Chapitre 19 :
Lumi somnole dans la voiture. Pendant qu'elle cherche une position confortable pour récupérer ses heures de sommeil, de l'air vient frapper son visage. C'est censé la rafraîchir, mais la jeune fille a l'impression de transpirer un peu plus de cette manière. Quant à Ambre, elle regarde la forêt sur le bord de la route défiler à travers la vitre, tout en tenant son panier de nourriture contre elle. Bien plus impassible que sa voisine, elle laisse Lumi dormir sur son épaule, sans vraiment y prêter attention. Une chanson d'Édith Piaf couvre le son du moteur dans l'habitacle de la voiture, de qualité médiocre à cause de la vieille radio. La mère de Lumi conduit sans engager de discussion, la parisienne peut apercevoir son sourire en regardant dans le rétroviseur. Le trajet, qui coupe dans une forêt, est très solitaire, avec quelques fois d'autres voitures qui les croisent. La jeune mère finit par emprunter un petit chemin avant de s'arrêter au milieu, devant un sentier forestier.
— À partir d'ici, je ne peux pas aller plus loin avec la voiture, il va falloir marcher.
— Hein, on est où ? se réveille Lumi de sa somnolence.
— Près du champ de tournesols, si vous empruntez le sentier là, vous arriverez à destination. Il va falloir une dizaine de minutes pour ça. Vous voulez que je vous accompagne ?
— Non, en vrai ça va, s'il suffit juste de suivre le chemin, répond sa fille en bâillant. En plus, t'as une exposition à rejoindre toi.
— J'ai encore du temps devant moi, mais c'est vrai qu'il vaut mieux que j'y sois en avance, sourit la quadragénaire.
Lumi sort de la voiture avec son sac à dos plein à craquer, suivie par Ambre qui fait attention à la marche avant de récupérer son sac en bandoulière. La recluse s'étire longuement en évaluant le sentier devant elle. Les peupliers sur le côté, les protègent du soleil, créant une ombre sur le chemin.
— Porte tes lunettes et ton chapeau Lumi, il fait très chaud.
— Roh, c'est bon maman, j'ai un chapeau, c'est suffisant, grogne-t-elle en enfonçant son couvre-chef sur la tête.
Sa mère se met à rire, elle règle de nouveau son rétroviseur avant de regarder l'heure sur sa montre.
— Je reviendrai dans trois heures. Tenez le temps jusque-là.
— T'inquiète, on trouvera plein de trucs à faire. J'espère que y a pleins de poodgeons.
— Très bien, faites attention à vous les filles, bonne promenade !
La mère active son moteur et fait une marche arrière pour reprendre sa route. On peut entendre le grognement de la voiture diminuer de plus en plus, Lumi se contente de bâiller pour la énième fois pendant que son amie se rafraîchit avec un éventail en carton. Elles finissent par prendre le chemin, dans ce sentier paisible, où les chants des oiseaux se font très forts. La noiraude peine à marcher droit, épuisée, elle s'est levée assez tôt, elle qui ne se lève jamais avant midi. Cette dernière finit par se coller à Ambre, la tête sur ses épaules, comme si elle voulait décharger tout son fardeau sur son amie.
— Héhé, Ambre, t'es très smoll...
Ambre se contente, en silence, de s'écarter brusquement de Lumi, lui faisant perdre l'équilibre et la réveillant d'un coup.
— Wah, j'ai failli tomber ! Tu t'appelles Grominet pour faire tomber les gens comme ça ? s'exclame Lumi en agitant ses bras.
— Humpf.
La blondinette montre un regard impassible à son interlocutrice et cette dernière tente de se reposer sur son épaule, sans succès. Elles se tournent autour, comme une corrida où Ambre est le picador et Lumi le taureau. Finalement, la recluse finit par s'épuiser et se contente de marcher comme un zombie, profitant de l'air agréable. Cette courte altercation fatigue même la parisienne qui ouvre sa bouteille pour se déshydrater.
— Oh, s'exclame Lumi en regardant devant elle, je me rappelle qu'on faisait des chemins comme ça en primaire, on marchait deux par deux jusqu'à notre lieu de promenade et on discutait entre nous. Moi et ma meilleure amie, on discutait énormément de jeux Pokémon ou de Moviestarplanet, c'était une époque incroyable.
— Je crois que j'avais un truc comme ça aussi.
— Ah bon ?
— Oui, je suis née en Suisse, je te rappelle.
