Chapitre 23 :

Vers le début de l'après-midi, Ambre et Lumi rentrent à la maison. Sans oublier de se déchausser à l'entrée, la blondinette décharge les sacs de courses pendant que son amie passe faire un tour à la réserve pour récupérer la tente afin de camper dans le jardin. De retour au rez-de-chaussée, la noiraude s'arrête dans sa course lorsqu'elle entend un ronronnement étrange provenant du salon. En jetant un coup d'œil, Lumi aperçoit Grominet qui se repose sur le canapé, en plein sommeil du juste. Couché sur le dos, les pattes repliées et les yeux plissés, le chat arbore une expression tellement paisible qu'il semble avoir trouvé la réponse universelle. Avec le sac de camping en main, Lumi grogne et ne peut pas s'empêcher d'aller caresser sa fourrure soyeuse, car c'est doux quand même.

— C'est bon, y a Grominet qui dort sur mon canapé, grogne-t-elle. Ça a commencé, c'est le grand remplacement,

— Grominet ? C'est normal que le chat des voisins viennent aussi dormir chez vous ? questionne Ambre tout en coupant le pain pour en faire des tranches.

— Absolument pas ! Enfin, on le laisse entrer quelques fois, mais faudrait pas qu'il vienne déménager ici aussi, réplique Lumi en secouant la tête. T'as de la chance d'être un chat, Grominet. Car si t'étais humain, t'aurais fini au poste pour effraction et miauler t'aurait pas servi devant la justice.

Le félin ne semble pas écouter, mais en réponse, il offre le plus gros ronronnement qu'il ait été possible d'entendre, comme s'il cherchait à narguer Lumi. Le visage de cette dernière se crispe et elle secoue le gros chat comme s'il s'agissait d'un pudding.

— C'est quoi ça, tu me nargues Grominet ? Tu me nargues, car t'es trop mignon ? C'est pas toi qui paye les factures et les impôts, en plus tu vas même pas en cours. Si tu veux rester ici, il va falloir faire bouger ton gros derche pour ramener du flouz à la maison.

La noiraude tripote le flanc du chat qui ne flanche pas, peut-être même qu'il ignore qu'on le touche. Après réflexion, elle soupire, elle n'est pas bien placée pour parler.

— Ceci dit, moi aussi j'suis comme Grominet avec mon année blanche.

— Année blanche ? lui demande Ambre.

— Ah mince, j'ai parlé à voix haute ? Oups... Bah oui, je fais rien cette année, je fais une année blanche quoi. Il va falloir que je cherche un apprentissage et tout ça, rétorque Lumi, gênée, en croisant ses bras derrière la tête. Bon, c'est pas tout, mais je dois aller monter la tente, hein.

Lumi esquive le sujet, se contente d'ouvrir la baie vitrée et déguerpit vers le jardin comme une voleuse. Sans avoir eu le temps de l'interroger sur quoi que ce soit, Ambre a tout de même compris, par sa réaction, qu'il s'agissait d'un sujet compliqué. Maintenant qu'elle y pense, ça explique pourquoi Lumi mentionnait très peu l'école ou son avenir professionnel, peut-être parce qu'elle ignore elle-même ce qu'elle souhaiterait faire ? Ou peut-être qu'elle ne voulait juste pas dire qu'elle ne ferait rien pendant un an ? Ambre émet un soupir et préfère terminer de couper son concombre pour mettre les tranches dans un bol. Inutile de se questionner trop sur sa vie privée, il vaudrait mieux ne pas la mettre mal à l'aise.

À travers la baie vitrée, la blondinette regarde son amie ouvrir le sac et jeter un coup d'œil autour d'elle avant de se mettre en position. Puis, sans explication, elle lance la tente, et celle-ci finit par s'écraser mollement par terre. Ambre ne peut s'empêcher de se demander ce qu'elle fait devant une Lumi tout aussi confuse, comme s'il devait se passer quelque chose. Au bout d'un moment, la recluse va chercher le sac et se contente de le fixer longuement. La parisienne se met à sourire ; Lumi est tellement cartoonesque qu'on pourrait croire qu'elle sort vraiment tout droit d'un dessin animé. Elle est vraiment spéciale dans son genre. Pendant qu'Ambre termine de couper les tomates et de préparer les sauces, son amie finit par rentrer de nouveau dans la maison, confuse.

— Tu ne sais pas monter une tente ? questionne Ambre à son retour.

