Chapitre 5 (partie 2)
Mostès et Jisty avaient longuement marché dans Clairecombe afin de retrouver Nohan et Dovol. Une fois réunis, le Veilleur et le Voleur avaient été très heureux de retrouver Mostès sain et sauf. Nohan avait rapidement examiné la blessure du jeune homme et l'avait sommairement soigné.
Puis, les quatre amis s'étaient rendus dans une taverne qu'ils connaissaient bien pour pouvoir enfin s'assoir et mieux parler.
Ils étaient désormais attablés dans un coin, loin des regards indiscrets, une chope de boisson alcoolisée à la main. Les trois adultes laissaient le temps à Mostès de boire et de souffler un peu, mais ils étaient en réalité plus qu'impatients de lui poser des questions. Le jeune homme but quelques gorgées et reposa calmement sa chope sur la table en bois.
- Comment tu t'en es sorti ? commença promptement Dovol.
- D'abord, répliqua Mostès en s'avançant légèrement, comment savez-vous que j'ai été attaqué ?
- Nous savions que tu étais seul en mission ce matin, expliqua Nohan. Nous étions déjà inquiets de ne pas te voir revenir, puis un membre de la Confrérie a déboulé dans notre chambre. Il nous a dit qu'il t'avait vu, coincé dans une ruelle face à une vingtaine de soldats.
- Quelqu'un m'a vu ? l'interrompit le jeune homme. Et il ne m'est pas venu en aide ?
- J'ai pensé exactement la même chose, renchérit Jisty d'un ton véhément. Si j'avais un peu moins d'honneur, je l'aurais volontiers frappé, ce lâche !
- Calme-toi, le réprimanda Dovol. Nous ne sommes pas seuls ici, pas la peine d'attirer l'attention sur nous.
Les quatre amis jetèrent un regard autour d'eux, mais les gens ne semblaient pas leur accorder de l'attention. Ils riaient, buvaient, jouaient, et parlaient bien plus fort qu'eux.
- Bon, là n'est pas la question, reprit Dovol en se concentrant à nouveau. Comment tu t'en es sorti, Mostès ?
Les regards de ses trois amis étaient rivés de lui. Le jeune homme hésitait à tout leur révéler. Il pourrait très bien leur mentir, aussi bon menteur qu'il était. Mais après tout, ils étaient les personnes en qui il avait le plus confiance, et ils étaient les seuls qui pourraient l'aider à trouver des réponses.
- Eh bien, débuta Mostès. J'ai d'abord voulu les attaquer, pour tenter de sauver ma peau, comme toute personne normale le ferait. J'ai abattu quelques soldats, mais ils étaient vraiment bien armés. J'ai essayé de tuer leur chef, mais j'ai échoué et j'ai écopé de cette blessure à la jambe.
Malgré la situation, Dovol esquissa un sourire. Comme le jeune homme n'avait pas reçu d'éducation de la part de ses parents, décédés trop tôt, Dovol s'était chargé de lui apprendre à lire et à écrire, et également à enrichir son vocabulaire. Voir que le jeune homme utilisait ses leçons le remplissait de bonheur.
- Et ensuite ? le pressa l'Assassin.
- L'un des soldats a voulu me tuer.
- Mais pour quelle raison voulaient-ils ta mort ? questionna Jisty.
- Je pense que c'est lié à ta mission de ce matin, intervint Nohan. Tu as dû voler quelque chose d'important, Mostès.
- J'ai surtout assassiné le propriétaire de la bague, dit le jeune homme d'un ton neutre en buvant une gorgée de sa boisson.
- Quoi ? s'insurgea Dovol. Je t'avais pourtant dit de ne pas tuer. Pas étonnant que tu aies les soldats à dos, maintenant.
- Je n'avais pas le choix ! se défendit Mostès.
- Bon, passons, intervint le Veilleur. On ne peut plus rien y faire désormais.
- Continue, mon grand, lui intima Jisty.
