Chapitre 20 :

Après une immense file d'attente, les deux amies arrivent au milieu d'une grande foule. Ambre cache sa surprise lorsqu'elle voit autant de monde pour cette convention japonaise, persuadée qu'il s'agissait d'une passion de niche jusqu'à présent. Pourtant, c'est à se demander comment elle a pu louper un phénomène aussi massif, la culture japonaise attire énormément de jeunes, surtout des personnes dans sa tranche d'âge. Devant, Lumi la guide dans ces lieux, elles zigzaguent entre les personnes pour se frayer un chemin. La blondinette peut apercevoir des multiples stands ainsi que des cosplays tellement minutieux et détaillés qu'elle ne pense pas pouvoir refaire un costume pareil, même si elle y mettait toute sa vie. Son amie l'extirpe de la foule pour montrer un coin un peu plus isolé et s'exclame :

— C'est bon, c'est bon ! Y a une petite place, là !

Les deux amies s'installent, à l'écart des zones de mouvements, avec deux autres petits groupes qui mangent dans leur coin. Le bruit ambiant s'estompe légèrement et Lumi s'assoit la première, suivie par Ambre, rassurée de ne plus être serrée comme une sardine.

— Bon, on va manger ici, car dans les zones où c'est prévu pour manger, y a trop de gens et j'ai rien contre les gens, mais c'est juste que mes appareils kiffent pas ça, toi-même tu sais.

— Oh ok, je comprends. On mange quoi ? demande Ambre en remettant sa broche florale bien en place sur ses cheveux.

— Deux bentos, je pense. Ça prendra un peu de temps, mais t'inquiète, je me battrai contre les gens s'il faut, répond Lumi avec un sourire.

— Fais pas ça.

— Je plaisantais bien sûr ! Tu me vois vraiment me battre avec des gens comme si j'étais dans Street Fighter ?

Lumi pleurniche en secouant ses poings pendant qu'Ambre la scrute avec un regard suspicieux. La blondinette l'aurait prise à la rigolade avant, mais depuis cette épisode avec l'arbre, elle se méfie.

— Qu'est-ce qu'il y a au menu ? questionne Ambre toujours sur le même ton.

— Attends. Ambry, je ne suis pas une brute ! Je me battrai pas contre les gens !

— Je te crois, je te crois.

— Tu ne me crois pas du tout, ton regard transpire le jugement ! s'exclame Lumi en la pointant du doigt.

— Je plaisante, t'inquiète, je sais que tu ne te battras pas contre des gens de manière réfléchie, rassure-t-elle à moitié honnête. Du coup, y a quoi au menu ?

— Oh attends, je regarde.

Lumi fouille dans son sac pour en sortir une brochure de l'évènement en question. Elle possède le planning de la journée, ainsi que des détails en plus. En lisant en diagonale pour trouver le stand de nourritures, la noiraude énonce à voix haute ce qui s'y trouve :

— Des ramens, des kaarage-don, du riz-curry, des sushis, des makis, des glaces pilées, je crois que c'est tout, dit-elle avant de se parler à elle-même, d'un air rêvasseur. J'aimerai bien des glaces pilées, ça doit être trop bon. Très cher, mais très bon.

— Oh, ok, bah je prendrai des ramens. C'est ce que je connais.

— T'aimerais essayer les takoyakis ? Ou autre chose ?

— Non, non, un ramen simple m'ira.

En réalité, Ambre redoute le goût bien trop original des plats et préfère, dans le doute, ne faire aucun gaspillage si jamais il lui venait de ne pas apprécier les accompagnements. Son interlocutrice n'insiste pas plus et se contente de faire un salut militaire.

— Comprise, cheffe ! J'y vais, garde bien mes affaires !

Lumi s'éclipse, laissant son amie seule, adossée contre le mur. Cette dernière décide de lire la brochure distribuée à l'entrée pour les évènements. C'est humide et chaud ici, l'ambiance est bien spéciale. Ambre feuillette les pages, ne comprenant pas tout. Il y a des dédicaces de youtubeur dont aucun nom ne lui dit quelque chose, un concours de cosplay, des ateliers en tout genre et des projections de films ; c'est très diversifié et complet. La blondinette tourne les pages avant de voir une information qui l'intéresse : Rashomon. Une pièce de théâtre jouée par de vrais comédiens, ce qui intéresse un peu plus Ambre qui ne s'attendait pas à voir ce genre de chose ici.