— Ah oui, j'suis bête, j'avais oublié, rigole Lumi en croisant les bras derrière la tête.
— J'avais un bon lien avec Chloé, on était en groupe de quatre, avec deux autres filles, et on discutait de tout et de rien.
— De garçons et de maquillages ? spécule Lumi en regardant ailleurs, en sifflotant.
— Entre autres.
Lumi secoue la tête, exprimant ouvertement son désaccord. Elle hausse les épaules :
— Je comprends jamais pourquoi les filles s'intéressent trop vite à ça. Encore aujourd'hui, j'aime jouer aux jeux vidéo et ça devrait être le cas de tout le monde !
— Bonne question, c'était mignon je pense.
— Les Playmobil aussi c'est très bien, en plus, tu peux faire des histoires avec.
Son interlocutrice acquiesce par politesse, mais en réalité, elle n'était pas vraiment très intéressée par les garçons à cette époque. Elle aimait beaucoup plus les vêtements et les vernis de toutes les couleurs, mais comme ses amies en parlaient, elle se greffait à ça. C'est comme ça qu'elle a fini avec deux garçons sans réel intérêt, ils étaient juste beaux ou prisés, donc ça flattait son égo de savoir qu'un tel finissait avec elle. Mais même de cette partie de sa vie, elle n'en était pas fière. Peut-être avait-elle brisé le cœur d'une personne qui l'aimait vraiment, Ambre préférait croire que non puisqu'elle était pleinement superficielle à ce moment.
Le trajet se passe, avec des discussions de temps à autre. Les deux amies saluent les quelques cyclistes qui passent sur le sentier et Lumi s'arrête pour regarder les petits oiseaux picorer par terre. Au bout d'un moment, elles perçoivent un petit cours d'eau qui les accompagne, à côté du sentier, ce qui rafraîchit un peu l'atmosphère.
https://youtu.be/JuzOvCWvzbk
C'est au bout de quelques minutes de marches, qu'elles distinguent enfin les fleurs jaune, un peu au loin, sur les côtés. Remontée à bloc, Lumi se met à courir malgré son lourd sac et est la première à voir l'immense champ de tournesols. Ses yeux s'illuminent devant la magnificence de ces fleurs, ils semblent danser paisiblement avec la petite brise estivale. Derrière elle. Ambre finit par la rejoindre, tranquillement et constate à son tour le spectacle grandiose devant ses yeux.
— Wah ! Regarde, regarde, des Héliatroncs partout ! s'exclame Lumi en ouvrant ses bras comme un pingouin.
— C'est immense... admet la parisienne.
Sans attendre, la recluse descend la pente raide en courant, manquant de tomber, mais récupère son équilibre in extremis, avant de courir vers le champ de fleurs leur faire des gros câlins. Son amie descend un peu plus prudemment, elle se fait une petite frayeur en glissant brièvement avant de poursuivre en sécurité, laissant un soupir de soulagement s'échapper.
— Il faut qu'on trouve un lieu ultra tranquille pour se poser, un où y a de l'ombre.
— On fait le tour pour voir, je crois que j'ai vu un arbre isolé un peu plus loin, on va pouvoir se poser dessous.
— Ouais, et je vais faire une bonne petite sieste.
— On ne va pas manger ? demande Ambre perplexe.
— Mange avant moi, car je suis éclatax et j'ai besoin de dormir, au moins trente minutes, pour charger ma batterie pour la journée.
Ambre acquiesce quand elle voit à quel point ses cernes sont creusées et qu'elle marche comme un zombie, elle ne s'attendait juste pas à ce qu'elle soit fatiguée à ce moment de la journée puisqu'elles sont toujours en début d'après-midi. Il leur faut quelques minutes pour trouver l'arbre en question, un peu à l'écart du sentier et du champ de tournesols, sur une très petite colline, mais c'est parfait pour s'y reposer et admirer la vue. Une fois sur place, Lumi ouvre son sac pour sortir un coussin, ce qui explique pourquoi son sac avait l'air d'être autant rempli, Ambre pose un tapis de pique-nique et son amie n'attend pas pour se coucher paisiblement dessus.
— Quel plaisir, il n'y a jamais rien de mieux que de dormir dehors, sur l'herbe, en plein après-midi.
— Tu en fais souvent ? demande Ambre en sortant une barre de céréales chocolatée au caramel de son sac.