— Non, je croyais qu'il suffisait de le jeter pour que ça se fasse tout seul, mais en fait non.

— Où est-ce que tu as vu ça ?

— Dans un dessin-animé de quand j'étais petite.

— Tu sais que la vie n'est pas un dessin-animé, hein ?

— Ouais, je m'en suis rendue compte quand la tente s'est pas ouvert comme il devait s'ouvrir. Puis bon, de toute façon, on regardera sur Internet comment faire la tente là, on trouvera forcément un truc, répond Lumi en haussant les épaules.

— Tu n'as pas une notice avec la tente qui explique comment il faut la monter ?

La recluse regarde Ambre droit dans les yeux, avec une expression qui présage que ce n'est pas le cas et qu'elle l'a bien acheté sur un coup de tête. Ambre ne devrait pas être surprise, et après tout, elles trouveront certainement un truc sur Internet. Lumi change de sujet et rejoint son amie, en regardant ce qui a déjà été fait en se mettant plusieurs fois sur la pointe des pieds, de manière frénétique.

— Wow, t'as fini de couper tous les ingrédients ? Byby sait trop bien cuisiner, tu devrais être cheffe étoilée.

— Pas vraiment, je me suis juste contentée de couper les aliments. Ce n'est pas bien difficile.

— Pour moi c'est difficile, devoir couper les trucs bien droit, je n'arrive pas à faire des trucs trop précis comme ça, explique Lumi en gigotant. Mais bon, maintenant, le plus important c'est de préparer les dwidwichs !

Concentrée, Lumi commence à préparer son sandwich très carnivore : beaucoup de bacon et de poulet et quelques rondelles de tomates. Ce qui surprend la blondinette qui se demande si ça ne sera pas trop salé pour elle. Car contrairement à son amie, Ambre a opté pour quelque chose d'assez équilibré avec des tranches de poulet, des rondelles de tomates et de la salade. Durant leur activité, la mère au foyer est venue jeter un coup d'œil pour voir si tout se passait bien avant de repartir dans son atelier, satisfaite. Après quelques minutes, les deux amies finissent de préparer le repas du soir. Lumi se montre satisfaite en montrant son sandwich avec deux petites oreilles à son amie.

— Regarde, les oreilles de mon sandwich est celui d'un fatcoon ! s'exclame Lumi.

— Tu es plutôt créative.

— J'aime l'art, mais l'art ne m'aime pas, explique Lumi avec le sourire. J'ai la fibre de ma mère, mais pas son talent. Ça doit être SFR qui a dû installer la fibre chez moi à ma naissance, ça capte ultra mal et je parle pas de mes oreilles.

Ambre cache son rire pour ne pas donner l'impression de se moquer. Même si son amie n'est pas convaincue de son coup de crayon, la parisienne pense toujours qu'elle était juste en voie d'apprentissage, et c'est dommage de s'être arrêtée là ; elle ne dessine peut-être pas comme sa mère, mais elle a son style à elle. En emballant leurs sandwiches dans de l'aluminium, Lumi pose une question inattendue :

— Elle est comment ta meilleure amie ?

— Hein ?

— C'est quel genre de personne ta meilleure amie ? répète-t-elle avec plus de précision. La blondinette se montre surprise, cela semble sorti de nulle part, mais son amie montre de la curiosité à travers son sourire simple, sans quitter son sandwich des yeux.

— Ma meilleure amie ? réfléchit-elle rapidement. C'est quelqu'un de spécial. Elle est parfois très stupide, agit sans réfléchir, se montre dramatique au possible, mais c'est la personne la plus honnête et droite que je connaisse.

— Oh, je vois. On se ressemble un peu.

— Non, je ne pense pas, rétorque Ambre en secouant la tête. Vous êtes différentes.

La blondinette cogite à ses propres mots. En réalité, elle sait que Lumi et sa meilleure amie ont une différence marquante, mais ne pourrait pas mettre le doigt sur quoi exactement. La recluse ne relance pas, puisqu'elle a fini d'emballer son sandwich après avoir dû s'y reprendre à deux fois et l'exhibe bien heureuse.

— Tada ! Mon repas de seigneur ce soir !

Elle jette un coup d'œil vers le jardin et se rend compte qu'il y a encore la tente à monter. Lumi soupire, déjà exténuée :

— Eh... Faut toujours monter la tente. J'espère qu'on pourra la monter à temps avant le coucher du soleil.

— Pourquoi ? questionne Ambre avant de finir son emballage à son tour.

