Chapitre 14

Lorsque Danney ouvrit les yeux, elle ne perçût que le silence et l'obscurité. Elle se demanda un instant où elle se trouvait, puis elle renoua avec la réalité en s'appuyant sur ses coudes.

La forêt humide l'entourait, et la nuit lui donnait un aspect inquiétant. La jeune femme jeta quelques coups d'œil et constata que tous ses compagnons étaient endormis. Mostès était avachi contre un arbre, et elle en déduisît que c'était lui qui était en ce moment responsable de la garde. Elle sourit.

Ce jeune homme l'attendrissait, l'intriguait, mais aussi l'inquiétait. Danney avait conscience qu'elle s'était très vite, trop vite, attachée à lui. Désormais, elle était angoissée à l'idée de le perdre. Elle éprouvait d'ailleurs de l'affection pour chacun de ses camarades, même envers Luzo qu'elle avait rencontré il y a peu. Elle avait une fâcheuse tendance à voir les qualités des personnes avant de voir leurs défauts.

Elle secoua la tête. Sa vessie pleine l'avait forcée à se réveiller. Elle se leva, saisit son arc et ses flèches par précaution et s'engouffra parmi les arbres.

Danney ne se sentait pas du tout à l'aise, seule dans la pénombre, au beau milieu de ce lieu totalement inconnu. Un frisson remonta le long de son dos mais elle n'y prêta pas attention, trop préoccupée à scruter ses environs et à vérifier où elle posait les pieds.

Une fois suffisamment loin du campement, la jeune femme s'arrêta et effectua sa besogne. Elle remontait son pantalon lorsqu'elle entendit un bruissement. Elle jeta des coups d'œil inquiets autour d'elle, sur le qui-vive. Elle saisit doucement une flèche dans son poing et recula vers le campement, les yeux toujours rivés sur la source du bruit.

Soudain, une branche craqua derrière elle et elle sentit comme une présence dans son dos. La jeune femme se retourna brusquement et, après quelques courts instants, elle se mît à courir, s'éloignant de plus en plus du camp. Son rythme cardiaque s'emballait sous l'effort et l'angoisse. Son poing était serré autour de la flèche et son arc toujours fixé dans son dos.

Elle s'arrêta au bout d'un temps qui lui avait paru interminable. Elle regarda autour d'elle, mais elle ne vit que le néant de la nuit. Des larmes d'angoisse menaçaient de déborder de ses yeux.

Après un moment de calme où Danney se crut sauvée, elle fit volte-face pour tenter de retrouver le chemin du campement mais se retrouva nez à nez avec une créature horrifiante qui émergeait de l'obscurité. Elle poussa un cri de surprise.

Le monstre semblait être un affreux mélange entre un humain et un chien. Ses minuscules yeux jaunes, renfoncés dans son crâne, luisaient dans la nuit et sa gueule proéminente laissait entrevoir des crocs abîmés mais terrifiants. Son corps décharné et recourbé tenait en équilibre sur ses deux pattes arrières, et malgré sa petite taille, la créature avait un aspect plus qu'inquiétant.

Avant que Danney n'ait pu reprendre ses esprits, le monstre mi-homme mi-bête se jeta sur elle. Elle eut seulement le temps d'esquisser un mouvement sur le côté pour ne pas être percutée de plein fouet. Une douleur lancinante lui fit cependant baisser les yeux sur sa cuisse et elle constata qu'elle saignait abondamment. Elle ne s'attarda pas plus longtemps sur sa blessure et focalisa à nouveau son attention sur son agresseur.

Son cœur battait la chamade et des larmes embuaient ses yeux, lui obstruant la vue. Elle n'avait aucune idée de comment se sortir de ce mauvais pas, et cette pensée faisait monter la panique en elle. La jeune femme était bien trop éloignée du campement pour parvenir à alerter ses compagnons en criant.

Elle fit alors face à la créature, une flèche à la main, et celle-ci n'attendit pas plus longtemps pour se ruer sur Danney, crocs et griffes en avant. Elle vint alors s'empaler sur la flèche, ses petits yeux jaunes affichant une totale incompréhension. Tremblante, la jeune femme tituba en arrière en lâchant son arme.

Le monstre s'écroula dans son sang en poussant un gémissement d'agonie. Les larmes de Danney se mirent alors à couler librement sur ses joues. La jeune femme ne savait pas si elle se sentait soulagée ou coupable d'avoir tué cette bête.

Sans plus attendre, elle se mît à courir en ce qu'elle pensait être la direction du campement. Elle trébucha à plusieurs reprises, les pleurs l'empêchant de voir où elle posait les pieds. Sa douleur à la jambe se faisait de plus en plus intense, mais elle se forçait à en faire abstraction.

Danney parvint finalement au campement sans qu'elle ne puisse expliquer comment. Cependant, elle aurait peut-être préféré rester un peu plus longtemps seule dans la forêt plutôt que d'assister à ce spectacle.

Le camp était saccagé, les affaires éparpillées et les chevaux envolés. Mais pour la jeune femme, le pire restait l'absence de ses camarades et les traces de sang dans l'herbe. La tête pleine de questionnements et de remords, elle s'effondra à terre. Ses pleurs étaient intarissables.

