Chapitre 2.2: La visite inattendue

       Quelques mois après sa discussion avec son père, Saban reçut une lettre envoyée par Amir, son camarade. Ce dernier l'invitait à se rendre à Aoudaghost où il y avait développé un petit nombre d'activités commerciales. Le prince se vêtit alors de sa tenue de voyage afin d'affronter les terres arides et impitoyables du Sahel, ainsi que ses innombrables pièges. Saban était jeune et impétueux, il savait comment voyager et détourner l'ingéniosité cruelle des esprits des sables. Alors qu'il avait déjà demandé un chameau, des provisions et son matériel de voyage, ses parents vinrent le rejoindre aux portes nord-est du royaume.

– Tu devrais au moins prendre quelques gardes, Saban ! lui avait conseillé sa mère en le serrant dans ses bras.

– Ne vous en faites pas pour moi,  mère ! Dit-t-il pour lui enlever ses craintes, ce ne serait point nécessaire. Sachez que dans le désert, on voit arriver l'ennemi de loin. Donc n'ayez crainte ! 

– Reviens-nous vite, déclara son père avec un regard rempli d'amour, nous entrons dans une ère de conflit et le danger devient de plus en plus menaçant.

– Je n'y manquerai pas...déclara simplement le prince. Le roi l'embrassa avant de le laisser monter sur son chameau. Il donna quelques pièces au chamelier et s'en alla au trot hors du royaume. Eshu regarda son fils s'éloignait une énième fois de lui. Il pensait qu'il finirait par s'y habituer mais à chaque fois ce moment était douloureux et la crainte de ne plus le revoir s'accentuait.

      Eshu retourna dans ses quartiers et commença à compter les jours qui s'écoulaient au compte goutte. Il se remémora la période où Saban partit à l'université de Tombouctou pour plusieurs mois. Le déchu n'avait jamais été autant inquiet malgré les paroles réconfortantes de sa femme. Alors que les jours défilèrent peu à peu, il commença à oublier partiellement son départ, de la même manière qu'il oubliait son passé de divinité. Mais un jour il reçut une visite inattendue et effrayante.

      Il rentrait de Koumbi-Saleh, dans une caravane accompagnée de ses hommes, et lorsqu'il arriva dans ses quartiers, il fût surpris de voir Orula, le dieu du destin, assis sur sa couche. Il était majestueux dans ses vêtements dorés. Dans sa main se trouvait un sceptre en or, et ses cheveux tressés étaient entremêlés avec des anneaux du même métal précieux. Sur son front, une espèce d'œil tracé avec une peinture jaune luminescente.  Tout chez cette divinité était resplendissant et l'éclat de ses vêtements semblait éclairer la chambre bien plus efficacement que les bougies.

– Eshu, dit-il simplement, cela fait une éternité que l'on ne sait plus revu...

– Comment m'avez-vous retrouvé?  Demanda le roi soudainement apeuré. Puis en voyant le sourire bienveillant propre au dieu, il retrouva son calme. J'aurais dû me douter qu'il s'agissait que d'une question de temps.

– Effectivement et je dois t'avouer que te retrouver fut un coup de chance ! 

– Tu es là pour me ramener auprès des autres c'est bien cela ? Demanda le déchu en s'asseyant sur une chaise, tiens, c'est étrange qu'ils t'envoient toi. J'aurais plutôt pensé à Ogun ou ce fou furieux de Shango. Pourquoi ont-ils eu recours à toi ?

– Pour être honnête, je suis venu de mon propre chef. Les autres dieux ne le savent pas, et fais moi confiance,  ils ne sont pas prêt de l'apprendre.

– Je ne te comprends pas, dieu du destin ! Soit plus clair je te prie.

– Olodumare est mort ! lâcha finalement le dieu,  tué par ton fils. 

– Comment ça ? questionna Eshu sans comprendre ses mots, mon fils n'a rien à voir avec cela, qu'est-ce que tu me racontes.

       Orula sembla soudainement frappé par un profond chagrin. Des larmes coulèrent sur son visage. Eshu se rappela qu'il était très proche du dieu de la création et qu'il était un de ses plus proche conseillers, avec Ellegua.

