Chapitre 25.2 : Farès


      Le chef de guerre était de retour dans les quartiers d'Olokun, celui-ci lui montra alors une salle qu'il n'avait encore jamais vu. Il s'agissait d'une salle de planification, des cartes représentant le domaine, le royaume d'Azaès ainsi que le continent entier d'Atlantide étaient placardées contre le mur.

      Des petits drapeaux avec les noms des lieux y étaient plantés, des épées et des boucliers décoraient les murs. Des armures étaient placées dans chaque coin. Au beau milieu de la pièce se trouvait une carte en relief du royaume d'Azaès.

      On pouvait y apercevoir clairement, le centre ville et le domaine. Celui-ci était en réalité d'une taille bien plus impressionnante qu'il ne l'aurait estimé. Saban reconnut le lac ainsi que la cascade d'eau où il avait l'habitude de se rendre avec Aïsha. Olokun lui indiqua alors un vaste espace se situant entre le domaine et le centre ville du royaume.

– Nous pensions qu'il serait préférable d'évacuer les habitants de la campagne, déclara-t-il en regardant le jeune homme, les troupes de Damon ne leur feront rien, mais mieux vaut prévoir le pire. L'affrontement, du moins s'il commence en ces lieux, tournerait rapidement à notre avantage.

– À cause de la dénivelée, constata Saban en regardant le domaine qui était effectivement plus élevé que la campagne, nous pourrions y établir un avant poste. Cela nous éviterait peut-être le scénario d'un siège.

      Le jeune homme réfléchissait à la façon dont ils allaient opérer, sans vraiment se préoccuper des regards que lui portaient les mentors. Le chef de guerre avait déjà eu des cours de stratégie militaire auprès des maîtres de son ancien royaume. À côté de lui, autour de la carte d'Azaès, se trouvaient également ses amis. Ces derniers avaient été impressionnés du discours de Saban, ils étaient prêts à le suivre quoiqu'il arrive.

– Oui, mais ce serait comme livrer directement nos hommes à la Confrérie ! Lança timidement l'athénienne juste à côté du chef de guerre, ne pensez-vous pas qu'il serait préférable de concentrer toutes nos troupes dans le domaine, étant donné que nous ne connaissons pas leur nombre exact.

– Tu as raison sur le fait que nous ignorons leur effectif, affirma Saban en la regardant du coin de l'œil, le nombre d'hommes dans un avant-poste se détermine par rapport aux troupes adverses.

– On pourrait placer des pièges, proposa Héraclès en indiquant la campagne avec son doigt, comme ça ils seront ralentis et cela permettra aux éclaireurs de nous prévenir de leur arrivée. Nous gagnerions, ainsi, plus de temps et nous les attaqueront au moment où ils s'y attendront le moins.

– Excellent ! se réjouit Ellegua, mais à présent...quelle sera notre plan d'attaque ?

Le dieu fourbe lança alors un regard curieux envers Saban, ce dernier continua à fixer la carte avant de répondre :

– La solution la plus évidente serait de les attaquer de tous les côtés, je ne suis pas d'avis à laisser une grande partie de nos troupes à l'Académie. Il y aura donc des soldats placés directement dans les villages sur le chemin même de l'ennemi.

– Mais c'est absurde ! rétorqua Ellegua qui ne comprenait plus son disciple, comment veux-tu placer des soldats à ces endroits ?

      Mais Saban se contenta alors de sourire. Dans la tête du chef de guerre, un plan infaillible se dessina, suscitant l'incompréhension de tous. Il décida enfin à leur révéler sa stratégie.

 ******

      Farès était un des meilleurs lieutenants de la Confrérie de La Vérité. Le Seigneur Damon s'en remettait entièrement à lui pour accomplir le premier siège de l'Académie d'Azaès. Il était déjà grand et massif, alors du haut de son cheval de guerre, il donnait l'air d'un énorme rocher mouvant dans la campagne.

      Le lieutenant portait une armure de plates noires soudées entre-elles, ainsi qu'un casque intégrale munie d'une visière relevée, on pouvait ainsi voir ses yeux d'un brun automne. Derrière lui, un bataillon composé de vingt cavaliers et quatre-vingt fantassins, avançait tel un seul homme en sinuant dans la savane boisée d'Azaès.

      C'était une mission qui était sensée rester inconnue à la population. Mais vu l'effectif d'hommes qui se dirigeait actuellement vers le domaine du roi Olokun, Farès pensait qu'il serait bien difficile de dissimuler la bataille qui allait s'y dérouler.

