Chapitre 16 : Cora




Samedi 16 décembre : Cora

Après leur petite séance de décryptage la veille, les trois adolescents n'avaient malheureusement pas pu se revoir, au grand dam de Cora. Maintenant qu'elle avait enfin réussi à trouver la clé du code du foutu journal intime de Neil, tout ce qu'elle voulait, c'était pouvoir le lire, pour en apprendre plus sur le disparu. Et éventuellement, le retrouver grâce à ça.

Hélas, c'était Prune qui avait gardé le carnet avec elle, et il s'avérait qu'elle avait cours de violon au conservatoire le vendredi soir. Achille et Cora avaient donc dû prendre leur mal en patience et attendre le samedi matin. En effet, Prune leur avait fixé rendez-vous chez elle « à la première heure », un peu comme dans les films. Sauf que ce qui signifiait l'aube pour les héros cinématographiques se transformait en dix heures et demi pour les adolescents. Et encore, Achille avait un peu râlé, il trouvait ça encore trop matinal pour lui. Mais la curiosité était bien plus forte que sa fatigue, alors il avait juste acquiescé.

Cora avait été bien trop énervée pour dormir paisiblement le vendredi soir. Maintenant que les secrets du journal intime de Neil étaient à leur portée, elle sentait qu'ils se rapprochaient du but, qu'enfin, il y avait une lueur d'espoir, et même plus qu'une simple lueur. C'était leur premier véritable indice tangible, après les livres annotés du garçon, qui ne leur avaient finalement pas appris grand chose.

Le matin venu, elle avait eu l'impression de ne pas avoir fermé l'œil de la nuit. Elle avait repassé des dizaines d'hypothèses et de suppositions dans son esprit, encore et encore. Que pouvait bien contenir ce maudit carnet ? Neil ne faisait-il que poser ses sentiments sur le papier, comme de nombreux adolescents ? Continuait-il à tergiverser sur la pertinence à tutoyer son journal intime ou non ? Non, ça c'était impossible, il n'aurait pas pris la peine d'inventer et d'utiliser un code secret des plus illisible pour ça ! Il devait y avoir autre chose, forcément. C'était plus que les tourments d'un adolescent quelconque, que des tribulations inutiles. Il le fallait. Il fallait qu'il y ait écrit quelque chose laissant présager le drame qui allait arriver le premier décembre. Si c'était une fugue, il avait dû y réfléchir, ce n'était pas quelque chose qu'in décidait sur un simple coup de tête ! Et s'il s'était fait enlevé, peut-être s'était-il senti épié, ou suivi, les jours précédents sa disparition ?

À son réveil, après toutes ses interrogations, Cora n'était plus sûre de rien. Mais elle se répétait, tel un mantra, un leitmotiv, qu'avec ce carnet, ils allaient enfin trouver quelque chose, avancer, de quelque manière que ce soit.

Dès que le jour avait pointé à travers sa fenêtre, elle s'était levée et était descendu préparer le petit-déjeuner pour toute la famille. Son père, surement déjà réveillé depuis un certain temps, était en train de lire le journal du jour, emmitouflé dans sa robe de chambre et confortablement installé dans un fauteuil du salon. En le voyant ainsi, Cora n'avait pas pu s'empêcher de lui trouver un petit côté grand-père, comme s'il était déjà à la retraite et qu'il faisait ça tout les jours, et non pas uniquement le week-end. Il paru extrêmement surpris de la voir levée si tôt.

-       Cora ? Tu es malade ?

Elle éclata de rire : au contraire, si elle avait été malade, elle se serrait fait un plaisir de rester au lit pour se faire chouchouter et ainsi obtenir le graal, à savoir un petit-déjeuner au lit.

-       Non non, tout va bien papa. Je me suis juste réveillée un peu en avance. Et puis, j'ai rendez-vous chez Prune à dix heures et demi, donc comme ça je serai largement prête dans les temps.

-       Hm je vois. Étonnant que tu ailles chez cette fille de si bon matin, un samedi qui plus est. Avec Mathilde et compagnie, tu étais plutôt du genre à sortir tard le vendredi soir et à revenir tôt le samedi.

-       Comme quoi, les gens changent, éluda Cora, qui ne souhaitait pas du tout que la conversation glisse sur le terrain gênant de ses anciennes fréquentations.

-       C'est le moins qu'on puisse dire. Il se trame quelque chose avec cette fille ? Mirabelle c'est ça ? Framboise ? Pomme ?

-       Inutile d'essayer en vain tout les fruits papa, l'arrêta sa fille. C'est Prune.

-       Oui c'est ça, cette Prune... Vous êtes ensemble ? l'interrogea-t-il d'une voix candide.

