Chapitre 22 : Cora
Vendredi 22 décembre : Cora
Lorsqu'elle se réveilla en ce vendredi matin, Cora soupira. En temps normal, elle aurait dû sauter de joie, sachant que le soir même, elle serait enfin en vacances. Mais ce n'était plus les temps normaux. Neil avait disparu, et ce faisant, il avait bouleversé les vies bien réglées de ses amis. Il n'était plus question des stupides histoires de cœur de Cora, des mauvaises notes d'Achille ou du choix d'avenir de Prune. La disparition de leur ami avait tout relégué au second plan. Plus aucunes de ces interrogations futiles n'avaient d'importance désormais. Neil était parti à jamais. Et plus rien de pourrait le ramener parmi eux.
Pourtant, Cora ne pouvait s'empêcher de garder une ultime étincelle d'espoir. Elle s'était dit qu'elle continuerait tant qu'elle n'aurait pas le cadavre de Neil sous les yeux. Et le fait est que personne ne l'avait encore trouvé. Certes, les chances que le garçon soit encore en vie étaient infinitésimales, la jeune fille le savait. Mais elle ne pouvait pas les négliger pour autant. Achille lui avait asséné qu'elle était dans le déni, et Prune n'avait pas donné le moindre signe de vie depuis ce funeste mardi soir – ou mercredi matin, si l'on voulait être précis. Malgré tout, Cora refusait d'abandonner. La part rationnelle de son esprit lui dictait que tout ceci était vain, mais elle était bien trop têtue pour l'écouter. Il fallait qu'elle retrouve Neil, qu'il soit mort ou vif. Peu importe si elle était seule sur coup-ci, si tout le monde avait lâché l'affaire. Sans ça, jamais elle n'aurait la conscience tranquille.
La police n'avait hélas rien de nouveau. Elle avait appelé le commissaire la veille, et bien qu'il se soit montré plus que compréhensif envers elle, il ne l'avait pas aidé du moins au monde. Pour lui, cela ne faisait aucun doute que Neil était mort, même si Pierre Fabre persistait et répétait à qui voulait l'entendre qu'il n'était pas un meurtrier. Le journal intime de Neil l'incriminait pourtant assez, et il avait été placé en garde à vue. Il n'avait peut-être pas directement tué son fils, mais il était bel et bien un homme violent. Pendant son interpellation, il n'avait pas hésité à frapper un policier, et les analyses du sang de sa femme avait confirmé l'hypothèse d'Achille et Cora : il la droguait depuis de longues années, pour la garder sous son emprise. L'enquête avait révélé qu'il se procurait le Xanax par le biais d'un dealer bien connu des services de police, et un psychiatre avait attesté que Regina Fabre ne faisait en aucune façon de l'anxiété. En revanche, elle sortait grandement fragilisée de cette épreuve, après tant d'années sous un traitement aussi fort, et surtout non nécessaire. Elle était pour l'instant placée en observation à l'hôpital, et les médecins se montraient optimistes. Néanmoins, vu son état, elle ne pouvait plus être considérée comme témoin dans l'affaire et encore moins aider à confondre son mari.
Cora fut prise d'un doute. Pierre Fabre semblait définitivement dangereux et fou. Pourtant, il s'obstinait à clamer son innocence. Il avait avoué sans trop de problèmes qu'il battait bel et bien son fils, et se vantait même de lui administrer une éducation « à la dure », mais il réfutait bec et ongle l'assassinat de l'adolescent. Il se savait de toute façon condamné à la prison pour un certain nombre d'année, alors à quoi bon le nier ?
L'unique autre explication possible était alors le suicide de Neil. Le père ne mentait pas et ne l'avait pas liquidé, ou du moins, pas directement. Neil se serait suicidé à cause de lui et des mauvais traitements qu'il lui infligeait, cela ne faisait aucun doute. Le garçon s'était-il vraiment donné la mort ? Tout semblait mener à cette conclusion désormais. Mais sans savoir pourquoi, Cora en doutait. Certes, une impression d'immense désespoir se dégageait de son journal intime, mais cela signifiait-il qu'il était réellement passé à l'acte ?
