Chapitre 17 :

— Ambre, aide-moi ! Kidnappe-moi comme dans les mauvais chick lits ! supplie Lumi.

— Hein ?

La blondinette fronce les sourcils, confuse. Chaque jour est une grosse surprise avec Lumi. En l'occurrence, Ambre ne s'attendait pas à entendre ça, peu après avoir sonné chez son amie. Cette dernière avait déboulé de ses escaliers, si bruyamment que la blondinette l'avait entendu de l'extérieur et ça avait été ses premiers mots quand elle lui a ouvert les portes. La blondinette pensait avoir vu le pic d'imprévisibilité, hier, avec cet épisode de l'arbre, mais elle en est peut-être très loin. Alors Ambre essaye de calmer son amie qui s'exprime trop rapidement et bute plusieurs fois dans ses phrases, à croire qu'il y a eu un drame entre hier et aujourd'hui.

— Doucement, doucement Lumi, qu'est-ce qui se passe ? interroge Ambre troublée.

Lumi s'arrête de parler, inspire grandement et reprend la parole plus calmement :

— Ambre, si t'es une narcotraficante, c'est maintenant ou jamais.

— De quoi ? répète son interlocutrice abasourdie.

— C'est maintenant que tu dois me kidnapper, et si possible, juste pour une journée.

— Mais c'est quoi cette histoire de narcotraficante... Attends, pourquoi je serais une narcotraficante pour commencer ? demande Ambre en fronçant les sourcils.

La mère de Lumi apparaît dans le cadre de la porte. Dans un premier temps, sa fille ne la remarque pas tout de suite. Mais quand elle entend un raclement de gorge derrière elle, venant d'une maman pas très fière, la recluse s'arrête de gigoter pendant de petites secondes, puis marmonne à voix basse :

— Ambre, s.t.p., y a pas de ruelle sombre ou de contexte à la con, mais sort ton crew pour me mettre dans ta voiture de gangster-

— Lumi, ce serait bien de ne pas dramatiser à l'extrême, de cette manière, tu ne penses pas ? la coupe sa mère avec ses mains sur sa taille.

— Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe ? demande Ambre en se pinçant l'arête du nez. J'ai pas réussi à suivre depuis cette histoire de narcotraficante.

— Il n'y a aucune histoire de narcotraficante ou je-ne-sais-quoi, explique la mère. Lumi fait juste un vilain caprice, car elle ne veut pas aller s'occuper du chien de la voisine, alors qu'elle l'a promis hier soir.

— Objection ! riposte sa fille avec un léger accent anglais. Alors oui, tu me l'as dit oui, mais j'étais éclatée, et j'avais pas mes appareils, du coup j'ai pas compris.

— Tu n'as pas compris, mais tu as acquiescé vivement de la tête quand même ? demande sa mère avec le sourcil arqué.

— Ouais, mais tu sais... Dans le doute, j'acquiesce même quand j'ai pas tout compris.

Sa mère hausse les sourcils, bien qu'elle ne semble pas si surprise d'entendre ça. Pendant que Lumi trifouille ses mains, se rendant compte que sa défense est très bancale et qu'elle ne devrait jamais faire avocate de la défense. Ambre plisse les lèvres, tout ce remue-ménage juste pour une balade de chien ? Effectivement, Lumi a un sens de la dramaturgie aigüe, elle pourrait bien rivaliser avec sa meilleure amie. La blondinette émet un soupir, au moins, ce n'était pas aussi grave que ça aurait pu l'être :

— Ce n'est que ça ?

— Oh toi, t'as jamais vu le chien de la voisine en action. Je te jure que tu n'as plus envie de le balader rien qu'après l'avoir fait une fois, explique la recluse sur un ton blasé.

— C'est très blessant que tu dises ça d'Eustache, surtout que le chien t'aime beaucoup, rétorque la quadragénaire en secouant la tête.

— Mais j'ai rien contre Eustache, j'ai rien contre lui, mais faut dire que les balades avec lui me font tellement vieillir qu'à chaque fois que je rentre chez moi, j'ai l'impression de devoir m'inscrire à un EHPAD, explique sa fille en gigotant de partout.

— Eustache ? répète Ambre.

— Oui, il s'appelle Eustache, c'est pas une blague, lui répond son amie avec un ton encore plus blasé.

— Allez Lumi, c'est juste trente minutes, puis tu feras tes jeux avec Ambre après, explique sa mère. J'ai dit à la voisine que tu passerais la voir pour balader Eustache, elle sera ravie de te revoir, surtout que c'est payé.

Lumi courbe le dos comme si un fardeau venait peser sur ses épaules, obligée d'accepter de toute manière. Cette grimpe improvisée de la veille lui a tellement pompé l'énergie que la recluse n'a pas pris le temps de bien écouter sa mère et elle a acquiescé, se disant que ça devait concerner ses vêtements sales et que ça ne devait pas être bien important. Ça a été une erreur monumentale.

— Vas-y, se résigne Lumi, je vais dans le terrain de l'ennemi. Déjà que Grominet essaye de grand-remplacer la maison...

— Allez faire un coucou à la voisine, je suis sûre qu'Eustache sera content d'apprendre à faire la connaissance d'Ambre, essaye de relativiser sa mère.

