Chapitre 8 :

Lumi ouvre la porte de sa maison et affronte la petite brise de l'été. Un soleil couchant l'accueille dehors, l'adolescente inspire grandement avant de se mettre à marcher vers sa destination : la petite rivière de sa commune. Avec de la musique dans les oreilles, la jeune fille commence sa route, regardant de temps à autre ses cheveux dans le reflet des vitres de la voiture. Ils tiennent très mal en temps normal, gonflés avec des boucles moches, mais ils semblent corrects aujourd'hui. Lumi vérifie sur le chemin si elle n'a pas oublié son porte-monnaie ou ses piles dans son sac, mais tout est bien là.

Elle aperçoit certains voisins qui lui font signe ou des chats errants qui déguerpissent à sa venue. L'adolescente remarque à quel point le paysage semble chaleureux, difficile de voir ça dans sa chambre avec les stores fermés. En empruntant des escaliers en vieilles pierres, l'adolescente se dirige vers une petite allée assombrie par l'ombre des grands arbres dont le feuillage couvre le ciel, qui mène à la fameuse rivière paisible. De loin, Lumi aperçoit une fille baignée par la lumière du soleil, assise sur un banc. Ça doit être son abonnée. Cette dernière porte une jolie robe blanche avec un chapeau de paille sur ses cheveux blonds et courts. Depuis l'allée sombre, la recluse n'arrive pas à bien voir son visage.

Lumi se tripote les mains, plutôt mal à l'aise, elle regarde derrière elle, comme si elle envisageait pendant un bref instant de faire demi-tour avant de secouer la tête et se décider d'aller de l'avant. En quittant l'ombre, elle reçoit la lumière chaude, mais douce du coucher de soleil. L'adolescente marche de plus en plus lentement, d'un pas moins assuré, avant d'arriver face au dos de cette abonnée. Sans un mot, cette dernière se tourne, enlevant les écouteurs de ses oreilles, certainement prévenu à cause de l'ombre que Lumi lui faisait, et se tourne pour la remarquer.

— Euh, commence Lumi en regardant partout, troublée. C'est toi Shadowhite ?

Face à face, la première chose que Lumi remarque sont ses yeux qui arborent un bleu aussi pur que celui d'un ciel en plein après-midi et un petit grain de beauté sous son œil gauche. Cette Shadowhite ressemble même à des figurines d'anime qu'elle peut trouver dans ses magasins préférés, ceux axés sur la culture japonaise. Son interlocutrice quant à elle, paraît surprise de voir une jeune fille avec une allure particulière dans cette robe salopette délavée par-dessus un T-shirt avec des motifs de raton laveur. Pourtant, elle secoue la tête et se lève pour lui tendre la main.

— Oui, c'est moi Shadowhite, répond-t-elle troublée. Tu es Lunoire non ?

— Oui, c'est moi. Mon vrai prénom c'est Lumi, c'est un peu comme mon pseudo. Et toi, tu t'appelles Shadow ?

— Haha non, je m'appelle Ambre.

— Oh, c'est un joli prénom ! Bonjour Ambre.

Ambre invite Lumi à s'asseoir à ses côtés et les deux jeunes filles regardent le paysage en face d'elles. Le ciel orange commence, petit à petit, à se teinter de rose, donnant un spectacle époustouflant. La recluse admire le paysage qu'elle n'a pas vu depuis longtemps, mais par ce biais, elle remarque une petite faiblesse visuelle. Elle se gratte alors les yeux et concentre sa vision avant de s'apercevoir qu'elle voit certaines choses floues au loin. Attristée, Lumi se doutait que sa vision s'affaiblissait avec le temps, vu combien elle est proche de son écran parfois, surtout dans le noir.

D'un coup d'œil, Ambre regarde son interlocutrice, cette dernière se balance de gauche à droite et ne semble pas pouvoir s'empêcher de pianoter sur le banc en bois sur lequel elles siègent. Ce que la blondinette pourrait prendre comme de l'anxiété ne paraît pas l'être vu que cette Lumi sourit, plutôt excitée. La parisienne plisse les lèvres, difficile de savoir quoi dire dans cette situation, elle n'avait pas ce problème en général, mais elle ignore surtout comment discerner cette étrange auteur. Cette dernière se tourne d'un coup pour la regarder, ce qui surprend Ambre. Son interlocutrice finit par la dévisager avant d'écarquiller les yeux et de s'exclamer :

— Oh, tu ressembles un peu à un poussin !

— Quoi ?

