Chapitre 10 :
Sur un escalator descendant, Lumi et Nouki contemplent un paysage qui ressemble à un immense centre commercial. Tout autour d'eux, une multitude d'enseignes s'étendent à perte de vue, bien que le duo ne puisse pas les atteindre, pour l'instant, puisqu'ils se contentent de descendre de plus en plus bas. Cependant, Lumi n'y prête aucune attention et préfère lever les yeux pour observer vers le plafond et tente d'en percevoir la profondeur, au point qu'elle a l'impression d'entrevoir le néant, ne serait-ce qu'une fraction de seconde. La jeune fille baisse brusquement la tête et se concentre plutôt sur les curieux papillons qui virevoltent autour d'eux.
Quant à Nouki, il contemple les enseignes et s'aperçoit qu'elles montrent beaucoup d'incohérences et que la majorité s'avère même vide ; la complexité du rêve ne dépendra jamais de la taille de ce dernier, ça se voit facilement avec les nombreux mondes vides qu'ils ont rencontrés. En tout cas, dans celui-ci, ils ne s'amusent pas beaucoup, la contemplation n'a jamais été une chose passionnante dans les rêves craqués de Lumi. Après un grand bâillement, Nouki se décide d'entamer une conversation :
— Ça a été hier ?
— Ouais, on a discuté des jeux vidéo. Ambre va essayer Aspromauro, j'ai pu le convertir ! rétorque sa créatrice avec beaucoup de fierté.
— Oh je vois. Tu devais pas faire un cosplay de Bianca ? Il me semble qu'il y a une convention bientôt.
— Je pense pas que j'irai à cette convention, y a aucun youtubeur qui m'intéresse et j'aime pas y aller seule.
— T'avais pas dit qu'il y avait une petite chaîne qui avait été invitée à cette convention ?
— Ouep, mais il a été enlevé à la dernière minute. Du coup, j'ai plus de raison d'y aller.
— Pourquoi ? Il voulait plus y aller ?
— Nope, il s'est retrouvé dans un drama de règlement de comptes. Du coup, la convention l'a enlevé, car mauvaise image et tout ça, tu vois ?
Une nouvelle surprenante, le raton laveur n'avait pas entendu ça plus tôt et Dieu sait à quel point sa créatrice aime trouver n'importe quel prétexte juste pour se plaindre. Mais en réalité, la noiraude ne porte pas tellement cette convention à cœur, car de toute manière, ce n'est pas la seule dans l'année. Au souvenir de ce jour où elle a appris la nouvelle que son youtubeur ne serait pas là, Lumi se balance d'avant en arrière pour exprimer son ennui, tout en émettant une longue onomatopée.
Pourtant, ce sujet interroge Nouki, il n'a jamais pu réfléchir sérieusement à cette idée farfelue que lui a émise sa créatrice sur son envie de percer dans le monde, même s'il y a des chances qu'elle ait proféré ce nouveau but, sans réfléchir, juste pour le contredire. Il ne peut pas s'empêcher de s'inquiéter sur le fait que Lumi puisse réellement envisager cette voie là. L'animal voudrait lui interdire d'essayer quoi que ce soit sur Internet, par crainte d'une aventure catastrophique, mais ce dernier a fait le serment de ne plus lui dicter sa vie, alors il se contente de juste poser des questions, voir s'il ne peut pas ébranler ses convictions.
— Hey Lumi. Euh... Tu veux toujours bien percer dans le monde, avec tes livres ?
— Ui, pourquoi ?
— Je pose des questions comme ça, répond-t-il innocemment. C'est juste que tu me parles beaucoup de choses qui se passent pas bien sur Internet comme le cyber-harcèlement ou des gens qui demandent à d'autres gens d'aller se balader sur les rails de train ou des gens qui demandent à d'autres gens d'aller sauter depuis leur fenêtre pour voir s'ils peuvent pas réussir à voler s'ils battent des bras très forts. Tu vois, des trucs comme ça.
— Ui, Internet est très cancer, même ultra cancer, mais j'suis sûre que ça se passera mieux si j'suis en anonyme.
