Chapitre 17 : Achille




Dimanche 17 : Achille

« Putain », ce fut la seule chose qui traversa l'esprit d'Achille lorsqu'il se réveilla ce dimanche matin. Un bon gros juron, répété à l'infini dans son cerveau vide de tout sentiments. Il ne pouvait rien penser d'autre, rien ressentir, à part cette colère sourde et cet espèce d'engourdissement de ses sens. Et puis le choc, terrible.

Il se trouvait sur un matelas gonflable, à même le sol dans la chambre de Prune. Cette dernière était encore endormie sur son lit, tandis que Cora somnolait à côté de lui, emmitouflée dans un gros sac de couchage.

La veille, lui et Cora étaient restés tard chez Prune pour continuer leur décryptage du journal intime de Neil. La mère de la jeune fille leur avait commandé des pizzas, pour qu'ils ne meurent pas de faim, et ils avaient finalement décidé de passer la nuit chez les Aubrun, pour plus de commodité. Ils avaient fait une petite pause quand ils avaient diné, et avaient regardé Maman j'ai raté l'avion, pour rester dans le thème de la décoration de la maison. Ils s'étaient ensuite amusé à imaginer tous les pièges que Kevin aurait pu faire dans cette maison, avec toutes ces boules de noël à sa disparition. Quelque chose d'épique, il n'y avait aucun doute là-dessus.

La petite bande s'étaient ensuite replongé dans le journal de Neil. Tous les trois avaient bien avancé dans la journée, mais c'était un travail long et fastidieux. De plus, Neil n'écrivait pas très bien, et différencier certains signes entre eux s'avérait plus complexe que prévu.

Vers vingt-trois heures, les adolescents avaient néanmoins réussi à décrypter près de la moitié du carnet du disparu. Et même si son contenu était intéressant, ou du moins, plus intéressant qu'un cours de géographie ou de physique, cela ne les avançait pas plus que ça dans leur enquête. Certes, ils en découvraient plus sur Neil, mais pour l'instant, à aucun moment il ne parlait de fuguer. Évidemment, comme tout les adolescents, il avait hâte de quitter le domicile familial et sa petite ville de province pour voler de ses propres ailes, mais tout indiquait qu'il comptait le faire après le bac, en partant étudier dans une université loin d'ici.

Il est vrai qu'il parlait beaucoup de ses notes et du lycée. Achille savait que son ami avait de – très – mauvaises notes, mais il n'imaginait pas son niveau si catastrophique. Neil craignait de n'être accepté dans aucunes facs, de rater son bac, et sa vie par la même occasion. Mais cela ne sous-entendait aucunement qu'il aurait pu fuguer à cause de ça, non ? En tout cas, Prune n'y croyait pas, et elle l'avait fait clairement comprendre aux autres. Cora au contraire considérait cette hypothèse comme « plausible », et Achille, lui, était désorienté. Il continuait à penser que Neil ne serait jamais parti sans lui en parler. Mais en même temps, plus il avançait dans sa lecture, et plus il se disait qu'il ne connaissait pas si bien que ça le disparu. Et puis, L'attrape-cœur pesait aussi du côté de la fugue.

Au détours des pages, ils tombèrent sur les paroles de la chanson mad world, qu'il avait prit la peine de crypter. Cora avait alors sorti son portable avec un sourire triste, et avait lancé le premier titre de sa playlist des jours de pluie :

« All around me are familiar faces
Worn out places, worn out faces
Bright and early for their daily races
Going nowhere, going nowhere
Their tears are filling up their glasses
No expression, no expression
Hide my head, I want to drown my sorrow
No tomorrow, no tomorrow

And I find it kinda funny, I find it kinda sad
The dreams in which I'm dying are the best I've ever had
I find it hard to tell you, I find it hard to take
When people run in circles it's a very very
Mad world, mad world

Children waiting for the day, they feel good
Happy birthday, happy birthday
Made to feel the way that every child should
Sit and listen, sit and listen
Went to school and I was very nervous
No one knew me, no one knew me
Hello teacher, tell me what's my lesson
Look right through me, look right through me

And I find it kinda funny, I find it kinda sad
The dreams in which I'm dying are the best I've ever had
I find it hard to tell you, I find it hard to take
When people run in circles it's a very very
Mad world, mad world
Enlarge your world
Mad world »

Lorsque les dernières notes s'achevèrent, un silence presque religieux tomba sur la chambre de Prune. Heureusement Cora, comme à son habitude, s'empressa de le briser :

-       Comme je le disais, il a de bons goûts musicaux, le Neil. Presque aussi bon que les miens, c'est dire ! plaisanta-t-elle.

