Chapitre 24 : Prune

Dimanche 24 décembre : Prune

Assise sur la banquette arrière d'une voiture, Prune observait le paysage avec mélancolie. L'aube se levait doucement sur la campagne, la nimbant d'une délicate lumière ambrée. La jeune fille observa ses amis avec attention, un sourire attendri aux lèvres. La situation avait évolué de façon si surprenante depuis la veille... Jamais elle n'aurait pu le soupçonner. Dans son esprit, Neil Fabre était malheureusement mort et enterré. Et pourtant, il était réapparu comme une fleur hier matin, au plus grand étonnement de tout le monde. Un vrai miracle.

Quand le disparu était sorti des fourrés et qu'il avait débarqué devant son campement, Prune avait cru rêver. Elle aurait volontiers admis n'importe quelle explication fantaisiste pour justifier son retour, mais qu'il réapparaisse ainsi, c'était tout simplement inouï.

Pourtant, c'était bel et bien lui qui se tenait devant elle. Il avait changé, mais le doute n'était pas permis. Sa chevelure blonde et soyeuse était désormais tristement terne, et des mèches sales tombaient lourdement sur son visage. Sa peau était si pâle qu'un vampire l'aurait jalousée, et seules ses blessures, uniques tâches colorées sur cette toile diaphane, le différenciait de la créature mythique. En effet, une longue estafilade barrait sa joue gauche, et son arcade sourcilière droite était manifestement fendue. Dessous, son œil faisait peine à voir tant il était gonflé, et un gros hématome colorait également son menton. Néanmoins, l'azur de son deuxième œil pétillait de malice, et ses fines lèvres violacées s'étiraient en un doux sourire.

Ce fut Achille qui réagit le premier, face à cette apparition presque surnaturelle. Il eut un rire incrédule, avant de s'exclamer :

- Bon sang Neil, t'étais passé où ?

- Oh, je me suis baladé ici et là. J'ai visité du pays, lança-t-il d'une voix faussement désinvolte.

Mais personne n'était dupe, et tous savaient que cette affaire dépassait de loin le cadre de la simple fugue. Mue par une soudaine émotion, Prune s'élança vers Neil et le serra dans ses bras.

- J'ai cru que tu étais mort ! asséna-t-elle avant d'affermir son étreinte, comme si elle craignait de le voir s'échapper à nouveau. Ne me refais plus jamais ça !

La jeune fille aurait adoré continuer ses réprimandes, mais un sanglot l'en empêcha et elle fondit en larme dans les bras de son ami. Il resta statique, sans savoir comment réagir face à ce chagrin impromptu, avant de lui rendre paisiblement son étreinte. À vrai dire, Prune elle-même n'aurait su déterminer la raison de ces pleurs. Peut-être qu'après toutes ces émotions, ses nerfs finissaient par lâcher.

Le garçon se recula ensuite de quelques pas, et il posa sur elle un regard pénétrant, avant de se tourner vers Achille et Cora.

- J'imagine que je vous dois des explications, commença-t-il, un peu gêné.

- Un peu que tu nous en dois ! s'écria Achille.

- Mais avant, j'aimerai savoir quelque chose : comment vous m'avez retrouvé ? leur demanda-t-il avec curiosité.

Prune inspira profondément, avant de se lancer dans le récit de leur enquête. Elle n'omit aucun détail, de leur découverte de son journal intime crypté à celle du corps de Daphné Duchamp. À ce stade, le visage de Neil s'était considérablement assombri.

- Alors on avait raison ? l'interrogea doucement Cora. Tu connaissais cette fille ?

Il soupira tristement.

- Je l'ai rencontré au début de ma fugue. Elle m'a été d'une aide précieuse. Elle avait beau être jeune, elle s'était déjà enfuie de chez elle à de nombreuses reprises... La tente lui appartenait, leur expliqua-t-il en désignant l'objet. Je...

Sa voix se brisa, et Prune lui attrapa la main avec douceur en signe de soutien.

- C'est pour elle que je suis revenu dans les environs. Mais je suis arrivé trop tard. Elle était déjà morte de froid depuis plusieurs jours quand je l'ai retrouvée. C'est moi qui ai appelé la police...

- Désolé, murmura Achille avant de lui donner une accolade. Désolé pour tout.

À ses mots, Prune sut qu'il n'exprimait pas son soutien à Neil uniquement pour la mort de Daphné, mais bel et bien pour toutes les épreuves qu'il avait dues traverser récemment.

- Au fait, s'exclama Cora en brisant le silence lugubre qui s'était installé. C'est bien toi qui a déposé Lolitachez moi, Neil ?

Le concerné étouffa un petit rire.