— Oh j'suis pas sûr que l'anonymat change quoi que ce soit...
— Hein ?
— Euh, se reprend l'animal, je veux dire que... Je pense que si des gens trouvent que y a pas de problème d'aller dire à d'autres gens d'aller voir Johnny¹ un peu plus vite, je crois que c'est pas une histoire de pseudo ou d'anonymat qui les empêche d'être moins violent. Mais je cale ça comme ça, hein, je sous-entends rien, je n'émets qu'une supposition. Être célèbre mondialement veut aussi dire que les gens trouveront toujours un truc à te dire, tu vois ?
Lumi ne répond pas. Elle regarde son interlocuteur avec un regard perplexe et finit par croiser ses bras.
— T'imites un gars qui ment très mal ou t'essayes vraiment de me mentir, mais très mal ?
L'animal soupire, à force d'être toujours très frontal dans ses propos, il a perdu l'habitude d'être subtil. Il vaut mieux oublier l'idée de passer par quatre chemins et parler de ses craintes avec sa créatrice.
— Excuse-moi. En fait, je suis inquiet de savoir si tu es vraiment vraiment sérieuse sur cette histoire de célébrité. Je sais que tu es très paresseuse sur ce qui t'intéresse pas, mais je sais aussi que tu peux être tout aussi très extrême quand tu as un objectif qui te quitte pas la tête. Donc, j'ai peur de te voir lancer là-dedans et que tu réussisses des trucs, je ne sais comment, et que tu te retrouves au milieu de plusieurs critiques de gens que tu connais pas, explique-t-il. Tu n'as pas une bonne image des autres, je crains l'idée que ça puisse être aggravé.
— Tu t'inquiètes à ce point pour moi ? répond Lumi sur un ton amusé.
— Bien sûr. Oui je suis protecteur et oui parfois je suis même un protecteur très bébête, car je ne fais pas les choses de la bonne façon, je le conçois. Mais tout ce que tu me dis d'Internet et le fait que l'anonymat là-bas rend les gens sans filtre, je n'ai vraiment pas envie que tu expérimentes des choses très désagréables, car je sais que ça peut te faire beaucoup de mal. Ça m'inquiète réellement. J'ai promis que je ne te dicterai plus ce que tu dois faire, mais je te demanderai juste... J'aimerai juste que tu y réfléchisses encore correctement. Selon mon avis, tu es bien trop jeune pour te jeter là-dedans.
Nouki termine de vider son sac, il craint que son interlocutrice ne l'écoute pas et commence à faire un caprice, puisqu'elle apprécie autant se faire contredire que de manger des légumes crus. Mais cette dernière ne dit rien, son regard ne laisse rien transparaître, ni positif, ni négatif. La créature trouve ce silence étrange, même inhabituel, mais Lumi finit par plisser les lèvres avant de s'esclaffer, faisant retentir étrangement sa voix dans ce lieu immense. La jeune fille essaye d'écourter son fou rire, par peur de se faire éjecter du rêve, mais ne peut pas s'empêcher de repartir de plus belle devant le regard perdu de l'animal.
— Oh mon Dieu, c'est tellement chou. J'aurais jamais cru entendre quelque chose d'aussi adorable de ta part.
— Tu te fous de moi ou quoi ? répond l'animal sur un ton monotone.
— Non mais, je me fous pas de toi. Je trouve vraiment mignon le fait que tu m'aies vu défiler sur un tapis rouge comme une milliardaire. Je pensais vraiment pas que tu croirais en mes capacités.
— Bon, je vais te jeter dans le vide, en fait.
— Nouki est un tsundere ! Nouki est un tsundere !
Lumi répète cette même phrase, descendant vivement des escaliers pendant que son ami, très agacé, le pourchasse pour la faire taire. Ensemble, les deux amis s'enfoncent de plus en plus vers le bas, riant pour l'une et menaçant pour l'autre.
