Chapitre 1.1: Eshu

      Il faisait nuit noir et les éclairs, zébrant le ciel, s'abattaient lourdement sur les terres de l'Empire du Wagadou. La tempête emportait tous les malheureux qui se retrouvaient sur son chemin. Homme, bétail et plantations. Les habitants de Koumbi –Saleh, capitale de l'empire, se réfugiaient dans leur hutte afin de prier le dieu de leur choix. Les provisions sur les récoltes s'annonçaient déjà mal et les komos, esclaves, craignaient la colère du roi Cissé à qui ils devaient des ressources quotidiennes.

      Alors que la population avait déserté les rues et les plaines de la capitale, au loin une silhouette se dessinait au sommet d'une colline. C'était un cavalier. Il diminua rapidement la distance qui le séparait des portes de la ville, enclavée d'un énorme mur de pierres. Le malheureux cavalier bravant la pluie semblait transporter derrière sa scelle un corps inanimé.

      Une fois arrivé aux portes, il ordonna aux gardes de le laisser entrer. Ce qu'ils firent car le cavalier était un important soldat de la cavalerie de Cissé. Son cheval de race berbère était recouvert d'un caparaçon d'or, tandis que lui avec son impressionnante armure de fer, pouvait résister à n'importe quelle attaque. Une épée à la poignée d'or pendait à sa ceinture et son bouclier monté en or également, restait accroché à sa scelle tout en tombant sur le flanc du cheval.

      Une fois arrivée dans la commune où se trouvait le roi, il laissa son cheval auprès d'un garçon d'écurie car ces bêtes y étaient interdites, puis continua sa route au pas de course mais cette fois-ci en transportant le corps inerte sur son dos. La commune du roi était entourée de massifs d'arbres, de grandes huttes aux toits arrondies et de bocage. Ces derniers servaient de demeures aux magiciens, shamans et c'étaient eux qui s'occupaient du culte de la nation. Dépassé cette frontière de pierres et d'arbres, un quelconque indésirable risquerait la prison à vie. Les idoles et les tombeaux des hommes les plus importants y étaient placés.

      Des secrets obscurs se trouvait dans le pavillon royale et l'homme faisait partie des rares personnes qui avaient ce précieux privilège. Le poids de l'inconnu commençait à peser sur son dos alors il se dépêcha d'arriver au perron, qu'il monta sans trop trainer. Devant les portes, deux énormes chiens noirs de belle race montaient la garde. Les portes s'ouvrirent toutes seules et à l'intérieur du pavillon de pierre parfaitement taillé, il aperçut Kaya-Maga Cissé, le maître de l'or, qui se dressait de toute sa splendeur sur un trône de deux mètres avec une parure digne d'un dieu. Ses yeux perçants s'adressèrent avec curiosité au corps que transportait le soldat. Des vêtements magnifiques très colorés le recouvraient du cou jusqu'aux jambes et à ses pieds de l'or, des diamants et plusieurs pierres précieuses se répandaient sur sol.

– Salutation, mon roi ! dit-il à l'adresse de celui-ci, excusez-moi de cette visite qui doit sûrement troubler votre réunion. Il lança un regard aux shamans et aux berbères présents dans la pièce sûrement pour parler affaires et avenir, mais vous m'aviez chargé il y a de cela quelques jours, après conseil du Shaman Touré, de me rendre dans la province de Mandé pour vous ramener le dieu-traitre, Eshu le fourbe. J'ai l'honneur de vous annoncer que ma tâche a bel et bien été exécutée, mon roi.

– Tu es un soldat remarquable, Saban. Déclara le roi de sa voix impérieuse, ton roi est fier de te compter parmi ses rangs de vaillants guerriers. A présent raconte à ton roi comment tu t'y es pris pour le ramener à Koumbi-Saleh.

