Chapitre 5 : Achille




Mardi 5 décembre : Achille

            Finalement, ils avaient décidé d'attendre le mardi pour aller mener leur enquête chez les Fabre. Achille avait option sport le lundi soir, et il n'était pas question qu'il sèche, c'était l'une des seules matières où il avait de bonnes notes – avec l'anglais.

Il avait été convenu que Cora et lui rejoignent Prune chez elle, avant de se rendre chez les voisins de cette dernière. Cette rencontre stressait un peu le jeune homme, à vrai dire il n'avait aucune envie de retourner chez Neil après son entrevue avec la mère du disparu. De plus, il n'avait pas envie d'avouer aux filles qu'il n'était jamais vraiment allé chez son meilleur ami.

Il n'avait pas voulu se l'avouer, mais il avait beaucoup réfléchi ces derniers jours – depuis la disparition de Neil à vrai dire – et il en était venu à la conclusion qu'il ne savait pas grand chose sur son meilleur ami. Neil avait toujours été un peu secret, mais Achille ne connaissait presque rien sur sa vie privée, à part ce qu'il en voyait au lycée. Bien-sûr, quand ils étaient ensemble ils parlaient de tout et de rien – surtout de rien – mais il n'avait aucune idée de sa vie quotidienne chez lui, s'il avait des animaux de compagnie, s'il était du genre à ranger sa chambre ou à vivre dans une porcherie... Il savait juste que ses parents étaient plutôt sévères et qu'il était fils unique.

Quand il était parti de chez lui ce jour là, il était dix-huit heures et la nuit était déjà tombée depuis belle lurette. Sa mère avait un peu rechigné quand il était sorti, car elle comptait sur lui pour garder Pénélope. Elle avait finalement choisi de voir le côté positif des choses et en avait profité pour qu'il aille promener Pirate. Il avait râlé pour la forme au départ – après tout il était ado, il fallait bien qu'il joue son rôle de fils ingrat – mais il avait obéi, comme toujours. Malgré les apparences, il était ce qu'on pouvait appeler un « bon garçon » : depuis que son père était parti et que sa mère devait se débrouiller seule pour les élever lui et sa sœur, il faisait tout son possible pour l'aider. Il sortait même les poubelles, ce qui était à ses yeux la pire corvée qui pouvait exister.

Achille était arrivé devant chez Prune stressé au possible, son chien à ses côtés et sa lampe torche à la main. Ils vivaient dans une petite ville campagnarde, et le quartier de Prune et Neil se situait un peu à l'écart, il n'y avait presque pas de lampadaires.

Cora avait rappliqué quelques secondes après lui, l'éblouissant avec les phares de son vélo. Elle était descendu d'un mouvement rapide et l'avait aussitôt rejoint devant le portail, son véhicule à ses flancs.

-       J'habite à l'autre bout de la ville moi, ça m'aurait pris un temps fou de venir à pied ! lança-t-elle en guise de salutations.

Achille lui sourit quand elle se pencha pour caresser son chien, qui, tout content de l'attention qu'on lui portait, se laissait faire avec grâce.

-       Il est trop mignon, s'exclama-t-elle en lui gratouillant le coup. Il s'appelle comment ?

-       Pirate, lui répondit son maitre. J'avais douze ans quand je l'ai eu, c'était l'époque où je voulais être pirate plus tard !

La jeune fille se mit à rire.

-       Ça lui va comme un gant en tout cas. D'ailleurs tu sais d'où viens cette expression ? Je l'ai toujours trouvé un peu stupide, pourquoi comme un gant et pas comme un pantalon ?

Le garçon l'observa, mi amusé mi perplexe.

-       Aucune idée, j'imagine que la première personne à avoir dit ça avait des gants qui lui allaient parfaitement. Ou alors c'était un fabriquant de gants, qui s'est dit que ça lui ferait un bon coup de pub de lancer une expression !

-       J'aime cette hypothèse ! Malheureusement elle est invérifiable, mais en tout cas c'est cool. Je sortirais ça la prochaine fois qu'on me pose la question.

-       On te pose souvent la question ? se moqua le garçon.

-       Non... Mais mieux vaut être parée. En plus, comme je fais du babysitting, je garde des enfants qui posent un million de questions bizarres à la seconde, alors pourquoi pas celle-ci ?

-       Tu marques un point. Mais si jamais quelqu'un te pose la question et que tu lui répond ça, j'aimerai que tu me cites, pour que j'ai mon quart d'heure de gloire, tu comprends !

