Chapitre 6

Le soleil commençait à peine à montrer ses premières lueurs lorsque Mostès sauta hors de son lit. Il enfila rapidement ses habits et passa sa cape grise sur ses épaules. Il sortit de sa petite chambre et s'engagea dans la couloir. Il ne croisa personne et s'arrêta quelques chambres plus loin. Il toqua à la porte et entra sans même attendre de réponse.

Il découvrit alors Jisty en train de s'habiller, Dovol assis sur son lit et Nohan encore allongé. Les trois amis se partageaient une même chambre, même si cela était plutôt rare pour des membres issus de branches différentes. L'Assassin mît rapidement son haut, cachant ainsi son torse musclé. Il passa une main dans ses cheveux et lança :

- Eh bien mon grand, qu'est-ce que tu fais là de si bon matin ?

- Rendez-vous à midi à la taverne de l'Ours dansant, s'exclama le jeune homme.

Nohan et Dovol, qui n'étaient pas complètement réveillés, ouvrirent en grand les yeux et se redressèrent.

- Et sinon, bonjour ? demanda Dovol en haussant un sourcil.

- Oui, excusez-moi, se reprit Mostès. Bonjour à tous !

- Bonjour ! enchaînèrent en cœur les trois amis, déclenchant un fou rire général.

- Pourquoi veux-tu que nous allions à la taverne ce midi ? s'enquit le Veilleur une fois qu'ils se furent tous calmés.

- J'ai quelque chose à vous dire, et je préfèrerais ne pas le faire ici, répondit le jeune homme.

- Bien, nous y serons, assura Jisty en enfilant ses chaussures.

Mostès échangea un sourire avec l'Assassin et sortit rapidement de la chambre. Il traversa quelques couloirs et déboucha dans la grande salle. Il saisit au passage un morceau de pain laissé sur une table et se dirigea vers la grande porte. Il sortit et gravit le long escalier qui lui permettait d'arriver dans une petite allée de Clairecombe.

N'ayant aucune mission à faire ce matin, le jeune homme en profita pour errer calmement dans les rues et laisser divaguer son esprit. Il en avait besoin en ce moment.

Cela faisait presque dix-huit années que Mostès était présent dans ce monde, et il n'avait pas l'impression d'avoir accompli quelque chose qui lui tenait à cœur. Cela le peinait car il n'aspirait qu'à une chose : être heureux. Mais sans sa sœur à ses côtés, ce souhait s'avérait irréalisable. La Confrérie des Ombres ne se décidait visiblement pas à lancer un assaut contre le pouvoir royal, au grand désespoir du jeune homme.

L'air froid amené par une bourrasque de vent s'engouffra soudain sous la cape de Mostès. Celui-ci réprima un frisson et tint sa cape bien fermée. La foule avait déjà envahi les rues et les commerces commençaient leurs affaires. Le naturel de cette ville tout de même sombre plaisait au jeune homme. Il se sentait parfaitement inconnu. Une personne parmi de nombreuses autres, voilà ce qu'il était. Et cela lui convenait à merveille.

Laissant à nouveau ses pensées dériver, Mostès se remémora la première fois où il avait utilisé ses capacités d'Alchimiste. Complètement involontairement, d'ailleurs. Il devait avoir seize ans ce jour-là. Cette découverte l'avait tout d'abord apeuré, puis il avait été impressionné par ces dons hors normes. Il s'était finalement familiarisé avec sa véritable nature et savait désormais utiliser la plupart du temps ses pouvoirs, ou du moins une partie. Il pouvait montrer aux gens leur plus grande peur, mais sans toutefois la connaître, ce qui parfois le frustrait.

Après s'être longtemps laissé aller dans les allées de Clairecombe, Mostès estima qu'il était temps de se diriger vers la taverne de l'Ours dansant pour y attendre ses amis. L'annonce qu'il allait leur faire n'était pas des moindres, et déjà son cœur battait un peu plus vite.