— Oh attends, attends, je dois préparer mes trucs pour mon truc cool d'aujourd'hui, alors, explique Lumi en montant des escaliers menant à sa chambre.

— Et tu dois t'habiller aussi, rajoute la femme en bas.

— Ouais, ouais, j'vais pas sortir en pyjama dehors, quand même.

— Tu en serais pourtant capable, réplique sa mère en écho avec les pensées de la parisienne.

La quadragénaire montre une satisfaction, en entendant du grabuge en haut. Elle s'appuie sur le cadre de la porte, en attendant que sa fille finisse de se préparer et commence une petite conversation avec Ambre.

— Sinon, tu vas bien ? Vous vous êtes bien amusées hier, dehors ? questionne-t-elle.

La blondinette cache sa nervosité et se contente d'acquiescer, sans rentrer dans les détails. La journée d'hier restera gravée dans sa mémoire, tant bien elle était aussi imprévisible que chaotique. Pourtant, malgré son silence, la mère esquisse un petit sourire.

— Enfin, ça devait être une journée sens dessus-dessous, n'est-ce pas ?

— Ah...

— Quand Lumi n'est pas scotchée aux écrans, il se passe beaucoup de choses à ses côtés. C'est comme si elle jouait dans une grande pièce de théâtre avec toute son énergie. Je suis contente de la voir comme ça.

— C'est vrai que c'est surprenant de traîner avec elle.

Cette courte conversation prend fin avec l'arrivée de Grominet. Le chat, avec sa carrure imposante, ne prête pas attention aux deux femmes. Il ne leur prête tellement pas d'attention qu'Ambre doit bouger pour ne pas trouver sur sa trajectoire. Le félin arrive sur le saint-paillasson pour faire ses griffes dessus et allonge son corps avant de se mettre sur le dos, sa position préférée.

— Tiens, Grominet a dû finir de manger, dit la mère.

— Il vient souvent devant chez vous ?

— Très souvent, en général, il se trouve sur notre paillasson durant tout l'après-midi, il doit bien aimer la texture.

— Je vois...

Elles entendent un ronronnement provenant du gros chat. D'un coup, Lumi déboule de nouveau des escaliers, manquant de s'éclater par terre, avant de se diriger vers la cuisine pour faire un sacré boucan en ouvrant les tiroirs et les placards. Ambre remarque que son amie porte une partie de la tenue qu'elle lui a faite hier. Ça la touche, elle ne s'attendait pas à ce qu'elle la porte vraiment. Par contre, sa mère se montre perplexe quand elle l'aperçoit en train de prendre des choses, elle interpelle sa fille :

— Lumi, tu fais quoi ?

— T'inquiète, t'inquiète, je prends juste des trucs. C'est pour dehors et tout. Ce sera rapide.

— Tu ne prends pas des couteaux, hein ?

— J'ai dit que je prenais des trucs pour dehors, pas que je préparais un attentat, lui répond sa fille.

Un bruit de fermeture éclair retentit et Lumi se dépêche de sortir tout en portant son sac en chemin. Sauf que dans son élan, puisque personne n'a le temps de la prévenir du nouvel arrivant, elle se prend le pied dans le Grominet et manque de s'étaler par terre, encore. La recluse reprend son équilibre de justesse en se rattrapant sur un poteau devant la porte de la maison risquant de s'éclater la tête dessus. Confuse, la noiraude cherche à savoir ce qui s'est passé et démasque assez vite le coupable. Elle remarque enfin le gros félin, pas vraiment dérangé par ce remue-ménage, pas plus que le pied qu'il venait de se prendre.

— La vie de ma mère que ce chat est juste venu me fumer, s'agace Lumi avant de secouer le chat comme si c'était une gelée. Pas vrai, Grominet ? Tu veux juste me fumer, en bonne et due forme, avec ton gros derche là ?

— Ne jure pas trop sur ma vie, Lumi, sourit sa mère.

— Ah oups, mauvais réflexe, alors la vie de la mère de Bernard, personne ne sait qui c'est.

Le gros chat se contente de faire un gros ronronnement rauque, la secousse ne le réveille pas de son état de béatitude et il semble même l'apprécier. Un chat bien étrange, la noiraude se contente de soupirer avant d'entendre une remarque de sa mère :

— Je t'avais dit de ne pas courir hors de la maison comme ça.

— Ouais, mais il était pas là avant, en cinq minutes il est venu sur le paillasson. Hein, Grominet ? Faut que tu restes dans ton paillasson toi, le secoue-t-elle de nouveau.

— Sinon, je peux voir ce qu'il y a dans ton sac ?

— Hein ?

— Ton sac, je veux savoir ce que tu as pris de la cuisine, explique la mère avec un grand sourire lumineux.

— Allez hop Ambre, faut qu'on y aille, hein ? Eustache ne va pas se balader tout seul !

Lumi attrape le bras d'Ambre et va l'emmener de force vers la maison de la voisine. Elle ne l'entend presque plus et émet un gros soupir de soulagement, nettoyant la sueur de son front. Son amie montre un regard empli de suspicion.

— Y a rien de bizarre dans le sac, n'est-ce pas ? demande-t-elle à son tour.

