Chapitre 16
Mostès marchait hâtivement entre les arbres alors que les derniers rayons du soleil éclairaient faiblement ses pas. La tête baissée et le visage fermé, ses remords étaient en train de le ronger, lentement mais sûrement.
Il repensait à son emportement face à Sinoran ; il ne savait pas ce qui lui avait pris, mais il allait s'excuser et il espérait de tout cœur que ses camarades le pardonneraient. Le palais principal de la famille Caly, qui gouvernait le Sud, n'était plus très loin. Même si l'angoisse du jeune homme était constamment alimentée par ses doutes concernant l'état de sa sœur jumelle Issia, il ne pouvait réprimer la lueur d'espoir dans son coeur.
Mostès n'eut aucun mal à retrouver le campement de ses camarades. Ils étaient tous éveillés et faisaient le compte de leurs provisions restantes. Lorsque le jeune homme se montra, un silence pesant s'abattit sur la petite clairière. Adoptant tant bien que mal un visage serein, il rassembla tout l'optimisme, le calme et la sociabilité qui l'habitaient couramment et déclara :
– Je tenais à vous présenter mes excuses pour mon comportement de tout à l'heure. Je... je ne sais pas ce qu'il m'a pris, surtout que tout ce qui nous est arrivé était de ma faute.
Devant le silence qui s'offrait à lui en guise de réponse, Mostès enchaîna :
– Et merci Danney de nous avoir sauvés.
– Excuses acceptées, lança la jeune femme d'un air assuré.
Mostès s'étonnait toujours de voir cette frêle jeune femme tantôt sensible et timide, et tantôt fière et affirmée. D'ailleurs, elle avait ici parlé au nom de tous, même si les regards en biais que lui lançaient les deux autres en disaient long.
Malgré la tension palpable, le jeune homme était soulagé d'avoir à nouveau intégré le petit groupe. Pour ne pas perdre de temps dans leur périple, il prit le risque de s'exprimer :
– Nous ne sommes plus très loin du palais principal de la famille Caly. Encore deux ou trois jours de marche, puisque nous n'avons plus de chevaux.
– Au moins, tu as regardé l'itinéraire, enfin quelque chose d'utile, lança Sinoran, sarcastique.
Ne relevant pas la pique, Mostès étudia plus en détail les provisions qui leur restaient ; cela ne se résumait pas à grand chose.
– Il va falloir faire halte dans un village, dit Luzo, formulant ce que tout le monde pensait.
– Ne nous attardons pas, déclara Danney. Il serait bien que nous progressions le plus possible cette nuit.
En l'observant plus en détail, Mostès eut l'impression que quelque chose avait changé chez la jeune femme, même s'il ne parvenait pas à déterminer quoi. Il la trouvait peut-être plus renfermée que d'ordinaire.
Après avoir rassemblé leurs maigres affaires, le petit groupe prit la route, marchant dans la forêt, le soleil couchant devant eux.
Ils marchèrent ainsi toute la nuit et la moitié du jour suivant. Ils avaient épuisé le reste de leurs provisions et leurs forces commençaient à faiblir.
Alors que le soleil était à son zénith, les quatre compagnons marchaient sur une petite colline à découvert. Soudain, Danney trébucha et s'écroula par terre. Mostès se retourna et se dépêcha de l'aider :
– Ça va ? Tu n'as rien ?
La jeune femme ne répondit pas, elle était trop fébrile.
– Qu'est-ce qu'elle a ? reprit le jeune homme à l'attention de Luzo et Sinoran.
Le premier s'approcha de Danney, toujours allongée dans l'herbe, les yeux vitreux. Il prit son pouls et releva un liquide verdâtre qui coulait entre ses lèvres. Il promena ensuite son regard sur l'entièreté de son corps.
Mostès regardait faire Luzo et il admirait son savoir-faire. Le blond souleva un bout de tissu noué autour de la jambe de la jeune femme qui n'avait pas lieu d'être, et il découvrit une profonde plaie. Du liquide verdâtre en suintait.
– Qu'est-ce que c'est ? s'enquit Sinoran, qui n'avait pas prononcé un mot jusqu'alors.
– Une morsure de Charogne, l'informa Luzo d'un ton formel.
– Tu nous avais dit que c'était mortel, se rappela Mostès, son cœur battant de plus en plus vite.
– Exact, confirma simplement Luzo en recouvrant la plaie de Danney.
– C'est tout ce que tu trouves à dire ? lança agressivement Sinoran. Tu ne fais rien ? Elle va mourir, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué !
– La forêt n'est pas loin, allons nous mettre à l'abri et nous déciderons de ce que nous devons faire après, tempéra Mostès.
– Je vais la porter, grogna Sinoran.
Aucun ne protesta, puisqu'il était incontestablement le plus fort d'entre eux. Ils atteignirent rapidement le bois qui n'était qu'à quelques centaines de mètres d'eux. Ils trouvèrent un endroit assez bien protégé et s'y installèrent.
– Que fait-on, maintenant ? demanda Mostès en faisant les cents pas.
Danney était désormais inconsciente ; son teint était grisâtre et elle était prise de tremblements.
– Je ne comprends pas que nous ne nous en soyons pas rendu compte avant, marmonna Luzo. Le venin des Charognes agit plus rapidement, d'ordinaire.