***
https://youtu.be/sOZxTrrUnhI
Sur le chemin, Ambre regarde les derniers messages, il s'agit de ceux de sa meilleure amie qui lui envoie plusieurs images qui sont censées être drôles. La blondinette soupire, range son téléphone et s'aperçoit avec surprise qu'elle n'est pas la première arrivée sur le lieu habituel du rendez-vous. Lumi s'y trouve, assise sur le banc, en train de regarder dans le vide, agitant ses jambes frénétiquement. Vue de loin, elle semble préoccupée. La parisienne s'approche et l'interpelle une, deux, trois fois, en parlant un peu plus fort à chaque tentative. Sans réaction de sa part, Ambre décide de tapoter son épaule pour attirer son attention et sa camarade sursaute, revenant subitement à la réalité. Cette dernière se rend compte que la blondinette était peut-être là depuis un moment et se déplace immédiatement pour lui faire de la place.
— Oh la la Amberine, t'es là ? Comment tu vas ? T'as pas attendu trop longtemps ?
— Non, non, je viens tout juste d'arriver. Je suis surprise de te voir en avance, admet-elle en s'asseyant à ses côtés.
— Ouais, en fait, j'crois que je réfléchissais trop fort et du coup, je suis venue plus vite, car je me disais qu'en marchant, mes idées ils seront un peu plus en place. Mais je crois que je réfléchis toujours autant fort qu'avant, c'est pas facile de trop penser quand t'as pas l'habitude de trop penser.
— Ah bon, quelque chose te préoccupe Lumi ?
Son interlocutrice marque un moment de silence, et s'arrête de bouger. Son sourire disparait un bref instant, comme si elle considérait sa question, avant de se remettre à battre des jambes et reprendre son ton énergique et maladroit :
— Pas tant que ça, j'avais une convention dans quelques jours, mais je crois que je suis assez triste de voir que y aura pas mon youtubeur, du coup j'ai plus de raison d'y aller.
— C'est dommage, il s'est désisté ?
— Non, tu sais, y a eu un drama stupide sur Twitter, car il s'est disputé avec un pote ou j'sais pas quoi. Et ça a fini en guerre mondiale, d'affaire publique, le président est au courant et tout ça. J'sais pas pourquoi fallait que ce soit en public, car bon, si on devait parler de tout ce qu'allait pas, moi je vais finir cancel sur plusieurs générations si on savait comment je me disputais avec mon ami.
Son interlocutrice acquiesce, faisant mine de comprendre les déboires de sa camarade, mais en vérité, ça fait bien longtemps qu'elle n'a plus mis les pieds sur un réseau social. Ambre hoche la tête, encore et encore, alors Lumi continue de se plaindre, s'attardant un peu sur la dispute en question, qui serait une histoire de mauvaise communication ou un désaccord sur pas mal de choses. La blondinette se trouve déjà vieux jeu en entendant l'histoire dudit drama, car elle ne comprend rien à ce qu'a expliqué Lumi, encore moins les termes spéciaux utilisés par cette dernière et ne saisit pas le concept d'étaler une dispute privée en public. Peut-être que c'est une normalité dans le monde étrange des réseaux sociaux.
— Du coup, la convention a décidé de l'enlever, car ça leur mettrait une mauvaise image. C'est ultra naze, car genre, c'était pas un youtubeur très connu et c'était une fois ultra rare qu'il passe en Suisse et le karma m'a fait un gros cheh en me disant qu'il viendra pas pour une dispute entre potes, j'ai vraiment aucune RNG.
— Ouais je vois, répond Ambre confuse. En vrai, ça fait longtemps que je traine plus sur les réseaux sociaux, du coup, je pourrai même pas dire ce qui s'est passé depuis.
— Oh, t'as aucun réseau social ? Genre, pas Insta, Twitter, Tiktok le sheytan² ou Discord ? Genre, même pas Discord ? questionne Lumi perplexe.
— Non, j'avais un Instagram et un Twitter il y a trois ans, mais j'ai fini par les supprimer.
— Ah bon ? Pourquoi tu les as supprimés ? Car t'en avais marre de voir du cancer partout ? Franchement, si c'est ça, je t'en veux même pas.