— Pas assez souvent, répond son interlocutrice en fermant les yeux. Ne t'en fais pas ! Je vais me déconnecter un moment de la réalité pour remplir ma jauge de batterie.
— Bonne sieste, alors.
La recluse écoute le bruit du vent, elle aurait dû enlever ses appareils qui captent les bruits parasites, mais elle ne veut pas quitter sa position confortable et préfère faire avec. Son corps flotte dans une sensation de bien-être indescriptible, une sensation qu'aucune nuit dans sa chambre n'a pu lui procurer. Au bout de quelques instants, Lumi ouvre les yeux pour constater le ciel noir en face d'elle. Cette dernière se relève, surprise, avant de comprendre qu'elle est dans un rêve. Elle ne s'attendait pas à en avoir à ce moment de la journée, avant de se rappeler que si, puisqu'elle dormait beaucoup les après-midi. À ses côtés, à la place d'Ambre, se trouve Nouki qui regarde en face de lui. La recluse montre un regard dépité, laissant un soupir s'échapper.
— Pourquoi tu soupires alors que je n'ai encore rien fait et rien dit ? demande l'animal avec le sourcil arqué.
— Moi non plus j'ai rien dit, je comprends pas d'où sort tes accusations.
— Ouais, ouais... rétorque Nouki. Par contre, je crois qu'on n'a pas besoin de mémoire onirique pour savoir quoi faire.
— Ah, pourquoi ?
L'animal lui fait signe de regarder derrière et en se tournant, Lumi remarque qu'ils sont au pied d'une grande montagne. Autour d'eux, ils semblent être dans un jardin plutôt vide, il n'y a rien d'autre que cette montagne avec quelque chose qui brille au sommet. La recluse confirme que l'objectif paraît bien évident.
— Ah bah, on dirait qu'on n'a pas le choix, hein ? C'est pas comme s'il y avait d'aut'chose à faire autour...
— Ouais, le responsable de l'environnement s'est jeté par la fenêtre avec la mémoire onirique. Y a plus de décor, y a plus de mission, y a plus rien, aussi fauché que la France.
— Je me demande si c'est pas parce que je dors dehors.
— Waw, ta mère t'a jeté dehors ? Je savais que ça allait arriver, mais aussi vite ? ironise Nouki.
— C'est ta mère la poubelle, rétorque-t-elle sur un ton cinglant. Non, je dors dehors, en plein après-midi, avec mon amie, là.
— Hé ? Ton amie ? dit-il en accentuant sur le dernier mot. J'ignorais que tu la considérais comme une amie maintenant. J'imagine que le fait que tu ne dors pas au milieu de la nuit explique pourquoi ce monde est aussi vide. Tu veux faire quoi ? On gravit cette montagne ou on attend ici ?
— J'sais pas, j'en ai aucune idée de c'qu'y a au sommet de cette montagne.
— J'en ai aucune idée non plus, je viens d'arriver en même temps que toi.
— Ah bah, on peut rester ici, pour réfléchir à ce qui pourrait se trouver au sommet de la montagne.
— Ouais, on pourra imaginer et attendre ici, dans ce jardin vide.
Lumi et Nouki se contentent de rester là. Pour une fois, ni l'un ni l'autre ressentent l'envie de monter quelque chose d'aussi énorme.
https://youtu.be/1Y41BFFQcsc
Pourtant, juste après ça, un petit chant retentit, un chant captivant. La recluse a une impression d'avoir déjà entendu cette mélodie, une mélodie beaucoup plus douce et apaisante qu'à son habitude.
— Attends, ça vient de là-haut ? questionne Lumi.
— Ouais, je crois. Je pense.
— Alors faut qu'on aille voir d'où vient cette musique, elle est tellement jolie !
Lumi emboîte le pas, laissant son ami muet à l'arrière. Ce dernier ne peut pas s'empêcher de trouver impressionnant la capacité qu'a sa créatrice à vouloir entamer les choses, car une petite chose pique sa curiosité, surtout avec les nombreuses fois où elle a refusé de faire une mission pour moins que ça. Mais ce serait mentir de dire qu'il est réellement surpris, donc le raton laveur suit son amie, à quatre pattes. Durant le trajet, la pente se raidit légèrement, sans que ce soit compliqué ou désagréable, mais l'animal préfère monter sur la tête de Lumi pour ne pas trop se fatiguer.
— Ça m'a l'air plus loin que je le pensais, explique Nouki.
