Chapitre 14 :
Lumi s'affale sur le lit. Malgré qu'elle ait commencé son rangement hier, elle vient seulement de le finir. Ça a été compliqué de cacher le désordre. La tâche la plus ardue a été de fermer l'armoire avec tous ses vêtements froissés et empilés dedans. Il ne faudra pas qu'elle oublie ce détail, sinon elle risque d'avoir une frayeur la prochaine fois qu'elle l'ouvrira. D'ailleurs, Lumi espère qu'Ambre ne regardera pas sous le lit, sinon elle pourrait avoir une mauvaise surprise en plus d'un tout nouvel écosystème qui y vit depuis plusieurs mois maintenant. Au moins, la chambre semble présentable, il suffit de ne pas faire attention aux détails. L'air passe à travers la fenêtre et les stores entre-ouverts. La lumière dorée du coucher du soleil crée des ombres horizontales sur le mur de la chambre de Lumi. Cette dernière tend sa main pour "toucher" la lumière sur sa peau.
Après une brève pause, la jeune fille se lève, s'étire, et descend pour aller se désaltérer. Avec la chaleur et les efforts, elle a besoin de boire quelque chose. Cependant, une fois au salon, elle aperçoit une silhouette qui passe à travers la fenêtre donnant sur l'extérieur, à côté de la porte d'entrée. Malgré les rideaux oranges qui bloquent partiellement la vue, Lumi devine que son invitée vient d'arriver. Le temps a filé bien vite, et elle ne pensait pas qu'il serait déjà vingt et une heures. Avant qu'Ambre ne puisse sonner, Lumi ouvre directement la porte, créant ainsi un effet de surprise.
— Yaho, salue-t-elle. Ça a été le chemin ?
— Oula, tu m'as fait peur, admet-elle avec un rire nerveux. Mais oui, le chemin a été.
— Tu veux un truc à boire ? Car là j'ai très soif.
— Pourquoi pas.
Les deux jeunes filles se dirigent vers la cuisine. Saisissant un pichet d'eau fraîche dans le frigo, Lumi en verse le contenu dans deux grands verres qu'elle a prise dans les placards. Ambre remercie son hôtesse avant de boire doucement son verre, tandis que sa camarade l'avale d'une traite. Cette eau est la plus fraîche et réparatrice qu'elle ait jamais bue de sa vie, et ce n'est même pas une boisson gazeuse. Après cette pause, elles montent finalement dans la chambre de Lumi. Ambre entre dans une pièce particulière, ou plutôt, c'est la décoration qui l'est. Des peluches Pokémon décorent les étagères, avec quelques posters de jeux vidéo ou de personnages de manga accrochés au mur. Le bureau qui s'y trouve est encombré de divers matériels de dessin, de feutres, de papiers et de livres. C'est l'une des choses que Lumi n'a pas encore rangées, car ses tiroirs sont déjà pleins. Cette dernière invite son invitée à s'asseoir sur le lit et fouille ses tiroirs encombrés pour trouver ses dessins.
— N'en t'en fais pas, oui c'est le bordel, mais on appelle ça le chaos artistique dans le milieu, explique-t-elle en enlevant des figurines inutiles pour faciliter ses recherches.
— Tu ranges pas tes dessins dans un classeur ? questionne Ambre.
— Ouais, ouais, il doit se trouver quelque part, mais bon, c'est pas très important... Ah, c'est bon. J'en ai deux ou trois.
Dans un fourreau, Lumi découvre d'anciens dessins qu'elle n'a pas revus depuis longtemps. Étonnamment, elle avait même oublié l'existence de l'un de ses vieux croquis, qui ne lui évoque plus grand-chose à présent. Hésitante, elle les cède à Ambre, qui les sort doucement pour les regarder. Ils sont fortement influencés par la culture manga, avec les grands yeux et le reste du visage simplifié. Ce n'est pas si mal, même si la parisienne ne peut pas juger de leur qualité, car elle ne connait pas bien ce style en particulier. La seule fois où elle a tenté de dessiner un chat, ses amis ont cru que c'était un serpent sous cocaïne. Pendant son étude, la parisienne aperçoit du coin de l'œil que sa camarade se touche soudainement l'oreille. Cette dernière se met alors à fouiller à nouveau dans les tiroirs, puis elle sort ce qui semble être des écouteurs de ses oreilles pour y effectuer quelque chose. La blondinette lève la tête, les yeux écarquillés, surprise.
