide.

Je lui répétais les informations d'Ulrich et elle fronça les sourcils. Elle n'eut pas le temps de méditer dessus, puisqu'on cogna violemment à la porte.

— Reste derrière moi, souffla la magicienne.

Elle s'avança, une lumière menaçante entre les doigts. Elle ouvrit d'un seul coup pour se retrouver nez à nez avec un frère terrorisé et un messager humide.

— Que se passe-t-il ? s'informa-t-elle.

— M-ma D-dame l-l-le... bégaya le premier, effrayé.

— Abbesse, j'apporte une triste nouvelle, l'interrompit le second en s'inclinant. Le Cardinal s'est éteint dans son sommeil il y a quatre nuits de cela. Vous êtes convoquée à Kair Tarafal pour l'élection du nouveau Cardinal.

— Eh bien, il semble que certains aient déjà commencé à passer à l'action, rétorqua la Dame Blanche.

D'un mouvement de la main, elle désigna les trois cadavres derrière elle. Les deux hommes à la porte perdirent le peu de couleurs qui leur restaient.

— Soyez aimable d'informer les gardes qu'ils ont du travail ici, continua-t-elle en s'adressant au mage. J'ai des préparatifs à faire.

Elle se tourna à moitié et m'invita à la suivre d'un geste du bras. Elle m'entraîna dans les profondeurs de l'Abbaye. Je lui emboîtai le pas et elle débloqua une porte ensorcelée. Un énorme cristal lévitai au centre d'une pièce vide. Il dégageait une intense lumière rouge. Elle s'entaillant la main d'un sort et appliqua sa paume sur la pierre. Celle-ci vira aussitôt au bleu, tandis qu'un chiffre, un trois, se dessinai brièvement sur une face.

— Troisième... qu'est ce que je disais, ils n'ont pas attendu pour passer à l'action, grogna Wendy.

— Qu'est-ce que c'est ?

— D'anciens cristaux magiques, ils contiennent un sort puissant. Ils permettront aux autres Abbés de rejoindre Égaris et de voyager ensuite jusqu'à Kair Tarafal. Ils doivent l'activer comme je l'ai fait. Et attendre leur tour puisqu'il faut un jour pour que les cristaux soient de nouveau actifs. Pour le retour en revanche, ils devront retourner à pied et confirmer la nouvelle de l'élection du nouveau Cardinal. Nous sommes troisièmes, ce n'est pas mauvais. Ça indique aussi que les précédents sont peut être responsables de nos invités indésirables.

Je me tut et l'observai, les rouages tournaient à pleine vitesse dans sa tête.

— Nous avons beaucoup de choses à faire. Tu resteras près de moi.

Je la suivis tandis qu'elle se rendait dans son bureau. Elle convoqua des gens, envoya des missives, en reçu d'autres... Je m'endormis sur une chaise dans un coin de la pièce et me réveillai en sursaut quand elle posa une main sur mon épaule.

— Va te coucher, dans ma chambre.

J'hochai la tête et obéis. Je me réveillai tard dans la matinée, la ville vibrait encore du départ du premier convoi d'Abbé. Je ne l'aperçut pas avant tard le soir. À nouveau, elle m'ordonna de dormir avec elle. La journée suivante fut consacrée à la préparation de nos affaires, tandis qu'une autre suite passai à travers la cité. Nous partîmes le lendemain à l'aube, dans une calèche, blottie sous d'épaisses couvertures qui nous serviraient quand nous serions dans les nuits encore froides des montagnes.

« Eh bien, nous avons réussi, nous partons à la capitale. »

« Drôle de manière de réussir. »

« L'important, c'est le résultat. »

« Laisse-moi, j'ai sommeil. »

« Dors Astrid, je veille sur toi. »

*****

Le voyage qui devait nous amener à Kair Tarafal, siège du pouvoir religieux du pays, passait par la ligne droite et brillante que dessinait la grande route de la contrée, entretenue au frais de l'Abbaye. Ensuite venaient les collines qui se transformeraient en montagnes et nous accompagnerais jusqu'à la cité sainte. Le trajet en ce tout début de printemps s'avéra boueux, humide et frais. Heureusement, nous logions la nuit dans les meilleures auberges du coin, bien au chaud. Enfin, surtout les proches des gens importants.