— Ouais, j'imagine, c'est pas le meilleur rêve possible, rétorque Lumi. Ça aurait été drôle qu'Ambrinette soit avec moi, j'lui aurai expliqué toutes les règles barjots qu'il y a et on aurait monté la montagne ensemble. J'suis sûre qu'elle serait impressionnée.
— Shadowhite ? Je ne pensais pas que tu l'appréciais autant... Et je pensais pas que tu lui donnerais un surnom aussi nul.
— Bah oui, je l'aime beaucoup, elle me redonne foi en l'humanité. Je la respecte beaucoup, en tout cas.
— Étonnant, moi qui pensais que tu la haïrais tout de suite quand elle t'en avait parlé au tout début.
— Non, j'étais plutôt très confuse. Je trouvais bizarre qu'une mauvaise personne traîne avec moi... Enfin, y a plein de choses que je trouvais bizarres, donc j'ai pas vraiment réagi sur le
moment.
— Donc, tu n'as jamais eu peur qu'elle te mente ou qu'elle se serve de toi ?
— Si elle me mentait, elle ne m'aurait pas parlé de ce qu'elle avait fait par le passé, explique Lumi en haussant légèrement les épaules. Et de toute manière, même si elle me manipule ou je ne sais pas quoi, ce n'est pas comme si j'étais allée la rencontrer avec des pensées cent pour cent pures. On serait toutes les deux en faute.
Soudainement, la jeune fille sent une inclinaison bien plus prononcée sous ses pieds, elle ne peut plus continuer son chemin en marchant. Nouki s'en aperçoit aussi et descend pour se rendre compte que la pente s'est nettement accentuée, il ne suffira plus de marcher, il va falloir mettre un peu plus d'effort pour escalader, à partir de là. La noiraude lève la tête pour évaluer encore le chemin à parcourir, il y a des chances que le trajet change en cours de route, alors il ne vaut mieux pas se fier à ce qu'elle voit.
— Va falloir que j'escalade, là... soupire Lumi.
— Tu crois ? Si tu me nourris, je peux peut-être me transformer en un petit moyen de transport...
— Non, flemme, il faudra te gaver pour avoir un gros moyen de transport. Je vais me contenter d'escalader en espérant que je tombe pas dans le vide, répond-t-elle.
— Je vois difficilement le sommet, j'espère que ce n'est pas encore très loin...
— T'inquiète, j'suis une pro gameuse.
Légèrement à quatre pattes, Lumi escalade la montagne de cette manière. Le raton laveur est revenu sur sa tête pour jauger combien de mètres il va falloir encore parcourir, même si c'est inutile. La recluse ne ressent pas de fatigue normale, mais elle peut ressentir une plus grande pression sur ses deux mains comme si le rêve constatait sa réelle endurance. Mais elle ne lâche pas, guidée par ce chant envoûtant, Lumi finit par sentir une inclinaison de plus en plus verticale à chaque avancée. Nouki observe autour de lui, puis reprend la conversation :
— Tu disais que tu voulais faire découvrir ce monde à Ambre, t'es sûre que t'en as envie ? Car c'est pas vraiment fou...
— T'inquiète, je suis sûre qu'elle appréciera l'esthétique ! Il faudra juste que tu te barres, car c'est toi qui fait tâche, réplique-t-elle sur un ton cynique.
— Apprécier l'esthétique ? J'ai dû mal à savoir ce qu'il y a à apprécier ici. J'aurai préféré des rêves avec des couleurs chatoyantes et des jolies choses. Ça fait tellement longtemps qu'on en a plus...
— Abuse pas. C'est peut-être pas très chatoyant et plein de couleurs, mais je trouve que ça a son charme. Moi j'aime bien, car ça me fait penser à Aspromauro.
— Je me demande si tu crois vraiment à ce que tu dis.
— Bien sûr que je crois à ce que je raconte.
Au fur et à mesure, Lumi constate qu'elle va devoir se mettre à grimper cette montagne dont les parois sont devenues verticales. Une situation très désagréable, surtout que ça fait longtemps qu'elle n'a pas mis autant d'effort physique dans un rêve, habituée à tout reléguer à Nouki et ses diverses transformations. Une étrange pression s'exerce davantage sur son corps, faisant office de substitut de fatigue, un sentiment que la noiraude déteste tellement il est bizarre. Il n'y a que Nouki qui évite l'épuisement puisqu'il se repose sur le crâne de sa créatrice. L'animal a de l'endurance, même avec peu de carburant, mais pas assez pour tenir une si grande montagne, alors il préfère jouer la carte de la sûreté. D'ailleurs, ce dernier grimace quand il voit le chemin parcouru, à partir de là, il aurait abandonné, c'est au-delà de ses limites. Mais ce n'est pas le cas de son amie, elle tient le coup et continue de grimper sans se plaindre, le chant l'hypnotise tellement qu'elle accepterait de gravir l'Everest.