Prune renifla alors, et Achille remarqua que des larmes perlaient aux coins de ses yeux.

-       Prune ? s'enquit-il d'une toute petite voix, sans savoir comment réagir. Tu vas bien ?

Cora sembla répondre à la place de l'intéressée quand elle lui lança un regard noir qui signifiait très clairement « Mais enfin tu vois bien que non ! Tu n'as aucun tact, Achille ! ». Pourtant, elle sembla tout aussi pétrifiée que lui quand Prune fondit réellement en larmes. Achille s'approcha d'elle et lui tapota doucement l'épaule, tandis que Cora levait les yeux au ciel. Elle enlaça Prune, et, à la manière d'une mère, se mit à lui murmurer paisiblement au creux de l'oreille. Le garçon ne pu distinguer la teneur de ses paroles, mais il aurait pu jurer que le message général tenait du « tout va bien, ne t'en fait pas ». En effet, Prune s'était dégagée en hurlant :

-       Tout ne va pas bien ! Il a disparu depuis le premier décembre ! Ça fait plus de trois semaines Cora ! Trois putain de semaines !

Achille su qu'elle était vraiment bouleversée, car s'il y avait bien une personne au monde qui ne jurait jamais, c'était Prune. « Putain » ne faisait pas parti de son vocabulaire, contrairement à la majorité des adolescents.

-       Il est surement mort à l'heure qu'il est ! continua-t-elle. Et à chaque fois qu'on trouve une nouvelle piste, je me dis qu'on a peut-être une chance, que tout est encore possible... pour au final être déçue ! Ce n'est pas son petit carnet qui va nous aider ! Il est trop tard... C'est trop tard !

Cora se mordit nerveusement les lèvres. Peut-être qu'elle aussi, pensait que Neil était mort ? Non, se martela mentalement Achille, c'était impossible. Neil n'était pas mort, il ne pouvait pas être mort. Il le fallait. S'il était mort, alors plus rien n'avait de sens, tout ce qu'ils avaient fait, tout ce qu'ils continuaient à faire, était vain. La vie serait vaine, sans Neil.

Achille refusait d'y croire, sans preuves. Il ne baisserait pas les bras. Tant qu'il n'aurait pas le cadavre de son ami sous les yeux, il refuserait d'y croire. Il fallait qu'il garde espoir, qu'il continue à se battre, à se démener pour retrouver Neil. Il n'avait pas le choix...

-       Je sais ce qu'on va faire, déclara soudainement Cora d'une voix posée, tirant Achille de ses ruminations, et Prune de son chagrin.

Le garçon l'observa avec attention.

-       On va décrypter ce foutu journal intime, de A à Z, sans baisser les bras. Et après, on le donnera à la police.

-       Ce n'est pas toi qui a voulu qu'on leur mente quand ils sont passés au lycée, par hasard ? releva Achille.

-       Si. Mais de toute évidence, notre tactique n'est pas efficace, puisqu'en dix-sept jours, on n'a pas réussi à mettre la main sur Neil.

-       La police non plus, objecta Prune en se mouchant en même temps.

-       Parce qu'on ne leur a pas dit tout ce qu'on savait. Parce qu'on ne leur a pas donné son journal intime. Peut-être qu'ils ont des éléments en plus, qu'ils savent des choses qu'on ignore, et qu'avec ça, ils pourront vite le retrouver !

Achille y réfléchit. C'est vrai que leur méthode n'était de toute évidence pas la bonne, vu leur cuisant échec pour l'instant. Alors, pourquoi ne pas en changer ?

-       Il faut juste qu'on termine de décoder le carnet avant, continua Cora. Je veux être au courant, et si on le donne à la police, c'est évident qu'ils nous tiendront à l'écart. Et ça, je m'y refuse.

-       Ok, murmura faiblement Prune.

-       Ok, renchéri Achille, un peu plus motivé. On le fait. Pour Neil !

Malgré les circonstances tragiques, il ne pu s'empêcher de sourire un peu en prononçant ces mots. Il avait l'impression d'être un chevalier en armure chevauchant son fidèle destrier, l'épée à la main dressée contre l'ennemi et hurlant : pour Narniaaaaa ! Oui, il se sentait très Peter Penvensie à cet instant précis. Malheureusement pour lui, cette impression ne dura pas, et il retomba vite dans la peau d'Achille Martin, lycéen désorienté qui recherchait désespérément son meilleur ami porté disparu.