Nous voyagions en « petit comité », autrement dit, environ cent cinquante personnes. Il y avait tous les proches conseillers de la Dame Blanche, ainsi que leurs secrétaires, serviteurs, palefreniers et gardes. J'avais été officiellement nommée suivante de la Dame Abbesse pour le trajet ainsi que la durée de notre séjour. La suite dépendrait du fait que ma protectrice gagne ou non l'élection du Cardinal. Maya était également du voyage et elle ne mît que quelques jours à s'habituer au fait qu'il y avait une personne « ordinaire » derrière la façade de la magicienne.

Puisque nous ne pouvions pas pratiquer la magie dans le carrosse dans lequel nous passions l'essentiel de nos journées, nous passions notre temps à lire et échanger. Wendy passa également du temps à nous instruire sur la conduite à tenir dans notre rôle et diverses situations.

Après dix jours de trajet, nous atteignîmes les premiers contrefirts. Nous suivions une route sinueuse entre les collines de plus en plus hautes et une bruine désagréable tombait sans répit depuis le matin. J'étais plongée dans un livre expliquant le déroulement de la succession cardinalice quand je découvris un passage qui me fit froncer les sourcils.

— Wendy ?

L'interpellée releva les yeux

— Oui ?

— Qu'est-ce qu'ils entendent par « le sacrifice de la fiancée » ?

Le visage de la magicienne s'assombrit.

— Le sens est littéral ici.

— Quoi ?

— Tu sais que les prophéties annoncent le retour du Cavalier Rouge. L'une d'entre elle annonce qu'il prendra une compagne parmi les membres de l'Église. Cette prophétie est sujette à beaucoup d'interprétations différentes. Néanmoins une loi dit qu'il appartient au Cardinal de nommer une jeune femme qui l'épousera le jour de son retour. Évidemment, il faut « changer » régulièrement la candidate. Malheureusement, pour celles qui n'ont pas été choisies, il n'y a qu'une seule issue possible. De plus, un nouveau Cardinal nomme automatiquement une nouvelle fiancée. Pour que le Cardinal soit élu, il faut que la fiancée meurt.

« Quoi ! » s'exclama Ulrich

— Quoi ? répétai-je un ton et une octave au-dessus.

— Je sais, je trouve ça aussi ignoble que toi.

« Ignoble ?! Doux euphémisme ! Qu'est ce que c'est que cette coutume barbare ! »

« Barbare ?! Tu rigoles, même eux ne pratique pas le sacrifice humain ! »

— C'est... c'est... balbutiai-je.

À cours de mots, je portai une main à la bouche. L'idée même de cette « coutume » me rendait nauséeuse. À côté de moi, Maya agrippa ma main libre. Même elle avait visiblement pâli.

— Tu ne peux pas... soutenir ça ! crachai-je.

— Je sais, mais c'est une coutume presque aussi vieille que l'Église. J'aurais dix ans si je suis nommée avant de devoir « changer » de fiancée. J'espère que ce sera suffisant pour pouvoir altérer son destin.

Je frissonnai de dégoût.

— Comment tu es censée savoir qui tu dois nommer, et comment les Cardinaux peuvent reconnaître le Cavalier ? Ils vous fournissent un manuel de détection en vous nommant ? interrogeai-je.

— Je ne le sais pas, c'est là tout le problème. En général les hauts dignitaires de l'Église se chargent de trouver et de former des fillettes. Le Cardinal en choisi une parmi la dizaine d'élues. Pour le Cavalier en revanche, c'est simple. Il est le seul...

« À pouvoir brandir l'Épée Sanglante, Aefrig. » termina Ulrich en écho à la magicienne.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top