La jeune fille retourna s'affaler sur son lit, l'esprit embrumé d'hypothèses toutes plus tragiques les unes que les autres. Ses yeux se posèrent alors sur une pile de livres inhabituelle. Elle se redressa, perplexe, avant de réaliser qu'il s'agissait des livres de Neil. Ses sourcils se froncèrent : elle avait pourtant souvenir de les avoir remis chez lui... Elle attrapa le premier du tas, curieuse : Lolita, de Vladimir Nabokov. La jeune fille aurait juré que c'était Prune qui l'avait emprunté. Étrange...
Alors que les ouvrages que Cora avait choisis était en grande majorité vierges de toute inscriptions, celui-ci en était truffé. Elle se demanda pourquoi Prune ne leur en avait pas parlé, mais il est vrai que la découverte d'Achille dans L'Attrape-cœursavait complètement éclipsée les lectures des filles.
Cora commença sa lecture en diagonale, assez réticente. Elle ne savait que trop bien de quoi parlait ce livre : une histoire de pédophilie sordide entre le vieil Humbert Humbert et la jeune Lolita. Malgré le dégout grandissant qu'elle éprouvait pour le narrateur, elle ne put néanmoins pas s'empêcher d'apprécier la plume de l'auteur, tout simplement divine. Ce fut la lecture la plus perturbante de sa vie. Ayant fini de feuilleter le premier tiers, elle ne sut quoi en penser. Elle était à la fois profondément mal à l'aise et conquise par le style de l'écrivain.
Néanmoins, malgré ces sentiments partagés, Cora n'avait pas perdu de vue son objectif premier. Il fallait qu'elle trouve quelque chose, n'importe quoi, qui puisse la mener à Neil. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Ou en l'occurrence, un indice dans un bouquin de plus de cinq cents pages. De nombreux passages concernant les plans de fuite d'Humbert Humbert était soulignés, ainsi que des références au voyage et aux motels, une dispute entre Lolita et l'odieux narrateur, et cette citation entourée au stylo rouge : « Si la corde d'un violon était capable de souffrir, alors j'étais cette corde ». Ce dernier élément retint l'attention de Cora. Outre une référence évidente à la souffrance de Neil, cela n'était-il pas un clin d'œil à l'intention de Prune ? Après tout, cette dernière jouait bien du violon.
Cora se leva et jeta un coup d'œil par la fenêtre. Il avait cessé de neiger, même si un fin manteau de flocons recouvrait encore les passages peu fréquentés. Sans vraiment y réfléchir, elle s'habilla à la hâte et se chaussa, avant de récupérer son vélo et de sortir. Le vent glacial la fit immédiatement frissonner et elle souffla un petit nuage de vapeur, alors que ses pommettes rougissaient un peu plus à chaque instant. La jeune fille envoya un bref message à Achille pour lui demander de la rejoindre chez Prune, avant de se mettre en route. Pédaler lui ferait un bien fou, cela lui permettrait de se réchauffer un peu.
L'adolescente ne ralentit que lorsqu'elle aperçut le domicile des Aubrun. Achille, qui avait dû se mettre en marche dès qu'il avait reçu son texto, arriva quelques instants après elle. Quand il parvint à sa hauteur, Cora remarqua qu'il avait le souffle court et les joues rougies par l'effort. Ses cheveux crépus frisaient si étrangement aujourd'hui que la jeune fille dû se retenir pour ne pas pouffer de rire, ce qui n'échappa à l'attention de son ami.
- Je n'ai pas eu le temps de me coiffer ce matin, se justifia-t-il piteusement.
- On dirait que tu as dormi la tête coincée dans un mixeur, observa Cora, pince-sans-rire.
