Partie 11
Il se matérialisa en tailleur au bout de mon lit et je me redressai.
« De quoi ? »
« Je crois que la Dame Blanche cache des secrets. »
« Pourquoi ? »
« Cette langue... j'ai du mal à me rappeler mais elle m'évoque des souvenirs. Je vois des éclats d'acier et des larmes de sang. »
« Ugh, c'est pas rassurant, ça. »
« Nan, pas vraiment. D'ailleurs la majorité de mes souvenirs ont l'air teinté de sang. »
« Je préférais la période où tu étais amnésique et où tu faisais des commentaires désobligeants sur ma méthode d'approche de l'étal de fruit. »
« Il faut dire que ta technique laissait à désirer ! »
Je secouai la tête et me laissai retomber sur l'oreiller.
« Pourquoi et comment sommes-nous liés toi et moi ? »
« Je ne sais pas, je ne sais plus. Ce que je sais c'est que plus tu fréquentes ces gens et plus tu apprends à contrôler ta magie et plus mes souvenirs reviennent. »
« Il ne t'ai pas venu à l'esprit que tous ces magiciens puissent vouloir notre peau ? »
« Bien sûr que si, c'est pour ça qu'il faut que tu t'abstiennes de parler de moi, de nous, à qui que ce soit. »
Un bâillement m'échappa et je me pelotonnai sous la couette.
« Compris, on parle pas et on attend. »
« Et l'objectif est d'atteindre cette fameuse école pour nous approcher des très hautes sphères de l'Eglise. »
« Hm. » marmonnai-je, déjà assoupie.
***
Deux jours passèrent avant que je revois la Dame blanche. À la sortie du service religieux, elle m'adressa un signe de la main. Suivant son mouvement, je dirigeai mes pieds vers la chapelle au fond de la nef de l'église. Il y avait sept immenses cierges, peints de motifs abstraits pour mes yeux d'ignorante. Au-dessus de chacun d'entre eux, un vitrail représentant un des sept Apôtres. Le vitrail central, plus grand que les autres, représentait un cavalier de profil, épée pointée vers le ciel, rouge du plumeau de son casque jusqu'au bout de ses solerets. Je le contemplai avant de laisser échapper un bâillement.
— Tout cela t'ennuie, n'est ce pas ?
Je pivotai, alarmée, mais la magicienne, dans sa tenue de cérémonie, semblait sincèrement amusée. Je haussai les épaules sans grande conviction et son sourire s'agrandit.
— Ne t'inquiète pas, j'étais comme toi au même âge. Encore que j'étais obligée d'assister aux trois services quotidiens.
Mon regard horrifié ne lui échappa pas et elle émit un petit rire.
— Tu finiras par comprendre que tout ceci nous regarde de plus près que les autres. Nous sommes les prophètes qui annonceront son retour et celui des autres apôtres, souffla-t-elle en levant les yeux sur les vitraux.
Elle posa une main sur mon épaule et nous contemplâmes un instant les œuvres d'art en silence.
— Viens à mon bureau après le repas, j'ai mon après-midi de libre, nous pourrons commencer ton entraînement et parler de tout ceci.
Je hochai la tête juste avant qu'un homme ne vienne réclamer l'attention de la Dame blanche. Je rejoignis Gilda à l'extérieur de l'église. Ma tutrice discutait joyeusement avec deux autres femmes un homme du même âge. Je m'approchai, ma méfiance instinctive me laissant les muscles tendus.
Je reconnus dans le seul garçon du groupe mon sauveur du premier jour. Les deux jeunes femmes semblaient le taquiner a propos d'un sujet quelconque.
— ... et comme je te le disais, Cal' a réussi cet exploit deux fois !
Le groupe partit à rire mais Gilda s'interrompit en me voyant. Elle me tendit la main et je la saisit avant de me rapprocher d'elle.
— Alors c'est elle ta nouvelle protégée, Gilda ? interrogea la première, aux cheveux d'un châtain très clairs et les yeux d'un ton plus foncé. Bonjour, mistinguette.
Elle me sourit et je me surpris à lui rendre son sourire. Elle m'inspirait la même confiance que ma tutrice.
— Je ne sais pas pourquoi la Dame blanche veut qu'on s'obstine à ramasser et éduquer les gens comme elle, grommela la seconde.
— Kay ! protesta son amie.
— Je suis sérieuse, on devrait s'en servir de réservoirs, on perdrait moins de ressources.
J'eus un mouvement de recul, interrompu par la main ferme de Gilda autour de mon épaule.
— Elle est muette, pas débile, Kay, gronda ma tutrice. Et pour ce que j'en sais, elle est bien plus puissante que toi, alors soit tu remballes tes commentaires désagréables, soit tu t'en vas.