— Car je dois t'emmener à mon lieu secret, tu le sais ? répond Lumi avec un air bien trop sérieux. On a intérêt à trouver un tuto qui nous explique comment monter n'importe quelle tente en trente secondes avec une méthode babylonienne, sinon on va y mettre toute la soirée.

— Ça fera l'affaire, on a encore pas mal de temps devant nous, répond son interlocutrice en sortant son téléphone.

Une heure plus tard, les deux amies sont toujours bloquées par cette histoire de tente. Ambre s'affale sur le dossier du canapé, caressant le chat qui est venu réclamer des caresses sur ses genoux pendant que Lumi s'efforce de trouver un tutoriel concis et simple pour monter leur tente, sans voir des termes trop compliqués. Que ce soit sur YouTube ou sur Internet, elle ne trouve rien de concluant et s'agace presque en maudissant que la communauté des amateurs de camping soit une telle niche que ça. Son irritation augmente quand elle voit que le temps défile et que rien ne va se passer comme prévu si elle ne trouve pas un fichu moyen pour monter cette maudite tente.

— J'ai juré que j'ai pris la pire tente possible, pourquoi y a pas un péquenaud qui veut bien faire un tuto dessus ?

— Au pire, c'est pas grave ? On va dans ton lieu secret et je dors dans ta chambre.

— Non, non, rétorque vivement Lumi en secouant la tête. Je veux faire du camping dehors, j'ai toujours voulu en faire comme dans les séries.

La blondinette n'insiste pas plus, de toute manière, ça ne semble pas si grave pour elle que le programme soit un peu changé. Par contre, ce n'est pas l'avis de Lumi qui cherche une solution de secours à ses problèmes du soir. En entendant les râlements, la quadragénaire sort de son atelier avec des pinceaux mouillés dans ses mains et un chiffon, et vient voir ce qu'il se passe. Sa fille ne la remarque pas dans un premier temps, et la mère finit par interpeller les deux filles :

— Vous faites quoi les filles ?

Lumi sursaute en entendant une autre voix s'élever et remarque sa mère. Elle laisse un soupir s'échapper, frustrée par ses recherches et laisse tomber son téléphone pour s'étirer.

— On essaye de trouver comment monter une tente, mais les recherches nous démontent 

plutôt, c'est chiant. Et en plus, on doit faire vite et tout.

— Vous avez besoin d'aide pour ça ?

— Bah oui, est-ce que tu sais monter une tente ? demande sa fille hasardeusement.

— Oui, je pourrai m'en occuper.

Lumi lève soudainement la tête surprise de cette réponse ; elle n'était pas du tout au courant que sa mère savait faire ce genre de chose.

— Vous avez déjà fait du camping ? interroge curieusement Ambre pendant que Grominet descend de ses genoux pour aller ailleurs.

— Oui, j'avais tendance à dormir sur un lieu qui m'inspire pour pouvoir le peindre dès l'aube, c'était un de mes passe-temps auparavant.

— Sérieux ? rétorque la noiraude, presque choquée.

— Allons Lumi, je t'avais raconté mes sorties, non ? réplique sa mère avec un sourire de dépit.

Sa fille sursaute, avec un sourire empli de culpabilité, elle se contente de gratter ses cheveux.

— Ah certainement, mais il m'arrive de pas vraiment être là, tu sais ?

— Je vois ça...

— M'enfin, tu pourrais monter notre tente à notre place ? Faut que j'aille montrer mon truc surprise à Ambre avant le soleil couchant, s.t.p. ! Tu sais, le fameux endroit là.

La recluse s'approche de sa mère pour la supplier, mais cette dernière allait le faire, de toute façon. La quadragénaire caresse la tête de sa fille, avec un sourire.

— Allez faire votre sortie, tout sera fait à votre retour.

— Merci maman p'tain, je te ferai tout ce que tu voudras en août, je te nettoierai même le sol tellement propre que ce sera un miroir.

— Oui, oui, Lumi, j'espère surtout que tu chercheras ton apprentissage.

La recluse montre une grimace et se dépêche de fuir de cette maison. Elle fait signe à son amie de venir la suivre.

— On y va Byby, on va vivre l'expérience de ta vie.

— Faut que je prenne un truc ou pas ? demande Ambre en mettant rapidement ses chaussures à l'entrée.

— Na-ah, rien du tout, il faut juste que tu te ramènes toi.

— Faites attention les filles, soyez là pas trop tard.

— Oui ! répondent-elles en chœur.

