Chapitre 15 : Prune
Vendredi 15 décembre : Prune
Après son cours de littérature, Prune avait un trou dans son emploi du temps le vendredi matin. Elle décida donc de se rendre en salle de travail, la bien mal nommée puisque les élèves y faisaient à peu près tout sauf travailler. Comme comme son nom ne l'indiquait pas, Prune n'allait pas y travailler non plus. Enfin, pas vraiment. Elle allait se pencher sur l'affaire de Neil. Elle pensait avoir trouvé quelque chose, un indice capital, mais il fallait qu'elle vérifie quelque chose pour en être sûre et pouvoir en parler aux autres.
Quand elle arriva dans la pièce, la jeune fille eut la surprise de découvrir Cora et Achille, sur une table un peu excentrée, à l'abri des oreilles indiscrètes. Elle les rejoignit aussitôt, avant de s'exclamer en s'asseyant :
- Qu'est-ce que vous faites là ?
- Bonjour à toi aussi, lui répondit Cora avec sarcasme, mais d'un ton toutefois rieur.
Prune se reprit et leur fit la bise en soupirant intérieurement. Elle avait des choses autrement plus importantes à leur dire que des banalités et des politesses !
- Salut ! Mais qu'est-ce que vous faites ici, sérieusement ? D'habitude vous êtes en cours à cette heure-ci, je ne vous avais jamais vu en salle de travail en même temps que ma classe...
- T'as raison, répondit Achille. Moi, ma prof de maths est absente, une grippe apparemment ! Ce qui est génial, ça veut dire que je n'aurai pas le contrôle que j'aurai dû avoir aujourd'hui, et que je n'avais absolument pas révisé !
- Et moi j'aurais dû être en sport à l'heure qu'il est, expliqua Cora, mais j'ai profité de mon coup d'hier, et j'ai fait croire à ma prof que j'avais mes règles et que j'avais mal au ventre, pour éviter ça et rejoindre Achille.
Prune sourit. Cela tombait finalement extrêmement bien qu'ils soient là tous les deux, ils allaient pouvoir se pencher sur la disparition de Neil ensemble !
- T'as eu mon message Prune ? lui demanda alors Cora en souriant à pleines dents.
L'intéressée fronça les sourcils, avant de tâter sa poche et de réaliser que son téléphone n'y était pas.
- Merde ! J'ai dû l'oublier chez moi ! Tu disais quoi ?
Cora laissa planer un peu de suspens, avant de s'exclamer :
- J'ai trouvé comment décrypter le journal intime de Neil !
- Vraiment ? Oh mon dieu mais c'est absolument génial !
- N'en fait pas trop, lui conseilla Achille en plaisantant. Elle va vouloir qu'on l'appelle « Ô grand génie » sinon !
- Trop tard, c'est déjà le cas... Mais un simple « génie » suffira, inutile d'en rajouter. Je reste quelqu'un de simple malgré tout.
Les trois adolescents éclatèrent de rire.
- Plus sérieusement, reprit Cora, ce n'était pas si compliqué. Je n'avais juste pas la bonne méthode. Au final, il m'a suffi de regarder le signe qui revenait le plus sur une page, et j'en ai déduit que c'était le « e ». À partir de là j'ai noté tout les regroupements de deux lettes avec le signe du « e », et j'ai essayé d replacer l'autre signe par un « l », puis un « d », un « s » ... À force, et avec pas de persévérance, j'ai trouvé ce qui formait des mots avec du sens, et de fil et en aiguille, grâce à mon cerveau surpuissant de génie comme l'a si bien dit Achille, j'ai fini par découvrir à quoi correspondait chaque signe. Je l'ai recopié sur une feuille à part, et voilà, on a désormais notre petit alphabet pour comprendre l'intégralité du carnet !
Prune et Achille se lancèrent un regard en coin, impressionnés.
- Wow, s'écria Achille. Je n'y aurais jamais réussi.
- C'est bien pourquoi on m'a confié cette tâche à moi, gros bêta.
- Eh ! Je ne te permets pas ! Tu es sensée me rassurer en disant « mais non, on a juste une intelligence différente » !
- Oh. Mais non Achille, le singea-t-elle d'une voix suraiguë, tu n'es pas idiot, bien au contraire ! Tu as juste une intelligence différente, voilà tout !
Il leva les yeux au ciel et « le génie » réplica en lui tirant la langue. Prune se mit à rire, ils ressemblaient à deux enfants à agir comme ça.