-       Mais bien évidemment, je n'oserai pas voler ton idée de façon si ignominieuse !

-       On est parti un peu loin non ? demanda Achille en riant.

-       Je ne vois absolument pas de quoi tu parles, feignit l'adolescente. Je propose qu'on rentre, changea-t-elle de sujet, il fait vraiment froid, et puis Prune doit nous attendre !

À ces mots, la jeune fille sortit justement de chez elle, toujours emmitouflée dans sa grosse écharpe jaune. Elle rejoignit Cora et Achille d'un pas vif et souffla un petit nuage de fumée du au froid en arrivant à leur hauteur.

-       Bon, leur lança-t-elle, on y va ? Neil ne va pas réapparaitre comme par magie !

-       Dommage, ça nous arrangerait bien, plaisanta Achille. Mais oui t'as raison, on devrait y aller !

Il partit le premier, derrière Pirate qui gambadait devant lui et suivi de Cora et Prune qui marchait quelques mètres plus loin. Une fois devant le portail des Fabre, il ralentit, pour laisser les filles le rejoindre.

-       Je laisse Pirate ici ? leur demanda-t-il quand elles arrivèrent.

-       Oui tu ferais mieux, lui conseilla Prune. La mère de Neil n'est pas spécialement fan des animaux. En fait, elle n'est fan de rien pouvant salir son précieux parquet.

-       T'as raison, j'ai dû enlever mes chaussures quand je suis venu samedi. Je vais demander à Pirate de nous attendre ici.

Il se pencha alors à la hauteur de l'animal, et lui expliqua ça tout en le gratouillant entre les oreilles. Il se releva ensuite et avança de quelques pas, aussitôt suivi du chien, qui réclamait d'autres caresses, la langue pendante. Prune se moqua gentiment de lui.

-       On peut le laisser dans mon jardin sinon tu sais !

-       Non non c'est bon, on va juste refermer le portail du jardin derrière nous, comme ça il ne pourra pas nous suivre. Il m'attendra devant, c'est ce qu'on fait tout le temps chez...

Sa voix se brisa, et les deux filles l'observèrent avec étonnement. Il tenta de se reprendre immédiatement.

-       Enfin, c'est ce qu'on faisait chez mes grands-parents, avant...

-       Pourquoi avant ? demanda doucement Cora. Ils sont morts ?

-       Quoi ? Non, absolument pas ! C'est juste que... Enfin, ce sont mes grands-parents paternels, et je ne veux plus les voir, depuis que mon père est parti.

Cora fit une petite moue désolée, réagissant exactement comme toutes les personnes à qui Achille en avait parlé. Seul Neil avait agi différemment, en le prenant par les épaules, sans un mot. C'est pour ça qu'il était son meilleur ami, il ne parlait peut-être pas beaucoup, mais il savait exactement comment le réconforter, à chaque fois. Il ne faisait jamais preuve d'hypocrisie, il était sincère et honnête. La réaction de Cora partait surement d'une bonne occasion, elle était peut-être réellement désolée pour lui, mais cela sonnait faux pour le garçon. Elle ne pouvait pas comprendre, elle ne le connaissait même pas.

Néanmoins, il lui répondit par un sourire. Il avait tout sauf envie que cette discussion s'éternise. Ils étaient ici pour retrouver Neil, pas pour parler des ses problèmes familiaux.

Achille ouvrit donc le portail et laissa passer Prune et Cora tel un gentleman, tout en faisant attention à ce que Pirate n'entre pas, lui. Une fois devant la porte d'entrée, ils hésitèrent tous pendant quelques secondes. Aucun d'entre eux ne savaient sur quoi ils allaient tomber : une horde de policiers ? Deux parents effondrées par la perte de leur fils unique ?

Finalement, ce fut Cora qui appuya sur la sonnette, d'un geste sûr et assuré. Achille la remercia d'un hochement de tête et d'un sourire. Puis ils attendirent encore quelques instants, avant que la mère de Neil ne leur ouvre.

Achille s'attendait à beaucoup de choses, sauf à ça. Elle était tirée à quatre épingles, maquillée à outrance, et avait un grand sourire collé sur son visage.

-       Bonjour les enfants, s'exclama-t-elle d'une voix feutrée. J'imagine que vous êtes là pour Neil ?

-       Il est revenu ? s'étonna Prune d'une voix pressante, remplie d'espoir.

La femme cligna des yeux, l'air presque perplexe.

-       Revenu ? Oh, non, pas du tout.