Après s'être chaussées, les deux amies se dépêchent de quitter la maison et entament leur chemin en marche rapide. Cette histoire de tente a pris plus de temps que prévu. Lumi se contente de regarder régulièrement l'heure de son téléphone tout en montrant le chemin. Elle ne dit que deux-trois mots pour être sûre que son amie la suit. Cette dernière lui emboîte le pas avec une certaine difficulté, mais reste sur ses talons. Petit à petit, la montée devient de plus en plus fatigante, la recluse s'essouffle, mais tient bon. Ça surprend Ambre, elle n'est pas sûre d'avoir vu ce chemin, peut-être que c'est une nouveauté qui a été instaurée pendant son absence, ou une raison plus crédible, peut-être qu'elle n'a jamais fait attention à cette route. Il faudra une demi-heure avant qu'elles arrivent au sommet d'une colline avec un champ doré qui les accueille, un champ d'herbe sèche plus exactement.

— Oh, c'est joli, on dirait un champ de blé doré.

— T'as vu ? On est arrivé pile avant le coucher du soleil, le timing était incroyablement juste, réplique Lumi avec un grand soulagement. Mais c'est pas la meilleure partie. Suis-moi, y a un petit chemin secret.

Un chemin pas si secret que ça puisqu'il s'agit d'une petite allée sombre visible à leur arrivée, qui les mène dans un coin où elles ont une vue incroyable du village dans lequel elles habitent. Une grande surprise pour Ambre, elle vit un peu en hauteur, mais elle n'a jamais eu une vue aussi époustouflante que celle-là. Bouche bée, elle se contente de contempler le village couvert d'une couleur dorée d'un coucher de soleil, au côté de son amie très fière. Cette dernière s'assoit sur une caillasse et incite la blondinette à venir s'installer à ses côtés. De drôles de cactus sans épines décorent le chemin, mais ils ne représentent à priori aucun danger.

— C'est joli, hein ? On dirait que toute la ville et les montagnes est de l'or, c'est super joli.

— C'est incroyable oui. Je n'avais jamais vu cet endroit, ça me surprend.

— Alors je suis très contente d'être celle qui te l'a fait découvrir, réplique fièrement Lumi. J'ai toujours voulu venir ici avec quelqu'un, genre un ami ou même une sœur. Le deuxième cas, c'est pas pour maintenant, mais je suis contente d'avoir su ramener une pote !

— Tu viens pas ici avec ta mère ?

— Oh bah si, c'est elle qui m'a fait découvrir cet endroit, mais c'est juste que je voudrai venir ici avec quelqu'un de mon âge tu vois ? J'aime beaucoup ma mère, mais on est pas de la même génération et tout ça.

Lumi explique en se tripotant les mains, mais son amie la comprend. Après tout, elle apprécie ses parents, mais elle ne peut pas leur parler des problèmes banals d'une ado de quinze ans à des adultes qui ont des soucis bien différents, bien qu'ils aient dû traverser ces problèmes aussi. Enfin, Ambre se rend compte que ses soucis sont aussi bien différents, elle rit jaune en s'en apercevant.

— En tout cas, tu as l'air d'être proche de ta mère, ajoute la blondinette.

— Oh oui, j'suis très proche de mes parents. Ils m'encouragent et me complimentent dans tout ce que je fais. Tu ne l'as pas vu, mais ma mère peut me couvrir d'amour pour pas grand-chose. Ça me gêne, mais je préfère des parents qui me complimentent trop, plutôt que des parents qui savent pas que j'existe.

— Au moins, on voit à quel point ils te chouchoutent alors, réplique Ambre avec le sourire.

La blondinette n'ajoute rien. Elle était aussi considérée comme la petite perle de la famille, mais peut-être qu'avoir été trop pourrie-gâtée a fini par la rendre exécrable. Ambre ne va pas rejeter la faute sur l'éducation de ses parents qui ont fait de leur mieux, surtout que ce serait ingrat de sa part, et préfère se dire que c'était juste dans sa personnalité d'être devenue une peste. Cette pensée la travaille toujours autant et elle préfère secouer la tête pour les chasser. Ce n'est pas le moment.

Petit à petit, le village commence à se faire recouvrir d'une couleur rose puisque le soleil commence à disparaître derrière les montagnes. Puis à un bleu violacé, le ciel s'assombrit de plus en plus, laissant la lumière de la ville éclairer à son tour. Dans ce spectacle, les deux jeunes filles restent silencieuses, comme si ce moment pouvait être savouré de cette manière. Tout paraît mélancolique, tout paraît si paisible, comme si ça pouvait durer éternellement. Lumi arbore un sourire amer. Elle voudrait que cette paix dure éternellement et qu'elle ne s'arrête jamais.