— Oh, c'est des aides auditives ? questionne Ambre.
— Euh, oui, c'est des appareils auditifs. Y a plus de pile là, du coup je change.
— Tu as des problèmes auditifs, alors ?
— Haha, attends. Je t'entends, mais pas trop en même temps. Je vais juste mettre les appareils, comme ça ce sera plus confortable pour moi de t'entendre bien comme il faut, répond-t-elle en trifouillant son oreille. Là, c'est bon.
— Non, je n'avais rien dit de très important, j'étais juste suprise que tu sois appareillée.
— Ah, je te l'avais pas dit ?
— Non, tu ne me l'avais pas mentionné.
— Ah bah oups, j'ai dû oublier. Je croyais en avoir parlé, mais oui, j'entends pas très bien.
— C'était suite à quelque chose ? questionne son interlocutrice à la fois hésitante et curieuse.
— Nah, c'est depuis ma naissance. J'ai juste pas eu de chance, mais ça va, avec les appareils j'entends très bien. Je peux même avoir des trucs en plus comme prendre des appels, écouter de la musique et plein d'autres trucs.
— Comme des AirPods ? C'est particulier, mon grand-papa a des appareils, mais c'est des vieux.
— Oui, celui que j'ai, c'est des modernes.
— Tant mieux, je trouve ça bien que tu puisses entendre comme tout le monde.
Lumi acquiesce vivement de la tête, l'esprit déjà ailleurs, et range son paquet de piles après avoir remis ses aides auditives. Elle ne peut s'empêcher de bouger, même debout, se balançant d'avant en arrière, plutôt anxieuse quant à la réaction de son invitée sur ses dessins. Ambre remarque que ces derniers sont datés à l'arrière, la plupart étant de 2014, mais leur fréquence diminue considérablement après cette année. Néanmoins, il est évident que la technique semblent s'améliorer au fil du temps. Une fois qu'elle a fini de regarder, la blondinette range méticuleusement tous les dessins dans le fourreau et le redonne à son interlocutrice.
— C'est pas très bien, non ? demande Lumi directement.
— Hm ? Je dirais pas que ce n'est pas bien dessiné, mais que tu étais en voie d'apprentissage plutôt. Je sais pas trop pourquoi tu as arrêté.
— Bof, ça devait pas trop être fait pour moi. Ma mère, elle peint beaucoup, elle est très douée dans l'art, moi je croyais que ce serait aussi mon cas, mais pas vraiment, la peinture c'est pas trop mon truc et le dessin encore moins, je n'ai vraiment pas hérité de son talent. Du coup, j'ai arrêté et j'essaye de faire de l'écriture plutôt.
Ambre reste silencieuse, elle aurait voulu rétorquer, mais son interlocutrice ne semble pas ravie de discuter sur ce sujet, alors il vaut mieux respecter son choix et ne pas insister. C'est déjà bien d'avoir pu voir ce que sa camarade dessinait. Un silence gênant plane et la parisienne décide de changer de sujet.
— Ta mère peint ? Elle a fait quoi comme peinture ?
— Oh, y a des tableaux dans la maison, je peux t'emmener les voir.
— Volontiers.
Ambre les a vaguement vus sans leur accorder beaucoup d'attention, mais c'est un art qu'elle pourrait peut-être mieux comprendre. En quittant la chambre, Lumi montre déjà des peintures à l'huile dans le petit couloir du premier étage : des animaux, des fruits, des natures mortes, des paysages, des insectes, des fleurs. Tellement de sujets différents, tous peints avec ce coup de pinceau si léger qu'on ressent une douceur, une caresse à chaque tableau. La parisienne se sent un peu plus touchée ; sa camarade a raison, il y a une véritable connaissance, une vraie artiste derrière chacune de ses œuvres. Lumi paraît moins enthousiaste, se contentant simplement de faire la visite.