L'adolescente ne s'attentait tellement pas à une question de ce type qu'elle s'en étouffa de surprise.

-       Q... Quoi ? Qu'est-ce que tu viens de dire ?

-       Tu peux tout me dire tu le sais Cora ? Je suis quelqu'un d'assez ouvert pour ce genre de chose il me semble... Je t'aime, et ce peu importe tes fréquentations amoureuses, rassures toi.

C'en fut trop pour la jeune fille, qui ne pu retenir un éclat de rire. Après la courte nuit qu'elle venait de passer, cette conversation lui semblai tout simplement irréelle, elle avait l'impression d'halluciner totalement.

-       Quoi ? insista l'homme. Oh mon dieu j'ai dit quelque chose de mal c'est ça ? Ma chérie, ne te sent pas forcée de faire un coming-out après ça, si tu ne veux pas en parler tout de suite je comprendrai.

Cora riait tellement qu'elle en avait mal au ventre. Elle réussit néanmoins à se calmer juste assez pour articuler.

-       Papa. Je ne suis pas... lesbienne, ou bi, ou peu importe. Pas à ma connaissance en tout cas.

-       Ah bon ?

-       Oui ! Tu te fais des idées !

-       Mais alors, cette Pêche...

-       C'est juste une amie, rien de plus. Et au passage, tu n'y es toujours pas : c'est Prune.

-       Tu en es sûre ?

-       Alors oui, moi, contrairement à toi, je retiens assez bien les prénoms de mes amis.

-       Non, mais, je voulais dire, sûre qu'il n'y a rient entre cette fille et toi ?

-       Oh. Non, si on était en couple, je pense que je le saurai, et, vois-tu, ce n'est pas le cas.

Son père referma alors son journal en soupirant imperceptiblement.

-       Tartines ou céréales ?

-       Pardon ? s'exclama Cora, confuse.

-       Pour ton petit-déjeuner : tartines ou céréales ?

-       Oh. Oh ! Heu, céréales s'il te plait. Mais je vais me débrouiller, t'inquiète, je suis assez grande pour ça !

-       Mouais... Il n'empêche que tu ne sais toujours pas faire tes lessives.

-       Ça n'a aucun rapport ! protesta Cora. En plus je sais très bien le faire, j'ai juste une un accident UNE SEULE ET UNIQUE FOIS !

-       La buanderie s'est retrouvée littéralement envahie par la mousse, parce que tu avais mis trop de lessive, et qu'en plus tu avais ouvert la machine en plein cycle.

-       C'ÉTAIT UN ACCIDENT ! Et puis, reprit-elle d'une voix plus calme après avoir repris son souffle, ça n'a aucun rapport avec le petit-déjeuner. Je nous fais du café ?

L'adulte lui jeta un regard rieur par dessous ses lunettes et acquiesça d'un signe de tête. Jae déboula alors des escaliers à cet instant, apparemment en pleine forme vu qu'il courait. Cora l'observa comme s'il s'agissait d'un ovni. Se lever tôt un samedi matin, c'était déjà presque un miracle pour elle, mais s'agiter comme un beau diable en plus... Même juste le regarder, c'était au dessus de ses forces ! Leur mère descendit alors, et la jeune fille se dit mentalement que, décidemment, cette famille était inexplicablement lève-tôt.

Ils préparèrent le petit-déjeuner tous ensemble, et après une conversation des plus inintéressante sur les prestations de football de son petit frère – qui étaient en réalité plus que médiocre, quoi qu'il en dise – Cora remonta dans sa chambre pour se préparer en vitesse. Le repas avait, de façon surprenante, prit les allures d'une petite réunion de famille et s'était éternisé, au grand dam de la jeune fille. Elle qui pensait avoir tout son temps, elle se retrouvait à la limite du retard désormais !

Une fois prête, elle redescendit au pas de course, comme Jae un peu plus tôt dans la matinée, et cria vaguement à ses parents qu'elle y allait. Son père, à nouveau dans son fauteuil dans le salon, lui jeta un regard évocateur, et elle leva les yeux au ciel. Elle n'arrivait pas à croire que son père, un quasi-retraité, la shippais, elle, sa propre fille, avec une autre fille, dont il ne parvenait même pas à retenir le nom par dessus le marché !

En pédalant sur son vélo, elle se fit la réflexion qu'après tout, elle n'était peut-être pas aussi hétérosexuelle qu'elle ne le pensait. C'est vrai, elle n'avait jamais rien tenté avec une fille, alors pourquoi pas ?  Néanmoins, ce n'était pas avec Prune qu'elle tenterait quoi que ce soit, quoi qu'ait l'air d'en penser son père, c'était son amie, rien de plus. Et puis, elle n'avait pas encore tout à fait tourné la page de son histoire avec Daniel. Même s'il s'était comporté comme un goujat – pour rester poli – une petite part d'elle ne pouvait s'empêcher de se remémorer avec nostalgie tous les bons moments passés ensemble.

