Chapitre 1.2: Evasion

      Pendant un mois Saban venait voir Eshu, pas tous les jours, certes, mais ses visites étaient fréquentes. Une nuit, alors qu'il lui apportait encore un plat cette fois-ci remplis d'ignames, de carottes et de viande de mouton, il lui raconta une histoire et le dieu rigola à un passage drôle.

      Cela surpris Saban car c'était la première fois que le dieu réagissait à ses histoires, bien qu''il se montrait de plus en plus attentif. Mais le soldat n'était pas au bout de ses surprises car ce n'était pas la dernière fois qu'Eshu rigolera. Au fil du temps, les liens entre ces deux hommes se tissaient de plus en plus étroitement jusqu'à ce que Saban éprouve une réelle empathie pour le dieu. Il commença même à redouter la venue du prêtre Yoruba. Saban continua ses visites à tel point qu'il interdit aux gardes de circuler dans le couloir, où se trouver Eshu, en sa présence. Ainsi ils pourraient être plus tranquilles. Mais un jour Saban cessa de rendre visite au dieu...

      Le cœur serré, le dieu se sentait terriblement seule. À tel point qu'il criait son nom toutes les nuits. Il sentit la folie s'emparer de son âme, sa seule source de bonheur, la seule personne qui lui permettait de garder la tête froide avait disparu. Il se sentit trahi mais quelques semaines plus tard, Saban revint.

– Me revoilà...nous étions partis en guerre, voilà la raison de mon absence...Dit-il en lui tendant un morceau de dindon salé.

– Tu m'as manqué mon très cher ami...Raconte moi ce que tu as vécu !

      Saban fût ébranlé par cette appellation et c'était à cœur joie qu'il se lança dans le récit de son aventure à l'est du continent en prenant place sur sa chaise. Ils étaient officiellement amis et cela le touchait énormément d'avoir manqué au dieu de la discorde. Mais son appréhension au sujet du prêtre était toujours présente et un jour ce fût avec une boule au ventre qu'il aperçu l'oiseau du shaman volait au-dessus de Koumbi-Saleh pour entrer dans sa hutte.

      Le prêtre Yoruba devrait sûrement être en route pensait-il à quelle distance ? Aucune idée. Il questionna le shaman qui lui répondit qu'il se trouvait dans la région du Bouré pas loin de la capitale. Paniqué, Saban savait qu'il devait trouver une solution car bientôt on invoquera un dieu orisha qui viendrait enlever son ami pour le juger dans le royaume des dieux.

      Il passa toute la nuit à se retourner sur sa couchette en remuant ses méninges pour trouver un plan. Le prêtre devait être à une journée et demi de marche d'ici. Il fit un rapide calcul de probabilité en prenant en compte le moment où il avait aperçu l'oiseau du shaman. A priori, il devrait arriver d'ici le crépuscule. Saban décida donc d'aller voir Eshu plus tôt que prévu. Il se rendit discrètement dans la prison.

      Il passa devant les gardes à présent habitués de le voir. Réveilla Eshu en train de dormir.

– Réveillez-vous, le prêtre sera la d'ici peu...

      Le dieu se redressa mais ne sembla pas inquiet et se contenta de regarder Saban avec un sourire triste. Pendant ce temps Saban observait les barreaux de peur de les toucher. Le shaman lui avait expliqué qu'elles étaient faites avec le même métal dans lequel le dieu Yoruba du tonnerre, Shango, avait fait forgé ses haches. Ce métal avait reçu sa bénédiction et il se vendait très cher dans l'empire.

– Mon heure arrive enfin, déclara le dieu résolu.

– Non, ne dites pas ça je vais vous sortir de là.

– Et comment ? Admettons que tu y parviennes, les dieux te tueront et moi également. Ils nous retrouveront donc ça ne servira à rien de fuir.

– J'ai une idée...vous êtes un dieu de la tromperie. Il vous suffit d'user d'un de vos sorts pour prendre l'apparence d'un garde...

– Mais ils se rendront vite compte que je me serai enfui...

– Certes, néanmoins vous pourriez toujours donnez votre apparence à un garde...

– Mon sort ne dure pas éternellement et puis le garde n'aura que mon apparence...il pourra convaincre qu'il est réellement mortel et ton plan sera fichu, regarde la réalité en face, Saban. C'est voué à l'échec.

– Non...car justement le garde qui aura votre apparence sera mort et vous donnerez l'apparence du garde tué à un animal mort également. Saban avait prononcé ces derniers mots le regard dans le vide avec un air tellement sombre que même le dieu de la tromperie fut choqué.

– Ça pourrait marcher, réfléchit Eshu, étant mort le sort restera suffisamment longtemps sur l'animal déguisé en garde jusqu'à ce qu'on l'enterre, tandis que le garde déguisé en moi alors...

– Je m'en occuperai...le roi comprendra. Je me suis attaché à vous, il le sait...il n'est pas dupe et il s'est rendu compte de mes visites dans la prison. Ce n'est plus un secret pour personne. Je vais brûler le corps du garde à l'extérieur du village.

– Okay, mais il faudrait faire vite le sort ne durera pas longtemps.