— Tu es aussi concentrée que ça, Lumi ?
Son interlocutrice ne répond pas, c'est signe qu'elle l'est vraiment, plus rien autour d'elle n'existe. Le raton laveur hausse les sourcils, ça fait bien longtemps qu'il n'a plus vu sa créatrice aussi prise dans un objectif, surtout onirique.
— Je suis vraiment surpris que tu ne lâches pas prise, continue-t-il malgré une absence de réponse.
— Je veux... Je veux vraiment savoir ce qu'il y a au sommet ! Je veux savoir qui chante !
Nouki fronce les sourcils, perplexe :
— Tout ça pour un chant ?
— C'est le chant le plus beau que j'ai entendu. On entend jamais rien d'aussi joli dans ces mondes de mort, explique-t-elle.
Nouki ne réplique rien, c'est vrai que les mélodies qu'ils peuvent entendre dans le monde onirique peuvent être très austères. Mais il ne comprendra jamais pourquoi cela constitue une raison suffisante pour vouloir se dépasser. En levant la tête, l'animal constate que la fin est bientôt proche. Surpris, il s'exclame :
— Oh, on y est presque, tiens bon Lumi ! Encore quelques mètres, même s'il y a pas vraiment le concept de mètre dans les rêves ! Encore un peu, encore un peu !
Encouragée, Lumi utilise un effort monstrueux pour parcourir le reste de la distance, tout en restant concentrer pour ne pas se réveiller. Pas maintenant, pas encore, elle veut savoir qui chante au sommet, elle veut vraiment le savoir. Ses émotions se bousculent, entre l'excitation de découvrir ce qui s'y trouve et le stress de tomber de très haut si elle se loupe. La vision de la recluse se trouble, cette dernière met toute sa concentration pour se stabiliser et d'avoir refusé l'offre de Nouki avec sa montgolfière, ça lui aurait mâché le travail et l'aurait bien aidé.
Durant son ascension, Lumi ferme les yeux et se contente de lever ses mains à la recherche de nouvelles prises pour se hisser toujours plus haut. Mais sa main finit par se refermer sur le vide, elle écarquille alors les yeux avant de se rendre compte qu'elle est arrivée au sommet. Déjà ? Avec toutes ses forces restantes, Lumi se tire enfin sur la plate-forme et sa fatigue, ou plutôt, son fardeau désagréable finit par disparaître. La jeune fille constate tout le chemin qu'elle a parcouru, seule, sans l'aide de Nouki et se met à sourire jusqu'aux oreilles avant de sauter sur place pour célébrer cet évènement.
— J'y crois pas, j'y crois pas ! Je l'ai fait ! Je l'ai fait ! J'suis la reine du monde, crie-t-elle soulagée.
— Ah bah, tu vois que tu peux faire des choses. Donc les autres fois où tu me disais que c'était impossible, c'était juste une très grosse flemme.
— Non mais, pourquoi tu me casses mon délire comme ça ? Tu peux pas être content pour moi ? se plaint Lumi avec un air blasé. Tu dis que t'as changé, mais t'as pas changé, t'es comme Fildrong¹.
— Oh t'inquiètes, je suis content pour toi, mais il faut toujours un vieux aigri dans le groupe, réplique Nouki avec un sourire malicieux.
— Ton rôle c'est celui d'une victime, change pas l'histoire toi.
Le raton laveur hausse les sourcils, si Lumi n'avait pas fait tous ces efforts pour grimper la montagne, il l'aurait poussé dans le vide pour se venger de la fois où elle l'avait poussé au fond du puits. Elle a bien de la chance, cette fois. Les deux amis observent le paysage qui se déroule devant eux, depuis le sommet. Ils aperçoivent une ville froide avec des habitants et il leur faudra un moment pour reconnaître le lieu.
— Attends, mais c'est la ville des titans colossals, là, s'exclame Lumi en pointant avec l'index.
— Ah ouais, je crois que c'est vraiment la ville de l'autre rêve. C'est bizarre de les voir tout petit d'un coup.