- Sinon, je vous coupe dans votre dispute de bébés, mais j'avais aussi un truc important à vous dire.
- Vraiment ? se rapprocha Cora, très sérieuse d'un coup. Quoi donc ?
- Enfin ça nous aurait été surement plus utile si tu n'avais pas déchiffré le code, mais ça revient au même.
- Viens-en au fait, la pressa le garçon.
- Vous voyez la première fois où on a été chez Neil, j'ai dit qu'il m'avait parlé d'un livre avec un code ou quelque chose comme ça, il y a longtemps.
- Hum oui, c'est possible...
- Et bien figurez-vous que je viens de retrouver le livre ! J'ai été le chercher hier soir chez lui. Sois dit en passant, sa mère ne va pas mieux du tout. Bref, j'ai donc le livre.
Elle fouilla dans son sac et en sortit un petit livre de poche qui avait l'air d'avoir traversé les âges, qu'elle posa triomphalement sur la table.
- Le Scarabée d'or d'Edgard Allan Poe ? lu Cora avec attention.
- Exactement ! Dans cette histoire, le héros, William Legrand, découvre un trésor de pirate en déchiffrant un vieux parchemin qui renferme une énigme qui mène au trésor. D'ailleurs, il utilise à peu près la même méthode que toi Cora.
- Ça ne m'étonne pas, c'est la méthode la plus simple en y réfléchissant. Il suffit juste de faire preuve d'un peu de logique. Maintenant que tu le dis, il me semble avoir lu le nom d'Edgar Allan Poe plusieurs fois quand je faisais mes recherches. Il n'était cryptographe, en plus d'être écrivain ?
- Si exactement ! Il a une citation là dessus il me semble...
- « Nous maintenons délibérément que l'ingéniosité humaine ne peut pas concocter un code secret que l'ingéniosité humaine ne puisse résoudre » la coupa Cora. Je m'en souviens maintenant !
Achille soupira.
- C'est diablement intéressant tout ça, mais ce ne serait pas plus logique de décrypter ce code, au lieu d'en parler, encore et encore ?
- Il n'a pas tort, acquiesça Cora en sortant de son sac le journal de Neil et la feuille où elle avait finalement réussi à trouver quel signe correspondait à quelle lettre de l'alphabet.
Prune l'attrapa et l'observa avec attention.
- C'est fou, il n'a pas tout à fait utilisé les mêmes signes que dans Le Scarabée d'or, mais les deux codes me semblent vraiment très proches !
- On sait d'où il tire son inspiration en tout cas, murmura Achille en observant le feuillet au dessus de l'épaule de la jeune fille.
Cora leur signala alors que trente minutes s'étaient déjà écoulées et que leur heure de pause entre deux cours n'était pas extensible à l'infini, bien au contraire. Ils se mirent alors au travail, et après quelques minutes ils purent lire la première page. L'incompréhensible 49 +2«45; (43 3?<2 ?;2 82 81+2 «195 «19<135 ;538=25 3)«9?2?2)2?; 2? 72 52?;54?; +4?! )4 8478972;;2 2; «93! 37 ) 2!; <3;24««459 /9 37 )2 !2543; «79! /9 9;372 «195 856«;25 )1;? 845?2; se changea alors en un beaucoup plus clair : Au départ, j'ai inventé ce code pour pouvoir tricher impunément en le rentrant dans ma calculette, et puis il m'est vite apparu qu'il me serait plus qu'utile pour crypter mon carnet.
Prune repoussa le journal intime du disparu et soupira. Tout ça pour ça ? Si le carnet s'avérait aussi décevant que cette première page, ils n'étaient pas prêts de retrouver Neil. Plus les jours passaient, et plus sa mort semblait plausible de toute façon. La jeune fille ne voulait pas être défaitiste, mais c'était pour elle l'hypothèse la plus probable – bien qu'également la plus douloureuse. Elle ne voulait pas trop y songer, elle ne parvenait pas à s'imaginer un monde sans Neil, sans son ami d'enfance. L'univers ne tournerait plus rond si cela s'avérait vrai, il manquerait quelque chose, une pièce essentielle du puzzle. Et pourtant, il l'était surement, à l'heure qu'il était. Mort.