– Tu as laissé un enfant à Yemoja, expliqua le dieu au déchu, et avant qu'elle meurt, Yemayà a réussit à retirer l'enfant. Il était de toi mais Olodumare ne le savait pas. Mère Yemayà est venu me le dire et elle craignait que le roi des orishas renie ton fils, et le fasse tuer par vengeance pour le meurtre de Yemoja. Alors, tous les deux, on lui a fait croire que c'était bien son enfant. Il l'a appelé Boro. Le seigneur et prince des orishas a tué son faux père. 

(Chez les dieux, la grossesse est facultative. La nouvelle divinité venant du le ventre d'une déesse peut être immatérielle, jusqu'au moment de sa naissance si cette dernière le souhaite)

– D'accord et qu'est-ce que tu veux que je fasse, je ne peux plus rien pour les dieux...j'ai même renoncé à mes pouvoirs.

       Choqué de ces derniers mots, le dieu du destin regarda Eshu avec dégoût.

– Bien, cela n'est pas tellement étonnant de ta part...mais si je suis venu te voir c'est par rapport à ton deuxième fils.

– Qu'a t-il de si intéressant à tes yeux ? Lui questionna Eshu, dont l'intérêt fut soudainement bien plus perceptible. 

– Il faut que tu saches tout d'abord comme je t'ai retrouvé. Où devrais-je plutôt dire, comment mère Yemayà t'as retrouvé. Étant la déesse de la fertilité, elle a reçu il y a plus de vingt ans les prières d'une femme inféconde, dont le rêve était d'avoir un enfant pour satisfaire son mari qui est le roi du royaume de Kuyushi. Autrement dit, toi.

       Eshu avala sa salive et regarda le dieu avec un air perplexe.

– Lorsqu'elle a su que son mari n'était autre que le dieu-traître, continua Orula, mère Yemayà s'est empressée de m'en informer, elle ne savait pas quoi faire. Je lui ai alors demandé de ne pas exaucer les prières de ta femme.

– Comment as-tu osé ? Demanda Eshu, furieux et indigné. Tout ce qu'elle voulait c'était d'avoir un enfant.

– Je sais c'est cruel mais j'avais de bonnes raisons. Mais écoutes ceci, ta servante...celle avec qui tu as eu Saban n'était autre que mère Yemayà déguisée en une autre femme. Le dieu du destin regarda Eshu qui semblait mal au point moralement. Ce dernier se passa la main sur son visage. Il venait de se rendre compte que son fils était l'union de deux dieux, celui de la discorde et celle de la fertilité, la mère de tous les orishas et source de vie. Cela le dérangeait même si l'inceste était partie courante chez les dieux, mais le pire était que lui qui voulait que son fils n'aie rien à voir avec les divinités, était jusqu'à présent satisfait car il pensait que Saban avait que du sang à moitié divin. Mais maintenant il avait le malheur d'entendre qu'il avait donné naissance à un dieu complet.

– Pourquoi avoir fait ça? Demanda calmement Eshu en se prenant la tête dans les mains.

– Cela remonte à une lointaine époque. j'avais eu une vision, mais elle était d'une probabilité tellement minime que je n'y ai pas tout de suite prêté attention. C'était une probabilité,  où le monde des dieux courait à sa perte. Je n'y prêtais pas attention car mes calculs prévoyaient le contraire de cet avènement. Mais le jour où tu t'es enfuis après avoir tué Yemoja, cette avenir m'a paru plus clair et plus précis, le nombre de chances que le monde divin soit détruit s'élevait alors à une sur cent,  mais c'était toujours trop faible pour que je m'en soucie. J'écartai alors une fois de plus la possibilité d'un avenir chaotique. Mais par contre, l'époque où Boro a renversé le roi suprême, cette possibilité devint d'une chance sur dix. Mes calculs l'ont également confirmé.

– Fichtre, en quoi cette vision est liée à mon fils, Saban ?