*****

Mostès émergea lentement de son sommeil. Ses bras étaient curieusement endoloris et il sentait une surface froide contre son dos. Un affreux mal de tête était logé sous son crâne. Il ouvrit alors les yeux et constata non sans étonnement qu'il était prisonnier, assis par terre, torse nu et ses bras accrochés au-dessus de sa tête. Sans réfléchir, le jeune homme se mît alors à violemment tirer sur les cordes.

- Oh, du calme, l'interpela une voix grave sur sa droite.

Mostès tourna la tête et découvrit Sinoran, lui aussi enchaîné.

- Tu es enfin réveillé, fit Luzo avec un petit rire, qui lui était à gauche du jeune homme.

- Que s'est-il passé ? Où est Danney ? demanda promptement Mostès en cessant de tirer sur ses liens.

- Ça serait plutôt à toi de nous le dire, rétorqua Sinoran d'un air mauvais. C'était ton tour de garde quand nous nous sommes faits attaquer.

- Je... je suis désolé, balbutia le jeune homme, à qui les événements revenaient peu à peu à mémoire.

- Ah ça oui, tu peux l'être, cracha Sinoran. Mais ce n'est pas avec tes excuses qu'on va sortir de ce maudit trou à rat.

- Trou à charogne, rectifia Luzo en riant.

- Pardon ?

- Trou à charogne, répéta Luzo.

- Arrête de tenter de faire de l'humour, s'il te plait, le pria Mostès. On est tous coincés ici, certes par ma faute, mais on doit quand même sortir de là.

- C'est difficile à croire, mais je suis d'accord avec lui, pour le coup, marmonna Sinoran. Arrête de tout prendre sur le ton de la rigolade, Luzo, ou alors je te jure que je te ferai la peau une fois que nous serons sortis d'ici.

- Si vous aviez un peu plus voyagé, vous sauriez de quoi je parle, répliqua Luzo sans se démonter.

Il ne prenait visiblement pas en compte les avertissements de ses camarades car chaque phrase qu'il prononçait était ponctuée d'un petit rire.

- Explique-toi, lâcha Mostès.

Le Voleur était rongé par les remords et il souhaitait à tout prix réparer son erreur.

- Nous sommes ici dans la grotte des Charognes, commença Luzo. Ces créatures sont issues de croisements entre des humains et des chiens.

- C'est impossible, ça ne peut pas exister, objecta Sinoran.

- Et pourtant, ils existent bel et bien. C'est la famille Caly qui les a créés. Ils ont engagés de nombreuses personnes pour y parvenir, la plupart pratiquant la magie. Le résultat était inespéré, mais l'expérience a tout de même fonctionné. Aujourd'hui, les Charognes mangent tout ce qu'ils trouvent de vivant dans la forêt, allant des humains aux chevaux en passant par les vers. Ce sont de très bons gardes pour la famille Caly, car même s'ils ne parviennent pas à capturer les étrangers pour les manger, une seule de leur morsure est mortelle.

- Tu es en train de nous expliquer que nous allons prochainement nous faire manger, c'est bien ça ? s'enquit Sinoran, les traits durcis. C'est pour ça qu'ils nous ont dépouillés de la quasi-totalité de nos vêtements ?

- Exactement ! lança Luzo en riant.

- Arrête de rire sinon je vais t'égorger, lâcha Sinoran en s'adossant à la paroi de pierre humide. Laisse-moi profiter de mes derniers instants en paix.

- Eh oh, personne ne va mourir ici, s'interposa Mostès. On va trouver une solution.

- Toi aussi, arrête avec ton optimisme constant. Tu ne vois pas qu'on est coincé ici et qu'on ne peut plus rien faire ?

- Essayez de tirer sur vos cordes, elle finiront peut-être par céder, tenta Mostès.

- Je dois avoir trois fois plus de force que toi et je n'ai toujours pas réussi, rétorqua Sinoran. Mais vas-y, ne te gêne surtout pas.

Le corps du Voleur s'affaissa. Il lui semblait avoir tout perdu en l'espace d'une nuit. Toutefois, il n'abandonnait pas et continuait d'espérer trouver une solution.

- Danney n'a pas été capturée, soutint Mostès. Elle va venir nous délivrer.

- On parle bien de la même personne ? demanda Sinoran. Parce que celle que je connais est lâche et inexpérimentée. Alors à moins d'un miracle, il ne faut pas compter sur elle pour nous sortir de là.

Le jeune homme n'ajouta rien. Son camarade n'avait pas tout à fait raison mais il n'avait pas tort non plus ; il voyait mal comment Danney allait pouvoir les aider. Où était-elle, d'ailleurs ? Elle s'était peut-être éclipsée sans les prévenir lorsqu'elle avait sentit le danger arriver. Ou peut-être les Charognes l'avaient-ils déjà mangée.

Il secoua la tête pour chasser ses sombres pensées. Ses remords étaient déjà beaucoup trop nombreux pour qu'il ne s'en créé de nouveaux. Il se persuada alors, pour garder espoir, qu'il parviendrait à sortir de cet endroit et à réparer ses erreurs.

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