— Je pleure, c'est nous qui sommes giga immenses, s'esclaffe la recluse. Alors les nabots, c'est qui qui se trouve au-dessus de qui, maintenant ?
— Ouais, calme-toi par contre, évite de tomber, sinon tu seras bien intelligente.
— Oh t'inquiète, y a pas de vent, ça risque jamais d'arriver, sifflote Lumi très sûre d'elle avant de revenir au sujet initial. Bon, on était venu pour voir qui chanter, on va très vite trouver la personne.
En se tournant, la recluse aperçoit une lumière s'intensifie devant elle, à tel point qu'elle croit qu'elle est en train de se faire expulser du rêve. Mais la lumière s'adoucit, laissant place à un tournesol miniature qui semble danser timidement, le chant provient bien de lui. Lumi et Nouki s'en approchent délicatement, comme si un mouvement brusque pouvait le fragiliser. Une fois proche, la noiraude s'accroupit pour pouvoir l'admirer de plus près : la fleur est tellement petite que c'en est adorable. Ses mouvements sont timides et sa mélodie apaise les deux amis.
Pourtant, Lumi y ressent une pointe de mélancolie, comme si le petit tournesol était attristé.
— Regarde, ça c'est un tournesol smoll, chuchote Lumi.
— Tu crois que tu peux le cueillir ? répond Nouki sur le même ton.
— Euh, j'sais pas, j'vais essayer. Sois prêt si jamais il se passe quoi que ce soit.
Le raton laveur se met aux aguets, derrière Lumi et cette dernière tend doucement sa main vers la fleur. Lorsque ses doigts se resserrent autour de la tige, le tournesol se décolle d'un coup, sans la moindre difficulté, ce qui surprend les deux amis puis les rassurent. En voilà un qui n'a pas résisté comme si c'était un câble rigide bien enterré, ce qui est assez courant quand ça ne fait pas partie du scénario élaboré par le rêve ; c'est une des raisons pour laquelle Lumi ne cueille jamais les fleurs qui font partie du décor.
— Oh, j'ai le petit tournesol ! Un tournesmoll même ! s'enthousiasme Lumi avec le sourire.
— Je sais pas si ça valait la peine de gravir la montagne pour cueillir une fleur, ceci dit.
— Roh c'est bon, t'entendras jamais un chant aussi magnifique que celui-là, alors profite.
— Ce qui n'est pas faux.
À ces mots, le chant du petit tournesol se fait de plus en plus faible, jusqu'à ce qu'il se mure en silence. Une chose inattendue qui fige le sourire de Lumi, cette dernière glisse son regard vers le raton laveur qui lui-même ne s'attendait pas à ce que ça se termine aussi vite.
— Ah, le spectacle est déjà fini ? constate Nouki.
— Non, non, non, non ! Ça peut pas se finir comme ça, j'ai grimpé une montagne pour dix secondes de chants ? Même à Europa-Park, le ratio attente-plaisir n'est pas aussi abusé !
— En vrai ça va, tu as pu en profiter pendant ton trajet, on l'entendait bien quand même.
— Non !
Lumi crie de manière dramatique et secoue la fleur comme si ça pourrait faire relancer la machine, pourtant elle reste toujours aussi silencieuse. Pendant sa tentative désespérée de faire chanter le tournesol, ce dernier commence à briller de plus en plus fort, prenant aux dépourvus les deux amis. Surprise, la jeune fille ferme brusquement les yeux, avant de les ouvrir, aveuglée par la lumière du soleil, avec un arbre qui ne la protège plus vraiment vu l'emplacement du soleil. Pendant un premier temps, elle ne sait pas trop où elle se trouve avant de voir Ambre manger à ses côtés. Tout lui revient, c'est vrai, elles sont parties voir les tournesols et elle a fait une sieste ici.
https://youtu.be/xWabubL2LLs
— Tu as bien dormi ? questionne la blondinette lorsqu'elle aperçoit que son amie s'est réveillée.
— Euh ouais, répond Lumi. J'ai pas dormi très longtemps ?
— Non, juste trente minutes.
— La vache, j'ai vraiment cru dormir pendant tout une soirée, c'est bizarre. Mais j'ai bien rempli ma promesse, j'ai dormi trente minutes et pas plus !
— T'as fait un rêve ?
— Ouais, c'était pas ultra-complexe, mais je devais gravir une montagne avec mon ami pour voir ce qu'il y avait au sommet. Il y avait une petite tournesol qui chantait !