— Bien sûr que non ! Je vais pas me balader avec de la mort-au-rat dans mon sac, c'est des trucs pour les life-hacks DIY de l'appli dont il ne faut pas dire le nom !

— L'appli dont il ne faut pas dire le nom ?

— Tu le sais bien... dit Lumi avant de murmurer. Je parle de TikTok.

— Sérieusement ? rétorque son interlocutrice avec un air blasé. J'espère que les life-hacks sont sans danger, au moins ?

— Bah oui, je vais pas nous mettre en danger inutilement, explique-t-elle. Quelle image vous avez de moi ?

Ambre lui jette un regard peu convaincu, compte tenu de ce qui s'est passé hier et Lumi s'en rend compte et rectifie un peu sa réponse :

— Bon ok, hier, c'était une expérience sociale, écoute... Mais je fais pas tout le temps ça.

La noiraude met fin à la conversation et appuie sur la sonnette. De l'autre côté de la porte, les aboiements d'un petit chien se font entendre, même si on pourrait plutôt croire qu'il s'agit du cri d'une chèvre qui se fait égorger. Au bout de quelques instants, une femme d'une vingtaine d'années ouvre la porte avec les bruits d'une télévision allumée en fond.

— Oh ma Lumi ! Ça fait longtemps que tu n'es plus passée par ici, salue la propriétaire. Tu as tellement grandi ! Tu étais encore une petite bout d'chou hier. Je suis tellement contente de te revoir.

— Haha, je reste encore une enfant, précise Lumi à voix basse avant de reprendre un volume normal. Ah oui, ça fait longtemps, j'étais occupée avec les cours et tout ça.

Lumi ne peut s'empêcher d'imaginer la réaction de Nouki s'il l'entendait dire ça. Il lui aurait envoyé un regard empli de jugement ou peut-être qu'il se serait roulé par terre avec un rire bien cynique. Au moins, cette femme la croit et lui caresse le crâne, bien heureuse. Pendant leur discussion, un petit chien s'approche de l'entrée, curieux.

— Oh Eustache, regarde qui c'est ? Tu reconnais Lumi ou pas ? questionne sa maîtresse en montrant la concernée du doigt.

Le fameux petit chien s'approche de la recluse pour la renifler, puis sa queue s'agite dans tous les sens. Il se met à aboyer, pour exprimer sa joie, et tourne plusieurs fois sur lui-même. Ambre trouve qu'il ressemble à un croisement entre un yorkshire terrier et un chihuahua, ça lui donne une allure très vieillard. Sa maîtresse sourit ravie quand elle voit que son chien n'a pas oublié la fille des voisins.

— Eustache ne t'a pas oubliée, il doit être content d'aller se balader avec toi.

— Ah oui, moi aussi je ne l'ai pas oublié, grommelle Lumi avec un sourire forcé.

— Bonjour, continue la femme en regardant Ambre, tu es une camarade ou une amie de Lumi ?

— Ah, euh... Je suis son amie, je passe les vacances en Suisse. Je m'appelle Ambre.

— Ah d'accord, tu es une amie d'Internet alors ? Je ne voyais pas beaucoup Lumi avec des amis ces derniers temps, donc-

— Hahaha, je crois qu'Eustache veut sortir, non ? Faut pas perdre de temps, donc allons promener le vieux doggie ! coupe subitement Lumi très enthousiaste.

En effet, le chien est revenu avec la laisse dans la gueule, attendant qu'on sorte le balader. La jeune voisine ne continue pas la conversation et prépare le chien pour sa sortie du jour. La recluse hausse les sourcils, en inspirant un grand coup, c'est vrai qu'elle ne sort pas dehors avec des amis, mais il était inutile de remuer le couteau dans la plaie. Eustache s'habille avec un harnais mis à disposition à l'entrée et sa maîtresse y fixe la laisse avant de céder la poignée à Lumi.

— Tiens, tu peux juste le balader pendant trente minutes, s'il est fatigué, tu le fais revenir ici, explique-t-elle avec le sourire. Je pense que les muffins seront finis d'ici là, tu pourras en manger comme au bon vieux temps !

— Oui-oui !

Après les dernières indications, la voisine ferme la porte et Lumi émet un grand soupir pendant que le chien attend sagement à ses pieds. Elle tourne le talon, avec le moins d'envie possible.

— Au moins, je sais que les muffins seront délicieux, rétorque-t-elle déjà exténuée.

Ambre s'attendait à un chien plus gros ou teigneux, mais il s'agit juste d'un petit chihuahua. À se demander ce qu'il y a de dramatique à aller le balader :

— Je pensais voir une espèce de doberman ou un danois, mais c'est un petit chien, donc je pense que la sortie se passera bien.

— Non, non. Ambre, t'as pas compris. Le problème d'Eustache, c'est pas qu'il soit compliqué ou pas. Le problème.... dit-elle en marquant un moment de silence. Attends, tu vas voir, tu vas 

comprendre pourquoi je veux pas le balader dehors.