Traversant plusieurs rues, le jeune homme arriva rapidement à ladite taverne et poussa la porte où un ours bleu était dessiné. Sans enlever sa capuche, il alla s'installer à une table ronde un peu reculée. L'endroit était à moitié rempli et ne le serait sûrement pas plus avant le soir. Un homme bedonnant au crâne luisant s'approcha de Mostès en lui demandant avec un air ennuyé ce qu'il désirait boire. Le jeune homme commanda quatre chopes de la boisson du jour, une boisson qu'il n'avait jamais goûté. Mais à vrai dire, il se fichait éperdument de savoir s'il allait aimer la boisson, il était plutôt anxieux quant à ce qu'il allait dire à ses amis.

Les breuvages arrivèrent quelques minutes plus tard. À peine l'homme les avait-ils posés que Jisty, Nohan et Dovol firent irruption dans la salle. Ils repèrent le jeune homme et se faufilèrent jusqu'à lui. Ils s'assirent nonchalamment et Jisty entra immédiatement dans le vif du sujet :

- Alors mon grand, pourquoi tu nous as dérangé ?

Mostès se racla la gorge puis laissa tomber la nouvelle :

- Je quitte la Confrérie des Ombres.

Un long silence suivit la déclaration. L'Assassin était bouche bée tandis que les autres gardaient un visage impassible.

- Tu es sûr ? balbutia Jisty.

- Tu as prêté serment à la Confrérie, je te signale, lui rappela sèchement Nohan.

- Je le sais, se justifia Mostès. Mais je me suis fait une promesse à moi-même bien avant celle que j'ai faite à la Confrérie : je me suis juré de toujours protéger ma sœur. La Confrérie des Ombres ne se décide pas à lancer un assaut contre le Roi. Je pense qu'il est temps que j'honore la promesse que je me suis faite. Et je vais le faire seul.

- Ainsi, tu pars sauver ta sœur ? demanda Dovol.

- Oui.

- Je m'en doutais, marmonna la Voleur. Ta famille passe avant tout, et c'est honorable je trouve.

- Tu brises tout de même un serment, répliqua Nohan, glacial.

- Je le sais, rétorqua le jeune homme, sur la défensive. J'y ai longuement réfléchi, et j'ai dû prendre une décision. Je ne changerai plus d'avis désormais.

- Tu pars aujourd'hui ? questionna l'Assassin, visiblement déçu.

- Oui, affirma le jeune homme.

- Si ta décision est prise, nous ne te retiendrons pas, dit Dovol. Seulement, des oreilles traînent partout, et dès que la Confrérie aura appris ton départ, elle lancera des gens à ta recherche, de peur que tu sois un traître et que tu divulgues des informations. Tu vas être traqué, champion. Mieux vaut pour toi que tu partes le plus tôt possible.

- Et vous ? Je vais vous causer des problèmes en partant ainsi. Vous allez être accusés de complot, non ?

- Ne t'inquiète pas pour nous, le rassura Dovol en souriant. On trouvera bien quelque chose à leur dire !

Mostès hocha la tête en silence. Son cœur battait la chamade, sans qu'il ne sache vraiment pourquoi. Peut-être la nostalgie de quitter ses amis, ou bien l'angoisse de découvrir seul le monde.

- Je peux te parler quelques secondes ? demanda Jisty au jeune homme.

Celui-ci acquiesça et ils sortirent tous les deux par la petite porte de derrière qui menait à une ruelle. L'Assassin poussa un soupir en s'adossant contre le mur de pierre et passa un main dans ses cheveux châtains. Mostès, quant à lui, demeura bien droit, debout devant son ami.

- Je... je ne sais pas par où commencer, avoua Jisty en levant les yeux au ciel.

- Je suis désolé de vous laisser, s'excusa Mostès pour aider son ami à parler.

- Non, ne t'en fais pas, le rassura-t-il avec un sourire triste. Ça va seulement me faire bizarre d'aller assassiner des gens sans toi.

- Et moi ça va me faire bizarre de ne plus entendre tes stupides blagues, renchérit le jeune homme.

- Comment ça, mes stupides blagues ? s'insurgea faussement Jisty.

Les deux amis rirent ensemble. Ils se regardèrent ensuite dans les yeux, voulant graver le regard de l'autre dans leur mémoire.