Par curiosité, la parisienne sort son téléphone pour jeter un coup d'œil au synopsis. Selon Wikipédia, il s'agit d'un thriller psychologique qui narre l'aventure d'un prêtre et son compagnon qui tentent de résoudre un meurtre inexpliqué au village. Intéressant, se dit-elle. Ambre se demande comment le théâtre japonais fonctionne, est-ce que les codes sont les mêmes que le théâtre français ou y a-t-il des différences ? Même si elle souhaite avoir des réponses à ses questions, la jeune fille n'oublie pas qu'elle est ici pour suivre Lumi dans sa journée, pas pour faire ce qu'elle veut. En éteignant son téléphone, Ambre l'aperçoit au loin, avec deux récipients en carton et des bouteilles de thé dans ses mains, ce qui la surprend, car ça ne doit même pas faire dix minutes qu'elle est partie. La recluse arrive essoufflée et pose les fameux bentos avant de montrer une très ample satisfaction.

— J'ai eu une chatte légendaire, dès le moment où j'étais arrivée, y a une caisse qui s'est libérée et j'ai tracé mes grands morts comme si j'étais Usain Bolt. Je crois que j'aurai jamais autant de chance que ça, car putain, la file que je me suis évitée.

— Ah ? C'est si long que ça ?

— Franchement, c'est pas du niveau de la file qu'on a fait pour entrer ici, mais c'est pas loin, rétorque Lumi en plissant les lèvres. On peut remercier le dieu des files, car là, on va pouvoir manger plus vite que prévu.

Pendant que la recluse s'enthousiasme devant son plat de poulet frit, Ambre ouvre son contenant pour voir des ramens avec des crevettes et des légumes. L'odeur qui s'en dégage est inhabituelle, loin des soupes qu'elle a pu boire dans sa vie. Elle préfère prendre des couverts normaux, bien qu'elle ait essayé de manger avec des baguettes, mais elle est bien moins à l'aise que Lumi pour les utiliser. Après deux-trois bouchées, la blondinette trouve le goût neutre, par manque d'habitude se dit-elle. Ce n'est pas comme le plat coréen qu'elle a mangé la dernière fois avec Lumi, mais ça a cette même saveur exotique inexplicable.

— C'est bon ? questionne la noiraude après avoir bu une gorgée de thé.

— Oui, c'est plutôt bon.

— Tu veux manger mon truc aussi ? C'est extrêmement bon.

— Non, non, ça v-

— Fais "ah", la coupe-t-elle en lui tendant un morceau de poulet avec sa baguette.

— Tu m'écoutes au moins ? soupire la parisienne.

Devant l'insistance de Lumi, Ambre prend une bouchée du poulet frit avec un peu de riz en accompagnement, et contre toute attente, elle apprécie beaucoup, ses yeux s'écarquillent même.

— C'est très bon.

— T'as vu ? J'aime pas trop les autres plats, mais celui-là, le kaarage-don, il est masterclass.

— C'est vrai.

Ambre regrette presque de ne pas avoir pris ce plat plutôt, mais elle préfère ne pas renvoyer son amie faire une queue infernale juste pour avoir du poulet frit. Alors elle se contente de se déshydrater la gorge avec du thé froid avant de continuer son ramen.

— En vrai, c'est quoi notre planning de la journée ? questionne Lumi en regardant la brochure. Je sais qu'on va faire nos emplettes de pigeons dans le rez-de-chaussée pour acheter des souvenirs, mais je veux voir si y a pas un p'tit évènement sympa en cours de route.

— Tu fais quoi, habituellement ?

— Les youtubeurs, répond la recluse sans hésitation. Mais y a personne qui m'intéresse cette année, R.I.P. le petit créateur qui s'est fait tèj pour une dispute avec son pote.

— Ah, c'est dommage. Du coup, on va faire quoi ?

— Je cherche, et si je trouve rien, on va aller se casser le porte-monnaie pour soutenir le consumérisme et le capitalisme, youpi, explique son interlocutrice avec une voix monotone, concentrée sur la brochure.

