Chapitre 3 : Prune

Dimanche 3 décembre : Prune

Prune était ce genre de personne étrange qui aimait les dimanches. Alors que tout le monde n'y voyait que le dernier jour du week-end, une sorte de pré-lundi, Prune elle aimait cette journée paisible. En temps normal elle n'avait pas beaucoup d'obligation ce jour-là, à part terminer ses devoirs et passer l'aspirateur dans toute la maison, puisque c'était son jour de corvée. Bien-sûr, il arrivait qu'elle ait des repas de famille, toujours trop long, où on ne servait le dessert qu'à seize heures, mais en règle générale, le dimanche était sa journée cool.

Sauf ce dimanche trois décembre. Aujourd'hui, Prune était inquiète, et pour cause : Neil Fabre avait disparu. Dans les films, on signalait les disparitions pile-poil vingt-quatre heures après la dernière fois qu'on ait vu la victime, et la police se mettait aussitôt à sa recherche. À partir de là, il y avait plusieurs scénarios possibles : numéro un, la famille recevait une demande de rançon le lendemain, avec une vidéo flippante ou un bout de doigt ou d'oreille de l'otage. Numéro deux, il n'y avait aucun indice, la police classait l'affaire, un enfant innocent déterrait le cadavre du disparu dix ans plus tard et un nouvel enquêteur reprenait l'affaire et « rouvrait les plaies du passé... ». Numéro trois, la police menait son enquête de façon banale, trouvait des indices au fil du film, retrouvait le disparu à la fin, et le public se plaignait que ce film soit « sans surprises ».

Prune aurait aimé être dans le troisième cas, qu'on retrouve Neil sans surprise l'aurait plus qu'arrangé. Malheureusement, on était dans la réalité. Les parents de Neil avaient attendu douze heures environ, on leur avait dit que ce n'était pas assez. Alors ils avaient attendu le lendemain, y étaient retourné le samedi, avaient patienté dans le commissariat miteux de leur petite ville, pour que l'officier en poste ce matin prenne leur déposition d'un air blasé avant de conclure « sûrement une fugue ». Devant l'insistance des parents de Neil, et obéissant à la procédure, il avait imprimé des petites affichettes signalant la disparition du garçon avec une photo peu flatteuse de lui, et avait lancé un avis de recherche dans la région. Il n'avait même pas attrapé son talkie-walkie pour lancer « à toutes les unités, on a un 36-9. Je répète, on a un 36-9 ». Non, il avait juste envoyé un mail – tout en se plaignant de ces ordinateurs que ne fonctionnent jamais – avant de prendre sa pause, abandonnant la famille Fabre désemparée et seule au milieu du commissariat.

Après une vingtaine de minutes, il était revenu avec un sandwich au poulet et une tache de mayonnaise sur sa chemise bleue, et avait déclaré, la bouche pleine : « Faut pas qu'vous vous inquiétiez, faut savoir qu'environ 40 000 gosses fuguent tous les ans. On en r'trouve un tiers en quarante-huit heures, alors on n'panique pas m'ssieur dame. Il va r'venir vot' Jeremy. » Madame Fabre lui avait fait remarquer qu'il s'appelait Neil, et que si la police ne connaissait même pas son prénom, cela lui semblait compliqué qu'elle réussisse à retrouver son fils. L'officier avait haussé les épaules, avant de congédier les parents et de continuer à manger.

Si Prune savait tout cela, c'est parce qu'après avoir quitter le commissariat, les Fabre étaient immédiatement rentrés chez eux, pour vérifier si leur fils n'était pas rentré, avant de venir frapper à la porte voisine, pour les tenir au courant. Officiellement, Prune n'aurait pas dû entendre cette discussion, car la mère de Neil avait l'horrible manie d'infantiliser tout le monde plus jeune qu'elle, et par conséquent avait demandé à la jeune fille de les laisser car c'était « une affaire de grande personne ».

Prune était donc partie du salon, et avait tout écouté depuis le haut des escaliers. Malgré les manières hautaines des Fabre et les reniflements incessants de la mère de Neil, qui se retenait vraisemblablement de fondre en larmes, Prune avait comprit l'essentiel : Neil avait disparu, et la police était incompétente.