- Et aussi, mon grand, ajouta l'Assassin. J'ai un petit conseil à te donner : tu n'y arriveras pas seul. Je ne doute pas de toi, sois-en certain, mais personne ne peut accomplir des grandes choses seul. J'ai cru, quand j'étais jeune, que je pourrais toujours me débrouiller seul. Puis j'ai rencontré Nohan et Dovol, et je suis entré au sein de la Confrérie des Ombres. C'est là que j'ai découvert que seul, je n'étais rien. Il faut seulement savoir faire confiance aux bonnes personnes. Prends avec toi des gens qui ont un intérêt commun avec toi, mon grand. Choisis des personnes de confiance, du moins pour un temps, et tu y parviendras, mieux que quiconque.

- Je suivrais ton conseil, Jisty. Merci.

L'Assassin ouvrit ses bras et Mostès vint s'y loger, lui rendant son étreinte.

- Je ne suis pas habitué aux émotions, mais je dois dire que tu vas me manquer, admit l'Assassin d'une voix émue.

- Je reviendrais, je te le promets.

Les deux amis s'écartèrent et allèrent rejoindre les autres à l'intérieur de la taverne.

- Vous en avez mis du temps, lança Nohan, taquin.

- On s'est dit des petits secrets, rit l'Assassin, sa joie à moitié retrouvée.

- Tu parles, souffla Mostès, amusé.

- Bon, on peut se voir un peu, Mostès ? demanda à son tour le Veilleur.

Un peu surpris, le jeune homme accepta. Nohan n'avait pas été très agréable avec lui lorsqu'il avait annoncé qu'il quittait la Confrérie, il n'avait pas eu l'air d'apprécier sa décision. Une fois dehors, le Veilleur commença sans attendre :

- Excuse-moi pour mon attitude, tout à l'heure.

- Il n'y a rien à pardonner, le coupa Mostès en lui adressant un regard chaleureux.

- Si, continua Nohan. J'ai été désagréable avec toi. À vrai dire, j'ai été surpris de ta décision, je ne m'y attendais vraiment pas. Je ne l'approuve pas forcément, mais je la comprends. Nous n'avons pas les mêmes priorités dans la vie, toi et moi, mais qu'importe, ce n'est pas pour cela que je dois te mépriser. Tu as mon amitié, Mostès, et ça, ça ne changera jamais.

- Merci, murmura le jeune homme, trop ému pour prononcer d'autre parole.

- S'il te plaît, fais une seule chose pour moi, chuchota le Veilleur.

- Bien sûr.

- Suis ce que te dicte ton cœur, dit Nohan en posant son doigt sur la poitrine du jeune homme. 

- Je n'y manquerais pas, le rassura celui-ci en souriant.

- Allons rejoindre les autres, maintenant.

Jisty et Dovol les attendait visiblement avec impatience.

- Qu'est-ce que vous attendez, vous ? demanda Nohan en souriant.

- Oh rien, sourit l'Assassin. Dovol attend seulement son tour.

- Je dois vraiment me farcir tous vos discours d'adieu ? se plaignit Mostès pour plaisanter.

- Plus que moi, champion, courage ! lança le Voleur.

Le jeune homme se dirigea pour la troisième fois vers la porte, mais son ami l'arrêta :

- Pas besoin d'aller dehors, mettons-nous juste un peu à l'écart.

Mostès obtempéra et ils s'éloignèrent de quelques pas du brouhaha incessant.

- Je voulais seulement te dire de prendre soin de toi.

Le jeune homme acquiesça, la gorge nouée. Il avait depuis quelques années considéré Dovol comme son propre père, et le quitter lui ferait beaucoup de peine.

- Je veux que tu me reviennes vivant, et en un seul morceau, tu m'as bien compris ? appuya le Voleur en fixant intensément le jeune homme de ses yeux bleus.

- Oui, je ferais de mon mieux, assura Mostès.

- Bien, c'est tout ce que je voulais entendre, murmura Dovol. Il est temps que tu partes, maintenant.