Ambre préfère boire sa soupe, elle aurait pu parler de cette pièce de théâtre, mais elle n'est pas sûr que ce soit au goût de Lumi. Alors elle observe tout autour d'elle ; la foule qui se déplace, les petits groupes qui mangent dans leur coin, le staff qui bavarde entre eux pour la pause. Un lieu où aurait certainement traîné son ancienne camarade. La blondinette se demande si elle fait des évènements de ce style, mais peut-être que cette fille a arrêté d'aimer ça, Ambre espère que son ancienne camarade n'a pas perdu sa passion de la culture japonaise à cause de ce qu'elle a pu lui faire... Surtout pour la fois où elle a jeté ses mangas à la fontaine. Pensive, la jeune fille se réveille de ses réflexions quand Lumi l'interpelle et s'exclame :

— Ambrinette, Ambyby ! Ambybyby, regarde, regarde, faut qu'on aille voir ce film, j'entends plein de gens dire qu'il est génial ! C'est dans dans heures là.

Survoltée, la recluse lui montre le titre du film en question que son amie lit à haute voix :

— "A Silent Voice" ? C'est un film japonais ?

— Oui, oui ! Il est génial, il parle d'un gars qui a harcelé une fille qui entendait rien avant d'aller la retrouver pour s'excuser.

Ambre plisse les lèvres en entendant le synopsis, elle jette un regard blasé à son interlocutrice. Cette dernière se rend compte des situations similaires et rectifie immédiatement le malentendu, gigotant sur place :

— Attends, attends, je veux dire, c'était pas un message caché pour toi, hein. C'est juste que le film est ultra connu et ultra populaire, j'aurais voulu qu'on aille le voir, car j'ai jamais pu le faire.

— Ne t'excuse pas, explique Ambre avec un sourire visiblement forcé. Je n'ai pas de souci à aller le voir.

— Oui, oui, oui, je te promets que c'est un énorme chef-d'œuvre ! Tout le monde parle de sa mise en scène, de son bande-son et de l'animation ! Je pourrai enfin aller le voir sur grand écran.Devant l'enthousiasme exacerbée de Lumi, son amie acquiesce pour aller dans son sens, mais elle ne peut s'empêcher de se demander à quel point la malchance a dû la frapper pour aller voir un film qui parle presque de son cas. Il s'agit peut-être d'une punition méritée après tout. Lumi relit plusieurs fois la brochure, perdant son intérêt pour ses poulets frits, comme si elle préparait un plan d'attaque.

— Ok, ok, alors, pour avoir les meilleures places, faudrait qu'on aille au truc d'avant "A Silent Voice", donc on va aller voir... Rash... Rashomon ? W.t.f., on dirait une contrefaçon de Pokémon, genre, ils avaient pas les droits, donc ils sont allés chercher une version wish.

— Rashomon ? répète Ambre, interpellée.

— Ouais, c'est... Oh, c'est une pièce de théâtre ! C'est ton truc, non ? Tu vas p't-être bien aimer ?

— Ce serait intéressant, admet Ambre.

— Ok, allons-y, allons-o alors !

Lumi se lève, prête à aller se battre contre la foule pour aller se trouver une bonne place, mais Ambre la fait revenir sur terre :

— Tu finis pas ton poulet ?

La noiraude se fige avant de s'asseoir par terre pour engloutir sa nourriture, sans délicatesse, et pouvoir décamper plus vite. Ambre grimace légèrement, devant la précipitation de Lumi. Elle a l'impression de voir sa meilleure amie pendant un bref instant, et émet un soupire :

— Lumi, on a le temps, la pièce de théâtre n'est que dans une demi-heure.

— Oui, mais faut pas faire trop longtemps la queue, faut vraiment être les premières-premières pour avoir les meilleures places !

Après la dernière bouchée, Lumi fait passer le tout avec de l'eau de sa gourde présente dans son sac et s'essuie la bouche avec un mouchoir, tout ça en moins d'une minute. Cette dernière serre les poings.

— C'est bon, on part en guerre.

— On va juste aller chercher une place...

— Oui... Donc on part bien en guerre, répète-t-elle avec insistance. Allons-y, camarade 

Ambybyche, faut aller se battre avec les autres pour avoir nos sièges de luxe.