— C'est joli tout ça, non ? demande Lumi.

— Oui, je pense que je ne l'oublierai jamais.

— Moi non plus.

La lumière disparaît du visage de la recluse, et le village plonge dans la nuit. L'air se rafraîchit sans que ce soit frigorifiant, l'odeur de l'été se prononce beaucoup plus à cette période de la journée. Lumi n'aime pas cette odeur, car elle est tellement reposante que ça lui fait du mal. Elle préfère tripoter ses oreilles pour enlever ses appareils et entendre un plus grand silence, d'un coup.

— Tu n'as plus de pile ? remarque Ambre.

— Ah non pas du tout, justement, c'est le meilleur moment de la surprise, tu vas porter mes appareils.

— Hein ?

— Oui, porte-les, tu vas écouter de la musique comme jamais tu as pu les écouter, explique Lumi en nettoyant ses appareils.

— Ça ne te posera pas de problème à toi ?

— T'inquiète pas pour moi, j'entendrai quand même.

Interloquée, mais curieuse, Ambre se nettoie les oreilles pour ne pas salir ces aides auditives et son amie se bouge pour essayer de les mettre. C'est une impression très étrange, bien différente des écouteurs qu'elle peut mettre pour écouter de la musique, c'est limite inconfortable. Elle sent les petites oreillettes se faufiler dans son conduit auditif, ce qui la fait frissonner de désagrément. Ambre a envie de se gratter, mais se retient lorsqu'elle se rappelle du prix.

Après un petit cri strident, le son qu'elle entend semble presque saturé, comme s'il était aigu et grave à la fois et tous les bruits autour d'elle prennent beaucoup plus de volume. Si elle devait donner une image, ce serait comme entendre un son à travers une fenêtre givrée, comme si le son avait l'apparence de granulés de poussière, une impression très étrange. Lumi tripote son téléphone pour aller sélectionner une chanson sur YouTube, pendant qu'Ambre profite de cette ambiance étrange et regarde autour d'elle comme si elle découvrait le monde différemment.

— Ça s'envoie ! prévient Lumi.

https://youtu.be/35mcUS931l4

Ambre écarquille les yeux, elle regarde de tous les côtés dès les premières notes, car la musique donne l'impression de venir du décor. Les frissons la surprennent, c'est un sentiment inexplicable, celui où elle a le sentiment d'être l'héroïne dans un film paisible, avec une jolie bande son en fond. Étonnamment, la musique n'atténue pas le son ambiant et se marie plutôt bien avec. C'est une impression tellement étrange qu'Ambre ne peut pas s'empêcher de sourire grandement, comme si elle ouvrait enfin ses cadeaux de Noël. Pendant ce temps, Lumi observe son amie avoir les mêmes impressions qu'elle la première fois qu'elle les a portés. À ce moment, la recluse voit un sourire tellement lumineux sur le visage de son amie que ça la surprend.

— C'est incroyable Lumi, j'ai l'impression d'être dans un film ! C'est tellement beau !

Lumi acquiesce, heureuse à son tour, de voir son amie sourire réellement, émue. Pourtant, voir Ambre autant sourire lui fait mal au cœur. La recluse refoule les sentiments négatifs qui souhaitent émerger, ce n'est pas le moment, alors elle secoue la tête et s'efforce de revenir au présent. Cette nuit est unique et il faut en profiter. De son côté, Ambre se laisse envoûter par l'ambiance de cette magie inédite. À la dernière note, la parisienne se laisse encore flotter, comme pour prolonger ce sentiment d'euphorie, avant de revenir à la réalité quand elle entend les voitures rouler au loin dans le village. Souriante, elle rend les appareils auditifs à son amie.

— C'était incroyable, merci beaucoup pour cette expérience.

— Pas vrai ? Tu as pu avoir le pardon et un magnifique paysage, de quoi en finir avec tes fardeaux une bonne fois pour toute, sourit Lumi.

— J-J'imagine... répond Ambre peu convaincue et gênée.

— C'est pas le cas ? Le paysage est moche ?

— Ah si, si, je trouve le paysage magnifique, mais c'est pas ça.