— Ah ? bégaye Ambre troublée.
— Ouais, mais elle a arrêté de faire de la musique, c'est tellement dommage. La voix était magnifique, pour la première fois que j'avais une belle voix dans mes rêves de morts. En plus, la mémoire onirique s'est défenestrée, y a plus d'objectif ni rien dans mes rêves.
— Des objectifs ? La mémoire onirique ?
— Oh, des trucs que je vis dans mes rêves. La mémoire onirique c'est des objectifs qui sont donnés par le rêve, c'est ultra compliqué. Parfois j'ai des objectifs durs et on m'enlève des capacités, je dois le faire d'une manière complexe avec mon ami.
Ambre fronce les sourcils, elle ne comprend pas toutes les explications, mais saisit que c'est bien plus complexe que les simples rêves qu'il est possible de faire. Donc ça l'interpelle :
— Ça m'a l'air très complexe. Tu n'as jamais voulu tenir un journal de rêve ? Je pense que ça serait intéressant, propose-t-elle sérieusement.
— Ah ? Non, j'y ai jamais pensé, mais je vois pas trop l'intérêt en même temps...
— Peut-être publier des chapitres de rêves sur Qwice ?
— Qwice... ? Ah oui, l'application anti-cancer, se remémore-t-elle. J'sais pas, j'y suis pas encore et je sais pas si ça intéressera les gens.
— Je pense que si. Il y aura certainement des gens qui seront intéressés de lire des textes sur tes rêves, tu pourras peut-être leur donner des astuces pour faire des rêves lucides aussi poussés ?
Lumi se balance d'en avant en arrière, pas vraiment captivée par cette idée. Elle a toujours fait ces rêves, aussi longtemps qu'elle peut s'en souvenir, et n'a jamais vu l'intérêt d'en parler ; c'est comme ses problèmes auditifs, ça a toujours été là, l'équivalent serait de faire un texte sur le fait de respirer. Lumi secoue la tête pour exprimer une autre idée :
— Non, en vrai, je me disais que si jamais je faisais un compte, je voudrais poster des trucs que j'aime bien comme mes jeux préférés, mes épisodes de Seventeen ou des cosplays de mes persos préférés !
— Cosplay ?
— Ouais, tu sais, c'est quand on s'habille en tenue de personnage de jeu vidéo, de manga ou n'importe quoi d'autre, explique-t-elle de manière aussi compréhensible que possible. D'ailleurs, si je m'étais préparée pour la convention à l'avance, j'aurai tenté de faire Bianca, ma pitchounette.
— Oh.
La parisienne garde le silence, elle se gratte la nuque assez mal à l'aise. Un souvenir lui revient soudainement, elle connaissait déjà le terme cosplay, ça faisait juste longtemps qu'elle ne l'avait plus entendu. Son ancienne camarade avait voulu faire une tenue en particulier, le fameux cosplay, lors des cours de travaux manuels. Elle ne pourrait jamais comprendre ce qu'il lui était passé par la tête pour vouloir subtiliser discrètement le costume de cette fille pour la jeter dans une poubelle au loin. La semaine passait et elle s'impatientait de voir son visage décomposé au prochain cours, regrettant presque de ne pas avoir saboter pour avoir une réaction plus vive.
Ambre était dérangée, Ambre n'avait aucune empathie pour sa victime qui valait autant qu'un paillasson. Comme attendu, cette fille a cherché son travail partout. La blondinette se souvient encore du sourire qui s'est effacé graduellement de son visage quand elle a constaté que son carton était vide et, au fond d'elle, sa camarade avait certainement compris, à la seconde où elle a constaté l'absence de sa robe, ce qu'il en était advenu. Mais elle n'a rien dit, elle ne pouvait rien faire. À y repenser, Ambre n'a jamais su la fin de mot de cette histoire, est-ce que son ancienne camarade a pu bricoler autre chose ou avait-elle reçu la note la plus basse ?
— Euh, Ambri ? Ambri ? interpelle Lumi.
— Ah, oui ? se réveille son interlocutrice.
— Tu me répondais plus pendant un moment, tu pensais à que'que chose ?
— Oui, je me disais que je pouvais te faire la tenue de Bianca ce soir.
— Hein ? Attends, quoi ?
— Oui, oui. Enfin, si tu veux.
— Attends, attends, t'es vraiment sérieuse ? Genre, vraiment, vraiment ? demande Lumi en état de choc.