Elle y avait réfléchi toute la nuit, incapable de dormir, et la conclusion s'était imposée d'elle-même : elle allait devoir se lancer à la recherche de Neil elle-même.

Alors dès son réveil, elle s'était assise face à son bureau, sur sa chaise recouverte de vêtements pas assez sales pour être lavés, mais pas assez propre pour être rangé dans son armoire. Elle avait attrapé un petit carnet trainant par là – elle était le genre de fille qui collectionne les carnet –, tout simple avec une couverture à motif fleuri, et avait noté sur la première page, de sa plus belle plume : L'affaire Neil Fabre.

Elle avait admiré son œuvre, puis avait soupiré. Ce n'était pas un jeu, son plus vieil ami avait réellement disparu. Elle envisagea d'arracher la page, mais se reprit : déjà elle n'aimait pas abimer ses affaires, et surtout, noter tout ce qu'elle savait sur cette affaire était une bonne façon d'avancer. Après tout, n'était-ce pas ce que faisait les détectives privés ?

Prune tourna donc la page, et commença à écrire :

1 : Neil Fabre a disparu dans la nuit du trente novembre au premier décembre.

2 : Malgré ce qu'à l'air de penser la police, ce n'est vraisemblablement pas une fugue, dans le cas contraire, il m'aurait mise au courant. De plus, je connais Neil depuis notre enfance, et ce n'est vraiment pas son genre d'agir comme ça.

3 :

Son stylo resta suspendu en l'air, et elle soupira. Elle n'en savait pas vraiment plus. Elle n'avait aucun élément tangible et aucune hypothèse plausible. Et puis, un véritable enquêteur n'extrapolait pas comme ça, il allait sur le terrain récolter des preuves. Elle se leva, déterminée. Elle n'avait plus qu'à aller là tout avait de toute évidence commencé, ou fini, mais elle ne voulait pas songer à cette hypothèse : la chambre de Neil.

Quelqu'un sonna alors à la porte, et quelques secondes plus tard, le père de Prune cria :

- Prune ! C'est pour toi !

Elle referma son carnet et fronça les sourcils, perplexe : qui pouvait bien venir la voir, un dimanche matin ? Pas ses amis en tout cas, d'ailleurs le terme « amis » était peut-être un peu fort pour les qualifier, « connaissances » ou « camarades de classe » aurait été plus exact. En tout cas, il n'y avait aucune raison valable à ce que l'un d'eux vienne chez elle de si bon matin. Alors qui ? Elle eut un espoir fou en imaginant Neil derrière la porte, mais elle se ressaisit : il avait disparu, il n'y avait que très peu de chance qu'il réapparaisse comme ça. Surtout si on partait du principe qu'il n'avait pas fugué.

La jeune fille descendit lentement, en songeant trop tard qu'elle portait sa tenue du dimanche, c'est-à-dire son vieux jean recouvert de taches de peintures multicolore, avec un pull jaune beaucoup trop grand pour elle et des chaussettes à pois rouges. Tant pis.

Elle tomba sur un garçon du lycée, celui qu'elle avait observé de sa fenêtre la vielle. C'était le meilleur ami de Neil, un certain Achille Martin. Elle se souvenais bien de lui, notamment grâce à son prénom mythologique. Ce n'était pas commun Achille, mais cela lui plaisait bien comme nom.

Il venait surement lui demander des nouvelles de Neil, il ne devait pas encore être au courant...

- Bonjour... commença-t-elle d'une voix hésitante.

- Salut ! Je suis Achille, le meilleur ami de Neil.

- Je sais.

Il tiqua à ses mots, avant de sourire.

- Je vois, il t'a souvent parlé de moi ?

- Un peu oui. Mais même sans ça, tout le monde te connaît au lycée !

- Surement, mais peu importe. Je suis venu te parler de Neil.

- Il a disparu, lui annonça-t-elle de but en blanc.

- Je sais, j'ai vu sa mère vendredi soir. Et il ne répond ni à mes sms ni à mes appels...

Prune ne répondit pas. Que dire suite à ça ?

- Je voulais te poser quelques questions à propos de lui, continua Achille.

La jeune fille haussa les sourcils. Ainsi donc, lui aussi menait sa propre enquête. C'était intéressant, ils pourraient peut-être faire équipe...