En jetant le récipient en carton et sa bouteille de ramune, après avoir bu les dernières gouttes, dans la poubelle, Lumi part à la recherche de la salle de projection. Les deux jeunes filles se frayent un chemin dans la foule, se tenant la main pour ne pas être séparées par inadvertance et après avoir monté des escaliers, elles finissent enfin par trouver la salle en question. Il n'y a pas de queue, la porte est déjà ouverte, invitant les visiteurs à s'installer pour le futur évènement. À l'intérieur, pas grand monde, ce qui est normal, puisque le public cible d'une vieille pièce de théâtre doit être de niche. Ça permet à Lumi de choisir les places qu'elle souhaite.

— Let's go, y a vraiment personne ici. On est que deux.

— Il y a trois-quatres personnes dans la salle, fait remarquer Ambre après un coup d'œil.

— Non, laisse, c'est une réf' Internet.

— Ah je vois, répond Ambre perplexe, mais habituée.

Lumi balaye le lieu du regard avant de choisir la rangée un peu plus proche de l'écran sans en être collé. Elle sautille jusqu'à la place du milieu et incite son amie à venir la rejoindre au plus vite. Assise, elle gigote vivement heureuse d'être ici.

— On va avoir l'expérience du siècle ! Voir un film sur un grand écran comme ça, s'excite Lumi.Son amie acquiesce, mais remarque que les chaises ne sont pas aussi confortables que celles d'un cinéma, mais elle ne devrait pas trop en attendre, il s'agit d'une salle de projection, pas de cinéma. De son sac, Lumi sort des snacks sucrés : des Pocky aux chocolats blancs, saveur fraise et des chips aux crevettes. Elle tend le paquet à son amie qui en accepte volontiers.

— Après, on doit d'abord regarder la pièce de théâtre, lui rappelle Ambre avant de croquer son Pocky.

— Ah. Oh c'est vrai putain, je sais pas comment j'ai oublié, j'étais trop surexcitée... En même temps, y aurait pas eu aussi peu de monde si c'était le film, admet la noiraude à voix basse avant reprendre son volume normal. Il faut donc se taper le Poshomon, la contrefaçon Pokémon-là, je sais même pas de quoi ça parle.

— Un meurtre dans un village, selon wikipédia.

— Oh, c'est p't-être intéressant, on va voir un truc de série policier avant de voir que le coupable c'est Caraboule, le cousin maléfique de Carapuce.

Ambre lâche un sourire, ne s'attendant pas à un commentaire aussi décalé dit avec autant de sérieux. Alors les deux jeunes filles papotent sur l'ambiance de la convention, pendant que quelques personnes supplémentaires s'installent dans la salle. Il y en a un peu plus qu'elles s'imaginaient, mais il y a des chances qu'eux aussi ne viennent que pour la projection du film d'après. Les lumières commencent à s'éteindre et le silence s'installe à moitié, avec encore deux ou trois personnes qui discutent. Les projecteurs illuminent la scène et les acteurs font leur entrée. L'histoire se déroule et Ambre fait attention aux jeux des acteurs. Ils sont très différents de ce qu'elle a expérimenté elle.

En France, elle avait appris à tout mettre sur l'intonation de sa voix et sa puissance pour faire passer les sentiments. Mais les acteurs sur scènes exagèrent énormément les expressions du visages et insistent sur les émotions de leur voix quitte à être dans la caricature. Au début, ça paraît très particulier, peut-être de mauvais goût, mais on finit par s'y faire après quelques minutes, du moins pour la parisienne. Ce qui n'est pas du tout le cas de Lumi qui perd son attention, gigote déjà sur place et regarde ailleurs, avant de jeter un œil sur son téléphone et finalement écouter une vidéo Youtube – Ambre le sait, elle entend le bruit de la vidéo sortir de ses appareils auditifs. Sans s'en apercevoir, la blondinette finit par entrer dans l'histoire et ne voit pas le temps passer. Vers, ce qui semble être la fin, le moine s'approche du public, s'adressant directement à lui, avec une expression troublée. Il s'exclame d'une voix forte et claire.

"Les êtres humains sont les seuls menteurs sur terre. Ils peuvent être bêtes ou intelligents, bons ou mauvais, mais menteurs, ils le sont tous."

