Chapitre 20.1 : Fissure

      Il se faisait déjà tard et Aïsha, couverte de sueur, s'était assise par terre et avait son dos posé contre une des parois de la salle des coffres. Elle était épuisée, tandis que Mjolnir semblait la narguer depuis son socle, le marteau n'avait toujours pas bougé d'un cheveu.

      L'envoyeur d'éclairs ne semblait vraiment pas décidé à se laisser manier par la fille de son ancien maître. Celle-ci gardait sur le marteau, un regard vide et désespéré.

      Aïsha s'était acharné pendant des semaines pour décoller le marteau de son foutu socle. Mais elle avait essuyé, jusqu'ici, que des échecs. La déesse ramena finalement ses jambes frêles contre sa poitrine avant d'enfouir honteusement sa tête entre ses bras. Elle ne savait absolument pas comment s'y prendre avec Mjolnir, elle passait le plus clair de son temps à songer sur la raison inconnue qui poussait le marteau à la renier en tant que propriétaire.

      Au bout de quelques minutes de remise en question, l'athénienne sentit soudainement une présence dans la salle. Elle releva précipitamment sa tête et fut soulagée de voir Saban, le sourire du jeune homme était chaleureux. Celui-ci vint s'asseoir tranquillement à côté d'elle, il lui avait apporté un plat généreusement garni de fruits de plusieurs couleurs.

      C'était exactement les mets qu'elle préférait, remarqua-t-elle en écarquillant les yeux de surprise. Elle saisit délicatement une grosse tranche de papaye recouverte d'une garniture d'avocats écrasés.

      Le dieu ne prononça pas un mot, la douce sensation de sa chaleur corporelle réconfortait étrangement l'athénienne. Un frisson parcourut subitement l'échine de la jeune femme, alors que leurs peaux entrèrent en contact.

      Son bras était collé au sien, ce rapprochement la fit rougir et le jeune homme le remarqua, malgré elle.

– Tu as chaud ? interrogea-t-il doucement en l'adressant un regard curieux, alors qu'il faisait déjà un froid de canard dans la salle.

      Elle se contenta de hocher la tête, ravie de trouver une excuse à son teint, soudainement devenu écarlate. La seconde qui suivit, un vent d'air frais souffla silencieusement dans la pièce, une fois que le jeune homme eût prononcé l'incantation :

Ouranis thermo !

– Merci...

      Saban était quelqu'un de calme et de très réservé, avait remarqué la jeune femme. Depuis quelques jours, il venait lui rendre visite dans la salle des coffres, alors qu'elle passait ses journées à essayer de dompter Mjolnir. C'était très gentil de sa part, pensa-t-elle. Ses visites lui donnaient du baume au cœur.

      Il le faisait peut-être parce qu'elle lui avait sauvé la vie, quelques jours plus tôt dans le lac. Peut-être était-ce pour cette raison que Saban était aussi sympathique envers l'athénienne. Mais au fond d'elle, Aïsha espérait qu'il s'agissait de bien plus qu'une simple dette, appelée à être remboursée.

      La jeune femme souhaitait sincèrement qu'il ait cette attitude envers elle pour une raison plus profonde. Mais elle se faisait sûrement de fausses idées, finit-elle par conclure, car Saban n'était pas le genre de personne prêt à étaler ses ressentis, encore moins envers une femme.

      À vrai dire, cet homme était totalement indéchiffrable. Toutefois, Aïsha ne demeurait pas indifférente par son côté mystérieux, elle ressentait un désir ardent de mieux le connaître. Voire même, de devenir un peu plus qu'une simple camarade de classe.

– As-tu...euh...progressé aujourd'hui ? interrogea-t-elle timidement après avoir finit une tranche d'ananas. Elle parlait de son entraînement avec Ellegua. Saban étudiait régulièrement les livres écrits et laissés par son paternel, avec l'aide du nouveau dieu fourbe. Ces derniers cherchaient à maîtriser un pouvoir qu'ils jugeaient extrêmement puissant.