Mostès jeta un regard incendiaire à son ami, à qui il avait répété mille fois de ne pas l'appeler ainsi, puis continua :
- Ensuite... je... je voulais mourir dignement. J'ai alors regardé le soldat droit dans les yeux pour lui faire ressentir toute ma haine. Et il a eu une réaction plutôt... inattendue. Il a crut qu'un grand gouffre le séparait de moi, alors qu'il n'y avait rien ! Il est alors parti en courant, et il avait l'air d'avoir extrêmement peur. Le chef des soldats a alors voulu me tuer. Je lui ai dit tout ce que je pensais de lui, et il a cru voir un fantôme ou une apparition derrière moi. Je me suis retourné, et je n'ai rien vu. Il avait visiblement trop peur pour rester, et il a donné l'ordre à ses soldats de partir.
Un grand silence suivit la tirade du jeune homme. Les trois adultes le fixaient tout en étant perdus dans leurs pensées.
- Ça, c'est du jamais vu, souffla Jisty en se passant une main sur le visage.
- Te rappelles-tu avoir fait quelque chose... d'inhabituel lorsque les soldats ont eu cette réaction réaction ? questionna Nohan, qui avait envie de comprendre.
Mostès se concentra et tenta de revivre le plus fidèlement possible la scène de l'après-midi.
- Je... rien ne me vient, s'excusa le jeune homme.
- Pas même les sentiments, les émotions, ce que tu ressentais ? insista le Veilleur. À quoi pensais-tu lorsque tu as vu ce soldat s'approcher de toi pour te tuer ?
Le jeune homme ferma les yeux pour focaliser son attention. Il revit le soldat s'approcher de lui, son épée à la main.
- Décris-nous tout en détail, l'incita Dovol.
- Le soldat s'avance vers moi, rapporta Mostès. Il veut me tuer. Ma mort est proche, je le sens. Je pense à vous, à ma sœur. Je veux profiter une dernière fois des sensations de la vie. J'écoute les oiseaux, la foule, je sens les différentes odeurs. C'est agréable. J'ouvre les yeux. Le soldat est juste devant moi. Je le défie du regard...
- C'est bon, coupa Nohan.
Mostès rouvrit brusquement les yeux et tous les regards convergèrent vers le Veilleur.
- Qu'est-ce qui est bon ? rétorqua Jisty, légèrement agacé.
- Je sais, affirma Nohan. J'ai compris ce qu'il s'est passé.
- Surtout ne te presse pas pour nous en informer, lança l'Assassin.
Celui-ci écopa de regards noirs de la part de ses trois amis. Après quelques secondes, le Veilleur commença :
- Bon, je ne suis pas complètement sûr de moi, mais je pense avoir la réponse.
- Bon, tu nous expliques, là ? intervint Mostès. Parce que Jisty a raison, tu fais un peu trop durer le suspens.
- Ah ! Merci de me soutenir, mon grand ! lança l'Assassin.
Les deux amis échangèrent un sourire complice.
- En même temps, si vous ne me laissez pas parler... , se justifia le Veilleur.
- C'est bon ? intervint Dovol, agacé. Vous avez fini ? On peut passer aux choses sérieuses ?
Les trois amis se raclèrent la gorge en signe de gêne et baissèrent la tête.
- J'allais donc dire, reprit le Veilleur, que mon oncle me racontait souvent une histoire. Il y croyait de tout son cœur car il avait l'espoir d'un monde meilleur.
- Quelle est cette histoire ? s'enquit Mostès curieux.
- C'était il y a longtemps, alors qu'un nouveau Roi venait de conquérir le continent, raconta Nohan. Ce Roi avait peur qu'une quelconque menace vienne troubler son règne déjà instable ; il voulait ainsi qu'aucune personne n'ait la capacité de le renverser. Cependant, certaines personnes le pouvaient : il s'agissait des Alchimistes. Ces personnes avaient appris à acquérir certaines capacités très inhabituelles, et cela seulement en prenant conscience de tout ce qui les entourait. Les Alchimistes, d'ordinaire pacifistes, avaient voulu protester devant la tyrannie du nouveau Roi, mais celui-ci écrasa la rébellion en rasant complètement leurs quelques villages situés dans une forêt isolée. Et l'élément le plus important est que les Alchimistes avaient tous les yeux gris.