Cora tapa dans ses mains d'un geste très pro, comme pour remotiver les troupes. Prune essuya ses dernières larmes, et alla s'asseoir à côté d'elle, tandis qu'Achille s'installait en face, le carnet de Neil sur les genoux. Ils s'observèrent tous les trois, fin prêts à en venir enfin à bout.

Plus ils avançaient dans leur décryptage, et plus Achille avait l'impression de plonger dans la psyché de Neil, de le comprendre enfin, après de longues heures vaines. Loin de continuer à y écrire des banalités sur la façon dont il convenait de s'adresser ou non à un journal intime, le disparu y apposait aux contraires ses sentiments les plus profonds. Et plus les étranges symboles se changeaient en phrases, plus ce qu'Achille lisait lui glaçait le sang.

Neil n'allait pas bien. Pas du tout. S'il avait pris la peine de coder tout son journal, c'est parce que son père avait lu son précédant. Apparemment, son contenu ne lui avait pas plu, vu les conséquences. Il avait été giflé, mais à la façon dont il le rapportait, il devait avoir l'habitude. Prune, Cora et Achille avaient eux été plus qu'horrifiés en le découvrant. Son père lui avait ensuite fait comprendre qu'il n'avait pas intérêt à recommencer, en le menaçant verbalement, avant de l'enfermer dans sa chambre, pendant de très longues heures apparemment.

Prune s'était remise à pleurer lorsqu'ils avaient terminé de traduire ce passage, et Achille n'avait été loin de vomir. Neil décrivait ces mauvais traitements avec une telle désinvolture, c'en était proprement révoltant. Comme s'il n'avait jamais rien connu d'autre, ce qui était surement le cas...

Achille pensait les Fabre très stricts avec leur fils, mais la réalité était tout autre. Tout ce qu'il pensait savoir, ce n'était que la partie émergée de l'iceberg, ce qu'ils laissent voir au monde. Lorsque personne ne pouvait les voir, que les volets étaient fermés et les voisins endormis, c'était là que l'horreur, l'authentique cauchemar, commençait pour Neil. Sous le prétexte de l'exigence, ses parents lui faisaient vivre un enfer. Outre les châtiments corporels fréquents, ils lui faisaient aussi subir une véritable torture psychologique, le rabaissant à chaque instant. Rien de ce que faisait leur fils n'était assez bien pour eux, ils ne voyaient en lui qu'une déception, qu'un échec.

-       Il vivait ça au quotidien, murmura Cora, abasourdie par tant de violence.

-       Comment a-t-il fait pour survire dix-huit ans avec eux ? renchéri Prune.

-       Je n'arrive pas à croire que je n'en savais rien, se lamenta Achille. Il vivait un enfer chez lui, et moi, je me moquais de ses parents trop sévères ! Comment est-ce que j'ai pu passer à côté ?

-       J'habite littéralement à deux pas et je n'étais pas au courant non plus tu sais. Il n'en a jamais parlé, à personne. Et ses parents étaient de toute évidence assez discrets pour que personne ne le remarque...

Achille sera les poings lorsque que la jeune fille mentionna les parents du disparu. Comment avaient-ils pu faire subir ça à Neil, leur propre fils ? Ce n'était pas humain, c'était inimaginable !

Il se leva du lit de Prune, soudain pris de rage. Il fit les cents pas, comme un lion en cage, puis, sans y réfléchir, il se retourna, et frappa le mur de son poing, encore et encore. Les deux filles n'osèrent même pas bouger pour le stopper, trop choquées par ce qu'ils venaient de découvrir. Achille arrêta après quelques minutes, le souffle court et la main en sang. Il se laissa tomber au sol et s'adossa contre le mur qui lui avait servi à extérioriser toute sa rage contre les Fabre, ces monstres infâmes.

Cora se leva et vint s'installer auprès de lui, sans un mot. Prune s'assit à leurs côtés et posa sa tête contre l'épaule de Cora, en quête de réconfort. Mais personne ne pouvait l'aider : ils étaient tous les trois aussi vides, éteints, les sentiments anesthésiés face à cette atrocité.





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Bon bon, j'ai (un peu) de retard, mais le point positif, c'est que l'histoire continuera encore un peu après noël du coup haha ! Par contre, vous n'aurez pas le prochain chapitre demain non plus, mais well, mieux vaut de la qualité que de la rapidité !

Et oui, j'aime bien balancer des petites bombes comme ça hehe...

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