– Dans la vision, je les vois s'affronter. Et leur combat est tellement violent que le monde divin finit par subir les conséquences, des changements  vont perturber notre monde à cause de tes fils. Je sais c'est vague mais la divination est un domaine très sensible. J'ai donc rédigé une prophétie à l'adresse de tous royaumes célestes. Mais malheureusement Boro,  au pouvoir, l'a pris pour une propagande contre lui. Il a banni une partie des dieux orishas qui s'opposaient à son pouvoir. Des rebellions se sont manifestés également dans les autres royaumes. 

– Que disais donc ta prophétie ? Demanda Eshu en le regardant avec insistance. Orula prit une respiration et lâcha :

Deux dieux de la destruction issus de royaumes différents, mais nés du même dieu. Deux frères sortis de deux différentes déesses, l'un grandira dans les ténèbres et connaîtra l'amour, l'autre dans la lumière mais connaîtra la haine. Ils vivront séparément mais seront destinés à se rencontrer dans un ultime affrontement où le destin du monde des hommes et celui des dieux seront mis en jeu. L'un détruira le monde de l'autre au profit du sien. L'autre détruira les deux mondes soit par haine, soit par amour. voici la prophétie des deux frères.

       Orula fit une pause et constatant qu'Eshu ne parlait toujours pas, il rajouta :

– Boro a tué Olodumare en pensant qu'il s'agissait de son vrai père, car il craignait que celui-ci lui donne le frère, soit ton fils, celui que j'ai cité dans ma prophétie. En faisant ça, il espérait éliminer tout danger. 

– Et que comptes-tu faire maintenant ? Tu comptes envoyer mon unique fils affronter cet imbécile ? pourquoi tu ne le tue pas toi-même ?

– Tu ne te rends pas compte à quel point le monde des dieux à changé, Eshu...Olodumare n'est pas le seul dieu à s'être fait tué. Le dieu nordique, Odin est mort. Il y a eu un affrontement dans les pays du nord. Loki, son fils adoptif a lâché un loup nommé Fenrir sur lui. Et comme on pouvait s'y attendre, étant également un dieu de la discorde, il s'entend très bien avec le seigneur Boro. Et avec l'aide de ce dernier il a réussi à prendre le pouvoir au royaume d'Asgard, après avoir violemment assassiné son frère Thor. Eshu, une armée se prépare pour marcher sur le monde des humains et imposer le culte des dieux. Les religions modernes réduisent le nombre de nos croyants et cela nous affaiblit. Il réussit à joindre de plus en plus de royaumes divins, Boro manipule les dieux par leur crainte de mourir. Il est ton digne fils.

– Tu dis donc que les dieux s'affaiblissent à cause de l'apparition du monothéisme dans ce bas monde, récapitula Eshu en se levant et en faisant les cent pas dans la pièce, que Boro leur promet un monde nouveau où les humains seront à leurs pieds, un monde où les dieux retrouveront leur gloire passé ? Astucieux, il me plait presque ce petit, il a donc tous les royaumes à ses pieds ?

– Non, il existe encore des royaumes qui s'y opposent, mais hélas leur nombre se réduit progressivement. Soit ils finissent par s'y résoudre soit le nouveau roi orisha les annihile tout simplement, comme le royaume de Amon-rhé, d'Égypte.

– J'aimerai bien t'aider Orula, mais malheureusement je ne te serai d'aucune utilité, je me suis détaché de votre monde rempli d'orgueil et de prétention. En plus, mon fils n'est pas de taille face à un dieu qui a sûrement des siècles d'entraînement et une armée d'autres royaumes sous ses ordres. Un vrai Empereur divin...

– Je savais que tu dirais ça mais j'ai pensé à tout, des rebelles orishas organisent un soulèvement. Ogun et Olokun ont accepté de bien vouloir donner à ton fils, le meilleur entraînement qui soit.

– Non, je regrette...mon fils n'aura rien à voir avec ça, Orula. Je suis désolé mais cette histoire de dieux, j'en ai assez et je tiens à éloigner ma famille de tout ça. Trouves toi un autre héro qui réalisera tes désirs et peut-être qu'un jour on entendra les griots narrer son aventure.

        Eshu mit fin à la conversation et s'en alla.


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