— Effectivement, ta mère est très talentueuse.
— Ouais, c'est plutôt joli, elle a fait des vernissages ou des trucs comme ça. Y a des gens qui achètent ce qu'elle fait.
— Wow, c'est quoi le meilleur qu'elle ait pu faire ?
— C'est accroché au salon, viens.
Lumi descend les escaliers circulaires, suivie par son invitée, et l'emmène voir le salon. Au-dessus d'une cheminée électrique, un grand tableau orne le mur juste au-dessus. À peine le regard posé dessus, Ambre écarquille les yeux. Une femme, une belle femme vêtue d'une robe blanche et arborant un regard paisible, enlace dans ses bras un bouquet de tournesols. Elle est entourée par un champ de ces mêmes fleurs, sous un ciel bleu magnifique. Même si son hôtesse ne dit rien, elle devine facilement qu'il s'agit du tableau qui a inspiré le chapitre sur la culpabilité. Les couleurs de ce tableau sont si douces, si chaleureuses, la composition est époustouflante, donnant l'impression de se trouver là-bas. Ambre reste silencieuse, bouche bée, admirant cette œuvre débordante d'amour, remarquant des détails qu'elle ne peut apercevoir qu'en s'y attardant.
— C'est incroyable, c'est vraiment un tableau incroyable, constate Ambre hypnotisée par l'œuvre.
— Moui, c'est très joli. Je l'aime bien celui-là.
— Ta mère a tellement de talent, je savais pas qu'un tableau pouvait autant m'emporter.
— Je suis vraiment ravie qu'il te touche autant, remercie une nouvelle voix.
Ambre sursaute, remarquant que la mère de Lumi était arrivée dans le salon, certainement interpellée par son admiration. L'invitée salue la quadragénaire et se montre plutôt gênée en sa présence. Un peu différente de Lumi, qui semble davantage agacée de voir sa mère se pointer pendant leur discussion. Cette dernière émet un soupir audible avant de croiser les bras, montrant ouvertement sa contrariété.
— Il y a un souci ma puce ? remarque la femme au foyer. Tu n'as pas l'air dans ton assiette.
— Pourquoi t'es ici ? Tu sais que j'aime pas quand tu me déranges avec mes invités.
— Je sais, je sais, mais je voulais aller chercher mes pinceaux. Je vous entendais, du coup, je suis juste venue voir ce que vous disiez.
La mère enlace sa fille qui rechigne pendant un moment avant d'abandonner. Ambre peine à savoir où regarder, se sentant de trop dans cette scène d'affection.
— Tu cherches quels pinceaux ? demande Lumi.
— Tu veux aller les chercher ?
— Ui.
— Oh. Le 10 et 12 alors.
La noiraude s'extirpe des bras pour descendre des escaliers afin d'aller chercher les dits pinceaux dans la réserve. Sa mère la regarde partir, un peu étonnée.
— Lumi est de mauvaise humeur ? questionne-t-elle à son invitée.
— Hein ? Je crois pas non, on discutait tranquillement dans la chambre.
— Je vois. Elle m'a l'air contrariée, elle n'aime pas chercher mes pinceaux en temps normal.
Ambre hausse les épaules, elle ne peut pas prétendre connaître suffisamment Lumi pour savoir comment elle se comporte en temps normal, mais il est vrai que sa camarade a agi de manière plus calme aujourd'hui.
— Je pense qu'elle est peut-être fatiguée.
— C'est possible. Elle a rangé sa chambre toute l'après-midi, donc ça peut la mettre de mauvaise poil.
Après cette courte discussion, en attendant le retour de Lumi, les deux femmes contemplent le grand tableau du salon. Ambre ne peut pas s'empêcher d'être hypnotisée par cette œuvre, elle pense pouvoir l'admirer toute la journée sans se lasser. Au bout de quelques secondes, une question lui vient. La blondinette se montre hésitante dans un premier temps avant de se lancer :
— Madame ? Je peux vous poser une question ?