— Oui, à quoi elle ressemble déjà ?
Sans attendre, Lumi sort son téléphone pour montrer les chara design des personnages qui sont, on ne peut plus basiques : une robe blanche pour Bianca avec un lotus blanc dans ses cheveux noirs. Un grand sourire se dessine progressivement sur le visage de la noiraude, avec ses yeux qui s'illuminent. Ambre l'avait proposé sans réfléchir, mais ça ira, la tâche n'est pas tant ardue que ça :
— C'est faisable pour ce soir, je pense.
— Je... Tu es trop géniale Ambre ! J'suis trop contente ! Ce sera génial de faire la convention en incarnant ma petite choupinette, s'enthousiasme-t-elle en agitant ses bras. Oh attends, tu feras Sia toi aussi ou pas ?
— Hein ?
— Comme ça on fera la pair, ce serait un truc incroyable de faire des cosplays liés !
Ambre voulait décliner de base ; elle n'y voit pas un réel intérêt surtout qu'elle a improvisé cette idée à la dernière minute. Mais en voyant les yeux remplis d'étoiles dans les yeux de son amie, elle crispe son sourire, très gênée à l'idée de casser l'euphorie de Lumi qui ne peut s'empêcher de s'agiter sur place. Un peu forcée, la blondinette finit par acquiescer.
— Pourquoi pas, je ferai Sia alors.
— C'est génial ! s'exclame Lumi en sautillant sur place. Ce sera la meilleure convention de ma vie, j'espère que tout se passera bien ! Alors, alors, pour la tenue, c'est moi qui vais prendre les colliers, j'ai les bijoux chez moi. Et puis, faut que je choisisse mon sac à dos pour la journée, j'en ai plein et puis... et puis... C'est un jour formidable et pour fêter ça, je vais aller cueillir deux tournesols pour nous !
Lumi montre beaucoup d'excitation à cette histoire et court vers le champ de fleurs attraper deux tournesols. Ambre se contente de la regarder, sans l'arrêter avec un regard évasif. Cette dernière n'avait aucune raison de faire ça, mais elle avait l'impression de devoir le faire comme si ça lui permettrait de se racheter pour cette vieille histoire qu'elle avait oublié. Elle a gâché le travail de son ancienne camarade, il vaudrait mieux qu'elle accomplisse le rêve de Lumi. Même si ça n'équilibre aucune balance, ça allégera brièvement son fardeau. La recluse finit par revenir, épuisée.
— Bon, on oublie les tournesols, j'aurais jamais cru que c'était des fleurs qui poussent à la salle. C'est impossible de les tirer de là alors on va se contenter de cailloux pour se remémorer de cette journée.
— Attends, tu voulais vraiment cueillir des tournesols ? se réveille Ambre.
— Plus maintenant, allez, regarde moi ces jolis cailloux, y en a un qui ressemble à un petit poussin et c'est pour toi.
— Sérieusement ?
— Non mais t'inquiète, regarde, c'est ultra mignon.Ambre inspecte son caillou et remarque qu'effectivement, il est en forme d'un petit poussin vu de profil. Le caillou qu'a ramassé Lumi pour elle-même paraît difforme, signe qu'elle n'a pas dû chercher plus que ça.
— Comme ça, on se souviendra d'aujourd'hui pour toujours !
— Un caillou ? insiste Ambre en haussant le sourcil.
— J'ai pas fait d'effort, j'avoue. Bon tu peux le jeter alors, car le vrai souvenir qu'on a, c'est dans notre cœur et ça, ça fait réfléchir.
Son amie jette un coup d'œil à ce caillou. C'est bien qu'un vulgaire caillou, il n'avait rien des bijoux onéreux qu'elle pouvait recevoir à son anniversaire avec des vraies pierres précieuses pour la plupart. C'était juste une pierre que Lumi est allée trouver à l'improviste, sans avoir cherché à trouver la plus belle. Juste un caillou qui n'avait aucune valeur marchande. Pourtant, pendant une seconde, Ambre a vu cette pierre briller de milles éclats sous la lumière du soleil, dégageant une lueur inexplicable. Pendant que son amie monologue sur la suite des événements, la blondinette glisse cette pierre dans la poche de son sac.
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Héliatronc : Pokémon qui représente un tournesol souriant qui danse.
Fildrong : Youtubeur Pokémon qui a tendance à dire "j'ai changé" après un dérapage.
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