– De toute manière, c'est trop tard, le coupa Sinoran. Il faut réfléchir à une solution efficace, sinon nous allons la perdre.
Mostès avait terriblement peur, même s'il n'en montrait rien. Il ne voulait pas que Danney les quitte. Elle assurait la cohésion de ce groupe, mais surtout, c'était la seule personne sur laquelle il pouvait compter ici.
– Dis-moi que tu as un remède ou je ne sais quoi pour la sauver, supplia presque Mostès en se tournant vers Luzo.
– On pourrait essayer de lui faire des saignées, avança celui-ci. Cela revient à lui entailler la peau à de nombreux endroits pour extraire de son corps le sang qui véhicule le venin. Mais c'est parfois dangereux, par exemple si le poison est déjà trop proche des organes vitaux.
Mostès ne savait pas vraiment de quoi lui parlait Luzo ; il n'avait jamais pris des cours pour connaître son anatomie, et il s'en passait très bien.
– Même moi, je trouve ça un peu... exagéré, objecta Sinoran avec une grimace. C'est presque certain que ça va la tuer au lieu de la guérir.
Luzo sembla réfléchir quelques instants, puis il s'exclama avec un rire léger :
– Je sais ! Il y a un remède à ces morsures, mais il se trouve chez la famille Caly, donc je suppose dans leur palais principal.
– Comment le sais-tu ? s'enquit Mostès.
– Peu importe, s'interposa Sinoran. Ce n'est pas non plus une bonne solution, puisque cela signifierait qu'il nous faut pénétrer dans le palais pour l'obtenir.
Les deux jeunes hommes se tournèrent simultanément vers lui, surpris.
– Lorsque tu es parti avec moi, il a toujours été question que nous infiltrions les palais principaux, lui rappela Mostès. Je dois sauver ma sœur qui est prisonnière, et chacun a ses propres intérêts dans ces palais. En quoi serait-ce différent maintenant ?
– Je ne te fais pas confiance, Mostès, siffla Sinoran. Et à Luzo non plus, d'ailleurs. Je n'ai aucune envie de me retrouver dans un piège à rat.
Mostès se passa les mains sur le visage, consterné par la situation. Luzo, quant à lui, pouffa, visiblement amusé par la situation.
– Et le Roi, tu ne veux pas le tuer ? Qui te dit qu'il n'est pas dans le palais de la famille Caly ? Tu passerais à côté de la plus grande occasion de ta vie.
– Les rumeurs disent que le Roi est dans le Nord en ce moment, chez la famille Rualone. Je ne vais pas risquer ma peau inutilement.
– Et notre accord ? s'exclama Mostès qui commençait à s'emporter. Tu avais promis de nous aider pour que chacun d'entre nous atteigne son objectif ! Tu prétends être un homme d'honneur, alors prouve-le !
– Mon honneur est intact, le contra Sinoran. Je te rappelle que tu nous as entraîné dans des situations impossibles, comment veux-tu que nous ayons encore confiance en toi ? J'estime que, puisque nous ne pouvons plus compter sur toi, il est juste que tu ne puisses plus compter sur nous.
Les oreilles de Mostès bourdonnaient. Il tentait tant bien que mal de se calmer, et cherchait les arguments qui pourrait faire plier Sinoran de son côté. Il ne s'était pas attendu a un tel retournement de situation.
– Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le pour Danney, murmura Mostès. Elle a besoin de ce remède. Et elle nous a tous sauvés, nous lui sommes redevables.
– De toute manière, on ne peut pas la laisser seule, argumenta Sinoran. Quelqu'un doit rester auprès d'elle pour la surveiller et la protéger.
Les trois hommes se regardèrent longuement. Mostès essayait de savoir à quoi pensaient ses compagnons, sans succès. Il se demandait en qui il pouvait encore placer sa fragile confiance.
– Je ne fuis pas, s'exclama soudain Sinoran, qu'il n'y ait pas de méprise. Je ne veux seulement pas me faire tuer alors que je n'ai pas assouvi ma vengeance, autrement dit tué le Roi.
Le silence pesant fit son retour. Mostès finit par le briser en s'adressant à Luzo, qui ne s'était pas beaucoup exprimé :
– Pourrions-nous infiltrer un palais à deux seulement, sans se faire tuer ?
– Oui ! rit celui-ci.
– C'est sérieux ? Je veux dire, tu n'arrêtes pas de rire, je ne parviens pas à savoir si tu me dis la vérité ou non.
– Je pense, oui, reprit Luzo, un sourire persistant sur ses lèvres. Après je ne peux rien garantir, je n'ai jamais essayé.
Après plusieurs dizaines de minutes de conversation houleuse, les trois hommes se mirent d'accord : Sinoran resterait avec Danney tout en surveillant leurs arrières, tandis que Mostès et Luzo infiltreraient le palais principal de la famille Caly dans le but de trouver l'antidote pour Danney et, peut-être, d'atteindre leur objectif.
Après ces décisions et réflexions difficiles, Mostès s'isola, non sans avoir vérifié que l'état de Danney n'empirait pas. Il pensa à sa sœur jumelle, Issia. Si elle avait été là, il aurait pu se reposer sur elle et lui faire entièrement confiance. Un fol espoir enfermé dans le cœur du jeune homme lui soufflait qu'il retrouverait peut-être Issia chez la famille Caly.
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