— Oui, quelle est ta question ?
— Hum... Est-ce que ce tableau a un nom ? demande Ambre curieuse.
https://youtu.be/vx9l3_XY8_4
— Oui, il a un nom. Le tableau se nomme Mon Soleil, répond son interlocutrice avec un sourire tendre.
— Mon Soleil ? C'est par rapport aux tournesols ?
— Pas vraiment. Le soleil, c'est Lumi.
— Lumi ? répète la blondinette perplexe. La femme du tableau, c'est Lumi ? La mère éclate d'un rire franc en écoutant la conclusion de la jeune fille avant de se ressaisir et de lui répondre.
— Non, non, le soleil dans ce tableau est très métaphorique. J'ai peint ce tableau lorsque j'ai été enceinte de Lumi, explique-t-elle. Alors la lumière, le soleil, toute la beauté à travers cette œuvre symbolise Lumi.
Interloquée, Ambre contemple de nouveau le tableau. Tout prend sens dès à présent : la tendresse avec laquelle sont enlacées les tournesols, l'utilisation des couleurs chaudes dans la peinture et les fleurs qui semblent protéger cette femme rayonnant de bonheur. Hypnotisée par l'œuvre, la parisienne s'en approche un peu plus, comme pour être sûre de ne manquer aucun détail ou de pouvoir être embrassée par tout l'amour qui dégage de ce tableau. En observant le visage paisible de cette femme sans nom, Ambre s'aperçoit d'un détail qui n'est pas visible au loin : il y a une larme qui coule discrètement sur sa joue. De la tristesse ? Ambre rejette cette idée, le sourire de cette femme sans nom est bien trop paisible pour que ses larmes puissent être de la tristesse. Peut-être une joie immense après une longue attente ? Ça serait crédible.
— Oh, répond enfin Ambre. Donc si vous avez appelé votre fille Lumi, c'est parce qu'elle est votre lumière ?
— Oui, c'est ma lumière.
La blondinette sent les frissons lui parcourir le dos quand elle voit le même sourire paisible sur les lèvres de son interlocutrice que celle du tableau. Un amour si pur qu'elle ne pensait en voir que dans des récits. Cette discussion s'achève aussitôt lorsque les deux femmes entendent des bruits de pas furtifs dans les escaliers. Lumi fait de nouveau son apparition avec beaucoup de pinceaux dans les bras, elle s'approche de sa mère pour lui donner tous ses outils, en faisant attention à n'en faire tomber aucun.
— Y avait plein de pinceaux différents avec ces chiffres alors dans le doute, je les ai tous prises.
— Merci ma puce, c'est parfait comme ça, je vais pas tarder à retourner à l'atelier, remercie la quadragénaire avec le sourire. Vous allez sortir pour le reste de cet après-midi ou vous restez jouer ici ?
Lumi et Ambre se regardent, elles n'ont rien prévu pour le reste de cette journée. La noiraude voulait juste montrer ses vieux dessins, donc elles n'ont plus grand-chose à faire ici maintenant.
— On sort dehors, Ambrie ?
— Euh oui, ça me va.
— Ok, bah on va faire un tour dehors voir les pigeons je pense, répond Lumi.
— Très bien, faites attention dehors alors. Et merci d'être passée ici Ambre en tout cas. Reviens
quand tu le souhaites.
Après un dernier signe de la main, la mère disparaît à l'arrière de la maison, laissant les deux filles se chausser pour sortir. Dehors, le temps paraît paisible, même Grominet n'était pas là, à la sortie, pour les faire trébucher. Les deux adolescentes se baladent, sans destination fixe, se contentant juste de se laisser aller par la journée. Maintenant qu'Ambre fait attention, il est vrai que sa camarade est bien plus calme qu'à l'habitude. Cette dernière aurait trouvé un sujet de discussion quelconque ou aurait montré bien plus d'enthousiasme même si elles ne font que marcher.
— Hum... Lumi, tu vas bien ?
— Ui, ui, ça va.
— Tu es sûre ?
Lumi s'arrête. Elle laisse son sourire s'effacer pendant un moment, le temps de réfléchir, avant de revenir sur sa parole.