      Ils se mirent d'accord sur ce qu'ils devaient faire. Saban ne perdit pas de temps et sortis du couloir pour se rendre dans la salle des gardes. Ils étaient à trois seulement autour d'une table en train de discuter vu le petit nombre de prisonniers qu'il y avait ici dans les cachots. Le plan était simple, il doit trouver d'abord le moyen d'en attirer un dans le couloir où il interdisait l'accès aux gardes. Saban sorti de la prison pour aller se procurer une poule en attendant qu'un des gardes se retrouve seul. Lorsqu'il revint dans la salle des gardes avec son animal, l'un d'eux lança pour taquiner :

– Il les mange crus maintenant ? Un éclat de rire traversa la pièce, ils étaient un peu trop hilares, pensa Saban, pour une blague aussi nulle, mais ça devait probablement être dû au vin de palme.

      Le soldat attendu quelques minutes avant de le voir arriver enfin dans le couloir en train de faire paresseusement sa ronde. Saban resta appuyé contre le mur et lui sourit, il lui répondit du même sourire et lorsqu'il dépassa son niveau pour ne montrer plus que son dos, le soldat l'assomma d'un violent coup à l'aide de la garde de son épée. Il rattrapa le corps avant que ce dernier heurte le sol et le ramena devant la cellule d'Eshu avant de s'essuyer le front.

– Tu ne l'as pas tué ? demanda Eshu, ... ah... je vois...c'est beaucoup plus dure de tuer une personne du même camp que soi, n'est-ce pas ? Termina-t-il alors que Saban retirait avec ses mains tremblotantes le trousseau de clés du garde.

      Eshu sortit enfin de sa cellule et regarda Saban dans les yeux. Saban recula face à la puanteur du dieu. Ce dernier avait beaucoup changé depuis la première fois. Ces anciens vêtements d'un rouge et d'un noir magnifiques ressemblaient désormais à des vieilles loques pendouillant sur son corps. Sa barbe avait poussé exagérément ainsi que sa tignasse qu'il coiffait soigneusement avant sa chute. Il n'avait plus rien d'un dieu, se dit Saban, mais c'était quand-même son ami. Le soldat regarda Eshu empoigné sa propre épée et trancher la gorge du garde.

       Saban sortit d'un sac qu'il avait amené, des habits propres.

– Si je dis que je vous ai tué...est-ce que les dieux orishas vont me croire, vous êtes quand-même un dieu après tout.

– Et alors, qu'est-ce que cela signifie vraiment d'être un dieu ? Demanda Eshu en tuant à présent la poule. Il lança un sort en psalmodiant dans une langue étrange et le garde pris lentement son apparence. Il fit de même sur la poule et celle-ci se transforma en garde. Le plan était de faire croire à une tentative d'évasion raté au cours de laquelle, Eshu aurait volé la clé du garde avant de le tuer. Saban sur son chemin, se serait battu avec le dieu avant  de l'emporter.

– Les dieux peuvent mourir par la main des hommes, si ces derniers réussissent préalablement à les affaiblir. Et quand je dis affaiblir, je ne vois pas forcément la faim mais aussi...l'amour, le désespoir ou la haine par exemple. Et dans mon cas c'est le désespoir qui m'a réellement affaibli, Saban. Tu sais il me fallait pas juste sortir de cette prison...pour cela j'aurai très bien pu me débrouiller moi-même mais à quoi bon ? Je savais que je demeurerai enfermer dans ma prison mentale à jamais avec mes remords comme geôliers. J'ai tué la femme que j'aimais par jalousie.

      Saban fût gêné de voir les larmes qui perlaient sur les joues du dieu. Il voulait se retourner mais ne pouvait pas car Eshu avait besoin qu'il soit fort pour lui. Alors il lui tint le bras.

– Je l'aimais tellement, se lamenta-t-il en se tenant la tête, c'est toi qui m'a ramené à la raison...c'est toi qui m'a sauvé, Saban. J'étais au bord de la folie et tu m'as permis de tenir. J'ai vu un cœur bon battre en toi, ton empathie m'a profondément touché, je t'en serai à jamais reconnaissant. Alors le dieu fit quelque chose qui choqua Saban. Eshu se prosterna, visage au sol contre les bottes du soldat.

– Merci infiniment, puisse le dieu du destin t'accorder gloire et pouvoir...

      Ils sortirent calmement, Eshu avait d'abord pris la forme d'un autre garde pour s'extirper de la prison puis celle d'un noble pour sortir de la commune et enfin d'un villageois pour sortir de la capitale. Saban qui l'attendait à l'écurie lui acheta un cheval et lui dit :

– À présent vous êtes libre de mener votre vie, dieu de la discorde mais je vous prie de vous tenir à carreaux...

– Merci mon ami...je te saurai redevable toute ta vie de mortel et si un jour le ciel m'accepte de nouveau, je ferai de toi un être béni par les dieux de tout temps et de tout lieux. Ta descendance sera bénie également.

– Je vous en remercie, hélas j'éviterai de vous revoir...cela vaut mieux pour nous. Ils vous croiront mort alors menez une autre vie. Changez de nom...vous pouvez rester dans l'Empire si vous voulez, je pense qu'il n'y a aucun risque.

– Entendu, Saban.

– Adieu, déclara le soldat en rigolant. Eshu éclata de rire avant de s'en aller, filant dans la plaine. Son rire résonna longtemps dans les oreilles de Saban avant que celui-ci fende en larmes.


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