Ambre reste un moment silencieuse, ça fait longtemps qu'elle n'a plus songé à ses vieux réseaux sociaux et honnêtement, elle aurait souhaité ne toujours pas y penser. Le regard ailleurs, cogitant à sa réponse, elle en donne une évasive avec un sourire poli.
— Je n'aimais plus trop passer sur mes comptes. Je crois que j'ai préféré supprimer pour ne plus les revoir.
En réalité, la parisienne a mis ses comptes en privé. Malgré le mal-être que peut lui procurer ses anciens postes, elle ne peut pas se résoudre à les supprimer, car il y a des précieux souvenirs qu'elle risquerait d'effacer à tout jamais. Ambre essaye toujours de se rappeler d'y retourner pour aller enregistrer ces fameux bon souvenirs et supprimer ses comptes pour de bon, mais la jeune fille n'arrête pas de repousser ce moment. Pour l'instant, elle ne se sent pas prête à se confronter à son elle du passé. Son interlocutrice ouvre la bouche pour émettre un grand "oh" avant d'acquiescer.
— C'est bon, j'ai compris Ambrinette.
— Hein ?
— Je te comprends, moi aussi j'aimerai supprimer mes comptes à tout jamais...
— Ah bon ? rétorque la parisienne perplexe.
— Oui !
Lumi se lève soudainement du banc, s'ébouriffe les cheveux et s'accroupit vivement par terre. Elle attrape un vieux bâton par là et se met à dessiner quelque chose sur la terre. La recluse se confie :
— J'ai écrit et fait des trucs tellement cringe dans ma vie. J'aimerai bien supprimer tout ça, mais y a des bons trucs sur mes comptes. Alors j'suis condamnée à vivre avec mon cringe jusqu'à la fin de ma vie...
— Cringe ?
— Gênant, traduit-elle. J'ai eu une période où j'ai cru que c'était cool d'être une psychopathe yandere³ putain. Je jure que mes comptes doivent être utilisés par les brigades anti-terroristes pour torturer les criminels, là, car le niveau de cringe qui s'en dégage file des frissons de malaise.
Ambre sourit, mais elle n'est pas sûre de comprendre ce que doit raconter son interlocutrice, mais la chose qu'elle a bien saisi c'est que Lumi émet un regret par rapport à certaines choses qu'elle a faites dans le passé, certainement par manque de maturité, et se retrouve à devoir accepter malgré tout.
— Je te comprends. Moi aussi j'ai fait des choses très gênantes. Du coup, j'ai du mal à vouloir les revoir, répond Ambre avec un sourire mélancolique.
— Pas vrai ? On se comprend... Si on pouvait remonter dans le temps, je choperai la Lumi d'avant et je lui dirais "Arrête ça, c'est pas cool !", un truc du genre avec des grosses baffes de cow-boy ! Si seulement c'est possible.
— Effectivement... Si seulement.
Lumi se redresse et s'étire, pas vraiment habituée à s'accroupir de cette manière. Une question lui vient à la tête lorsqu'elle a fini de raconter son passé honteux.
— Oh mais attends, t'as vraiment zéro réseau social alors ? Wow, tu communiques que sur WhatsApp ?
— Oui, j'ai juste WhatsApp sur mon téléphone et- Ah, se coupe-t-elle dans ses pensées. Si, j'ai un réseau social, mais il est pas vraiment connu et j'y passe que de temps en temps.
— Ah bon ? Facebook ? réplique Lumi avant de se marmonner à elle-même. Un peu trop tôt...
— Non, je suis pas sûre que tu connaisses, mais c'est Qwice.
— Qwice ?
— Oui, il n'est vraiment pas connu du tout, la version bêta vient d'ouvrir pour des tests.
— Oh la la, Ambre, tu t'es à ce point perdue pour avoir trouvé un réseau social dans une partie ultra bre-som du net ?
— Bof, je crois que je cherchais des petits réseaux sociaux avant de tomber sur celui-là. Il m'a suffi.