Les quatre amis se réunirent à nouveau et un silence s'installa. Mostès croisa tour à tour le regard de ses camarades, tous remplis de de tristesse.

- Ma décision est prise, je dois y aller, lança le jeune homme, la gorge nouée.

- Oui, il vaut mieux, confirma Jisty, dont les yeux verts brillaient.

- Tu as toutes tes affaires sur toi ? s'enquit Dovol, prévenant.

Mostès hocha la tête. Après tout, ses affaires se résumaient à quelques objets. Il n'emportait aucun vêtement, il s'en procurerait au fur et à mesure sur sa route. Les divers objets qu'il emmenait se trouvaient dans les nombreuses poches de son pantalon et de sa cape.

- Tiens, lui dit Nohan en lui tendant une bourse de cuir noir. Un peu d'argent. Tu vas en avoir besoin.

- Non, je te remercie, déclina le jeune homme poliment.

- Accepte cette petite aide, insista le Veilleur. Ça me rassurera, et ça t'aidera.

- Oui, il a raison, renchérit Dovol en sortant sa bourse. Prends la mienne aussi, je n'en ai pas besoin, moi.

En même temps, Jisty avait sorti la sienne et l'avait posé sur la table. La gorge encore plus serrée, Mostès remercia ses amis d'un signe de tête qu'ils comprirent tous, et entreprit de transférer toutes les pièces de bronze dans une même bourse. Celle-ci était maintenant bien remplie et avait du mal à se fermer. Il l'accrocha fermement à sa ceinture.

- Voilà qui est mieux, sourit le Veilleur.

- Vous allez me manquer, murmura Mostès.

Il ne pût retenir plus longtemps ses larmes et celles-ci roulèrent silencieusement le long de ses joues. C'était la première fois depuis de longues années qu'il pleurait. Il n'aurait pas imaginé que le fait de quitter ses amis serait si dur.

- Ne pleure pas, il n'y a aucune raison de pleurer, lança Nohan, dont le visage était dénué d'expression. Sois plutôt heureux de partir sauver ta sœur.

Mostès essuya brusquement ses larmes, puis il se dirigea vers son ami Jisty. Il prit celui-ci dans ses bras et agrippa nerveusement ses habits. Les yeux verts de l'Assassin menaçaient de déborder de larmes. Ils restèrent enlacés pendant de longues secondes. Lorsqu'enfin ils se détachèrent, le jeune homme ne jeta pas à un regard en arrière, de peur d'agrandir sa peine.

Il s'avança vers Nohan et l'étreignit avec force. Le Veilleur, d'habitude froid, lui rendit chaleureusement son étreinte. Enfin, Mostès se planta devant Dovol et plongea ses yeux dans ceux bleus pétillants de son ami. Il le prit finalement dans ses bras, laissant à nouveau couler ses larmes.

- Prends soin de toi champion, chuchota Dovol à l'oreille du jeune homme.

Ils s'écartèrent et Mostès recula de quelques pas. Il entendit Jisty murmurer :

- Tu vas me manquer mon grand.

Le jeune homme n'ajouta rien. Il croisa seulement une dernière fois les regards de chacun de ses amis, de ses seuls amis, puis lança doucement :

- À bientôt...

Il tourna immédiatement les talons et marcha rapidement vers la sortie. Une fois dehors, il se glissa dans une ruelle et monta sur les toits. Il allait en direction de la sortie de la ville, pour enfin partir à la découverte du monde.

Un vent de liberté caressait son visage mouillé de larmes. Il n'était, en réalité, pas très heureux d'être enfin libre. Il n'oubliait pas son but : retrouver sa sœur et vivre enfin avec elle. La présenter à ses amis, être heureux.

En repensant à ses amis, sa gorge se noua à nouveau. Il espérait de tout cœur les revoir un jour. Il ne leur avait d'ailleurs pas dit à quel pont il leur était reconnaissant pour tout ce qu'il lui avait enseigné. Il leur dirait la prochaine fois qu'ils se verraient.

Du haut de ses dix-sept ans, Mostès allait tenter quelque chose que personne n'avait fait : attaquer un palais royal et en délivrer ses prisonniers. 

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