Et la pièce de théâtre se finit ainsi, sans dénouement évident à cette histoire. Ce qui perturbe Ambre dont le visage se renfrogne. Mais qui est le meurtrier ? La femme ? Le bucheron ? Était-ce un suicide ou non ? Pourquoi il n'y avait pas de réponse claire à cette fin ? Les applaudissements réveillent Lumi qui se met à applaudir à son tour et le présentateur vient remercier les acteurs et leur accorde un petit moment pour qu'ils puissent parler de leur métier. La recluse profite de ce moment pour chuchoter à Ambre :

— J'ai pas suivi l'histoire, du coup, qui c'est qui a tué qui ?

— J'en ai aucune idée, ça n'a pas été dit... répond Ambre sur le même ton.

— Comment ça mon reuf ? Il y avait pas de tueur ?

— Si si, mais je crois que c'est au public de réfléchir à qui ça pourrait être.

— Franchement, mon truc de Caraboule le frère jumeau maléfique, c'était pas si mal.

La parisienne sourit, amusée, mais ne peut pas s'empêcher de cogiter à propos de cette pièce. L'auteur avait un message à faire passer, mais elle peine à comprendre ; était-ce le fait que tous les humains étaient des êtres mauvais et des menteurs ? La lumière s'allume. Petit à petit, la salle se remplit de plus en plus, à l'approche du film phare, et devient bien plus bruyante. Ambre voulait communiquer avec son amie, mais remarque que cette dernière se tient les oreilles, comme agressée par le brouhaha ambiant, Lumi regarde son interlocutrice avec un large sourire qui ne signifie rien de positif, excepté un "sauvez-moi". Elle chuchote de manière distincte :

"La joie d'avoir des appareils qui captent trop, quel plaisir..."

— Tu voudrais mes écouteurs ? propose Ambre.

— Hein ?

— Tu voudrais mes écouteurs ? Ils ont le mode anti-bruit, répète Ambre de nouveau, bien plus proche des oreilles de son amie.

— Oui s'il te plaît, sors moi de cet enfer.

Sans attendre, Ambre cède ses écouteurs pour que Lumi puisse les mettre à la place de ses appareils auditifs. Lorsque le mode sans-bruit s'active, la noiraude émet un long soupir de soulagement et s'affale sur le siège, apaisée. La recluse semble beaucoup plus à l'aise, avec cette absence de bruit, s'assoit en tailleur et se contente de bouger de gauche à droite, attendant le film. La blondinette reste avec ce brouhaha ambiant, pas vraiment gênée bien que ce ne soit pas pour autant agréable. De nouveau, après quelque temps, les lumières s'éteignent et le public devient silencieux. Pendant que le début du film se lance, Lumi remet ses appareils 

auditifs, excitée à l'idée de profiter du film.

https://youtu.be/NX88Mix-v-0

Pendant tout le déroulement du début du film, Ambre passe par plusieurs émotions : de l'amusement, de la gêne, de la curiosité et de l'anxiété, beaucoup d'anxiété. Quand bien même le film n'a rien à voir avec son histoire personnelle, au final, voir un thème similaire la met mal à l'aise. Ambre sait ce qu'elle a fait, mais pourtant, elle ne souhaite pas se confronter directement à ce qui pourrait rappeler sa nature néfaste ; c'est paradoxal, c'est égoïste et elle le sait. Pendant une grande partie du film, la blondinette est absente et elle se perd dans ses propres souvenirs, là où les fantômes de son passé reviennent la hanter.

À ce moment, au début de son adolescence, rien ne semblait avoir d'impact ou d'importance. Comme si ses mauvaises actions étaient permises puisqu'il n'y aurait plus rien après ça. Malheureusement, le temps s'écoule et sa maturité lui a fait prendre conscience de l'ampleur de ses actions. Lorsque les applaudissements la réveillent de ses pensées, elle se met à applaudir subitement. Mince, elle n'a pas du tout suivi la moitié de l'histoire, Ambre ne sait même pas comment ça s'est fini, pourtant elle voyait les magnifiques animations, mais ses pensées étaient bien trop occupées par son passé. En jetant un coup d'œil vers son amie, elle s'aperçoit que cette dernière applaudit avec beaucoup d'enthousiasme. Ses yeux sont rougis par les larmes et pourtant, un grand sourire lui illumine le visage.

— C'était tellement beau, c'est le film le plus beau que j'aie vu !