En marchant juste quelques secondes, le vieux chien marche renifler une herbe avant de lever sa patte pour uriner. Une situation tout à fait normale pour une sortie, mais à peine la balade est reprise qu'après quelques pas, de nouveau, le chien refait l'action et ainsi de suite. Lumi montre une expression impassible devant la quatrième fois qu'Eustache lève sa patte pour uriner, mais rien ne sort. Ambre tire une petite grimace, plissant les lèvres, elle ne s'attendait pas à ce qu'un vieux chien garde autant ses réflexes, et à y réfléchir, il lui semble que son amie en avait déjà parlé, une fois. Pendant que le chien tousse après avoir essayé d'uriner une sixième fois, Lumi brise enfin le silence :

— Voilà pourquoi j'évite Eustache. Les balades de trente minutes, tu comptes pas les minutes, mais les secondes et à la fin, tu finis avec un chien qui a passé plus de temps immobile qu'autre chose.

— Ah ouais, c'est... C'est spécial.

— J'aime Eustache, peut-être pas sa vessie et sa vessie aussi n'a pas l'air de m'aimer, mais je pense pas le balader pendant trente minutes.

À ces mots, la noiraude saisit le chien pour le porter dans ses bras, le canidé se montre très calme avec un corps qui tremble continuellement. Par réflexe, Ambre caresse la tête d'Eustache, mais pas sans poser une question :

— Euh... Tu vas faire quoi ?

— On va aller à notre banc fétiche pour faire nos life-hacks DIY là, puis quand on terminera, on ramènera le i-ench.

— Mais ça va aller pour la route ?

— T'inquiète, t'inquiète, il va uriner sur son carré de parterre, il marche pas beaucoup déjà.

— Non, je veux dire, il risque pas de t'uriner dessus, en fait ? questionne Ambre.

— Ah. Qu'il le fasse, ce sera une bonne raison d'augmenter ma paye.

Ambre ne la questionne pas plus, même si elle a une petite appréhension sur les activités étranges que son amie va lui proposer. En théorie, ça ne risque pas de mal se passer, la blondinette ne peut pas s'empêcher de se souvenir de ce qui s'est passé la veille et espère que Lumi ne va pas commencer à faire une bombe artisanale pour plaisanter, bien que ce soit exagéré. Alors les deux jeunes filles commencent leur petite route en direction de leur tout premier point de rendez-vous, elles discutent de tout et de rien, quelquefois coupées par la toux du vieux chien. Il faudra seulement moins d'une dizaine de minutes pour arriver à destination.

— Wah, c'est bizarre, c'est comme si ça faisait longtemps qu'on n'était plus revenu ici alors que ça fait genre... presque une semaine, cogite la recluse tout en posant Eustache par terre. Ouais, ça fait plutôt longtemps qu'on n'est pas revenu ici, en fait.

Lumi pose son sac sur le banc et en sort du matériel divers et varié. Ambre y jette un petit coup d'œil pendant qu'elle attache Eustache au pied d'un arbre pour être sûr qu'il ne risque pas d'aller trop loin. Après ça, elle s'approche du banc pour inspecter ce qui s'y trouve.

— De l'huile d'olive ? dit Ambre.

— Exact, c'est pas la bonne huile, mais ça reste une huile, alors ça passe.

— Tu vas faire quoi avec ça ?

— C'est quoi cette grimace de non-confiance sur ta tête ?

— Je te fais confiance, si tu ne grimpes plus un arbre immense.

— Roh, mais c'est de l'histoire ancienne ça...

— Ça date d'hier.

— Bah justement, hier c'est le passé, maintenant, on se préoccupe du présent.

Ambre regarde les autres produits qui n'ont rien de dangereux, juste des affaires basiques comme les feuilles de papiers, des poivres, l'huile d'olive et une assiette. Ça lui rappelle lorsque son père lui faisait participer à des expériences bon enfant quand elle était toute petite. C'est étrange de se dire qu'elle a mis une barrière entre elle et lui depuis quelque temps, par honte. Cette dernière se réveille de ses réflexions quand elle voit son amie commencer la toute première expérience. Lumi remplit une assiette de porcelaine avec l'eau de la rivière et la saupoudre de poivre. En badigeonnant son index de produit vaisselle, Ambre intervient par précaution :

— Rassure-moi, tu vas pas manger ?

— Non mais, vraiment, c'est quelle image que vous avez de moi ? s'interrompt Lumi avec un air offensé. Ouais j'avoue que j'ai fait des choses cons dans ma vie, mais je vais pas bouffer une cuillère comme ça, eh oh.

— J'espère bien, tu vas faire quoi avec le produit vaisselle alors ?

— Héhé, regarde !

La recluse plonge son doigt dans l'eau, faisant s'écarter les grains de poivre. Un petit tour de magie qui suffit pour impressionner Lumi, mais Ambre n'offre aucune réaction, elle pense comprendre comment ça fonctionne.

— T'as vu ? C'est presque magique ! On dirait que j'ai un super-pouvoir !

— Je crois que le produit de vaisselle prend de la place et pousse les grains de poivre au bord de l'assiette, spécule la parisienne.

Cette dernière remarque que son amie le fixe avec un air blasé, presque inexpressif, comme si elle avait fait une bêtise.

— Quoi ? demande Ambre.

— Ambre met un peu de paillettes dans ta vie, je sais que t'es terre à terre, mais fais un effort. Par exemple, imagine que c'est un pouvoir magique qui pousse les grains de poivre sur les bords.

— Hein ? Ce n'est pas que je n'aime pas la fantasy, c'est juste que c'est rationnel, réplique-t-elle perplexe et confuse.