- Tu veux dire que mes yeux gris me conféreraient en quelque sorte des pouvoirs ? demanda Mostès du tac au tac.
- Non, rectifia Nohan. Les yeux gris ne sont pas la cause de ces capacités hors du commun. Toujours est-il que c'est un élément qui peut attester de tes origines.
- Pourquoi tous les Alchimistes avaient-ils les yeux gris ? s'enquit le jeune homme, curieux.
- Un légende dit que les Alchimistes auraient tellement étudié et scruté leur environnement que leurs yeux seraient devenus gris. Mais comme je l'ai déjà dit, ça, ce n'est qu'une légende.
- Savoir l'origine d'une couleur d'yeux n'est peut-être pas le plus important en ce moment, intervint Dovol. Comment savoir si Mostès est réellement un Alchimiste ?
- Ça, c'est une autre histoire, lança le Veilleur en buvant à grandes gorgées sa boisson.
- Tu ne viens pas de dire qu'un Roi avait décimé tous les Alchimistes ? questionna Jisty.
En même temps, l'Assassin prit la chope des mains de Nohan et la posa brusquement sur la table, en marmonnant "Arrête un peu de boire, toi".
- Certes, le Roi avait détruit les villages des Alchimistes, admit le Veilleur en fronçant les sourcils. Mais mon oncle était persuadé qu'il restait des Alchimistes, qui n'habitaient pas dans les villages principaux ou qui avaient réussi à s'enfuir.
- Admettons qu'il reste des Alchimistes et que j'en sois un, réfléchit Mostès. Quelles capacités extraordinaires je possède alors ?
- D'après ce que tu nous as raconté, je dirais que tu parviens à créer des illusions, supposa Nohan. Et plus précisément la plus grande peur des gens.
- Tous les Alchimistes ont cette capacité ?
- Non, cela dépend de chaque personne, il me semble. Et avec le temps, tu parviendras à acquérir plus d'expérience et à mieux maîtriser tes dons, ainsi qu'à apprendre de nouvelles capacités.
Il y eut un grand silence, et Mostès en profita pour réfléchir. Il ne s'attendait pas à une telle nouvelle. Si cela l'avait tout d'abord excité, il était désormais plein de doutes et d'hésitations.
- Attendez, intervint tout à coup Dovol. Mostès, tu ne m'avais pas dit que ta sœur possédait également des yeux gris ?
- Si, effectivement, confirma le jeune homme.
- Son enlèvement doit être alors lié à cela, réfléchit Dovol. La traque des Alchimistes ne doit pas être terminée, même si cela s'est passé il y a des siècles.
- Vous pensez qu'ils ont tué ma sœur ? demanda promptement Mostès.
- Honnêtement, je ne pense pas, le rassura Jisty, ne voulant pas faire de peine à son ami. S'ils avaient voulu la tuer, ils l'auraient fait immédiatement.
- Et pourquoi ne m'ont-ils pas enlevé moi aussi, alors ? questionna le jeune homme, la mâchoire crispée.
- Le Roi ou les soldats ne devaient pas savoir que tu étais toi aussi un Alchimiste. Ta sœur avait peut-être déjà acquis certaines capacités. Te rappelles-tu de quelque chose ?
Mostès chercha dans ses souvenirs même s'il n'en avait aucune envie. Mettre ces souvenirs de côtés avait déjà représenté une grande difficulté, mais replonger dedans s'avérait être très douloureux. D'autant plus que cela faisait trois ans que sa sœur Issia avait été enlevée. À cette pensée, sa lèvre inférieure se mît à trembler. Il se sentait affreusement coupable de ne rien faire pour aller sauver sa jumelle.
- Je suis désolé, souffla Dovol. Si tu veux, on peut en reparler une autre fois, champion.
- Non, c'est bon, refusa-t-il. Je me souviens de quelque chose... Un jour, je m'étais égratigné la main alors que je courais dans la rue. Issia m'avait alors amené dans une petite ruelle et m'avait prit la main. Elle avait alors soigné mon égratignure d'un seul regard ! Cela m'avait d'abord paru étrange, mais j'étais jeune, et j'avais bien vite oublié cet événement.