— J'ai juste remarqué que tu ressemblais à un petit poussin.

— Ah bon, parce que je suis blonde ? demande-t-elle avec un sourire nerveux.

— Je sais pas, y a des gens qui ont une aura dans quelque chose en particulière, je pense que la tienne c'est d'avoir celle d'un poussin et franchement, c'est cool d'avoir l'aura d'un animal.

J'aimerai bien avoir l'aura d'un raton à laveur.

— Pourquoi un raton laveur ? questionne Ambre perplexe.

— Parce qu'ils sont trop mignons ! Genre, avec leur gros ventre et le fait qu'on les appelle aussi des trash panda. Je trouve ça drôle d'être appelé panda des poubelles. Attends, je te montre une vidéo trop drôle d'un racoon.

Sans attendre, Lumi sort son téléphone pour aller sur Youtube. Son interlocutrice, perplexe, penche sa tête pour regarder ce qu'elle veut montrer. La noiraude sélectionne la vidéo et on peut y voir un raton laveur en train de rouler dans un couloir sous une lumière de couleur plutôt chaude. La recluse ne peut pas s'empêcher d'exprimer son excitation et agite son poing libre en l'air. Ambre sourit, car c'est vrai que la vidéo est plutôt drôle.

— J'aimerais trop avoir un racoon, c'est trop mignon, mais ma mère veut pas, du coup quand je serais grande, j'aurais une maison avec deux racoons. Je sais pas comment je les appellerai, mais certainement pas Nouki.

— Nouki ? Pourquoi ? C'est plutôt mignon comme nom.

— Car y a des chances qu'il devienne vite ingrate, qu'il fasse sa crise d'adolescence et finisse par se barrer de la maison pour devenir un youtubeur de carte Pokémon.

Ambre émet un rire poli, mais elle n'est pas sûre de comprendre son interlocutrice, cette dernière semble avoir un univers qui lui échappe, ce n'est pas surprenant vu que ses deux livres sont à la fois chaotiques et intrigants. D'ailleurs, si elle n'avait pas le contexte, elle aurait pensé qu'il s'agissait d'un livre que sa meilleure amie avait pondu à moitié bourrée. La parisienne n'avait pas réellement saisi ces récits, elle se perdait souvent dans sa lecture et ne comprenait pas trop où ça menait, mais quelque chose l'interpellait, elle peinait à savoir quoi exactement, peut-être ce chapitre sur le tournesol qui l'a happé.

— Je vois, tu parles en connaissance de cause ?

— Oui, répond Lumi sur un ton très certain.

— Je vois, tu... devrais l'écrire pour un roman ça, non ? propose Ambre hasardeusement.

— Certainement pas, je veux pas inciter les ratons à laveurs à faire des crises d'adolescence.

La parisienne acquiesce, décontenancée devant le sérieux de son interlocutrice qui explique une situation invraisemblable. La conversation s'évanouit, la petite blondinette regarde la paisible rivière s'écouler devant elle, à la recherche d'un sujet de conversation pendant que sa camarade continue de se balancer en marmonnant des petites onomatopées sans raison. Cette dernière s'arrête pour relancer un sujet, comme si elle s'était rappelée quelque chose :

— Ambrine, tu écris un peu, non ?

— Non pas du tout, je n'écris pas de livre.

— Ah c'est vrai, tu fais plutôt du théâtre.

Lumi s'excuse, s'étant emmêlée le pinceau entre le genre théâtre dans la littérature et le théâtre
en lui-même. Son interlocutrice acquiesce :

— Oui, j'aime mieux interpréter des rôles.

— T'as fait quelle pièce de théâtre ? demande Lumi, curieuse en balançant ses jambes.

— J'ai fait quelques pièces : Rhinocéros, Huis Clos, Hamlet, Roméo et Juliette et d'autres dont le titre ne me vient pas.

— C'était quoi ton préféré ?

Ambre ouvre la bouche, mais aucun mot ne sort. Son expression se fige avant qu'elle arbore un sourire nerveux, la blondinette se penche légèrement vers l'avant, le regard rivé sur le sol, et rejoint ses mains comme si ça lui permettait de mieux se remémorer certaines choses.

— Je crois que j'en ai une. C'est pas ma préférée, mais celle qui m'a le plus marquée. C'était une pièce de théâtre qui ne venait pas d'un auteur. Un membre avait écrit sa pièce et on avait décidé de l'interpréter, car il allait partir. Elle s'appelait "Damnée" et j'ai interprété le rôle de Candice, une fille aux intentions pures qui se faisait maltraiter par ses sœurs.

