Chapitre 20.2 : La lettre

      Cela faisait déjà plus d'un mois qu'Amir avait quitté l'Académie pour une destination inconnue de ses amis. Malgré qu'il ait indiqué, dans la lettre d'Aja, son désir de ne pas vouloir être suivie, Saban n'avait pas hésité à aller le retrouver. Celui-ci avait fouillé chaque recoin de la ville, chaque quartier, mais son meilleur ami demeurait introuvable.

      Ses mentors avaient finalement réussi à le faire comprendre que cela ne servait à rien de le chercher, car Amir avait bel et bien disparu, au grand malheur d'Aja et lui. Ces derniers avaient du mal à s'y faire. La déesse ne sortait plus de sa chambre et Aïsha qui s'était rapproché d'elle, ne la voyait plus que pendant les heures de cours.

       L'athénienne ne savait absolument pas comment faire pour consoler sa nouvelle amie, elle ne connaissait pas très bien Amir, ce qui la rendait incapable de combler le vide qu'avait désormais Aja dans son cœur.

        Mais quelques jours plus tard, alors qu'Aïsha se rendait dans les salles de bains communes pour se laver en décompressant un peu, elle aperçut la déesse orisha, installée au bord d'un énorme bain soigneusement creusée dans la roche.

       L'eau provenait d'une énorme source chaude située dans le sud d'Azaès, elle était acheminée à travers la ville grâce à d'ingénieux système d'irrigation. Et l'une d'elles se faufilait jusqu'à l'Académie

       L'aspect du bain donnait l'impression d'être dans une rivière. Car, en effet, l'eau chaude s'écoulait, mais dans un mouvement lent et apaisant. Des blocs de savons parfumés se trouvaient posés sur les rebords.

       C'était un espace pouvant aisément accueillir plusieurs personnes à la fois, mais heureusement aujourd'hui elles étaient justes entre elles. Aja avait plongé ses jambes dans l'eau chaude et arborait un regard presque aussi vide que celui de Saban, il y a quelques mois.

      Aïsha s'approcha doucement d'elle  avant de s'asseoir juste à côté, elle plongea également ses jambes et soupira agréablement au contact de l'eau qui avait une température parfaite. Doucement, l'athénienne posa sa main sur celle de la déesse orisha, celle-ci daigna enfin à lever un regard vers son amie.

– Tout ça est de ma faute, commença-t-elle au bout de quelques secondes de silence, comment ai-je pu être aussi aveugle pour ne pas remarquer à quel point cela le perturber d'être dans l'ombre. Il se sentait tellement inutile, mais égoïste que je suis, je n'ai rien fais pour lui enlever cette idée absurde de sa tête. Au lieu de ça, je me suis contentée de passer mon temps en compagnie d'Héraclès. Je me dégoûte.

– Ne dis pas ça, Aja ! répondit Aïsha en resserrant sa main autour de la sienne, tu n'es en rien responsable de ce qui s'est passé. Crois-moi. Au fond de toi, tu préfères ça plutôt que de le voir s'éteindre.

– Alors comme ça, toi aussi tu crois qu'il ne fera pas long feu s'il arrivait qu'il rejoigne l'autre monde ? s'indigna l'orisha, Amir est un héros, saches-le ! Et il est redoutable en tant que combattant. Il a affronté des monstres !

– Mais tu ne peux pas comparer de simples créatures avec une divinité, que serait-t-il capable de faire face à un des nombreux lieutenants de Boro ! insista Aïsha qui continuait à soutenir son regard sans flancher.

– Il m'a sauvé la vie deux fois ! Il m'a aidé alors qu'il ne me connaissait même pas, je l'aime plus que tout au monde. Mais malgré ça, je n'ai pas été en mesure de le lui prouver !

– Je suis désolé, Aja...je veux dire par là que...peut-être qu'il reviendra un jour. Après tout il ne connait personne sur ce continent.

– C'est un grand débrouillard et les relations ça se créent.

      Aïsha avait énormément de peine pour la déesse, elle se sentait impuissante devant sa situation. Rien de ce qu'elle dirait ne pourrait apaiser la douleur qu'Aja éprouvait en ce moment. Après un court instant, l'orisha plongea enfin tout son corps dans l'eau et observa l'athénienne la suivre.

      Elles finirent par se laver en se frottant mutuellement le dos, chacune à son tour, avec du savon. Aïsha, sous la demande de son amie, défit délicatement les tresses blanches d'Aja avant de regarder les fibres s'en aller par le vide-saleté, qui se trouvait au même niveau de la surface de l'eau.

      Aja lui révéla que, pour ses tresses, elle avait utilisé les crins d'une licorne élevée par ses soins, lorsqu'elle se trouvait encore sous l'aile de Gaïa.

      La déesse orisha avait à présent de longs cheveux d'un noir de jais. Ses mèches tombaient en cascades jusqu'à ses reins, les boucles qu'elles créaient étaient hypnotisant.

      Une fois leur toilette terminée, les deux femmes quittèrent leur bain avant de s'installer sur un des quatre bancs posés tout près. Après avoir fait les cheveux d'Aja, l'athénienne laissa cette dernière s'occupait des siens.