- Il ne m'a jamais parlé de partir loin d'ici ou de quitter sa famille, répondit-elle avant même qu'il ne puisse lui poser une seule question. Si tu veux tout savoir, je ne pense pas qu'il ait fugué, malgré ce qu'en dit la police. Il m'en aurait parlé.

- Parfait, je ne le pensais pas non plus, dans ce cas là il m'aurait répondu, c'est sûr. Je penchais pour un enlèvement. Ou un accident.

Prune réalisa alors qu'ils étaient toujours sur le pas de la porte, alors qu'il neigeait un peu.

- Hm excuses-moi, mais cela serait peut-être mieux d'en parler à l'intérieur non ? Entre, je t'en pris.

Le garçon la suivit à l'intérieur, jusque dans sa chambre. Au moment où Prune allait fermer la porte, son père débarqua dans le couloir et s'exclama :

- Non, laisse ouvert Prune. Je préfère.

La jeune fille resta immobile, confuse, avant de comprendre et de piquer un phare.

- Oh ! Non, pas du tout, ce n'est pas ce que tu crois papa ! C'est juste un ami de Neil, on ne se connaît même pas !

- Ouais, je la connais l'excuse « mais c'est juste un ami », j'ai été jeune avant toi !

- En l'occurrence ce n'est même pas un ami papa ! On parle de Neil, tu sais, notre voisin qui a tragiquement disparu sans laisser de trace ?

Son père ne répondit pas, et Prune su qu'il avait été tellement obnubilé par la crainte de ce qui pourrait se passer dans cette chambre avec la porte fermée, qu'il en avait oublié que Neil avait disparu.

Il soupira.

- Très bien, mais ça n'empêche pas que cette porte doit rester ouverte. Ce n'est pas négociable.

La jeune fille leva les yeux au ciel, tandis qu'Achille ricanait discrètement derrière elle. Elle referma la porte en ne laissant qu'un tout petit espace ouvert, et elle entendit son père souffler avant de l'ouvrir de quelques centimètres de plus.

Achille rigola.

- Il est un peu anxieux ton père non ?

- Disons surprotecteur.

- Tu as de la chance.

Prune manqua de s'étouffer.

- De la chance ? Tu parles, j'ai à peine le droit de sortir seule !

- Peut-être, mais au moins ton père tient à toi, c'est déjà ça.

Elle fronça les sourcils, sentant qu'il y avait anguille sous roche.

- Pourquoi tu dis ça ? Ça ne va pas entre ton père et toi ?

- Bof, disons que moins j'en entend parler mieux c'est. Comme il nous a abandonné, ce n'est pas très compliqué.

- Oh... je suis désolée pour toi.

- Ne le sois pas, tu n'y peux rien. Mais revenons à Neil ! Qu'est-ce que l'on sait ?

- Pas grand chose malheureusement, soupira Prune. On sait qu'il a disparu dans la nuit de trente au premier, que la police pense qu'il a fugué mais pas nous. Quoi d'autre ?

- Qu'il ne me répond pas, donc qu'il n'a pas son portable.

- Ou alors il t'ignore.

- C'est peu probable, il ne les a même pas vu.

Prune nota ce dernier élément dans son petit carnet. Cela ne lui semblait pas très utile, mais on ne savait jamais. Et puis vu le manque d'éléments, la moindre petite piste comptait.

- Je pensais aller fouiller dans sa chambre, reprit-elle.

Achille l'observa fixement, et elle se sentit rougir. Elle n'avait rien dit d'idiot non ?

- Ça me semble être une bonne idée ! On trouvera peut-être quelques indices là-bas !

- C'est exactement ce que je me disais ! Et puis vu l'absence totale de preuve matérielle, ça ne peut pas faire de mal...

Le garçon fronça les sourcils.

- Par contre pas aujourd'hui, je ne suis pas sûr que ses parents apprécieraient qu'on débarque un dimanche comme ça, ils sont du genre assez cathos non ?

- Ils sont hyper conservateurs en tout cas, confirma Prune. On pourrait peut-être essayer demain, après les cours ?

Achille lui fit un clin d'œil.

- Parfait, c'est un bon plan ! On avisera sur place !

Prune songea que c'était effectivement la meilleure chose à faire pour retrouver Neil, et qu'Achille avait l'air d'être le mieux placé pour l'aider...



❅❅❅

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top