      Mais l'attention du lieutenant était essentiellement concentrée sur le fait d'affronter le dieu Olokun. Il était, en effet, impatient de faire preuve de sa force et de sa stratégie aux yeux des plus haut-gradés de la Confrérie.

Le combat ne l'effrayait pas, il espérait recevoir une gratification de la part de maître Damon. S'il lui rapportait la tête du Seigneur des mers, il n'hésiterait pas la moindre seconde à le promettre à la tête d'une faction. Les arts les plus obscurs de la magie ne seront alors plus un secret pour lui.

      Farès était un ishim, faisant ainsi partie d'une des rares espèces pouvant venir à bout d'un dieu. C'était en même temps de là que venait l'arrogance de sa race envers les divinités. La force qui leur permettait de commettre un déicide, leur servait de justification légitime à leur désir de se détacher définitivement des dieux.

      Alors que le bataillon continuait sa traversée dans la campagne, l'entrée d'un village s'offrit enfin à eux. Les habitations étaient vieilles et en très mauvais état, les cent hommes s'y engouffrèrent en une longue file, serrés entre eux. Farès distingua, à la lueur du crépuscule, des gens s'affairaient à leurs tâches de fin journée.

      Le quelques wodos installés dans cette région vivaient essentiellement de leur scierie, établie au bord de la rivière coulant paisiblement à côté de la ville. Mais il y avait également des rares étrangers comme des poséidiens et même des ishims.

      Le bataillon de Farès passait lentement entre les habitations, lorsqu'au beau milieu de la route, deux jeunes wodos commencèrent soudainement à se chamailler, sans même se soucier d'eux. La vision de leurs vêtements déchirés et sales l'écœurait tellement qu'il se retint presque de régurgiter son repas.

      Le lieutenant porta sur eux un regard exaspéré mélangé à du dégoût, il voulut les contourner mais d'autres villageois aussi sales qu'eux se regroupèrent autour des jeunes à ce moment précis. Le chef de bataillon continua à regarder l'attroupement, qui tentait de séparer les deux jeunes, avec un œil menaçant.

– Déguerpissez bande de mécréants ! beugla Farès à leur adresse, ne m'obligez pas à vous le répéter.

– Ô, Excusez-nous mon lieutenant ! lui lança un vieillard aux traits poséidiens. Ce dernier se posta doucement devant son cheval avant de continuer en disant :

– Un instant, je vous en prie.

      Le visage du vieillard était chaleureux et étrangement apaisant, pensa Farès en plongeant son regard dans le sien qui était d'un bleu profond. Le chef de bataillon observa sa longue barbe grise qui tombait sur son torse, il portait également une robe fortement intrigante de par ses motifs lunaires et sa propreté.

      Cette allure sortie tout droit d'un conte de fée suscitait l'étonnement de la part de Farès. Le vieillard revint alors auprès des jeunes, mais leur querelle continua tout de même à s'éterniser.

      Tout ce désordre attisait l'agacement du chef de bataillon, qui n'en pouvait plus d'attendre. Celui-ci scruta alors les environs avant de constater que les ruelles étaient beaucoup trop étroites pour faire passer ses hommes en peu de temps, il n'y avait donc aucun moyen de faire le tour de cet attroupement. À part, peut-être, rebrousser chemin et contourner le village.

      Mais il ne pouvait pas se rabaisser à cette solution tout simplement parce qu'une bande de vas-nus pieds avaient décidé de l'importuner, le jour même de son triomphe.

     Alors qu'il continuait à observer les lieux, un détail lui parut soudainement. Ses yeux e se posèrent ensuite sur le visage crasseux de chaque villageois, il y avait quelque chose d'anormal parmi eux, conclut-il en dégainant son épée.

– Dis le vieux ! interpella le chef de bataillon qui jetait un regard noir à ce dernier, peux-tu m'expliquer quelque chose ?

– Oui évidemment, répondit-il en lui souriant d'un air innocent, que voulez-vous savoir ? Nos auberges ont les meilleurs prix dans tout Azaès, je vous l'assure !

– Fermes-là donc ! cracha Farès en pointant son épée vers le vieillard et aussitôt la querelle prit fin, contentes-toi de me dire pourquoi tous les villageois, mis à part toi, sont aussi jeunes. Où sont passés les adultes ? Ainsi que les enfants de bas-âges ?

– Eh bien, nous avons recourt à une précieuse mixture de régénérescence, nous pourrions-vous la vendre si vous voulez...