— Je vais vite checker pour voir à quoi ça ressemble, peut-être que le logo me dira un truc.
La blondinette se contente d'émettre un sourire et Lumi décide de sortir son téléphone pour trouver des informations sur ce fameux Qwice. Ambre ne l'empêche pas trop d'aller faire ses recherches, elle ne va sur cette application que de temps en temps. Le fait qu'il ne soit pas encore très connu du grand public l'empêche de tomber sur les mauvaises personnes par hasard, le risque restera très faible, donc elle se permet de s'inscrire là-bas et songe à le quitter si le réseau devient de plus en plus populaire. Sa camarade trouve le site et s'exclame :
— Ah oui, j'ai vraiment jamais entendu parlé alors, s'exclame-t-elle en lisant en même temps. En vrai, l'interface est jolie, j'aime bien, c'est un peu pro pour un tout p'tit réseau.
— C'est ergonomique oui.
Pendant que la noiraude se balade sur la page de présentation, elle s'arrête de lire en diagonale lorsqu'elle tombe sur la rubrique valeur. Intriguée, Lumi se met à lire plus sérieusement, avant de montrer un petit intérêt. Au début, elle s'en fichait un peu de Qwice, ce n'est que par curiosité qu'elle est allée voir puisque sa camarade y traîne, maintenant, son avis semble avoir changé. Pensive, La recluse se met à gigoter davantage sur place, comme si ça l'aiderait à mieux réfléchir.
— Ils bossent sur un truc qui évite le cyber-harcèlement ?
— Oui, je pense. Ils travaillent dessus, dans mes souvenirs, pourquoi ?
— Non comme ça, je trouve ça cool.
Pendant que Lumi fixe l'écran, les yeux dans le vide, tout en se balançant de droite à gauche, Ambre regarde sa camarade du coin de l'œil. Sa réaction est difficile à cerner ; pourquoi semble-t-elle aussi intéressée, presque hypnotisée par le site ? Est-ce que c'est aussi intéressant que ça ? Ambre n'a pas mis autant de réflexion pour choisir Qwice, ça avait l'air sympa, encore discret, des arguments suffisants. Mais Lumi donne l'impression d'avoir un intérêt profond pour un simple réseau social, tellement que c'en est curieux... Pourquoi ? Au bout de quelques secondes de silence, la recluse se réveille de sa longue réflexion intérieure, déterminée :
— En vrai, tu sais quoi ? Je me plains de Twitter, de Facebook, de trucmuche, de trucpile, car c'est toxique et tout. Mais je fais jamais rien pour les quitter, alors tu sais quoi ? Je vais m'inscrire dessus, car il faut un premier pas à tout.
— Hein ? Tu vas t'inscrire ? demande Ambre surprise.
— Exactement, pour lutter contre les réseaux trop ceci, je vais m'inscrire pour Qwice ! Si j'étais présidente des réseaux sociaux, mon slogan serait "pour un Internet plus sain et pas un Internet plein de porcins."
Ambre n'est pas sûre de comprendre le discours de son interlocutrice qui semble plus concentrée à chercher le lien pour télécharger l'application que de chercher un sens à ses propos. En même temps, ça la surprend, Lumi parle comme si sa vie en dépendait. La blondinette ne s'attendait vraiment pas à ce que la noiraude veuille s'y inscrire. Elle pensait être dérangée par ça, mais finalement, après réflexion, il n'y a pas de quoi s'inquiéter à ce que Lumi veuille aller dessus. Cette dernière continue son monologue étrange sur les porcins qu'il faudrait balayer d'Internet avant de se couper pour poser une question :
— Oh, c'est quoi ton pseudo, en fait ?
— C'est Shadowhite aussi... Tu essayes de t'inscrire là ?
— Yih, j'ai trouvé là où faut s'inscrire, donc je go mettre mon meilleur pseudal, explique-t-elle tout en tapotant sur son écran.
— Si jamais, c'est la pré-inscription que tu remplis, faudra attendre que tu sois validée.