— Justement, la rationalité est l'ennemie des jeunes ! Apprends-le à tes dépends, il faut que tu laisses ton imagination prendre le dessus.

Lumi pointe du doigt son amie, envoyant un peu de produit de vaisselle sur cette dernière, mais Ambre peine à la suivre bien qu'elle se contente juste d'acquiescer pour la satisfaire. Cette courte discussion close, la recluse prépare la future astuce pendant que la blondinette s'assoit sur le banc avec Eustache qui continue d'uriner en arrière-plan. Lumi ouvre sa bouteille d'eau pour verser l'huile d'olive à l'intérieur, faisant déborder de tous les côtés par maladresse avant d'ajouter un colorant jaune et vert. Elle le referme avant de l'agiter avec beaucoup de force, faisant un bruit semblable à ceux des maracas. Lorsque la noiraude s'arrête et regarde le contenu, impatiente du résultat, rien ne se produit. Il y a juste un mélange étrange et violet qui s'y trouve, mais rien de plus. Malgré les secondes qu'elle laisse défiler, Lumi ne laisse transparaître qu'une grosse déception sur son visage.

— Tiens, on dirait ma vie : on attendait quelque chose et y a rien qui est arrivé... se marmonne-t-elle avec un sourire défaitiste.

— Il devait se passer quoi ? questionne Ambre, confuse.

— Il devait se passer que ça devait faire comme dans les lampes avec des bulles colorées dedans, mais ça fait juste une couleur moche. Je suis la déception.

— Les lampes à lave ?

— Ouais, ces trucs. Je crois. J'suis pas sûre.

— Il fallait certainement utiliser de l'huile de tournesol pour ça.

— Oh. Alors j'aurai pas dû me tromper d'huile. Ça avait plus d'importance que j'l'aurai cru.

— Certainement.

— Ah bah, on est dans la merde pour le futur life-hack.Ambre grimace déjà :

— Elle demande de l'huile aussi ?

— Ouais... Le gars a parlé de truc polaire pour l'huile, mais bon, le seul truc polaire que j'ai chez moi, c'est ma veste, lol t'as compris la blague, je suis hilarante.

— Je...

— Non, je sais que tu trouves que je suis énorme, mais on va plutôt prier pour que le futur life-hack fonctionne avec de l'huile d'olive.

Son amie ne montre aucune réaction, elle pensait que sa meilleure amie avait un humour incompréhensible, mais peut-être qu'elle a trouvé une concurrente. La blondinette se contente de soupirer et questionne sur la prochaine activité :

— C'est quoi l'astuce à faire ?

— Faire flotter un bateau en papier pendant plusieurs heures.

Ambre marque un moment de silence, cachant difficilement la confusion et le jugement dans son regard. Lumi est crédule, bien plus qu'elle l'aurait pensé. Si elle avait un peu joué le jeu au tout début de leur rencontre, là, elle ne peut pas s'empêcher de dire les choses franchement :

— J'espère que t'es consciente que ton astuce est bidon et qu'elle ne fonctionnera pas ?

— Effectivement, j'ai pris de l'huile d'olive, donc ça va pas être efficace.

— C'est pas une question d'olive, je-

— J'ai dit quoi Ambre, la coupe Lumi, on fait de la fantasy ! Tout est de la fantasy, et si ça correspond pas à la réalité, il suffit juste de changer l'histoire à ta sauce ! Alors faisons ce DIY 

nous-même ! On va plier nos beaux bateaux !

— Ok, pourquoi pas...

Ambre abandonne l'idée de convaincre Lumi, de toute façon, ça ne fera pas de mal à une mouche de faire juste du pliage. Alors avec une feuille cartonnée, les deux filles s'appliquent pour la plier correctement, tout en suivant à la lettre le tutoriel. Si la parisienne ne semble pas avoir trop de difficulté à le faire, quand bien même ce n'est pas parfait, son amie met beaucoup plus de temps pour faire un très bon rendu. Lorsque cette dernière termine enfin son bateau, elle se lève et sautille de joie.

— Wah, il est tellement beau mon bateau ! J'suis trop contente.

— Il faut faire quoi ensuite ?

— Mettre de l'huile d'olive en bas. Je commence en premier ! s'exclame-t-elle avant de saisir la bouteille.

Lumi commence à badigeonner la partie du bas, avec beaucoup d'application. Ambre, quant à elle, se contente de regarder accroupie, avec sa structure en papier encore en main. Après quelques minutes, la noiraude termine la préparation et pose le bateau sur la surface de l'eau. Le suspens ne dure qu'une seconde, car le bateau tombe sur le côté et finit juste par flotter. Les deux amies regardent cette désillusion. Pensant que ça ne pourrait pas être décevant, le papier finit par absorber l'eau avant de couler rejoindre les cailloux au fond. Lumi plisse les lèvres :

— J'aurai jamais cru être à ce point déçue.

— Je me doutais bien que c'était bancal, il n'y a rien qui allait dans la vidéo, même pas le nom de la chaîne.

— Je sais. J'aurai dû prendre l'huile de tournesol alors.

— T'en as pas besoin, tu peux faire sans.

À ces mots, Ambre pose son bateau sur la surface de l'eau et ce dernier, après un petit moment d'instabilité, se met à flotter sans problème.