— Oh, c'était mignon ou pas ? Genre comme les romans à l'eau de rose là ?

https://youtu.be/5g1EshdOxU4


— C'était pas joyeux, répond-t-elle le regard préoccupé. Mais l'histoire était plutôt basique :
Candice était une jeune fille d'une famille bourgeoise, mais son père l'a eu avec une servante qui s'est enfuie. Elle reste dans cette grande demeure, mais se fait traiter comme une servante et se fait maltraiter par ses sœurs, plus particulièrement Colombe. Dans une grande soirée, elle tombe sur un gentilhomme et ils ont un coup de foudre. Ils se marient ensemble et punissent la famille pour le traitement de Candice.

— Oh mais ça se finit super bien, du coup elle a pas besoin de remonter dans le temps pour se venger ou un truc du genre ?

— Hein ?

— Ouais, oublie, j'ai trop lu de Webtoon¹. Mais l'histoire a l'air super cool, t'as dû aimer le faire non ?

Ambre garde le silence, cogitant à cette question. Est-ce que c'est une pièce qu'elle a aimé jouer ? Certainement, elle a obtenu le rôle principal et en était très fière. Mais plus elle incarnait Candice, plus elle ressentait un malaise de plus en plus persistant. À la scène finale, la jeune fille était absente en faisant sa dernière réplique, elle n'était juste plus là.

— Je pense. Mais je me posais plusieurs questions.

— Des questions ?

— Oui, qu'est-ce qui se passerait si Candice n'avait jamais trouvé ce gentilhomme ? Que ce serait-il passé pour Candice si elle avait quitté la maison de force, sans main tendue ? Je n'arrêtais pas de penser à des fins alternatives et aucune ne m'avait l'air joyeuse.

— Oh ? Je comprends, moi aussi quand je fais des histoires dans ma tête, j'imagine des trucs alternatifs. Mais c'est mieux de penser que Candice a eu une excellente fin heureuse et joyeuse, non ? s'enthousiasme Lumi avec optimisme. Je veux croire que tous les Candice du monde mériteraient sa fin heureuse.

— J'aimerai aussi croire que les Candice puissent avoir une fin heureuse et que les Colombe puissent être punies.

— Je préfère que les Colombe s'excusent plutôt.

— S'excuser ? Ce n'est pas mieux qu'elles soient châtiées ?

— Bof, c'est bien, mais c'est mieux qu'elles comprennent que leur comportement était bâtard. Je pense que Candice préférera que Colombe s'excuse.

— Comment... Tu peux être sûre de ça ?

— Si Colombe reconnait ses erreurs, commence Lumi avec un moment de réflexion, ce serait comme si les problèmes, genre, les mauvais trucs qu'étaient arrivés à Candice étaient confirmés... Rah je parle trop mal. Genre, ce serait de reconnaître la souffrance de Candice, voilà.
Ambre se montre interloquée, puis pensive.

Le soleil commence à se cacher davantage derrière les montagnes, teintant le ciel d'un rose plutôt froid. Les rayons du soleil se dissipent sur le visage de la parisienne, laissant place à une ombre qui apporte sa fraîcheur, pendant que Lumi peut encore profiter de la lumière du soleil pour encore quelques minutes. Cette dernière commence à s'ennuyer dans ce silence, surtout lorsqu'elle s'aperçoit qu'il va faire bientôt nuit. Alors la noiraude relance la conversation, sur le sujet initial.

— Yih ! interpelle Lumi. Du coup, du coup, dans la pièce de Colombe et Candice, c'est quoi la scène que tu as le plus préférée ? Genre, qui t'as beaucoup marqué ?

— Marqué ? Je sais pas trop, la pièce était très... marquante, mais je sais pas s'il y a un passage qui m'a plus interpellé qu'un autre.

— Oh, vraiment ?

En réalité, passé un moment, elle exécutait ses scènes mécaniquement et avec le temps, elle n'a plus cherché à s'en rappeler. C'était une pièce éprouvante à jouer vers la fin. En pleine réflexion, la jeune fille écarquille les yeux, comme si un souvenir venait de la percuter en un éclair.

— Je crois que... Je crois que j'ai une scène qui m'a marquée.

Des souvenirs se débloquent, c'était cette scène qui a provoqué cet étrange sentiment de malaise jusqu'à la fin de la pièce. Suite à ça, la blondinette a commencé à jouer tout en étant ailleurs. Une chose que ses camarades lui ont fait beaucoup remarquer, mais la jeune fille le mettait sur le coup de la fatigue. Elle voulait même se persuader que c'était juste de l'épuisement, qu'elle répétait beaucoup. Mais au fond d'elle, Ambre se doutait que ce n'était pas ça, Ambre savait très bien à quoi était lié ce malaise.