      C'était la partie la moins honorable de sa mission, mais il se lança quand-même dans un récit approximativement honnête. Car en réalité il avait trouvé dans le fleuve Niger pendant son retour alors qu'il croyait que sa tâche était un échec. Le dieu était inconscient sur la rive du fleuve, alors le cavalier s'est juste contenté de le ramasser pendant qu'il était encore sous sa torpeur.

      Le shaman Touré, vêtu d'une tenue traditionnelle et avec un caméléon sur son épaule droite, s'avança vers le dieu pour l'inspecter avec ses gris-gris, il murmura d'une voix faible et mystérieuse avant de finalement annoncer au roi :

– C'est bien lui, mon roi...il porte l'odeur d'un dieu...mais il a aussi l'aura d'un traître.

– Excellent, ton roi te remercie sincèrement Saban. À présent que le dieu-traître est parmi nous, il nous reste plus qu'a contacter le dieu orisha. Shaman en es-tu capable pour ton roi ?

– Malheureusement, non, mon roi car il s'agit là d'un dieu étranger à notre religion. Seul un prêtre Yoruba peut le faire. Il nous faudrait alors descendre dans les bas quartiers s'il y en a un parmi le peuple. J'enverrai un oiseau en éclairage et je vous préviendrai de la situation, si cela vous arrange en bien, mon roi.

      Le roi acquiesça avant d'ordonner Saban de jeter le dieu en prison après que le shaman l'eut plongé dans une torpeur.

      Alors que Saban se dirigea avec deux gardes vers les prisons du roi, il se rappela du jour où le shaman avait prédit l'arrivé d'un dieu-traître orisha ayant commit un déicide sur l'amante du dieu Olodumare. Ce traître avait réussi à s'enfuir mais la chute depuis le monde des dieux avait dû être très douloureuse car durant tout le chemin du retour vers Koumbi-Saleh, Eshu n'avait pas bougé un seul membre alors qu'il respirait encore.

      Les jours passèrent et le dieu n'avait toujours pas ouvert l'œil, son corps immobile au fond de la cellule n'intéressait personne. Les gardes n'avaient même pas idée qu'il s'agissait d'une divinité, ce qui expliquait leur indifférence. Mais Saban venait régulièrement dans la prison pour rendre visite au prisonnier à l'insu du roi et des nobles de la commune. Bizarrement il avait l'impression d'éprouver de la pitié pour ce dieu au fond de son cachot. Il le faisait penser à lui quelques années plus tôt alors qu'il était esclave chez les berbères à Sijilmasa.

      Un jour lors de ses visites quotidiennes, il aperçut un mouvement dans sa cellule. Eshu avait bougé et inconsciemment, Saban sourit à cette vision. Il allait bien. Maladroitement, le dieu essaya de s'asseoir, en s'appuyant contre le mur. Il scruta la pièce étroite et humide dans laquelle il était enfermé puis jeta son regard de l'autre coté des barreaux en direction de Saban.

Eshu eu un rictus qui disparut vite puis comme résigné entoura ses jambes de ses bras en les rapprochant contre son dorse.

– Qui es-tu mortel ? demanda Eshu à l'adresse de Saban.

– Saban, fils de paysan devenue cavalier au service du Kaya-Magan Cissé l'Empereur de Wagadou. Il avait récité tout ça en se levant et d'une manière solennelle. Il cherchait évidemment le respect de la part de ce dieu. Même s'il n'était qu'un traître, il restait quand-même une divinité.

– Repos soldat, ricana le dieu, tu n'as pas besoin de me faire ta généalogie et toutes ces fanfaronneries. Alors comme ça je suis à Wagadou ? Combien de temps je suis resté endormi, fanfaron ?

– Mon nom est...

– Réponds, ordonna Eshu furieusement. Il se massa la tête presque aussitôt.

– D-Deux semaines...

      Eshu souffla avant de se lever, il avança vers les barreaux mais au moment où il voulut les toucher comme pour les arracher, un éclair violent le fit reculer.