Lumi s'arrête brusquement, les yeux écarquillés.
— Hein pourquoi ? C'est une boîte de nuit et ça sélectionne qui passe et qui passe pas ?
— Eh, non... Le réseau est en phase de test, du coup, tu peux juste te pré-inscrire.
— Ah oui, tu l'avais dit, c'est vrai... Mais je serai prise à cent pour cent, hein ?
— Si t'as pas un pseudo Nazi ou quelque chose du genre, tu seras prise je pense.
— Ok, ok, alors je fais mon pré-inscription maintenant et j'espère me souvenir lorsqu'on activera mon compte là.
Lumi s'assoit de nouveau sur le banc et remplit le formulaire en question. À ses côtés, Ambre regarde sa camarade remplir la fiche d'inscription, ça ne dure pas bien longtemps, elle garde le même pseudo que sur le site d'écriture dans lequel elles se sont rencontrées. Une fois terminée, la recluse s'étire, satisfaite de ce geste anodin, comme si elle avait fait un gros effort.
— Une bonne chose de faite, j'espère que je serai vite acceptée ! Cette fois, je ne ferai rien de cringe, je ferai de mon mieux pour ne pas l'être en tout cas. C'est un nouveau départ !
— Tu ne devrais pas trop t'inquiéter, les gens sont gentils là-bas.
Le sujet prend fin et les deux jeunes filles s'évadent dans leur pensée. Ambre se sent plutôt préoccupée, reparler des réseaus sociaux lui fera repenser à ses vieux comptes pour le reste de la journée, ça s'annonce déjà désagréable. Alors elle ferme les yeux et se force à mettre son attention sur les bruits de la nature comme les bruissements des arbres, la brise légère et l'écoulement paisible de la rivière. En les ouvrant, Lumi s'approche brusquement d'elle, ce qui la surprend vivement.
— Oh. Oh. Ambrilette. Y a un sujet que j'ai là, je me demande pourquoi j'y ai pas pensé avant, mais du coup, on va pouvoir en parler !
— Un sujet ?
— Oui, oui, un sujet de conversation ! explique-t-elle. C'est quoi ton genre de garçon ?
— Hein ? demande Ambre encore déboussolée.
— Tu vois, dans les séries américaines, dans les pyjamas party, les meufs finissent toujours par parler des garçons. J'ai toujours voulu faire ça. Bon là, on est pas dans les pyjamas party, mais comme c'est presque la nuit, on va s'imaginer que c'est le cas. Du coup, on peut parler de garçon ! C'est quoi ton genre ?
Un changement de sujet assez brusque, mais la blondinette préfère réfléchir à ça, alors elle cogite. Cette dernière n'a jamais pu songer sérieusement à sa vie amoureuse depuis ces dernières années et elle n'est pas sûre d'avoir réellement un type de préférence. Pourtant, il y a bien eu quelques garçons qui lui ont déclaré leur flamme, de très bien et respectueux. Sauf qu'Ambre refusait automatiquement, avec toujours ce malaise qui persistait et elle sentait qu'il persisterait encore plus si elle laissait quelqu'un rentrer dans sa sphère intime. Elle soupire et secoue de la tête :
— Non, je suis pas sûre d'avoir un genre de gars en particulier.
— Hein ? Même fictif ?
— Fictif... Je crois que j'en ai un. C'est le protagoniste d'un livre que j'ai lu sur un site d'écriture.
— Sur le même site d'écriture que j'écris ?
— Oui, j'ai dû le lire y a trois ans, je crois, le texte était peut-être pas très bon, mais ça me plaisait quand même. Mais un jour, l'auteur a supprimé son compte et j'ai perdu le texte... Ça m'attriste, je n'ai pas pu lui dire que j'aimais bien son livre.
— Oh mince, ça arrive souvent, c'est pour ça que je sauvegarde certains textes, comme ça je suis sûre de les avoir. C'est illégal, mais ça va si je me fais pas choper, explique Lumi le pouce en l'air avec un sourire optimiste. Mais sinon, quel genre de livre il écrivait ? C'est quoi son pseudo ? C'est quoi le nom de son livre ?
