Chapitre 8.2: Emotions.
Le dieu se leva de sa chaise. Saban le suivit et une fois tous les deux debout, un cercle de feu fit son apparition dans la hutte pour les entourer tous les deux.
– Tout d'abord, retiens bien une chose : les émotions sont étroitement liées avec l'esprit. En créer dans celui d'un ennemi peut t'être avantageux. Car lorsqu'un être humain ressent une émotion comme la colère, l'amour, voire la tristesse, cela ouvre simultanément une passerelle vers l'esprit. L'animisme émotionnel est probablement la seule parmi toutes les autres formes d'animisme qui est pratiqué sur le détenteur, et par le détenteur même du pouvoir. Pour faire simple, l'animiste se sert de son pouvoir pour créer un bouclier permanent et impénétrable.
– Vous allez en quelque sorte, m'aidez à développer l'animisme émotionnel pour que je puisse me protéger de...oh je comprends. Mon frère étant également un dieu de la tromperie, maîtrisant cette même forme d'énergie, pourrait l'utiliser contre moi. Voilà l'utilité de votre enseignement ?
– Tout à fait, répondit Ellegua en souriant, tu comprends vite !
– Que se passerait-il si une émotion permet à un quelconque animiste de ce genre de s'introduire dans mon esprit ? Questionna Saban en faisant attention à ne pas s'approcher du cercle de feu.
– La personne te voulant du mal pourrait te contrôler à sa guise, tel un pantin, expliqua calmement le dieu, d'où la nécessité de bloquer tes émotions lors d'un combat. En générale, les émotions qui naissent dans ce genre de moment sont la colère et la tristesse.
Saban écoutait attentivement son mentor, il commençait de plus en plus à prendre conscience du danger que représentait son frère. Il comprenait également que tous les enseignements reçus des autres dieux étaient liés : Ogun lui apprenait à se battre, tandis qu'Orula l'enseignait l'art divinatoire pour mieux anticiper les attaques dans un combat. Saban se demandait quel était donc la relation avec Olokun. Mais oui ! pensa-t-il, le Seigneur des mers lui enseignait l'animisme de l'eau car la mère de Boro n'était autre que Yemoja, déesse de l'eau également.
Tout devint plus clair, pensa Saban. Il porta encore un dernier regard à Ellegua avant de lui demander :
– Au fait, à quoi servent ces flammes ?
Apparemment, le dieu n'attendait que cette question car il sourit et répondit au prince :
– À créer en toi une émotion des plus primaires, si tu arrives à la contrôler tu comprendras comment contrôler les autres. Cette émotion n'est rien d'autre que la peur !
En terminant sa phrase, les flammes augmentèrent, et alors le feu se répandit dans toute la hutte à la grande frayeur de Saban. Ce dernier se mit à transpirer et se demanda si son mentor n'était pas devenu fou. Alors que l'enfer l'entourait, le prince eu l'occasion de voir la folie qui habitait le dieu, qui ne semblait même pas inquiet.
******
Après quelques jours d'entraînement en compagnie de ses mentors, Saban remarqua soudainement qu'il évoluait bien plus vite, depuis un certains temps. Surtout avec l'animisme de l'eau et celui des émotions. Les arts divinatoires paraissaient plus simples, mais toujours aussi difficile à pratiquer. Mais quelque chose perturba le prince un matin, alors qu'il s'apprêtait à rejoindre Olokun près du fleuve. Le roi était malade, il était allongé sur son lit et dormait d'un sommeil profond. Le guérisseur lui fit comprendre que son état empirait de jour en jour. Des membres de la noblesse se trouvaient dans la salle, ainsi que des membres de la famille de la reine. Les étrangers ne pouvaient pas y pénétrer, donc Amir et Aja devaient rester dehors, ainsi que les dieux.
Le prince ne comprenait pas comment son père pouvait être aussi faible. C'était un dieu, il ne pouvait être dans cet état. Assise à son chevet, la reine lui tenait la main en sanglotant. Tout comme Saban, celle-ci savait exactement comment ça allait se terminer. Le prince n'avait pas envie que son père s'en aille.