— Ouais, peut-être pas tant que ça. J'arrête pas de réfléchir depuis hier et je crois que plus je réfléchis, moins je me montre optimiste.
— Ah bon ? Il se passe quelque chose ? demande son interlocutrice perplexe.
— Non, rien de très spécial. C'est par rapport à mon avenir, à des trucs comme ça. Je me suis rendue compte que tu étais très douée pour interpréter des rôles, que ma mère savait très bien peindre, que je vois des gens sur Internet faire des trucs de ouf... Mais que j'ai l'impression d'être mauvaise dans tout ce que je fais. J'ai pas l'impression d'être dans mon élément quoique je fasse. Je suis nulle pour étudier, je suis nulle dans ce qui est créative et j'ai même pas les épaules pour encaisser des trucs négatifs. Du coup, je crois que je suis un peu triste. L'avenir fait peur quand je sais pas où je vais.
Ambre se montre déboussolée par cette facette de sa camarade, elle ne pensait pas la voir s'inquiéter sur ces questions là, vu comme rien ne semble la toucher. Dans ce silence pesant, la blondinette se décide à réconforter son interlocutrice.
— Je pense que tu dois encore chercher ce que tu pourrais faire. Tu trouveras peut-être quelque chose que tu aimes bien ? Tu as encore le temps.
— Peut-être... Peut-être...
Ambre grimace intérieurement, son interlocutrice ne la croit pas beaucoup. Cette dernière se met à tourner le torse de gauche à droite. Elle se met juste à soupirer en regardant le coucher du soleil, la nuit va bientôt tomber et ce sera une journée où elle n'aura rien fait de réellement significatif. Encore une fois.
— J'aimerais bien être toi.
— Hein ?
— Je veux dire... jolie, talentueuse et tout ça. Intelligente certainement, car tu parles bien et tu prends beaucoup de notes dans ce que tu fais.
— Je ne suis... Je ne suis pas...
— Des trucs comme ça, mais j'imagine que c'est pas la première fois qu'on doit t'dire un truc comme ça.
Ambre laisse son visage s'assombrir, le regard rivé vers le sol. Ce n'est pas la première fois qu'on l'envie, effectivement. En France, son jeu d'acteur fait beaucoup parler à l'école, à tel point que la blondinette a sa petite popularité. Mais voir ces regards d'admiration quand elle traverse un couloir de la part de gens qui ignorent tout d'elle a fini par la mettre profondément mal à l'aise, alors qu'elle s'en sentait flattée au tout début. Devoir sourire devant ces compliments, c'est comme devoir mentir en silence alors qu'elle voudrait dire qu'elle n'a rien d'extraordinaire et que son génie au théâtre n'est que le symbole de sa supercherie. Elle se sent comme un imposteur, comme une menteuse, peut-être même une usurpatrice. "Elle est belle, intelligente et si humble." Les gens continuent, pourtant, sans cesse de lui prêter des qualités qui ne lui vont pas. Alors Ambre serre ses poings et rétorque ce qu'elle a toujours voulu répondre.
— Lumi... Ne m'envie pas. Crois-moi, je n'ai rien d'exceptionnel. Je n'ai vraiment rien d'exceptionnel. J'ai même des défauts que tu voudrais pas avoir.
— Ah ? répond Lumi plutôt surprise par ce ton si sérieux. Je pense que peu importe tes défauts, ça ne devrait pas être si horrible que ça. Enfin, je pense que je préférerai tes défauts que ma vie actue-
— J'ai harcelé une fille jusqu'à lui faire quitter l'école, il y a trois ans, la coupe-t-elle.Ambre entend une mélodie, une mélodie très pesante et étouffante : celle d'un silence lourd. Elle n'entend plus rien, pas le bruissement des arbres, ni le bruit du train qui vient de passer à cet instant, ni celui du vent qui se lève. Rien. Elle a enfin dit ce qu'elle aurait voulu dire pendant sa dernière année scolaire. Elle se sent à la fois soulagée et anxieuse, un sentiment contradictoire.