— Parfois, il faut juste faire simple pour faire efficace, explique-t-elle.

— Hein ? Alors l'huile ne servait à rien ? demande Lumi sur un ton dramatique.

— L'huile ne servait à rien.

— À rien de rien ?

— Vraiment rien.

Lumi se touche les joues, déformant volontairement son visage pour exprimer son étonnement. Ambre se contente juste de regarder son bateau s'éloigner des bords pour aller voguer au milieu du petit fleuve. Les deux jeunes filles finissent par se contenter de regarder ce bateau en papier faire sa vie, sans couler comme le premier. Lumi finit par arborer une expression pensive.

https://youtu.be/1d2lIEBBdOI

— Ça me rend triste de me dire qu'un jour, les bateaux en papier qui flottent ne seront plus marrant ou que je ne verrai aucune magie dans les produits vaisselle qui poussent les grains de poivre.
— Hm ? Comment ça ?

— Ah non rien, je me dis que dans dix ans, p't-être que tout ce qu'on fait là ne me fera plus marrer.

— On ne change pas comme ça du jour au lendemain, essaye de rassurer Ambre.

— Mais on changera forcément, non ?

Ambre ne peut pas la contredire, les gens finissent par changer au bout de quelques années, ça a été le cas pour elle ; ce n'est plus la même personne qu'il y a trois ans. La blondinette se triture une mèche de cheveux, réfléchissant à ce qu'elle pourrait dire.

— Tu as peur du futur ? finit-elle par interroger.

— Bof, le futur, c'est un truc trop abstrait, un peu comme l'art contemporain, rétorque Lumi, en gigotant avec le regard en l'air.

— Comment ça, abstrait ?

— En fait, je vais t'expliquer un peu avec mes mots comment j'imagine les choses. Genre... Imagine ! Tu finis dans un grand labyrinthe avec les MJ qui te dit qu'il faut que tu trouves une 

sortie.

— MJ ?

— Ouais, un détail, explique vaguement la recluse. Alors, faut que tu trouves une sortie dans un grand labyrinthe, mais à chaque fois qu'il y a des chemins différents, tes choix vont influencer la sortie que tu auras. Alors t'avances dans le vide, tu choisis une route sans être sûre que ce soit la bonne et ce sera comme ça pendant tout le labyrinthe.

Ambre reste silencieuse, bien qu'elle ne comprenne pas tout le lexique utilisé par Lumi, elle a l'impression qu'avec le temps, elle finit par saisir le sens de ses explications malgré tout, bien que ce ne soit pas toujours parfait. Alors cette dernière tourne le regard vers son amie, pendant que le bateau en papier, au milieu du fleuve, commence à se faire entraîner par un léger courant.

— Et paf, continue Lumi, tu trouves enfin une sortie et on te transforme en dindon ! Car t'as cru, au début de ce grand labyrinthe, que t'aurais la même fin que tout le monde. Car t'as ces connards de MJ qui t'ont fait croire que tout le monde commençait avec les mêmes chances et finissait aussi avec les mêmes chances. Sauf que non, t'es devenu un dindon moche.

Cette fois, Ambre peine à discerner quelque chose dans l'expression de Lumi. Cette dernière baisse la tête vers le sol, se triture les mains de manière impulsive et change un peu le ton de sa voix bien que ce soit très discret.

— Tu vois des gens devenir des paons, des cygnes et t'en as même qui deviennent des phénix, des oiseaux tellement rares et légendaires qu'ils en sont admirés. Alors que toi, tu fais juste partie de ceux que personne ne voudrait être : des dindons moches. T'as aucune particularité, t'as aucune capacité, t'es considéré comme stupide. Tu n'es rien d'autre qu'un oiseau considéré comme moche, pire que le type normal dans Pokémon.

— Ah ? répond Ambre avec un rire nerveux. Il suffit de refaire le labyrinthe pour ne plus être un dindon, peut-être ?

— Non, rétorque son amie en la pointant du doigt, car t'apprends que tu peux pas changer tes choix et qu'il y a un nouveau labyrinthe à faire. Sauf que ce nouveau labyrinthe, bah tu le fais en étant le bon gros dindon bien moche. Donc tout ce que tu peux faire, c'est de t'énerver ou te dire que t'aurais dû faire plein de choix différemment pour ne pas devenir l'oiseau le moins populaire. Mais plus tu y réfléchis, plus tu te rends compte que la vérité était pas celle que tu croyais.

La recluse gonfle ses joues d'une manière boudeuse, en bougeant comme à son habitude. Mais à cette dernière phrase, elle s'arrête subitement de gigoter et se met à fixer le sol avec une expression qu'Ambre ne lui a jamais vu. Une expression indescriptible.

— Il y a des gens qui sont voués à devenir des dindons hideux et il n'y avait aucun moyen d'éviter ça.

À ces mots, Lumi regarde Ambre dans les yeux. Cette dernière se montre surprise, c'est bien la première fois que son amie la regarde aussi franchement. La première fois qu'elle a l'impression de s'adresser à une tout autre personne. Dans son regard se déverse une quantité d'émotion forte, et dans ce lot, elle y discerne une amertume. Une très grosse amertume. Un moment de silence s'installe, tandis que le bateau disparaît du champ de vision, poursuivant son chemin le long de la rivière.