Ambre acquiesce avec le sourire, mais elle ne peut pas en dire autant, elle ne se souvient que de la première partie du film. Les lumières s'allument et le public se prépare à partir, discutant encore de ce qu'ils ont vu. La recluse se lève et s'étire longuement pour se mettre à l'aise, elle questionne son amie :

— Il était comment le film ?

— Très joli, je l'ai trouvé très bien fait, répond Ambre nerveusement.

— Bien sûr ! C'est un film très bien noté en plus. D'ailleurs, tu sais que les appareils que tu vois voler dans le film-là, ceux qui sont jetés au début ?

Lumi montre les siens pour remontrer à quoi ils ressemblent, en dégageant ses cheveux devant son oreille. Ambre acquiesce, il y avait un petit moment dans le film où on pouvait voir les aides auditives être sabotées, ça, elle s'en souvient.

— Et bah sache que ça coûte trois mille huit cents balles pour celui que j'ai.

— Attends, les appareils ça coûte trois mille huit cents ? répète Ambre en fronçant les sourcils.

— L'unité.

— Attends, les deux ça coûte plus de sept mille ? répète-t-elle encore plus choquée.

— Imagine combien le trou dans le portefeuille était béant.

Une information qui met Ambre mal à l'aise. Pendant que les deux amies quittent la grande salle de projection, une petite voix intérieure chuchote à la parisienne : "Que se serait-il passé si Lumi et toi étiez dans la même classe, cette année-là ?" Elle chasse cette idée aussi vite qu'elle est venue, la blondinette ne veut pas savoir, car la vérité risque d'être laide. Lumi saute à pieds joints à l'extérieur, satisfaite de ne plus se sentir à l'étroit et se retourne vers son amie.

— Byby', on va faire quoi maintenant ? demande-t-elle avant de répondre à sa propre question. Moi j'aimerai trop acheter des trucs dans le village des artistes !

— Le village des artistes ? répète Ambre.

— Oui, un lieu où des artistes indépendants vont aller vendre leurs créations en tout genre, telles que des dessins, des figurines, des accessoires, des livres et bien plus encore !

En descendant de l'étage, Lumi explique comme si elle récitait sa définition, ce qui est plutôt amusant compte tenu de son langage habituel. Ambre la suit pendant que son interlocutrice dégringole des escaliers, manquant de tomber au passage. Cette dernière se renseigne rapidement sur les panneaux de signalisations avant de montrer le chemin lorsque la blondinette la rejoint.

— Tu as eu un stand de ce genre, alors ? questionne Ambre curieuse.

— Hein ?

— Les stands des artistes. Enfin, vu que tu dessinais et que tu as l'air de t'y connaître, t'as pu avoir un stand ou quelque chose comme ça dans une convention ?

Cette question fait grimacer son interlocutrice, ça semble beaucoup l'embarrasser, elle ralentit ses mouvements, montrant moins d'excitation. Lumi trifouille avec ses mains, avec un rire entre l'amusement et la nervosité :

— Oulah, non, certainement pas, là-bas ce sont des professionnels. Ils sont autant calés sur leur art que dans la communication, c'est pas trop mon cas. C'est certainement pas avec mes petits bonhommes en bâton que je ferai quoi que ce soit.

— Ah, je vois...

Ambre voudrait répliquer qu'elle ne trouve pas ses dessins aussi médiocres pour que ce soit comparé à des bonhommes en bâton, mais elle a pressenti que ce sujet mettait facilement Lumi mal à l'aise, alors elle préfère juste acquiescer et suivre son amie qui cherche à trouver un chemin moins bondé pour rejoindre leur destination. Il faut cinq minutes supplémentaires pour trouver le fameux village des artistes, rempli de monde et avec beaucoup de brouhaha. Lumi se montre satisfaite, les mains sur la taille.

— Regarde-moi cet endroit, c'est de toute beauté.

— Tu n'avais pas dit que t'aimais pas les endroits bondés ? questionne Ambre perplexe.

— Ouais mais ici, y a que des gens comme moi, alors c'est mieux que d'être au milieu de gens qui travaillent et étudient, chuchote-elle comme si c'était un secret d'état avant de reprendre sa voix normale. Du coup, allons faire de bonnes affaires !