— J'habitais en Suisse, mais j'ai déménagé en France, car j'ai harcelé une fille jusqu'à ce qu'elle quitte l'école, précise-t-elle en baissant la tête. Je lui ai fait subir des mois de souffrance pour aucune raison, en dehors de mon amusement personnel ou d'aucune logique en particulier.
— Hein ? rétorque Lumi stupéfaite et bouche bée. Euh... C'est une blague ? Une caméra cachée ?
La parisienne devine au son de sa voix que Lumi est déboussolée par cette révélation soudaine. Cette dernière doit forcément être dégoûtée, révoltée, énervée, mais ça ne sera qu'un juste retour des choses après tout. Ambre l'accepte. Ces vacances sont là pour expier ses erreurs après tout.
— Attends, reprend Lumi. Pourquoi t'es venue en Suisse alors ? Tu réemménages ici ?
— Non, je suis revenue ici pour m'excuser envers elle. Ça n'excusera en rien ce que j'ai pu faire, mais j'aimerai croire que ça peut l'aider d'une manière ou d'une autre. Si elle veut me gifler, ce sera l'occasion.
Quand elle pense à l'approche de la date fatidique, Ambre sent sa boule au ventre grandir de plus en plus. Au fond d'elle, même si c'est la chose à faire, elle redoute toujours la réaction imprévisible de son ancienne harcelée après trois ans. Surtout devant des gens, des personnes qui seront aux premières loges si jamais son ancienne camarade venait à péter un câble. Mais elle ira quoiqu'il en coûte et tout ça commence avec le fait d'être honnête avec Lumi sur son passé. La parisienne se décide de lever la tête, pour affronter le regard empli de mépris de son interlocutrice, mais elle s'aperçoit avec étonnement que Lumi se montre davantage intriguée ou même curieuse.
— Attends, c'est vrai ce que tu dis ? demande la noiraude.
Aucune animosité, aucune acidité dans le ton de sa voix, même pas un sourire nerveux. Cette fois c'est Ambre qui se montre déboussolée. Cette dernière peine à répondre correctement et se contente juste d'acquiescer. La déprime de Lumi semble disparaître d'un coup, laissant ses yeux s'illuminer d'admiration, presque de joie. La recluse s'approche brusquement de sa camarade, lui prenant les deux mains.
— C'est incroyable ! Tu as fait tout le trajet ici juste pour t'excuser envers elle ? Genre, t'as sacrifié tes vacances pour ça ? Je trouve ça incroyable ! s'exclame-t-elle. Dis moi, t'as prévu des cadeaux d'excuses ou un truc du genre ? Je suis sûre qu'elle va adorer avoir un cadeau de pardon.
— Je...
— Oh attends, est-ce que c'est une weeb comme moi ? Car j'ai un magasin incroyable où dénicher des trésors comme des figurines, des mangas et des mugs ! Y a plein de peluches. Si c'est une weeaboo, alors il faut aller là-bas.
— Attends...
— Oh, on pourrait y aller demain ? C'est quand que tu vas aller la voir ? En vrai, faut aller demain dans le doute.
— Attends Lumi, je ne te comprends pas... rétorque soudainement Ambre perturbée. Je viens de te dire que j'ai pourri la vie d'une fille, je ne plaisante pas quand j'ai dit que je l'ai fait. Alors pourquoi tu ne réagis pas comme tu devrais ? Je te comprends pas, tu devrais... Tu devrais au moins...
— Parce qu'il y a personne qui va admettre avoir pourri la vie de quelqu'un, répond franchement Lumi en baissant la tête. Tout le monde préfère dire que c'était pas si grave, que c'était qu'une blague ou oublier tout ça. Alors je trouve ça exceptionnelle de voir qu'il y a quelqu'un qui reconnait ses erreurs et qui fait un sacrifice pour se faire pardonner correctement. C'est tellement rare.