– Que quelqu'un m'explique cette mascarade, je suis un dieu ! Le dieu de la discorde, de la destruction et j'annihilerai tout ceux qui oseront me manquer de respect. À commencer par toi, maudit fanfaron. De quel droit te permets-tu de m'enfermer ?!!!

      Saban, apeuré s'enfuit et bouscula un garde dans le couloir lugubre avant de s'étaler au sol sous les insultes d'Eshu. Il se dépêcha d'aller prévenir le Shaman.

      Le shaman avait passé plusieurs jours à guetter sur sa table de divination à la recherche d'un prêtre Yoruba mais hélas il ne semblait pas en avoir dans la région. Il fut obligé d'envoyer son corbeau au-delà des limites de l'Empire. Le temps d'en trouver un et de le ramener s'annonçait bien plus long. Au moment où il commençait à ranger ses plateaux de divinations et ses potions, Saban entra dans sa hutte pour lui avertir d'une voix apeurée le réveil d'Eshu.

– Pourquoi ne pas le replonger dans son sommeil, demanda Saban paniqué ?

– Pour la simple et bonne raison que j'ai usé du maximum de ma potion de sommeil, en refaire me prendra plusieurs mois...j'avais prévu la situation en en préparant une bonne dose pouvant assommer un éléphant durant une année. Sauf qu'Eshu est un dieu, les effets sur une divinité sont incroyablement réduits. Sans compter le fait qu'au moment de lui administrer la potion, il était déjà inconscient. De ce fait il serait très difficile de lui en ré-administrer alors qu'il est en forme.

– Il faut trouver à tout prix un moyen de le calmer sinon je n'ose imaginer ce qu'il ferait de nous si jamais il sort de sa cellule. Déclara Saban.

      Le shaman se contenta de hocher de la tête.

      Les jours suivants, bien qu'effrayé à l'idée de recroiser le regard du Dieu, Saban continua à le rendre visite. Il semblait se calmer de jours en jours, mais Saban savait qu'il réfléchissait à un moyen de s'enfuir. Alors pour distraire le dieu, Saban lui demanda de lui parler de son existence d'être divin. Mais Eshu refusa. Déçu, Saban s'en alla et laissa le dieu seul. Le lendemain il revint cette fois-ci avec du pain de mil, du flanc de dindon, des fruits et du vin de palme qu'il transportait dans un plateau. Il fit glisser les mets un par un entre les barreaux puis regarda le dieu se nourrir avec ce qu'il lui avait offert.

– J'étais fils d'un pauvre paysan...commença Saban en s'adossant au mur en face du cachot du dieu, mon père était pauvre mais il avait la bénédiction des dieux avec lui. Je ne sais pas si c'était vos camarades...mais en tout cas il était béni...

      Il fit une pause et constata avec surprise qu'Eshu avait les yeux rivés sur lui avec une concentration étonnante. Il l'écoutait. Satisfait, Saban poursuit. Il raconta aux dieux comme il avait vécu son enfance. Comment sa mère originaire d'Ife lui préparait les meilleurs plats de toute la région. Puis sa voix, qui pleine de spontanéité, se radoucit lorsqu'il lui parla de sa vie d'esclave, comment il avait été capturé et vendu aux berbères après avoir commis un vol à Djenné. Mais ils le traitèrent plutôt bien, disait-il, il était nourri et logé en échange de travailler d'abord dans le tissus lorsqu'il était à Sijilmasa puis charpentier naval à Rabat. Il avait réussi à s'enfuir et était revenu à Saleh où il s'était engagé dans l'armé en échange de sa liberté, puis progressivement il avait monté en grade jusqu'à être à la tête d'un escadron de soldats de l'Empire.

      Saban venait de déballer une grande partie de son existence au dieu. Alors qu'il se releva pour s'en aller, Eshu murmura :

– Au revoir, Saban...

      Le soldat sourit avant de gravir les quelques marches et de sortir des cachots.

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