Pendant cette demi-heure, Ambre s'est sentie très à l'étroit puisqu'il y a un nombre conséquent de personnes intéressées par tous les stands, elle ne pensait pas qu'il y aurait autant d'intéressés par ici. C'est bruyant, humide, chaud, elle ne vit pas un bon moment, mais elle prend sur elle pendant que son amie achète une quantité incalculable de porte-clefs de licences certainement connues ou de badges de toutes les tailles. Son sac en bandoulière grossit à vue d'œil, Ambre espère que c'est bientôt la fin, pour ne plus se sentir emporter par la vague incessante de gens. Dans le chemin de la sortie, où elles nagent pour quitter la foule, la blondinette remarque un stand d'un auteur de livre. Mais elle n'a pas le temps de s'y attarder, entraînée par Lumi. Cette dernière s'exclame, une fois extirpée de la foule :

— C'est bon, mission accomplie. J'ai pu faire plein d'achats compulsifs pour l'année !

— Ah oui... Il y avait tellement de monde, soupire Ambre. Je pensais pas que ce serait aussi bondé.

— C'est vrai, les villages des artistes sont toujours des lieux qui attirent plein de monde. Y a pleins de jolies choses !

La blondinette cogite sur le stand qu'elle a entre-aperçu, ça ne ressemblait pas du tout à des mangas. Elle le fait remarquer :

— Il y avait quelqu'un qui vendait des romans... Je pensais pas que ça se faisait.

— Ah ? Bah oui, il doit y avoir des écrivains par ici, j'avais pas vu, mais il doit y en avoir.

— Je pensais qu'il y aurait que des livres type manga, admet la parisienne. Tu pourrais faire ça, non ?

— Hein ? De ?

— D'écrire un livre sur tes rêves.

— Encore avec ça ?

— Enfin, je propose, je trouve ça intéressant.

— Allons, allons, allons, s'exclame Lumi avant de poser ses mains sur les épaules de son amie. Ambrie, Ambriche, Ambrichette, on dirait vraiment que ta vie en dépend que je fasse un livre sur 

mes rêves ou pas.

— J'insiste pas spécialement, c'est juste que je trouve ça original comme idée. Je trouverai vraiment dommage que tu ne veuilles pas en parler d'une manière ou d'une autre.

— Tu verrais vraiment une maison d'édition accepter mon livre où ça parle de mes disputes avec un gros fatcoon et où j'essaye de chercher des canards en plastique pour une mission ? demande son interlocutrice avec un regard perplexe.

— Pas forcément le faire éditer, mais tu pourrais poster sur Qwice, par exemple.

— Eh. Le gars derrière Qwice t'a sponsorisée ou bien ? À moins que... Tu sois le gars derrière Qwice ? s'exclame Lumi sur un ton excessivement dramatique.

— Non, répond Ambre avec un air blasé. C'est juste une proposition. Je me dis que tu seras plus lu dans une petite communauté que dans un trop gros réseau social. Après, si tu veux vraiment pas, je forcerai pas plus.

Lumi voudrait refuser, par manque d'intérêt, mais devant la sincérité et l'insistance de son amie, elle finit par acquiescer, en acceptant de réfléchir à cette idée. C'est bien la première fois qu'une personne est intéressée à quelque chose chez elle, même si elle ne l'a pas encore créé.

— J'y réfléchirai alors, répond la noiraude en haussant les épaules. Mais bon, on a un shopping à terminer Byby' !

— Hein, mais on vient pas de le faire ?

— Absolument pas, ça c'est l'entrée, maintenant on va attaquer le plat principal et aller dans le hall ! s'enthousiasme Lumi en agrippant Ambre pour l'emmener avec elle.

Lumi n'emprunte pas le même chemin pour accéder au hall, les escaliers y menant semblent encore plus bondés et elle aimerait éviter de sentir trop de personnes autour d'elle dans un endroit aussi délicat. Sans réfléchir, la recluse s'improvise un raccourci et s'éloigne un peu du chemin habituel. Elle trouve un couloir qu'elle pense mener à l'autre côté du bâtiment, ce qui leur permettrait d'avoir un accès plus aisé au hall si c'est ce qu'elle pense. Mais plus elles marchent, moins elles entendent des bruits et moins elles croisent de visiteurs, à part une ou deux personnes qui sortent ou partent aux toilettes. Ambre ne s'en plaint pas, elle profite d'un peu de silence et de fraîcheur par ici, elle s'appuie contre le mur pendant que son amie regarde de tous les côtés possible. Au bout de quelques secondes, cette dernière s'exclame.