– Absolument pas...lui-même ne comprend pas le pouvoir du caméléon. Répondit-il en tournant son regard vers la jeune femme, il m'a dit que dans le monde divin il existe un maître qui pourrait m'apprendre les bases de ce pouvoir.

– Intéressant ! lança simplement Aïsha.

– Et toi, alors ? Avec Mjolnir...sens-tu une amélioration ?

      L'athénienne secoua lentement sa tête avant de porter une autre tranche de fruit à sa bouche. Aïsha avait croqué dedans, mais n'avait pas remarqué le petit bout de chair qui pendait doucement au coin de ses lèvres.

      À sa grande surprise, le pouce de Saban vint délicatement enlever ce morceau de fruit. La jeune femme frémit subitement, elle resta immobile durant quelques secondes avant de remarquer que les yeux du dieu étaient plongés dans les siens.

      Ils se regardèrent pendant un court instant, puis celui-ci se leva doucement avant de déclarer avec un sourire sur ses lèvres :

– Je retourne m'entraîner. Par contre, toi, tu devrais aller te reposer.

      La jeune femme acquiesça timidement avant de se remettre sur ses deux jambes. 


******


      Le lendemain matin, une brise hivernale se faufila discrètement à l'intérieur des couloirs et des dortoirs des jeunes disciples de l'Académie. Alors que la fille d'Athéna tentait de s'extirper maladroitement de ses draps, elle fut assaillie par un froid glacial.

      Aïsha bailla longuement tout en étirant ses bras au-dessus d'elle. L'athénienne tourna ensuite son regard vers la fenêtre de son dortoir, celle-ci était couverte d'une fine couche de neige déposée progressivement pendant la nuit.

      Son dortoir était une pièce circulaire assez spacieuse et magnifiquement décorée, elle se trouvait au quatrième étage et la jeune femme la partageait avec neuf autres filles toutes sympathiques.

      Ratatoskr, qui dormait habituellement avec lui, s'était déjà réveillé. Le dieu avait un air rêveur et observait la tombée de neige, c'était paisible et hypnotisant, avait remarqué la jeune femme en s'approchant doucement de lui.

       L'athénienne trainait ses pieds par terre, mais malgré ça, le rongeur ne remarqua même pas sa présence. Elle le caressa alors tendrement la tête, en guise de bonjour avant de s'accouder au rebord de la fenêtre.

– Ça me rappelle tellement ces lointaines contrées scandinaves d'où je viens, commença Ratatoskr en tournant vers la déesse un regard plein de tristesse, je pense également à Asgard, autrefois je voyageais de monde en monde comme bon me semblait. Mais maintenant, je ne peux même pas me permettre ce luxe. Loki me tuerait s'il me croise.

– Ne t'en fais pas, le rassura Aïsha en arrêtant ses caresses, tu finiras par y retourner un jour, je te le promets !

       Le rongeur ne répondit rien, il semblait totalement abattu. C'était comme ça à chaque début d'hiver. Ratatoskr continua à contempler la neige quant tout à coup, il sauta sur le sol du dortoir avant de se diriger vers la porte. Aïsha remarqua quelques secondes plus tard les trois silhouettes qui se baladaient tranquillement sur l'allée enneigée que l'on pouvait voir au loin.

      Sans perdre de temps, l'athénienne enfila ses habits d'hivers avant de sortir d'un pas pressé pour rejoindre ses camarades. La jeune femme descendit les marches d'escaliers par quatre, déboucha dans les jardins et prit la direction de l'allée sur laquelle se trouvait Aja, Saban et Héraclès.

      Juste derrière eux, Ratatoskr courait sur ses petites pattes pour les rejoindre. Celui-ci sauta sur l'épaule de Saban et le terrifia comme il avait l'habitude de faire. Aïsha éclata de rire, ces derniers se retournèrent pour la regarder.