Les trois adolescents la fixèrent de façon insistante, et Achille songea qu'elle se comportait de façon vraiment étrange. Elle aurait dû être dévastée par la disparition de son fils, et non pas agir comme si elle l'avait presque oubliée !

-       La police a lancé un avis de recherche, reprit-elle d'une voix enjouée. Les enquêteurs ont bon espoir, ils disent qu'il a fugué, mais qu'il n'a pas pu aller bien loin.

Son sourire fondit soudain.

-       Mais comme il aura dix-huit ans le vingt-cinq décembre, ils arrêteront les recherches à cette date. Il sera majeur, ce ne sera plus un mineur disparu, juste un adulte libre qui a quitté la maison de ses parents.

-       Dix-huit ans ? s'étonna Cora.

-       Oui, il a redoublé sa troisième, lui expliqua Achille. Il a un an de plus que nous.

-       À noël, reprit madame Fabre comme si elle n'avait pas été interrompue, on ne pourra plus rien faire pour le retrouver, il sera majeur.

Elle pinça ses lèvres, avant de s'éloigner vers le salon et d'attraper une petite boite en plastiques orange dans une commode blanche, la couleur de presque tout la salle d'ailleurs. Elle se laissa choir dans un confortable fauteuil, blanc lui aussi, et posa ses pieds chaussés d'escarpins rouge sang sur l'épais tapis immaculé qui recouvrait le parquet. Elle saisi un verre d'eau posé sur la table basse en verre, puis ouvrit la petite boîte et en sortit un minuscule cachet blanchâtre. Elle le porta à ses lèvres comme au ralenti, puis avala son verre d'une traite. Un sourire satisfait apparu sur son visage, et elle se retourna vers les jeunes, qui l'observaient, pétrifiés.

-       J'imagine que vous cherchez des indices à propos de la disparition de mon fils ?

Achille déglutit, avant de saisir l'occasion qui se présentait à eux.

-       En effet. On aimerait bien voir sa chambre, pour essayer d'y trouver quelque chose.

-       La police l'a déjà fouillée, mais allez-y. Montez les escaliers, c'est la porte du fond à droite.

-       Merci madame, lança le garçon avec gratitude, avant de grimper à l'étage suivi des filles.

Une fois dans le couloir, ils se lancèrent des drôles de regards, perturbés par la scène dont ils venaient d'être témoin. Pourtant, ce fut Cora qui brisa le silence avec une toute autre question :

-       Pourquoi elle a précisé où était la chambre de Neil, vous n'êtes jamais venus ? Aucun de vous deux ? insista-t-elle.

Achille et Prune se regardèrent avec gêne.

-       Non, lui répondit la jeune fille. Ses parents sont hyper stricts en temps normal, ils n'ont jamais voulu que Neil invite des amis chez lui. Même quand il était petit, il organisait tous ses anniversaires chez moi.

Cora les observa avec perplexité.

-       Pourtant elle n'avait pas l'air si sévère que ça sa mère là, plutôt...

-       Shootée aux antidépresseurs, la coupa Achille.

-       Tu crois ? demanda Prune. Ce n'est vraiment pas son genre...

-       Ce n'est pas non plus son genre de nous laisser entrer ici, seuls. Et pourtant...

-       Comment tu sais que c'étaient des antidépresseurs ? reprit Cora.

-       Des pilules blanches, une petite boite ? Tu n'as jamais regardé de films ou quoi ?

-       Oui parce que les films montrent toujours la réalité, c'est bien connu, soupira Cora avec sarcasme.

-       Peu importe, les coupa Prune. On est là pour Neil non ?

-       Tu as raison, lui répondit Achille. Concentrons-nous là-dessus, ça vaudra mieux.

Il tendit alors la main et tourna la poignée de la porte de la chambre de Neil, anxieux à l'idée de ce qu'ils pourraient découvrir. Une pièce impeccable et impersonnelle, comme le reste de la maison ? Une vraie chambre d'ado, recouverte de poster et dans un bazar monstre ? Est-ce que sa mère avait fouillé la pièce, l'avait rangée ? Est-ce que les flics avaient tout retourné ? Et surtout, allaient-ils découvrir quelque chose ? Allaient-ils réussir à retrouver Neil ?

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Suite à des problèmes indépendants de ma volonté (c'est-à-dire un wifi hors d'usage snif), le chapitre d'hier n'a pu être posté que aujourd'hui. Estimez-vous heureux, vous aurez moins longtemps à attendre pour la suite hehe, je la posterai ce soir !
Et en bonus, une nouvelle couverture haha !

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