- Dites-moi que je rêve, murmura Jisty, éberlué.
- Voilà qui expliquerait beaucoup de choses, affirma Dovol en se reculant dans sa chaise.
- Est-ce que tu te sentirais de ressayer d'utiliser tes dons maintenant, mon grand ? intervint Jisty.
- Euh... je veux bien, accepta Mostès.
- Allons dehors alors, ordonna Nohan en jetant quelques sous sur la table pour payer les boissons. On risquerait de nous voir ici.
Mostès remit sa capuche et les quatre amis sortirent rapidement de la taverne. Le soleil s'était couché et la lune éclairait faiblement les rues presque désertes. Ils se placèrent dans un coin, à l'abri des regards, et Jisty proposa :
- Vas-y mon grand. Utilise ta capacité et fais moi peur.
Le jeune homme hésitait. Il se remémorait les réactions qu'avaient eu les soldats, et il ne voulait pas faire subir la même chose à son ami.
- Écoute, je ne sais pas si c'est une bonne idée... , dit-il.
- Ne t'en fais pas, le coupa l'Assassin. Fais-le, je te le demande. Je suis résistant, ne t'inquiète pas.
Il fit un clin d'œil au jeune homme, mais celui-ci n'était toujours pas confiant. Toutefois, il se concentra et ferma les yeux. Il ouvrit soudain les yeux et tenta de passer toute l'énergie qu'il y avait en lui dans son regard gris. Le regard planté dans celui de l'Assassin, Mostès attendit, mais il ne se passa rien.
- Je... je n'y arrive pas, s'excusa-t-il en baissant les yeux.
- Prends conscience de ce qui t'entoure, le conseilla Nohan. Prends en compte ton environnement, je ne sais pas comment ni pourquoi, mais fais-le, c'est ainsi que les Alchimistes faisaient selon mon oncle.
Mostès hocha la tête et se concentra à nouveau. Il prit soin de scruter son environnement dans les moindre détail, puis il ferma les yeux. Il écouta le chant des quelques oiseaux nocturnes, respira l'air frais de la nuit, se baissa pour effleurer du bout des doigts les pavés humides. Puis il se releva, ouvrit les yeux et planta son regard dans celui vert chaleureux de Jisty. Mais encore une fois, après quelques secondes, rien ne se passa.
- Je pense que tu dois être en proie à une forte émotion pour que cela active ta capacité, suggéra l'Assassin.
- Toujours est-il que je suis incapable de me servir de mes dons, admit Mostès.
- Sûrement parce que ce n'est pas réellement des dons, expliqua Nohan. Même si tu descends des Alchimistes, pour cela je n'ai aucun doute, il faut tout de même t'exercer.
- Je m'entrainerais, promit Mostès, déterminé.
- Il faudra que tu fasses encore plus attention désormais, le mît en garde Dovol. Tu as fais voir tes pouvoirs aux soldats, le Roi sera encore plus à tes trousses, champion.
- Je serai sur mes gardes, assura le jeune homme.
- Je compte sur toi, champion, sourit Dovol.
- J'en peux plus, souffla Jisty. Cette journée a été épuisante.
- Tu as raison, confirma le Voleur. Il est grand temps de rentrer, tout le monde doit être exténué. Comment va ta blessure, champion ?
- Ça va, le rassura le jeune homme.
Les soins que lui avait prodigués Nohan l'avait soulagé, mais la douleur commençait à refaire surface avec la fatigue. Les quatre amis se dirigèrent vers le lieu d'habitation de la Confrérie des Ombres. Mostès était un peu inquiet quant à la découverte qu'il venait de faire sur lui-même. Mais d'un autre côté, il voyait ses nouvelles capacités comme un atout pour la suite, et notamment lorsqu'il irait sauver sa sœur.
Plus déterminé que jamais, Mostès avançait dans les rues en compagnie de ses amis. Il était plus proche de son but que jamais, et il allait bientôt pouvoir retrouver sa sœur.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top