Il ne sentait pas encore capable de diriger Kuyushi sans lui. Mais Saban n'avait pas le choix car il était le seul héritier. Dans l'empire, la succession était matrimoniale et c'est la sœur du roi qui donnait naissance au futur héritier, on appelait cette génitrice : "Linguère''.
Eshu n'a pas de sœur humaine, donc l'héritier du trône n'est nul autre que son fils.
Saban se retira doucement de la chambre, l'entraînement avec Ellegua était tellement efficace qu'il arrivait à présent à bloquer ses émotions et parfois même sans s'en rendre compte. Il se vexait plus à l'entende des provocations d'Ogun, il ne craignait plus le feu du nouveau dieu de la tromperie. Et aujourd'hui, il n'arrivait même plus à laisser échapper une larme pour son pauvre père.
Le prince sortit alors du palais, histoire de se changer les idées. Il croisa Amir et celui-ci, inquiet pour le père de Saban, tenta de le réconforter. Mais Saban l'écouta vaguement, préférant être seule et loin.
Il monta sur un cheval et galopa un long moment sans savoir où il allait, le jeune homme se sentit brisé et il ne voulait pas voir la fin du règne du souverain de Kuyushi.
Saban savait que ce n'était qu'une question de temps, peut-être ce soir ou demain, mais une chose était sûr : La fin du dieu Eshu se rapprochait. L'homme qui avait toujours été là pour lui, mais à qui le prince, n'avait cessé de faire des reproches. Comment avait-il pu être aussi égoïste, se maudissait Saban en sentant des larmes couler sur ses joues. Le vent agressait son visage pour emporter ces gouttes salées loin derrière lui.
Le prince finit finalement par s'arrêter en hauteur d'une colline qui surplombait le village. Il descendit de son cheval et une fois à terre, s'adossa contre le dos d'un manguier planté pas loin. Ne pouvant plus se retenir, il craqua et un torrent de larmes coula sur ses joues. Le prince était à bout, c'était trop pour lui, il se rendit compte à quel point ce qu'on lui demandé prenait une dimension titanesque.
Un royaume à gérer, une armée à monter et un frère à tuer pour sauver son monde ? Mais pourquoi avait-on autant besoin de lui, qu'on le laisse tranquille. Tout ce qu'il voulait c'était de passer son existence loin de toutes ces responsabilités. Au bord d'un lac, il voyait bien Amir jouer avec l'enfant qu'il aurait eu avec Aja. Il le voyait bien construire une mosquée dans un petit village et devenir Imam, peut-être même qu'il s'y serait converti.
Mais l'avenir lui réservait un destin bien plus sombre. Saban était un dieu mais il souffrait beaucoup trop pour y croire. Et lorsqu'il avouait ses peines, son seul ami lui disait qu'il abusait et qu'il devrait mieux se réjouir d'être ce qu'il est.
Le prince en avait marre, c'était insupportable pour lui. Alors qu'il pensait à tout ce qu'il devrait affronter, une main se posa tendrement sur son épaule.
Saban retourna son visage couvert de larmes et aperçut à sa droite celui d'Aja qui lui souriait. Elle s'assit près de lui, passa un bras autour de son épaule.
– Ne sois pas triste, Saban. lui murmurait doucement la déesse, tu n'es pas seul !
– Mais je ne sais pas quoi faire, expliqua le prince, je n'y arriverai jamais...
– Tu n'as pas le choix ! Abandonner est une défaite certaine, accepter le combat est déjà une victoire. Saban, ne te sous-estime pas car tu n'as pas encore atteint ton plein potentiel. Je me méfiais de toi au début, mais dorénavant je sais que tu es celui qui nous apportera un futur paisible. Crois en toi. Elle l'embrassa sur le front et se leva avant de s'en aller.
– Aja ! l'interpella le prince, comment m'as-tu retrouvé ?
– J'ai demandé aux oiseaux ta position.
– Les oiseaux ?
La déesse acquiesça avant de redescendre la colline sous le regard étonné de Saban.
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