Elle arriva dans la rue de Prune, ou la fille au prénom de fruit comme l'appelait son père, et se mit une claque mentale : il ne servait strictement à rien qu'elle remue le passé, puisque dans tous les cas, elle serait incapable de se remettre avec Daniel et de lui faire à nouveau confiance après ça. Et dans l'immédiat, c'était Neil sa priorité, et non pas ses histoires de cœur pathétiques et sans intérêt !

Cora posa sa bicyclette sur le muret délimitant le jardin des Aubrun et pénétra à l'intérieur avec entrain. Dans quelques minutes, ils allaient tous les trois se replonger dans le journal intime de Neil, et enfin avancer dans leur enquête pour le retrouver !

Elle appuya sur la sonnette, d'un doigt rougi par le froid mordant de ce mois de décembre, et attendit tandis que le carillon retentissait à travers la maison. Des bruits de pas se firent entendre, suivi de la voix de Prune : « j'arrive ! ». La porte s'ouvrit alors, laissant apparaître la jeune fille vêtue d'un pantalon en velours brun et d'un gigantesque pull bleu ciel, ses cheveux toujours retenu par un pinceau tout peinturluré. Mais surtout, derrière elle, se tenait un décor digne d'un film de noël : il y avait des décorations de noël absolument partout, du sol au plafond, sur chaque meuble, chaque fenêtres... Cora eut l'impression d'entrer dans une bonbonnière à l'effigie de père noël.

Remarquant ses yeux ébahis par cette vision, Prune se justifia :

-        Ma mère est, hm... disons absolument fan de noël.

-       Je vois ça, murmura Cora, sous le choc.

-       Ça fait bizarre hein ? s'écria Achille, qui était resté en haut des escaliers. J'ai cru que je m'étais trompée et que j'étais entré au musée des boules de noël en entrant !

-       Oui, c'est à peu près ça...

Les deux filles montèrent le rejoindre dans la chambre de Prune, qui semblait être la seule pièce vierge de toutes décorations de noël, aucun petit père noël ou guirlande de dépassait. En revanche, les murs bleu ciel étaient couverts de dessins et de peintures en tout genre. Cora s'approcha et les observa avec attention. Son regard se fit irrésistiblement attirer pour un portrait de Neil au fusain : elle avait l'impression de se retrouver face au disparu, qu'elle le regardait droit dans les yeux et qu'il s'apprêtait à lui parler.

-       Wow, c'est toi qui a fait ça ? s'émerveilla Cora.

Prune acquiesça tout en rougissant légèrement.

-       La vache, c'est incroyable !

-       Non, les proportions ne sont pas du tout respectées, ses yeux sont bien trop gros, se défendit l'artiste. Ses cheveux sont bizarres, ils ont l'air tout plats, et puis j'ai raté les ombres !

-       Tu rigoles là j'espère ? la coupa Achille. C'est magnifique ! Ce n'est peut-être pas aussi ressemblant qu'une photo, mais on voit tout de suite que c'est Neil !

-       Exactement, renchéri Cora. On dirait que tu as capturé son âme et que tu l'as plaquée contre cette feuille. Je te jure, ce dessin à l'essence de Neil !

-       Mouais... C'est vrai qu'il est pas si mal, concéda Prune de mauvaise grâce. Mais ce n'est absolument pas un chef-d'œuvre, bien au contraire ! Je suis bien meilleure en violon qu'en dessin.

-       Putain, qu'est-ce que ça doit être quand tu joues alors ! s'exclama Achille, l'air réellement estomaqué. Quand ça se fait que je n'étais pas au courant que tu dessinais ou que tu jouais si bien avant aujourd'hui ?

Prune haussa les épaules de façon très prunesque, en rougissant encore un peu. Cora soupira, cette fille était-elle vraiment incapable de reconnaître qu'elle était douée ?

-       Peu importe ! reprit Achille. On a un journal intime à déchiffrer et un Neil à retrouver non ?

Les deux filles acquiescèrent, et ils allèrent tous les trois s'asseoir sur le lit de Prune, le carnet du disparu et l'alphabet du code secret entre eux. Cora attrapa un stylo et inspira : ils allaient enfin pouvoir plonger dans les secrets de Neil, et comprendre ce qu'il se passait.


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Oups, est-ce que j'ai encore retardé la séance de décryptage ? 😇
Mais bon, vous avez le père de Cora en échange, c'est pas si mal hahaha !

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