Prune voyait bien que les autres refusaient de considérer sérieusement cette hypothèse. Achille croyait désormais dur comme fer à la théorie de la fugue, et Cora semblait se laisser convaincre un peu plus de jour en jour par le garçon. La violoniste, elle, n'avait pas autant d'espoirs. Une toute petite part d'elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer que, peut-être, Neil était vivant et bonne santé quelque part, loin... Mais la part la plus rationnelle d'elle-même, qui n'était pourtant pas ce qui la caractérisait, loin de là, lui dictait qu'il était mort, tout simplement, et qu'elle n'avait plus qu'à s'y faire. En jouant du violon, soir après soir, elle apaisait d'une certaine façon son cœur meurtri, et c'était aussi l'occasion de rendre hommage à Neil, de lui dire au revoir... Il ne restait plus qu'à savoir quand est-ce qu'elle pourrait réellement lâcher prise et abandonner tout espoirs.
- J'ai fini de décrypter l'autre page ! s'exclama alors Cora d'une voix triomphale. Une vrai cette fois, pas une espèce de page de garde ridicule !
Revenue à la réalité, Prune se pencha avec Achille sur son épaule, et ils lurent tous les trois ce que Cora venait d'écrire en guise de traduction.
« Chez journal. Quelle entrée en matière détestable, digne d'une petite fille de huit ans ! Mais il faut bien commencer quelque part, alors pourquoi pas. Je disais donc, chez journal. Je ne vais pas me présenter, parce que le principe d'un journal intime est de rester intime, et de toute évidence, je me connais déjà. Et, comme tu n'es qu'un vulgaire amas de papier, tu n'as pas besoin d'en apprendre plus sur moi non plus. Tu ne sais bien évidemment pas lire, tu n'as pas de conscience, de cerveau. Oh mon dieu, je n'arrive pas à croire que je suis en train de tutoyer un carnet et de lui expliquer qu'il ne peut pas me comprendre parce que justement, c'est un carnet ! »
- Vous avez lu ça ? les coupa Cora de leur lecture. Il est vraiment du genre à psychoter non ?
- C'est clair que là, ça atteint un niveau presque comique, grimaça Achille, qui semblait hésiter entre le rire et l'incompréhension totale.
- On ne devrait peut-être pas faire ça non ? demanda Prune. Lire certes, on a convenu que c'était nécessaire, mais juger ce qu'il écrit, je trouve ça un peu limite non ? On est censé être ses amis après tout. Et je doute qu'il ait prit la peine de code un carnet entier uniquement pour « psychoter » comme vous dites !
- Elle a raison, acquiesça Achille. Ce n'est pas très malin.
- Retournez à votre lecture alors vous deux ! les invectiva Cora.
« But nevermind, comme le disait si bien Kurt Cobain. J'imagine que si j'ai éprouvé le besoin d'écrire un journal intime, c'est pour autre chose que déterminer le degré de stupidité à le tutoyer ou non. Je n'ai toujours pas répondu à cette question alors ton statut est encore indéterminé, petit carnet. »
- Je ne juge pas, mais il psychote quand même énormément, soupira Achille en relevant la tête.
- Mais il aime Kurt Cobain, donc c'est pardonné ! Lis donc ! le poussa Cora.
La sonnerie retentit alors à cet instant, et les trois adolescents s'observèrent, frustrés.
- On sèche ? proposa Achille.
- Hors de question ! refusa Prune, outrée. On pourra toujours le lire ce soir, il suffit de faire preuve d'un peu de patience !
- Je suis d'accord avec elle, la rejoignit Cora. En plus, j'ai un cours de maths là, donc je dois absolument y être : j'ai un contrôle de quatre heures la semaine prochaine !
- Ok je vois, bougonna Achille, vous avez raison.
Prune attrapa le journal intime de Neil et le rangea précieusement dans son sac.
- On y retournera au plus vite, asséna-t-elle avec détermination.
❅❅❅
Ok, j'avoue, je suis cruelle d'en dévoiler aussi peu ! Mais il faut bien faire durer le suspens jusqu'au 24 décembre 😇
Par contre, j'ai peur que le rythme de publications se ralentisse (adieu, beau concept du calendrier de l'Avent), je commence à épuiser l'avance que j'avais en terme de chapitres, et là avec les cours, je suis incapable d'écrire un chapitre de 2000 mots correct en une journée ! Anyway, j'aurais donc du retard sur le mois de décembre, mais je ne devrais pas trop tarder non plus, don't worry !
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