La concernée renifla avant de s'éloigner la tête haute. Gilda pressa mon épaule.
— Je suis désolée, toi.
— Eh, maintenant tu connais la raison pour laquelle Gilda te couve comme un poussin nouveau-né, se manifesta Cal'. Les gens ici sont pas tous d'accord sur le traitement à réserver aux magiciens sauvages comme toi.
Je levai les yeux sur lui sans comprendre ce qu'il disait.
— Les mages « sauvages », m'expliqua ma tutrice, sont ceux qui comme toi, viennent des quartiers pauvres et n'ont pas de lignée traçable. La majorité d'entre nous sommes des enfants de marchands, notables ou avons déjà un ou plusieurs ascendants magiciens. Comme il n'y a aucune règle à ce propos, tout dépend de nos supérieurs. La Dame blanche veut qu'on vous traite bien, mais elle est une des exceptions dans les hautes sphères.
« Merveilleuse bêtise qu'ils ont été inventés... »
— C'est pour cela que j'insiste autant sur ton éducation. Plus vite tu pourras te fondre dans la masse, moins tu t'attirera d'ennuis avec les gens comme Kay ou d'autres moins aimables.
Nerveuse, je calai mon ardoise sur mon bras et écrivit :
« Classe demain ? »
Ma tutrice pinça les lèvres.
— Je ne sais pas, tout dépendra des élèves et de la classe où tu seras assignée.
Mon inquiétude bondit dans ma poitrine. L'idée de devoir fréquenter des nobles ne me plaisait déjà pas, si en plus ils se comportaient tous comme Kay.
« Ne t'inquiète pas, je serai là. »
« Je vois difficilement comment tu pourrais m'aider. »
« Hm, nous verrons. »
— Eh, petite, t'inquiète pas, on les laissera pas te faire des misères, souffla Cal'.
Il tapota mon épaule mais je restai tendue. Je me laissai entraînée par Gilda jusqu'au réfectoire. À ma surprise, Cal' et l'autre jeune femme restèrent avec nous dans la file puis s'installèrent près de nous. Mon regard interrogatif amena un air coupable sur le visage de ma tutrice.
— Je... Nous devrions aller manger plus loin... bafouilla-t-elle.
Elle voulut se lever mais je saisit son poignet et tirait gentiment pour la faire asseoir.
« Non, ce son tes amis. On reste. »
— Eh, la mistinguette a raison, Gilda. Je sais que la Dame blanche veut que tu veilles sur elle personnellement mais maintenant qu'elle est habituée à vivre ici, tu peux lâcher un peu de lest.
— Tu as sans doute raison Sam, c'est juste que...
Elle passa une main dans mes cheveux et me sourit gentiment :
— Habituellement, mes protégés parlent et ça rend les choses moins compliquées. Et surtout ils ne viennent pas... Oh, peu importe, nous nous en sommes bien sorties.
— Je sais pas comment tu fais pour toujours arriver à les apprivoiser comme ça, Gilda, s'amusa Cal.
— Je ne les apprivoise pas, Cal', ce ne sont pas des animaux, protesta ma tutrice.
— Eh, ma faute, s'excusa le jeune homme en levant les mains sous le regard noir de ses deux amies. Je voulais pas être méchant, je parle sans réfléchir. Ce que je voulais dire c'est que tu arrives toujours à... enfin tu vois, tu les mets en confiance.
— Un peu de gentillesse fait des miracles tu sais, tu devrais essayer des fois.
— Je sais, mais j'arrive pas à les prendre en mains quand ils sont... quand ils viennent d'arriver. Je préfère leur enseigner la géométrie et la construction de sort plutôt que de manger avec des couverts. Sans offense, petite.
Je hochai la tête pour signifier ma compréhension. La conversation tourna ensuite vers les derniers ragots et je plongeai la tête dans mon assiette en écoutant d'une oreille distraite. Je réalisai à quel point Gilda était une personne sociable. Je le sentis d'autant plus satisfaite de ma décision de la laisser rester avec eux. J'avais assez accaparé son attention ces deux derniers mois. La fille des rues m'aurait rit au nez si je lui avais dit qu'un jour elle me ressemblerait.
« Au fond, tu n'as pas changé... Pas trop. »
« Merci ? »
« Hm. »
Après avoir fini mon assiette, j'attirai l'attention de Gilda sur mon ardoise.
« La Dame blanche veu me voir. »
— Je sais, un de ses suivants est venu me le dire tout à l'heure. Va, ne te mets pas en retard. Je serais à la bibliothèque ou à la serre quand tu auras fini.
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