— C'était la scène que j'ai le mieux joué, mes camarades me l'ont beaucoup dit, car ils avaient vraiment l'impression que j'étais Candice à ce moment. En gros, Candice et Colombe ont eu une dispute et certainement fatiguée par tout ce qu'elle subissait, Candice a giflé sa demi-sœur.

— Cheh, commente discrètement Lumi.

— Sauf que le père entre dans la pièce à ce moment, il était la seule figure qui aimait encore Candice et Colombe profite de la situation pour tourner les choses à son avantage. Elle se met à pleurer et son père attrape Candice pour aller la battre lui-même.

— Franchement, perdu pour perdu, je remets une gifle un peu plus forte à cette Colombe là et je me dis que ça valait la peine avant de me prendre dix coups de ceinture.
Devant cette blague, Ambre ne fait qu'esquisser un sourire. Un sourire qui interpelle Lumi, tant il semble triste. Elle ignore si c'est le coucher de soleil ou la musique de Pokémon dans les oreilles qui donnent cette ambiance aussi mélancolique. Mais la noiraude perd le sien.

— Pourquoi tu es triste ? demande Lumi.

— Moi ?

— Oui, tu as l'air triste.

— Je ne suis pas triste. Je pense que je suis émue de me rappeler de cette pièce de théâtre. Candice sera le rôle qui me marquera le plus dans ma vie, qui sait, répond Ambre en regardant le soleil disparaître avec un ciel à la fois orange, rose et bleu azur.

Dans le silence, Lumi regarde devant elle aussi pour apercevoir ce même ciel qui se refroidit de plus en plus. Elle n'a jamais vu cette pièce de théâtre, elle ne pourra jamais se renseigner plus dessus puisque c'est un gars quelconque qui l'a faite, mais la noiraude ressentirait presque la mélancolie qui se dégage de cette œuvre alors qu'elle ne connait rien en théâtre et que ça ne l'intéresse pas.

— Oh, c'est dommage, on avait que très peu de temps devant nous et il va faire nuit. J'dois rentrer, sinon ma mère va inquiéter. On n'a pas pu beaucoup parler.

— C'est vrai. Désolée, je crois qu'on a fait que parler de moi.

— C'est pas grave, c'était cool ! On se reverra un autre jour peut-être ? rétorque Lumi en se levant. Du coup, passe une bonne soirée.

— Attends, attends, tu... Tu ne voudrais pas qu'on se revoit demain ?

— Hein ?

— Si tu le souhaites, bien sûr, rajoute-elle nerveusement.

Lumi se montre surprise, presque choquée. C'est la première fois qu'une personne veut une autre sortie avec elle, après l'avoir côtoyé pendant au moins trentes minutes. Pour un petit rendez-vous improvisé, la noiraude ne pensait pas que ça déboucherait sur une fin aussi inattendue que celle-là. Abasourdie, cette dernière montre un grand sourire. Un sourire empli d'espoir.

— Je... Oui. Oui, oui, ça ne me dérange pas, on peut se voir demain.

— Ok, revoyons-nous demain alors, acquiesce Ambre en se levant à son tour.

— À la même heure, ici, précise Lumi.

— Ah, tu ne veux pas qu'on se voit un peu plus tôt ?

— Non, franchement, j'aime bien cette heure, on peut apercevoir un beau coucher de soleil, c'est cool, rétorque son interlocutrice avec un regard fuyant.

— D'accord, alors on se voit demain... Lumi !

— Euh, o-oui, on se voit à demain Ambre !

En même temps, les deux jeunes filles se séparent dans des directions opposées. Lumi s'enfonce dans cette allée sombre pour rentrer chez elle pendant qu'Ambre s'apprête à monter en hauteur pour retourner dans la maison de ses grands-parents qui doivent s'inquiéter. En montant ce long escalier, la blondinette s'arrête sur sa route pour reprendre son souffle et regarder ce paysage baigné dans une obscurité naissante. C'est étrange, ça fait longtemps qu'elle n'est plus passée par ici, quelque chose semble avoir changé alors que le décor a toujours été ainsi. Ambre s'appuie sur la rambarde en bois.

— Ça fait trois ans déjà...

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Webtoon¹ : Célèbre application coréenne proposant beaucoup de manwas.

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