– Ça te fait rire ? lança Saban en se retournant vers elle.

      Brusquement, la jeune femme se tut et se mit à bégayer sans savoir quoi dire. Mais le visage du jeune homme s'adoucit presque aussitôt, il lui sourit avant de ramasser une boule de neige et de la jeter droit sur elle en s'esclaffant :

–Prends ça !

      Aïsha s'écria joyeusement jusqu'au moment où le projectile atteint sa jambe, elle ramassa à son tour une autre boule pour se venger, mais celle-ci rata de loin sa cible pour toucher Aja à la place.

      Tout à coup, ils s'engagèrent dans une soudaine bataille de boules de neige. Même Ratatoskr y participait en lançant, de ses petites mains, ses projectiles d'une taille ridicule.

      Alors qu'il s'amusait en prenant pour cible tout ce qui passait près de lui, une boule de neige l'ensevelit subitement, elle avait été lancée par Héraclès.

      Ce dernier s'esclaffa en esquivant les boules des autres, puis le rongeur sortit brusquement du petit tas de neige. Comprenant son handicap causé par sa taille, il entreprit de jeter des noisettes à ses adversaires.

      Le petit groupe passa alors un long moment à jouer et à rigoler en ce merveilleux jour qui marquait le début de l'hiver. Ils se trouvaient encore assis sur une des rives du lac gelé, lorsque Saban incita les autres à rentrer pour aller diner au palais.

      Plus tard, les disciples se retrouvèrent dans les quartiers d'Olokun où ils discutèrent joyeusement avec leurs mentors. Tout se passait bien jusqu'au moment où il fallait passer à table. Amir n'était pas présent, à vrai dire, il ne s'était pas montré depuis le début de la journée.

      Aja leur informa d'abord qu'elle lui avait parlé ce matin, mais qu'il ne se sentait pas dans son assiette et qu'il ne pouvait pas sortir avec eux. Puis après quelques secondes, elle souffla d'une voix légèrement agacée :

– C'est bon, je vais le chercher, il doit sûrement être encore en train de bouder dans notre chambre. Saban la regarda quitter la table pour sortir du salon. Plusieurs minutes s'écoulèrent, avant que Poséidon se plaigne :

– J'ai faim...ça fait un moment qu'elle est partie...

– Commencez déjà à manger, lança Saban en se levant, je vais voir ce qui ne va pas.

      Le jeune homme sortit du salon avant de se diriger d'un pas pressé vers la chambre de ses deux amis. Il approcha d'abord sa main de la porte, mais alors qu'il s'apprêtait à toquer, il entendit quelqu'un sangloter dans la pièce.

– Est-ce que ça va ? demanda-t-il finalement après avoir tapé trois fois, j'entre...

      En ouvrant la porte, Saban remarqua le visage couvert de larmes d'Aja. La déesse était assise sur le lit, elle pleurait abondamment. Le jeune homme s'avança doucement vers elle et en même temps ses yeux se posèrent sur la chose qu'elle tenait dans ses mains.

– Amir... il est parti...déclara-t-elle tristement sans pouvoir contrôler ses sanglots. Elle leva ses yeux larmoyants avant de lui montrer la lettre qu'elle avait entre ses mains, en disant :

– Il m'a laissé ça...

      Saban saisit délicatement le parchemin sans réellement comprendre ce qu'elle voulait dire par « parti ». Le jeune homme observa la fine écriture de son ami, il la reconnaitrait entre mille. Puis au fur et à mesure qu'il avançait dans sa lecture, il sentit son cœur se déchirer. Saban ne pouvait pas croire à ce qu'il avait sous les yeux, il n'arrivait pas à se faire à l'idée que son ami les avait bel et bien quitté. Et qu'il s'agissait là d'une lettre d'adieu.

      Alors doucement, Saban s'assit à côté d'Aja et lui tint par les bras avant de la serrer contre lui. Ensemble ils pleurèrent leur ami, ensemble ils soulagèrent leur peine.

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