– Ne me prends pas pour un idiot ! s'emporta le chef de bataillon en plongeant son air menaçant, je sais très bien que les spectrolithes sont réservées aux ishims de haut-rangs. N'essayez surtout pas de me faire croire que le bas-peuple que vous êtes a accès à cet élixir.

– Libre à vous de croire ce que voulez, ce contenta de répondre le vieillard avec ce même sourire qui avait le don d'énerver Farès. Ce dernier avait la soudaine et désagréable impression de se faire encercler, il regarda alors les toits et sa peur se confirma. Des archers se dressaient au-dessus des habitations, prêts à tirer et au même moment il entendit des cris à la queue de son bataillon.

– On se fait attaquer ! hurla un de ses hommes, ennemis en provenance du nord !

      Farès finit enfin par comprendre que c'était un piège, ce village était en réalité le lieu parfait pour leur tenir une embuscade. Ils étaient coincés, lui et ses cent soldats, dans la rue étroite de ce village.

      Seuls les soldats qui se trouvaient aux deux extrémités du bataillon avaient la possibilité de se battre. Tandis que ceux du milieu ne pouvaient que regarder, impuissants, les ennemis réduire leur effectif, tout en se protégeant à grande peine de la pluie de flèches qui s'abattit sur eux.

      Farès vit, ce qu'il croyait être des jeunes il y a encore quelques minutes, fendre sur lui avec des épées, des boucliers et des lances soudainement matérialisés dans leurs mains. Tandis qu'une pluie de flèches s'abattaient sur ses hommes, une lance en métal transperça son armure de plates au niveau de son flanc. Il eut juste le temps de voir le visage de celui qui lui avait lancé le projectile, avant de s'écrouler au sol. C'était un des jeunes qui se chamaillaient sur la route.

       Ce dernier se dirigea alors tranquillement vers lui en enjambant les cadavres, la majorité était ceux des hommes de la Confrérie. Farès tentait de s'emparer de son épée qui gisait à quelques centimètres de sa main. Étalé sur le dos, le lieutenant ne parvenait pas à se lever à cause de la lance qui demeurait enfoncée entre ses côtes.

      Alors que son regard s'abandonnait vers le ciel, qui était à présent d'un noir pur, le visage crasseux du lanceur apparut dans son champ de vision. Il y avait une détermination déconcertante dans son regard, constata alors Farès. Le jeune homme l'immobilisa ensuite en posant lourdement son pied sur le torse du vaincu, avant de retirer son arme d'un coup sec.

      Malgré la douleur qui traversa subitement l'ishim, celui-ci parvint tout de même à discerner les traits de l'homme au-dessus de lui. Farès cru d'abord avoir à faire à un wodo, jusqu'à ce qu'il porte son regard sur le buste de ce dernier, à moitié visible. Son corps était scarifié et barré de quelques énormes cicatrices effrayantes.

      Les wodos ne pratiquaient pas ce genre de choses, pensa-t-il en observant les motifs de scarification qui décoraient la poitrine du guerrier. Ses cicatrices témoignaient d'une vie agitée et pleine d'aventures. Farès en était presque jaloux. Mais le lieutenant n'eut pas l'occasion de le lui faire savoir, car il se retourna brusquement sur le côté pour cracher une bile de sang, sur un sol qui en était déjà gorgé.

– Achèves-moi, tout de suite, jeune soldat ! siffla-t-il à l'adresse de Saban, fais-le si tu en es digne.

– Je n'ai aucun ordre à recevoir de ta part, répliqua sèchement le chef de guerre en l'aidant à se relever, tu viens avec nous !

      Saban passa alors un bras sous l'épaule de son ennemi sans même se soucier de la blessure qui tiraillait ce dernier. Farès gémit affreusement, mais n'osa pas se plaindre, de peur de le rendre en colère. Il pouvait déjà se réjouir d'être encore vivant, malgré son état.

      Doucement, en se relevant il jeta un regard vers ses hommes et fut affreusement choqué de constater que la majorité de son bataillon avait été vaincu, seule une poignée de survivants s'étaient faits prisonniers.

      La défaite avait un goût amer pour Farès. Ce dernier se demandait réellement qui était l'homme qui avait eu ce génie de le battre et cette grâce de l'épargner. Il avait peur, pour la première fois il se retrouvait face à un ennemi aussi puissant que lui, ce n'était vraiment pas ce à quoi il s'attendait. Alors que l'homme l'emmenait vers l'intérieur d'une taverne, il ressentit un frisson en imaginant ce qui pourrait lui arriver.


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