Partie 27

Je remarquai aussitôt la porte entrouverte et me stoppait net, tous les sens soudain en alerte. Je poussai doucement le battant avant de soupirer de soulagement. Maya était assise sur son lit, un livre sur les genoux. Elle leva les yeux sur moi et me sourit. J'entrai, fermai et grimpai sur le lit où elle se blottit aussitôt contre moi.

— J'étais peur ce matin, me dit-elle.

— Je suis désolée pour ça, il fallait que j'agisse vite.

— J'ai compris après. Elle est... important pour toi.

— Oui.

— Elle est... Ashka ? demanda-t-elle.

— Ashka ? Qu'est ce que ça veut dire ?

— Je ne sais pas trop comment dire. C'est famille mais pas vraie. Enfin oui mais non. Je trouve pas comment expliquer.

— Je crois que je comprends ce que tu veux dire. C'est famille trouvée, famille d'adoption.

— Adoption ?

— Oui, quand quelqu'un n'a plus de famille, il peut en trouver une autre.

— Alors oui, ça ressemble à ça.

— Je suppose que tu as raison, elle est Ashka pour moi.

Elle se serra contre moi et je passai un bras autour de sa taille.

— Je sais que nous se connaissons pas longtemps mais... Tu es Ashka pour moi, souffla Maya.

Je posais ma tête sur la sienne et pris une de ses mains dans ma main libre.

— Tu es Ashka pour moi aussi, Maya. C'est pour ça que tu voulais me voir ?

— Je veux être certain que tu vas bien. Tu étais triste.

— Je vais bien, ne t'en fait pas.

*****

Trois jours plus tard, l'agitation dûe à l'agression de la Dame Blanche était enfin retombée. Nous venions de terminer une leçon de magie. Je maîtrisais aisément le feu et l'eau pour les manipulations basiques, et je commençais à travailler l'air et de plus en plus d'esprit. Assise en tailleur sur le tapis, je m'étirais et baillai, fatiguée par l'exercice.

— Tu progresses, me félicita Wendy.

— J'ai une excellente professeur, ris-je.

Elle sourit, s'assît près de moi.

— Astrid, peut-on reparler de ce qu'il s'est passé ? Cette vision que tu as eu ?

— Je... c'est compliqué.

— J'aimerais essayer de comprendre.

Je soupirai, passai une main sur ma nuque.

« Astrid, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. »

« Moi si, je veux lui faire confiance. Et je veux qu'elle sache qu'elle peut me faire confiance, que je peux lui être utile. »

Ulrich soupira en écho dans ma tête.

« Très bien. Je suppose que tôt ou tard elle finira par l'apprendre, de toute manière. »

— Admettons que j'ai... une autre facette de moi-même, qui puisse se déplacer sans se faire voir par personne d'autre. Cette facette peut recueillir librement toute sorte d'informations qu'elle peut ensuite mettre à ma disposition.

Elle me regarda, incrédule.

— Tu peux vraiment faire ça ?

J'hochai la tête.

— C'est comme ça que j'ai vu qu'ils t'attaquaient.

— Et... Tu as appris d'autres choses ?

— Que tes conseillers n'attendent que le premier signe de faiblesse de ta part pour prendre ta place. Qu'au moins deux autres complotent contre toi, peut être une autre tentative de meurtre. Que le petit maigrichon au nez pointu est un bâtard de la lignée du seigneur de la cité. Que le rondelet culbute certaines jeunes sœurs de l'Abbaye. Que le premier conseiller est tellement xénophobe, raciste et méprisant qu'un balai dans le cul ne serait pas douloureux pour lui. Que ...

— D'accord, d'accord, j'ai compris, m'interrompit-elle. Je te crois.

— Désolée.

— Ne le sois pas. C'est un formidable don que tu as là.

— Je ne sais pas si c'est un don.

— C'est douloureux pour toi ? Tu as des absences ? Des effets secondaires quand tu utilises ce don ? s'inquiéta-t-elle aussitôt.

— Non, rien de tout ça. C'est juste que parfois c'est un peu incontrôlable.

— Je comprends. Je suppose que ça peut être effrayant d'avoir un don que personne d'autre n'a ni ne comprends. Mais... c'est une capacité qui pourrait nous être plus qu'utiles dans le futur. Tu peux envoyer ton espion très loin ?

— Deux cent mètres, peut être un peu plus.

Elle hocha la tête. Je voyais les engrenages tourner dans sa tête, plus vite que ceux de la tour de l'horloge. Je la laissai à ses réflexions, me tournai vers la cheminée. Le temps se réchauffait et la neige avait disparu des toits, pourtant le temps restait frais. Le regard perdu dans les flammes, j'attendais que ma protectrice revienne de sa réflexion.

Quelques minutes passèrent avant qu'elle ne sursaute violemment.

— Je suis désolée, je...

— Tu ajustais tes plans.

— Astrid, tu sais bien que... commença-t-elle.

— Je sais, l'interrompit-je.

— Vraiment ?

Je pivotai vers elle, pris une de ses mains dans les miennes.

— Je veux être utile. Je sais que tu calculais comment tu pouvais utiliser mes pouvoirs et je ne t'en veux pas. Je ne demande que ça !

— Je ne voudrais pas que tu penses que notre relation... Enfin... Ce qu'on partage toutes les deux, c'est spécial.

— Ashka, murmurai-je.

— Je te demande pardon ? m'interrogea-t-elle, surprise.

— C'est un mot que Maya m'a appris.

— Je parle sa langue couramment, tu sais, m'informa-t-elle.

Le choc sur son visage me frappa. Je sentis mes joues chauffer jusqu'aux oreilles et me retournai vers le feu. Elle passa un bras autour de moi. Je me crispai et me cachai dans mes épaules.

— Astrid...

— Pardon.

Elle rit doucement, m'attira contre elle.

— Tu es une petite maligne, mais pour ce qui est des interactions sociales... Je ne suis pas contrariée que tu me considères Ashka, au contraire. C'est un terme qui nous correspond bien.

Je relâchais toute la tension de mes muscles pour m'agripper à elle.

— Je t'aime, Astrid, me chuchota-t-elle dans cette langue étrange.

L'effet de ses mots fut immédiat. Comme une explosion dans ma poitrine, qui se répandit dans tout mon corps. J'avais l'impression d'avoir des fourmis qui me parcouraient les membres, et un long sanglot remonta du fond de ma poitrine pour se bloquer dans ma gorge. Pleurer ne menait à rien, pleurer c'était pour les faibles. Je ne pouvais pas pleurer devant elle. Je me serrai contre Wendy, qui resserra son étreinte sur moi.

— Chut, tout va bien, je suis là. Tu ne crains rien ici, me rassura ma protectrice.

Le sanglot éclata finalement et je fondis en larmes. Cela faisait des années que je n'avais pas pleuré, plus encore que personne ne m'avait réconforté et séché mes larmes. Je versais des années de peur, de solitude et de colère sur l'épaule de la magicienne qui me berça jusqu'à ce que je m'apaise. Elle continua jusqu'à ce que ma respiration soit calme et mes muscles détendus.

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