— Je m'en rappelle plus trop, son pseudo était compliqué à retenir et c'était l'histoire d'un jeune homme qui part retrouver sa sœur qui s'est faite kidnapper, c'est un roman historique d'aventure, explique-t-elle.
Lumi prend un air faussement attristé, alors qu'elle est juste soulagée qu'elle ait un rival en moins. Elle se serait sentie très jalouse d'avoir un concurrent, surtout s'il écrit mieux qu'elle. Alors elle se nettoie ses sueurs invisibles, ne craignant plus pour son amour-propre.
— Il était comment ce protagoniste ? questionne la recluse.
— Plutôt gentil, maladroit, mais il voulait juste faire de son mieux. Il a beaucoup de détermination à aller chercher sa soeur.
— Oh, il est cute oui. ça doit être un petit pur, un good boy comme on appelle dans le milieu, réplique Lumi avec le pouce levé.
— Je pense que c'est ça... Et toi ?
Les yeux de Lumi s'illuminent.
— Est-ce que tu connais la kpop ?
La noiraude approche beaucoup son visage de son interlocutrice qui se sent obligée de reculer. Avec un sourire nerveux, mais poli, Ambre secoue la tête et ça suffit à ce que la recluse s'éloigne pour se lever, les jambes écartées et les poings fermés.
— La kpop c'est des groupes d'idoles coréens qui dansent, chantent et participent à des émissions de divertissements. Il y a un qui s'appelle Dino dans Seventeen, lui c'est mon chouchou ! Il est tellement sous-côté, car c'est littéralement le Dieu de la danse ! Attends, je te montre une photo.
Ambre n'a pas réussi à la comprendre, car sa camarade a parlé tellement vite qu'elle a buté et bégayé dans ses explications. La seule chose qu'elle ait comprise, c'est qu'il y a un chanteur qu'elle aime bien. Enthousiasmée par ses explications, Lumi sort immédiatement son téléphone pour montrer l'idole en question. Il s'agit d'un assez bel homme avec des traits fins et juvéniles, La blondinette pourrait presque penser qu'il est plus jeune. La noiraude se dépêche de trouver plein de trucs à son sujet, absorbée par l'univers de la kpop et finit par lui montrer des vidéos de danse durant leur entraînement. Une vidéo qui a le mérite d'intriguer la parisienne.
— Wow, ils sont très synchro, je me demande combien de fois ils ont répété pour arriver à ce niveau.
— Beaucoup ! Ce sont des gros bosseurs. T'as vu mon Dino en plus ? Il est incroyable, non ?
— Oui, oui, il est incroyable.
Même si la blondinette ne trouve que peu d'intérêt dans les idoles en général, la jeune fille doit admettre que la précision au niveau des danses et la discipline sont tellement époustouflantes qu'elle se penche, les sourcils froncés, pour s'y intéresser de plus près. Même avec la pièce de théâtre qu'elle a le plus bossé pour être sûre de bien interpréter le rôle, Ambre n'arriverait pas à ce niveau de rigueur et de persévérance que ceux de ce groupe.
— T'as vu ? T'as vu ? Mon Dino est trop bibou ! Je voudrais me marier avec un Dino dans ma vie.
Lumi montre tellement d'excitation à ce sujet que son interlocutrice ne peut pourtant pas s'empêcher de penser aux liens étranges que lui avait envoyés sa meilleure amie à trois heures du matin avec des récits érotiques autour des dinosaures. Une chose qu'elle aurait aussi voulu ne pas penser aujourd'hui. Ambre se pince l'arrête du nez et pose une question au hasard :
— Y a une raison pour laquelle tu aimes bien la kpop ou la Corée ?
— Hein ?
— Hum... Est-ce qu'il y a une raison pour laquelle t'aime bien la Corée ? répète Ambre.