— T'imagines ça, Ambrine ? reprend la noiraude en gigotant. Devenir un dindon bien moche pour le restant de ta vie, c'est une vie horrible. Même pas on t'utilise pour le truc de Thanksgiving là. Tu comprends pourquoi le futur a l'air aussi horrible ?

La blondinette garde le silence, beaucoup de choses lui passent par l'esprit, mais elle ignore quoi répondre à son amie. Elle ne veut pas paraître moralisatrice ou condescendante et elle ne voudrait pas non plus affirmer une vérité qu'elle n'a pas ou ne connaît pas. Alors Ambre se crispe pour s'être murer trop longtemps dans le silence, sachant qu'elle voudrait réconforter Lumi sans la prendre en pitié ou paraître faux dans ses mots. Cette dernière semble déjà passer à autre chose puisqu'elle se contente de taper le sol, avec le pied, sans raison. Mais la parisienne serre les poings et se fait violence pour répondre à une histoire qui n'avait pas besoin d'avoir de commentaire.

— Je pense que tous les dindons peuvent devenir de magnifiques cygnes, commence Ambre d'une voix nerveuse et pas très sûre.

— Hein ? s'exclame Lumi, surprise.

— Comme dans le vilain petit canard, je pense que même les dindons les plus hideux peuvent devenir un cygne ou même un phénix un jour.

— Mais le petit canard c'était déjà un cygne de base, ça compte pas. Un dindon, bah ça reste un dindon, il pourra juste devenir un dindon rôti s'il veut.

— Tout est possible, rétorque son interlocutrice en se triturant la mèche. Avec de la fantasy, il suffit juste de changer l'histoire à notre sauce, alors.

Lumi se met à sourire en entendant cette phrase, son élève semble vite apprendre. Même si dans ses yeux foncés, rien n'indique qu'elle croit vraiment dans les paroles de son amie, la recluse se montre amusée.

— Ouais t'as raison. La fantasy c'est de se dire qu'un dindon peut devenir un gros dragon si on le veut. Alors on va tous espérer devenir des gros gros dragons, répond-t-elle les poings serrés. Par contre va falloir nettoyer notre bordel là, car c'est pas fifou.

Lumi soupire devant le petit désordre, puisqu'elle va devoir empaqueter de nouveau tout ça dans son sac et porter tout le matériel jusqu'à chez elle. Ambre se montre surprise, déjà ?

— Y a pas d'autres DIY ? questionne cette dernière.

— Non y a que ça. J'ai pas pu prendre plus de matos pendant que je me préparais et de toute façon, va falloir rendre le ien-ch, répond son interlocutrice en haussant les épaules. Alors let's go camarade, on va accomplir notre mission secondaire pénible de la journée.

— Ah ok, bégaye la parisienne.

La brise estivale se lève, faisant bruisser les feuilles des arbres. Ambre aide son amie à nettoyer le banc, est-ce que ses paroles ont eu un sens ? Lumi est difficilement déchiffrable malgré son comportement très expressif. La blondinette espère que ses paroles ont eu un impact, bien qu'elles aient l'air vague. Malgré tout son pessimisme, au fond d'elle, une once d'espoir souhaite également croire que n'importe quelle personne, aussi pathétique puisse-t-elle être, pourrait devenir une meilleure personne. À ce constat, Ambre se rend compte d'une chose : qui est-ce qu'elle essayait de rassurer ? "Des paroles égoïstes, rien d'étonnant" pense-t-elle, Chloé n'avait pas tort, Ambre reste une égoïste.

***

— Ça s'est bien passé avec Eustache ?

La voisine pose la question pendant que son chien vient gratter ses jambes, excité de revoir sa maîtresse. Lumi acquiesce, en croisant les bras derrière la tête. On ne peut pas dire que ce soit la plus grosse balade qu'il ait faite, mais elle préfère ne pas trop s'arrêter dessus.

— Ouais, ça a été, il a été cool, répond Lumi avec un regard fuyant et un sourire innocent.

— Super ! Eustache a dû être très content de se balader avec son amie, s'enthousiasme-t-elle en portant son chien. J'espère que tu reviendras nous voir pour balader encore le petit.

— J'y penserai...

— Ne bouge pas, je vais chercher l'argent et les muffins.

La voisine les quitte pendant un moment, se dirigeant certainement vers la cuisine. Une bonne odeur de muffin s'en émane et Lumi la respire à plein poumon. Ça faisait si longtemps qu'elle ne les avait plus appréciés chaudement sorti du four. Les deux jeunes filles entendent une discussion avec la voix d'un homme, il doit s'agir du chéri de la voisine, elles ne patientent pas bien longtemps.

— Tenez, j'espère que c'est toujours aussi bon, s'exclame la voisine en offrant les deux pâtisseries aux jeunes filles.

— Oh oui, c'est mieux qu'une paye ça, rétorque Lumi à voix basse.

— Ah, merci, continue Ambre surprise.

Cette dernière ne s'attendait pas à recevoir un muffin, également, mais l'accepte par politesse. La jeune femme offre également un billet à Lumi qui le prend, en montrant peu d'intérêt. Ambre ne pouvait s'empêcher de penser que le montant était sacrément gros juste pour une pseudo promenade de chien. Pourtant, son amie ne semble pas plus intéressée que ça, bâfrant son dessert tout en glissant le billet dans sa poche.