      La déesse orisha se chargea de les recoiffer en deux longues nattes, avant de faire apparaître une lavande qu'elle planta entre deux de ses mèches, au sommet de sa tête. Aïsha écarquilla soudainement les yeux:

– Ce sont mes préférées, mais comment le sais-tu ?

– Saban me l'a dit, il y a quelques jours. Répondit Aja en se levant du banc. L'athénienne l'imita aussitôt.

– Mais...je ne le lui ai jamais confié...

– Oui mais il l'a remarqué. Déclara l'orisha. Tous les matins, tu as toujours cette même odeur et cela l'intriguait. Mais comme il ignorait le nom de cette fleur que tu aimais tant, il est venu me le demander et c'est comme ça qu'il a apprit de quoi il s'agissait. Aujourd'hui encore, il hésite à t'en offrir.

– Saban veut m'offrir des fleurs ? s'exclama Aïsha en rougissant.

– Oui ! Mais bon, je lui ai conseillé des roses ou des tulipes...

      Malgré la voix enrouée et faible de la déesse orisha, l'athénienne remarqua tout de même le petit sourire malicieux qu'elle portait au coin des lèvres.

– Tu mens ! déclara Aïsha comme une enfant, tu dis ça pour te moquer de moi !

– Comprends-le comme tu le souhaites !

       Aja s'habilla enfin et quitta la salle de bain, mais toujours en gardant ce même petit sourire qui perturbait énormément l'athénienne. 


******

                                                        Salut mon frère,

Je t'aime énormément ! Je voulais tout d'abord commencer par là.

Je pars car je dois de te protéger de ce que ma mort pourrait créer en toi.

Je pars car depuis que je te connais, tu ne récoltes que des ennuis.

Je pars car les ennuis ne feront que s'ajouter tant que je traînerai avec toi.

Je pars car je ne suis pas en mesure de te protéger de tes ennemis.

Je pars car j'ai perdu toute force, mais pour toi je continuerai à avoir la foi

Je t'aime, tout simplement, mon frère.

                                                                                                         Amir

      Saban n'avait pas compté le nombre de fois qu'il avait, de ses yeux, parcouru ces quelques lignes laissées par Amir. Sans pouvoir retenir ses larmes, l'ancien roi de Kuyushi repassa alors une nouvelle fois son regard attristé sur son écriture fine et délicate. Amir, ce poète insoupçonné, avait rédigé sa lettre en alphabet cyrillique arabe, car il avait du mal avec le grec.

      Saban plia le papier et le rangea soigneusement sous ses vêtements, puis lorsqu'il sentit une présence se rapprocher de lui, il tourna vivement la tête, mais ne croisa que l'apaisant et joli visage d'Aïsha.

      Comme à son habitude, l'athénienne le regardait de son air timide et cela faisait toujours sourire le jeune homme. Ce dernier la trouvait adorable, même dans sa tenue d'hiver. D'ailleurs la saison arrivait presque à sa fin, constata Saban en regardant la neige qui fondait progressivement sur la végétation.

      Cette atmosphère hivernale avait fortement surpris le jeune homme, le domaine ressemblait pourtant à un de ces lointains paysages africains qu'il avait eu, une fois, l'occasion de visiter en caravanes, en compagnie de son père. Cela contrastait avec la neige qui tombait avec des airs de miracle.

      Saban s'avança vers Aïsha, celle-ci baissa instinctivement les yeux puis lâcha rapidement en rougissant :

– C'est vrai que tu veux m'offrir des fleurs ?

      Apparemment, elle sembla tout de suite regretter d'avoir posé cette question car elle fuit subitement le regard de Saban.

– Ah ! c'est Aja qui te l'a dit ? demanda le jeune homme tout à fait à l'aise, oui en effet. Je pensais que ça te ferait plaisir.

– C'est moi qui devrais penser à te faire plaisir, répondit tout simplement l'athénienne en rougissant encore plus, mais de honte cette fois-ci. Après tout ce que tu dois ressentir ces derniers temps, ça doit être dur !

– Effectivement, mais en parler ne m'aidera pas. Crois-moi !

– Peut-être que je connais un endroit où tu pourrais te détendre. Proposa Aïsha en le regardant enfin dans les yeux.

      Saban semblait, tout à coup, l'observer réellement pour la première fois depuis qu'elle l'avait sortit des profondeurs du lac. Aïsha avait des yeux d'un brun qui lui semblait unique au monde. Mais plus que ses yeux, c'était son regard rêveur et absent qui le séduisait le plus.

      Il y avait également ce moment où elle les ouvrait en grand, à chaque fois que le jeune homme la taquinait. Sans oublier ce petit sourire discret qu'elle avait toujours au coin des lèvres, pour chaque compliment qu'elle recevait.

      Ainsi que sa manière de répondre en ne soulevant qu'une seule épaule. L'athénienne le faisait tout le temps, lorsqu'elle ne savait pas quoi répondre. Tous ces petits détails, en apparence, insignifiants, faisaient, à Saban, un drôle d'effet. Le jeune homme n'était pas indifférent au charme d'Aïsha, il finit alors par comprendre qu'il éprouvait en réalité une forte attirance pour celle-ci.

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