- Oh, ça va, hein ! On a tous des bad hair days,je te ferai dire ! Et en ce moment, j'ai des préoccupations autrement plus importantes que mes cheveux.
- Certes. Mais quand même...
- On peut arrêter d'en parler, oui ou non ?
- Monsieur est susceptible à ce que je vois, se moqua Cora.
Elle s'approcha de lui et tendit la main pour ébouriffer encore un peu plus sa chevelure, mais elle suspendit aussitôt son geste quand elle croisa le regard obscur du garçon.
- À ta place, je ne m'y risquerai pas, grogna-t-il en guise de menace.
Cora leva les yeux au ciel, mais n'insista pas. Ils avaient des combats plus importants à mener. Elle avait beau plaisanter ainsi pour donner le change, intérieurement, elle était toujours aussi dévastée et perdue. C'est pour ça qu'elle avait donné rendez-vous à Achille ici. D'une, pour vérifier si Prune allait bien, et dans le cas contraire, l'aider. Et de deux, pour leur faire part de ses découvertes dans le livre de Nabokov. Elle ne parvenait pas à y voir clair, et elle avait désespérément besoin d'un avis extérieur.
Elle sonna à la porte d'un coup bref, impatiente de se réfugier au chaud. Mais après plusieurs minutes d'attendes sans réponses, elle commença à désespérer. Achille frappa également à de nombreuses reprises, mais en vain. Pourtant, Prune aurait dû être à l'intérieur. Tout comme eux, elle était suspendue du lycée, alors selon toute vraisemblance, elle devait être chez elle.
- Prune ? hurla Achille. Prune, c'est nous ! Tu es là ?
Un vague bruit se fit alors entendre derrière la cloison, et les deux amis tendirent l'oreille. Le son d'une clé dans la serrure retentit alors, et ils se reculèrent prestement. La porte s'entrouvrit, laissant apparaître une Prune qui, manifestement, allait mal. Elle portait un bas de pyjama trop grand et délavé, avec un vieux sweat violet qui avait dû être tendance au début des années deux milles – et encore, Cora n'était pas sûre qu'une telle horreur ait pu un jour être considérée à la mode. La chevelure de Prune n'avait rien à envier à celle d'Achille : des mèches grasses et ternes s'échappaient d'un chignon défait et pendouillaient tristement autours de son visage. Sa peau était encore plus pâle que d'habitude, ce qui n'était pas peu dire ; et ses yeux translucides, vides de toute émotion, étaient soulignés par d'énormes cernes mauves qui auraient rendu vert de jalousie n'importe quel zombie.
Cora se précipita pour la prendre dans ses bras. L'état de son amie la préoccupait au plus haut point : elle semblait avoir perdu toute volonté de vivre. Achille la suivit plus prudemment à l'intérieur, inquiet à l'idée de faire une gaffe. Ils tentèrent de réconforter leur amie de mieux qu'ils purent, mais malheureusement, aucun mot n'était assez puissant pour effacer la douleur de la perte de Neil.
Cora leur exposa alors ce qu'elle avait découvert dans Lolitade Nabokov. Elle ne voulait surtout pas donner de faux espoirs à son amie, mais elle ne pouvait pas non plus la laisser dans l'ignorance. Si Neil soulignait tant de fois des expressions qui relevaient de la fuite, cela ne pouvait signifier qu'une seule chose : il avait bel et bien prévu de fuguer.
Un regain d'espoir gagna les adolescents, et même les prunelles de Prune semblèrent s'illuminer à nouveau. D'abord L'attrape-cœur, puis Lolita ? Non, décidément, cela n'était plus un détail anodin : Neil Fabre avait voulu s'enfuir. La question était désormais de savoir s'il y était parvenu ou non. Et surtout, de déterminer où il pouvait bien être désormais. Lui, ou son cadavre.
❅ ❅❅
Hehe alors, Neil : vivra, vivra pas ?
(la question peut aussi se poser dans mon cas mdrr, je crois que je vais finir noyée sous mes fiches de français oups)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top