— Oh ! J'aime beaucoup les émissions de divertissements coréens en vrai, car ça remonte beaucoup le moral et c'est un peu différent de ce qui se fait dans le divertissement francophone. C'est genre, vraiment un truc qui me remonte le moral à coup sûr. Je me souviens que y a une fois je me sentais pas très bien et j'étais tombée sur un weekly idol spécial chien. J'sais pas pourquoi j'ai regardé alors que je connaissais pas l'émission et j'ai tellement rigolé que j'avais oublié que j'étais triste, explique-t-elle les étoiles plein les yeux.
— Je vois, tu regardes ça pour te remonter le moral alors ?
— Oui, en quelque sorte.
D'un seul coup, pendant cette discussion, Lumi écarquille les yeux, comme si elle s'était rappelée quelque chose. Elle agite ses poings en regardant devant elle.
— Oh, mais oui, j'ai failli oublier que je devais acheter des tteokbokkis, faut que j'y aille demain pour remplir de nouveau mon petit stock là.
— Tokboki ? demande Ambre perplexe.
— Oui, un plat coréen que j'aime beaucoup. Si tu veux, je t'emmène voir le meilleur endroit de tous les temps demain ? Ça va révolutionner ta vie.
— Ah bon ? C'est quoi ?
— L'épicerie qui a ouvert, un peu à l'écart de la commune.
— Ça a ouvert depuis quand ? Je suis pas sûre d'en avoir vu une quand j'étais ici.
— Haha ! Effectivement, car ça a ouvert y a deux ans. C'est le lieu parfait. Il ouvre de 18h à 22h et y a pas beaucoup de monde. J'en ai fait ma source de ravitaillement.
La blondinette fronce les sourcils, c'est la première fois qu'elle voit un horaire de ce genre et c'est particulier puisque si c'est à l'écart de la commune et qu'il n'y a personne qui y va, comment cette épicerie tient alors depuis deux ans ?
— Y a pas eu beaucoup de monde en deux ans ?
— Oui, du coup j'adore aller là-bas, c'est super !
— Mais, ça ne risque pas de faire faillite ?
— Oh non, le magasin marche du tonnerre, car ils acceptent de livrer. Du coup, beaucoup de gens préfèrent commander.
— Ah je vois. Du coup, oui, je peux essayer de voir comment c'est.
— Super ! Alors rendez-vous demain à la même heure ici. Je te guiderai à l'une des sept merveilles du monde.
Devant l'enthousiasme de Lumi, Ambre acquiesce de la tête, avec le sourire, mais pas plus emballée que ça. Elle se trouve juste étonnée de voir le changement qu'il y a eu dans cette commune en peu de temps. C'est étrange, pourtant, la ville n'est pas le seul endroit qui a
changé, elle aussi a l'impression d'être devenue une toute autre personne depuis la dernière fois.
— Ambre ?
— Hein, oui ? Tu me parlais ?
— Oui, je te disais bye-bye, je vais rentrer puisqu'il va faire nuit.
— Oh oui, bien sûr, bonne nuit- Enfin, bonne soirée, je vais rentrer aussi. On se revoit demain.
— Yih ! Bye-bye !
En sautillant, Lumi se dirige vers l'allée en direction de chez elle. Quant à Ambre, elle reste encore un moment à contempler les environs, tout paraît mélancolique, peu importe où elle va. Lorsque le soleil disparaît devant les montagnes et que l'air commence à devenir frais, la jeune fille se lève pour se préparer à rentrer chez elle. En regardant brièvement son téléphone, elle aperçoit des messages de sa meilleure amie qui lui demande comment ça se passe avec des images étranges qu'elle ne cherche plus à comprendre. La parisienne reste un moment immobile devant l'écran avant d'écrire un message.
"Je vais le faire."
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Johnny : Une référence au chanteur Johnny Hallyday, décédé 2017.
RNG : RNG signifie générateur de nombres aléatoires. Ceci est défini comme un appareil ou un algorithme qui propose des nombres par hasard. Donc la RNG dont fait référence Lumi fait plutôt office de la chance.
Sheytan : Terme arabe qui signifie "diable", Lumi regarde un peu trop RebeuDeter, apparemment...
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