Ambre se mure en silence, surprise par la tournure bien trop positive de cette situation. Mais elle se montre encore plus surprise lorsqu'elle s'aperçoit que les yeux de Lumi brillent, signe qu'elle s'est laissée prendre par les émotions. Et pourtant, dans son discours, la blondinette a quand même perçu... Une pointe de colère, ou peut-être de frustration. La blondinette ignore quoi répondre, la situation est étrange, il se passe tellement de chose qu'elle ne sait pas trop quoi faire. La noiraude se met à rire d'un coup et sèche rapidement ses yeux humides.
— Je passe vraiment pas une journée facile aujourd'hui, se reprend Lumi. Je me suis sentie tellement émue que j'ai failli lâcher des larmes. Il manque plus que la musique du Titanic en flûte en fond là, et c'est bon, on va se mettre à chialer. T'as même le voisin qui va sortir de sa maison pour nous rejoindre, on va tous se prendre dans les bras là et faire des ronds.
De nervosité, Ambre se met à rire, ne s'attendant pas à une réponse aussi décalée. C'est une soirée étrange que les deux jeunes filles passent ensemble. À croire qu'elles avaient besoin de sortir ce qu'elles avaient sur le cœur et que c'était la bonne soirée pour ça. Au bout d'un petit moment de silence, alors que le ciel rose commence à se teinter de plus en plus en un bleu violacé, Lumi reprend la conversation, avec son enthousiasme habituel.
— Bon, du coup, on se voit demain à la gare pour cette histoire de cadeau ?
— De cadeau ?
— Oui, offrir un cadeau d'excuse pour la fille là. Je suis vraiment vraiment sûre qu'elle va aimer.
Ambre avait oublié cette histoire, beaucoup trop perturbée par le comportement inattendu de Lumi. Pourtant, elle n'est pas sûre de cette histoire, elle pensait juste s'excuser et pas sûre que son ancienne harcelée va être contente d'avoir un cadeau qui lui rappelle la fille qui lui a pourri une année scolaire de sa vie. La blondinette se racle la gorge, en se triturant la mèche.
— Hein ? Enfin... Je sais pas si elle va accepter le cadeau de ma part et je sais pas si je risque pas de donner l'impression de vouloir acheter son pardon, réussit à rétorquer la parisienne.
— En vrai, je suis sûre qu'elle sera touchée. Crois-moi ce sera une excellente idée. En plus, j'ai bien envie de revoir ma grande antre d'otaku, ça fait hyper longtemps que j'y suis plus allée, insiste-elle. Au pire, elle pourra toujours le clouer au mur pour faire des fléchettes avec.
Son interlocutrice se met à sourire, plutôt amusée. Elle finit par hausser les épaules, elle n'a rien contre l'idée de chercher un cadeau, ça n'est juste pas sa priorité. Ambre finit par acquiescer pour accepter le rendez-vous demain. Son amie finit par sautiller de joie, elle a retrouvé tout son optimisme et s'impatiente déjà d'être demain. Lumi court sur place pour déjà se préparer à rentrer chez elle.
— Alors, on se voit demain à 14h ?
— Ouais, ok, on se voit où ?
— À la gare là, il y a un train à 14h12, du coup, on pourra se préparer.
— D'accord, alors on se revoit demain, acquiesce Ambre.
— Super, super, passe une bonne soirée. Sois prête, moi je vais faire de mon mieux pour me réveiller à temps ! On se voit à la gare, bisou bisou !
Ambre voit son amie partir jusqu'à disparaître dans sa maison. Toute la pression se relâche, la blondinette s'accroupit, comme si cette tension l'avait épuisé. Normalement, elle devrait être agacée à l'idée de ne pas être traitée comme la mauvaise personne qu'elle est. Mais au fond d'elle, la jeune fille est rassurée. Rassurée d'avoir enfin pu dire les choses comme elle le voulait et rassurée que Lumi la soutient dans sa démarche. C'est égoïste de sa part de vouloir être aidée dans quelque chose qu'elle a elle-même provoqué, mais ça la soulage de ne pas être seule. En se levant enfin, Ambre prend la route pour rentrer chez elle et aperçoit les derniers faibles rayons de soleil qui touchent son visage, dans ce ciel violet, avant qu'ils disparaissent pour de bon derrière les montagnes.
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