- Ah ça ! Oui, je suis repassé chez moi après avoir trouvé le corps de Daphné. Mon père était au boulot et ma mère endormie, alors ça n'a pas été trop compliqué. J'ai récupéré deux ou trois livres, et je me suis dit que je pouvais quand même vous laisser quelques indices, au cas où vous seriez passé à côté. J'ai déposé La Pestede Camus chez Prune, Antigoned'Anouilh chez Achille, et Lolitade Nabokov chez toi, oui. J'y ai souligné plein de références à la fuite, pour vous mettre sur la piste. De toute évidence, Prune et Achille étaient bien trop préoccupés pour le remarquer.

- Eh ! s'offusqua son meilleur ami. C'est ta faute : on croyait que tu étais mort !

- Dans ton journal intime, tu semblais au bord du suicide, releva Prune d'une voix faible.

- Pour être honnête, je ne pensais pas que vous réussiriez à le décrypter. C'est vrai que par moment, j'y ai pensé. Tout abandonner, mettre un terme définitif à tout ça... Mais finalement, j'ai préféré opter pour la fugue.

Tous les trois allèrent ensuite s'installer sous la toile, et ils continuèrent à discuter ainsi des heures durant. La nuit était tombée depuis longtemps lorsqu'ils essayèrent de dormir un peu, mais le froid glacial de décembre les en empêcha. Prune n'osa pas imaginer comment le fugueur avait dû vivre ces derniers temps. La vie chez lui devait vraiment être terrible, pour qu'il préfère dormir ainsi sous la neige.

Neil extirpa alors des clés de voiture de sa poche, avec un sourire presque enfantin. Cela les réveilla tout à fait.

- Où est-ce que tu t'es procuré ça ? siffla Achille, admiratif.

- Daphné l'a volée, énonça-t-il aussi simplement que si elle avait acheté une baguette de pain.

- Pardon ? s'étouffa Prune. Comment ça « volée » ?

- Je vous ai dit qu'elle avait déjà fuguée de nombreuses fois. Elle était bien plus débrouillarde qu'elle en avait l'air, cette petite !

Il s'élança alors hors de la tente, aussitôt suivi de ses amis. Pirate, qui avait dû rester à l'extérieur à cause de manque de place, hurla de plaisir, avant de les suivre joyeusement. Neil les conduisit quelques mètres plus loin, devant une vieille Twingo violette dissimulée entre les arbres.

Le garçon l'ouvrit en souriant fièrement, avant de s'installer derrière le volant. Cora choisit immédiatement la place du mort, à l'avant, et Achille, Prune et Pirate se rabattirent à l'arrière.

- Mais tu sais conduire au moins ? Tu as ton permis ? l'interrogea Prune, soucieuse.

Ils étaient déjà à bord d'une voiture volée, il ne fallait en plus qu'ils la conduisent sans permis en plus !

- Bien sûr ! souffla dédaigneusement le conducteur. J'ai fait ma conduite accompagnée et j'ai 18 ans dans quelques heures.

- Où est-ce qu'on va exactement ? le coupa Cora.

- Je vous embarque avec moi dans mon road trip ? s'exclama gaiment Neil. Après tout, c'est les vacances, non ?

- C'est parti ! approuva Achille, tandis que Neil démarrait et que Cora bidouillait déjà l'autoradio – son choix se porta finalement sur Ridede Lana Del Rey.

Prune se laissa emporter par la voix enchanteresse de la chanteuse. Elle s'appuya contre la vitre, songeuse. Un détail la turlupinait encore.

- Qu'est-ce qui t'as décidé à partir, Neil ? Je veux dire, pourquoi ce soir-là et pas avant ?

- Mon père. Il... Il s'est montré encore plus violent que d'habitude ce jour-là. J'avais eu un zéro en maths, mais surtout... Il a découvert que j'étais gay. Et ça ne lui a pas plu du tout. J'en garde encore des séquelles, soupira-t-il avant de désigner ses blessures.

Il se retourna ensuite vers ses amis, appréhendant leur réaction après ce coming-out improvisé.

- Mais quel... ragea Cora.

- Tu es gay ? s'étonna Achille. Pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ?

- J'imagine que j'avais peur que tu réagisses comme mon géniteur... grimaça Neil.

- Comme si c'était mon genre ! fit-il semblant de s'offusquer, avant de lui donner une petite tape sur l'épaule.

Prune préféra lui ébouriffer les cheveux par derrière, et il grogna pour la forme, avant d'éclater de rire dans une cascade de grelots. Bientôt, Cora, Prune et Achille le rejoignirent, et ils rigolèrent ainsi pendant de longues minutes, incapables de s'arrêter. Dès que l'un d'eux le faisait, le rire communicatif des trois autre le déridait aussitôt, et c'était reparti pour un tour. Quand ils se calmèrent enfin, Prune eut l'impression que le monde était devenu plus beau, plus clair, plus léger. Le rire était vraiment un remède formidable, capable d'apaiser les plaies les plus douloureuses.

- Au fait, Neil, reprit-elle d'une voix curieuse. Tu ne nous as pas encore raconté toute ta fugue.

- Vraiment ? Alors installez-vous bien les enfants, car c'est une longue histoire... 


❅❅❅

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top