Cette fois, Ambre se confronte à ce sentiment de gêne qu'elle a essayé d'ignorer depuis ce midi. Mais bon, ce n'est pas plus mal d'en parler avec son amie, elle n'a rien à cacher maintenant.

— En fait, c'est étrange, car elle m'a pardonné, mais je comprends pas pourquoi je me sens pas mieux. Il y a toujours ce sentiment inconfortable en moi, explique la parisienne. Je me sens soulagée d'avoir sauté le pas, mais j'ai toujours l'impression de me sentir coupable.

— Oh... Je vois, je comprends, répond la noiraude.

— De quoi ?

— J'ai compris ton problème, tu t'es faite pardonnée par Miku, mais il y a une personne qui t'as pas encore pardonnée.

— Hein, qui ?

— Toi-même, non ?

Ambre écarquille les yeux, comme si elle venait de percuter d'où sortait ce sentiment inconfortable. Donc ça venait d'elle ? Sa rédemption n'est donc pas encore finie ? Elle s'en doutait, quelque part. Après tout, il ne s'agit pas d'une excuse à la volée pour effacer un passé compliqué. La blondinette soupire, elle se sent à la fois agacée et soulagée en entendant ces mots.

— Je vois, tu as raison. Je dois aussi me pardonner... Ça va prendre du temps.

Lumi remarque que son amie montre un sourire de dépit et cherche un moyen de la consoler pour qu'elle ne garde pas un souvenir amer de cette nuit sur la montagne. Il lui faut quelques secondes pour trouver quelque chose et racle sa gorge, incertaine :

— Ambre, ma promesse te sera donnée avec la plus grande sérénité. Je le jure devant le ciel et la terre, devant notre famille et tous les témoins de notre amour platonique. Je serai ton soutien inconditionnel, ta force lorsque tu flancheras, et je t'encouragerai à chaque étape du chemin vers ton propre pardon.

La recluse s'arrête dans son discours et plisse les lèvres. C'est étrange, ça semblait plus classe dans sa tête que quand elle le dit, maintenant qu'elle vient de sortir son texte. Ça suffit pour surprendre son amie qui laisse échapper un rire, étonnée de voir que Lumi s'est encore rappelée de son texte de théâtre avec quelques modifications. À son tour, Ambre répond, avec un peu plus de facilité, sa ligne :

— Alors, Lumi, ma chère amie, nous marcherons ensemble main dans la main, unies par les liens du sang et du pardon. Que ce jour marque le début d'un chapitre nouveau, où l'amour et la compréhension guideront chacun de nos pas.

— Pourquoi c'est plus stylé quand c'est toi qui le fais ? Je me suis écoutée parler quand j'ai fait mon texte et j'avais limite l'impression d'être François Hollande qui parle anglais avec le niveau de charisme qui creuse pour chercher le pétrole là, s'esclaffe Lumi.

— Non, j'ai trouvé que c'était très touchant ce que tu as fait. Je suis même surprise que tu te sois encore rappelée du texte.

— Oh, j'ai une plutôt bonne mémoire, faut le dire...

— Merci beaucoup en tout cas.

— De rien, t'es pas seule dans ta route, je t'aiderai comme je peux et je t'encouragerai comme je peux, explique la noiraude avec énergie.

Ça émeut Ambre d'entendre ça. Son avenir paraît moins périlleux avec Lumi à ses côtés, c'est une fille qu'elle n'oubliera pas de sitôt. Après ce moment d'émotion, la noiraude commence tout de même à grelotter. Il ne fait pas froid, mais ce n'est pas agréable de frissonner, surtout qu'elle n'a qu'un T-shirt avec des motifs de raton laveur dessus. La recluse se lève subitement, les mains sur les hanches.

— Bon, je propose qu'on descende commencer notre soirée et vivre notre meilleure vie ? Car bon, j'aime bien le froid, mais j'ai pas envie de finir comme les dinosaures rescapés des météorites là.

— C'est vrai qu'il commence un peu à faire froid, remarque son amie. Il vaut mieux qu'on redescende, effectivement.

— Oui ! Et on brûlera des cierges là, de manière tout à fait légale, sourit innocemment Lumi.

Les deux jeunes filles descendent de cette montagne. Elles en profitent pour discuter gaiement, avec un grand sourire aux lèvres. Ce jour marquera l'un des souvenirs les plus précieux qu'elles chériront. Même si ce n'est pas la fin de sa quête, Ambre reste fière du chemin qu'elle a pu parcourir jusqu'ici.

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