— Oh bah merde, on est tombées dans les backrooms.

— Je crois pas que ce soit une zone réservée au staff, sinon il y aurait eu un panneau qui nous aurait interdit de venir ici.

— Non, pas ce backroom là, un autre backroom, répond Lumi en sifflotant. Mais bon, je pensais trouver des raccourcis, j'ai juste trouvé les toilettes. C'était pas l'objectif.

— Pas grave, on va rebrousser chemin et revenir sur nos pas.

— Ouais, tu veux aller aux toilettes ? demande Lumi avec le pouce levé.

— Non, pas besoin.

En reprenant le chemin en sens inverse, les deux amies s'arrêtent à une intersection, elles remarquent un petit couloir menant à une table avec une très jolie plante à côté. Perturbant, puisqu'elles étaient persuadées de ne pas l'avoir vu en arrivant par ici. Mais Lumi s'excite et s'en approche et remarque deux plaques de bois avec des pochettes ornées par des jolies fleurs dessinées ainsi que deux pinceaux trempés dans un encrier fait de bois. Ambre regarde par-dessus l'épaule de Lumi, mais son amie s'enthousiasme en voyant les jolis accessoires.

— C'est un ema, c'est un ema !

— Ema ?

— Oui, oui ! En gros, faut écrire nos vœux sur les plaques de bois, mettre dans les pochettes là et l'accrocher à l'arbre ! explique-t-elle avec des yeux pleins d'étoiles. Ça exaucera nos vœux !

— Pourquoi il n'y en a que deux ? C'est prévu pour le public ? s'interroge Ambre confuse.

— Aucune idée, mais ça doit être un truc pour les visiteurs curieux ! En tout cas, je le fais.

Lumi saisit le pinceau et essaye d'écrire son souhait de la manière la plus soignée possible bien que ce ne soit pas du tout évident avec cet outil. Quant à Ambre, elle reste un moment dubitative avant de saisir le pinceau gorgé d'encre pour inscrire son souhait à son tour. De toute façon, ça ne doit pas être interdit, puisque l'accès du couloir est public. Elle trouve juste que la matière du pinceau et de la tablette est particulière, pas neuve en tout cas. Dans un premier temps, elle souhaitait se faire pardonner par son ancienne camarade, mais le souhait est inutile, car le problème est bien plus profond que ça. Alors la parisienne écrit un autre souhait, plus développé. Son amie souffle sur la surface de la plaque pour faire sécher l'encre plus vite et glisse l'objet dans une pochette avant de l'accrocher à la belle plante. Ambre la suit, peu de temps après. Une au dessus de l'autre, les deux jeunes filles admirent leur petite prouesse.

— Maintenant, il faut rien dire et attendre que ça se réalise.

— Ça se réalisera vraiment ? demande hasardeusement Ambre.

— Si t'as souhaité être le prochain Elon Musk, y a des chances que ça arrive pas, mais si t'as souhaité respirer demain, ça arrivera à coup sûr ! explique-t-elle avec le poing serré, emplie de détermination.

— Ouais... Faut juste faire des souhaits qu'on pourrait nous-même accomplir, quoi.

— C'est vrai, mais au moins, les souhaits sont accomplis ! s'exclame Lumi très positive. Bon, faut aller décamper pour faire du consumérisme et acheter plein de merch trois fois trop chers ici. Et n'oublie pas d'acheter des trucs aussi, ce sera un bon souvenir de ta première convention japonaise !

— J'y compte, de toute façon. Je pense acheter quelque chose pour ma meilleure amie aussi.

— Tu donneras ton cadeau à ta meilleure amie et tu rajouteras un "vive le capitalisme putain".

Ambre réussit à émettre un rire devant l'humour chaotique de Lumi, elle regarde une dernière fois cette banale plante verte qui vient d'avoir deux souhaits sur ses petites branches. Malgré cette superstition, la parisienne est consciente que la seule personne qui pourra accomplir son vœu n'est rien d'autre qu'elle-même, alors elle devra travailler pour le réaliser. Lumi tourne les talons pour se diriger vers le côté opposé du couloir, l'interpellant pour qu'elle vienne. La parisienne replace sa rose noire dans ses cheveux et rejoint son amie vers la sortie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top