— En tout cas, tu reviendras nous voir pour jouer avec Eustache ? demande la voisine.

— Oui, oui, je penserai à revenir.

En réalité, l'unique raison qui ferait revenir Lumi ici, ne serait que les muffins. Son interlocutrice montre un visage ravi.

— Très bien, merci encore pour la balade d'Eustache, passe une bonne journée et reviens vite nous voir, d'accord ?

— Oui, bye-bye !

Lumi secoue des mains et la voisine referme la porte derrière elle. La noiraude finit par s'étirer après avoir fini sa pâtisserie. C'était les deux minutes de bonheur le plus rentables de sa vie, Ambre se contentait juste de la manger à petite bouchée et, effectivement, c'est assez bon. Au chemin du retour, Lumi se plaint en croisant ses bras derrière la tête :

— C'est dommage, avec cet argent, j'aurais acheté d'incroyables goodies à la convention, mais bon. Le muffin était incroyable, donc ça compense.

— La convention ? Quelle convention ?

— Ouais, tu vois, la convention japonaise que je voulais faire, celui où on a dégagé mon petit youtubeur, là. Le truc où je t'ai raconté avec son pote et les disputes.

Ambre s'en rappelle vaguement, surtout de cette histoire bizarre de grosse dispute qui a abouti à un enchaînement de situations. Elle n'est pas sûre d'avoir tout saisi, mais elle voit de quelle convention il s'agit, dans ce cas. Pendant que Lumi se dirige vers sa maison, apercevant déjà Grominet sur son paillasson, avec sa démarche toujours aussi particulière et nonchalante, son amie l'arrête sans réfléchir.

— Attends Lumi.

— Hm, oui ? Tu veux un autre muffin de la voisine ?

— Non, non, pas ça, je...

Ambre racle de la gorge, elle-même ne sait pas trop ce qui lui prend, pourtant une pulsion la pousse à prendre parole :

— Tu voudrais qu'on aille ensemble à cette convention ?

— Quoi ? demande son interlocutrice confuse.

— Je pourrai t'accompagner à cette convention ? répète-t-elle en parlant plus fort.

La noiraude reste immobile, comme si elle n'en croyait pas ses oreilles. Pourquoi lui a-t-elle demandé ça ? Est-ce qu'elle voulait prouver quelque chose ? Est-ce une petite partie en elle qui voudrait prouver qu'elle n'est plus aussi égoïste qu'avant, en réalité ? Au bout de quelques secondes, où juste les ronronnements bruyants de Grominet était audible, Lumi secoue la tête :

— Attends, tu veux vraiment ? Genre, vraiment vraiment ? Je pensais que ce serait pas ton style de truc, t'avais pas l'air de kiffer notre sortie dans ma deuxième caverne d'Ali Baba...

— Non, non, je veux bien voir à quoi ça ressemble. Ça me pique la curiosité.

— Oh ? Oh ? Oh ? accentue-t-elle chaque mot. Oh mais c'est génial !

Comme un feu d'artifice, Lumi laisse exploser toute son excitation, à tel point qu'elle en oublie de respirer. Elle sautille tellement fort qu'on pourrait finir par la voir sur le toit. La recluse s'exclame rapidement, en butant plusieurs fois sur sa phrase :

— Mais du coup, faut que je me prépare mentalement ! Mais du coup, va falloir que je trouve de l'argent ! Attends, on est quel jour aujourd'hui ?

Lumi sort son portable pour regarder la date et elle se rend compte que sa convention se déroule dans trois jours. Donc elle devra se grouiller pour trouver un somme acceptable puisque sa mère a décidé de couper la carte – et c'était bien fait, même Lumi reconnaissait faire n'importe quoi avec cet argent. D'ailleurs, en parlant de sa mère, cette dernière sort de la maison avec un sac poubelle, elle enjambe le gros chat sur le paillasson avant de remarquer les deux amies en train de la regarder. La recluse laisse son sac à dos par terre, accourant dans les 

bras de sa maman.

— Maman, maman, t'as un autre travail pour moi ? S'te plaît, c'est urgent, c'est urgent !

— Hein, pourquoi tu veux un travail d'un coup ? Je pensais que tu ne voulais pas en faire.

Surprise, la quarantenaire pose ses mains sur les épaules de sa fille pour la calmer, pendant qu'Ambre les rejoint avec le sac à dos rempli à ras bord. Lumi prend la parole.

— Ambre et moi, on a une convention dans trois jours ! Du coup, y me faut de l'argent pour faire mes achats compulsifs de capitaliste !

— Vraiment, tu vas accompagner Lumi pour la convention ? questionne la mère à la concernée.

— Euh oui, j'aimerai voir à quoi ça ressemble...

Agréablement surprise, la mère au foyer pose son sac, avec une idée derrière la tête. Elle émet un gros sourire rayonnant qui inquiète déjà Ambre, bien qu'elle n'en dise rien par politesse, pendant que son amie est prête à tout. La mère de Lumi répond :

— Ça tombe bien, j'ai peut-être quelque chose pour vous, demain.

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