Chapitre 13 : Cora
Mercredi 13 décembre : Cora
Il avait recommencé à neiger dans la nuit de mardi à mercredi, mais, malheureusement pour Cora, pas assez pour empêcher les bus de passer. S'il était tombé ne serait-ce que quelques centimètres de plus, elle aurait peut-être pu éviter le lycée, cependant, les nuages en avaient décidé autrement.
Cora s'en plaignait évidemment, comme tout bon adolescent qui se respecte et qui se dit qu'il aurait pu louper les cours. Mais en réalité, elle ne détestait pas l'école. Bien-sûr, si on lui donnait le choix elle préférait rester chez elle tranquillement, toutefois, elle était reconnaissante à l'établissement. Elle aimait réellement apprendre de nouvelles choses chaque jour, accroitre ses connaissances et progresser. Si cela été possible, elle choisirait probablement de faire des études à vie, car rien ne parviendrait jamais à combler son insatiable curiosité.
Elle aimait aussi le lycée d'un point de vue purement sociable, sans lui elle n'aurait jamais connu Neil, et par conséquent ne se serait jamais liée d'amitié avec Prune et Achille non plus. Néanmoins, elle aurait apprécié ne jamais rencontrer certaines personnes, Daniel, Mathilde ou Ève par exemple. Elle avait passé des moments formidables avec eux, créé des souvenirs qui resteraient gravés éternellement dans sa mémoire, comme sa première fois avec Daniel, des soirées qu'elles avaient fait avec Mathilde et Ève ou encore leurs fous rires en classes... Mais ces moments de joies lui semblaient bien négligeable en comparaison avec le mal qu'ils lui avaient causée. À cause de leurs actions, elle avait perdu son premier amour, mais aussi ses deux plus proches amies. En y réfléchissant, elle ne parvenait pas à déterminer ce qui lui faisait le plus mal, encore aujourd'hui : son chagrin d'amour, ou celui d'amitié ?
Quoiqu'il en soit, son cœur était brisé, et cela lui semblait irrémédiable, comme si elle souffrirait pour toujours quand elle y repenserait, ne serait-ce que quelques secondes. Comme si cet organe était recouvert d'épine, qui s'enfonçait un peu plus profondément à chaque fois qu'elle les croisait dans les couloirs du lycée... Pourtant elle avait beau savoir pertinemment que le cœur n'était qu'une vulgaire pompe pour faire circuler le sang dans son organisme, elle ne pouvait s'empêcher d'y ressentir une véritable douleur physique.
Seuls Achille et Prune parvenaient à combler cette peine, ce vide. Sans son amitié avec eux, la vie de Cora n'aurait plus eu aucun sens.
Pourtant, leurs conversations n'étaient pas des plus joyeuses. Cela allait faire treize jours que Neil avait disparu, et la police n'avait toujours pas la moindre piste. On aurait dit qu'ils ne le cherchaient même pas, comme s'ils s'étaient dit que le disparu était majeur dans quelques jours, et vu qu'il s'agissait vraisemblablement d'une fugue, il était inutile de s'embêter à partir à sa recherche en menant des battues ou en utilisant des chiens.
Cela dit, Cora n'avait pas avancé de son côté non plus. Elle était chargée de décrypter le journal intime du garçon, mais elle avait fini par le laisser de côté, en se disant qu'elle y reviendrait plus tard. De ce fait, ils n'en savaient toujours pas plus sur les pensées de Neil. Avait-il songé à fuguer, oui ou non ? Ou alors, s'était-il senti menacé dans les jours précédents sa disparition ? Suivi peut-être, ou épié ?
Ses livres ne leur avaient pas été d'une grande aide. Dans les Jules Vernes que Cora avait emprunté au disparu, elle n'avait rien découvert, à part qu'il était globalement impressionné par l'avant-gardisme de l'écrivain. Avec les Sherlock Holmes, c'était pire, il n'y avait rien écrit du tout ! Rien, pas la moindre petite annotation ou citation relevée !
Achille lui avait apparemment fait une bonne pioche en prenant L'Attrape-cœurs de Salinger, qui était rempli d'indications en tout genre. De toute évidence, c'était l'un des livres préférés de Neil, il avait dû le lire à maintes et maintes reprises, vu son mauvais état.
Ce roman avait fait pencher Achille pour la thèse de la fugue, mais Prune, elle, semblait persuadée qu'il était mort. Elle avait l'air en deuil, son visage s'assombrissait de jours en jours, mais elle dégageait dans le même temps une étrange impression de sérénité, de calme absolu. Comme si elle s'était résignée et n'attendait plus rien. Elle était juste infiniment triste, mais n'était plus dans l'incertitude, à l'inverse d'Achille et Cora, qui eux gardaient espoirs malgré tout, mais se rongeaient les sangs en songeant au disparu chaque jour, à chaque instant.
Quand Cora entra dans sa salle de classe pour son cours de maths de ce matin, elle eut pourtant la désagréable surprise d'y trouver deux policiers municipaux. Elle songea d'abord à un contrôle de drogue, comme elle en avait connu en seconde – un garçon de sa classe avait d'ailleurs fini au commissariat. Mais en y réfléchissant, il semblait évident qu'ils soient venus pour Neil. Après tout, le lycée aurait dû être l'une des premières choses qu'ils vérifiaient, au lien d'attendre presque deux semaines !
- Bonjours à tout, s'exclama le premier homme d'une voix bourrue une fois que tous les élèves furent arrivés et installés. Police municipale, nous sommes venus à propos de l'inquiétante disparition de l'un de vos camarades, Neil Fabre.
Des chuchotements retentirent à la suite de ces mots. La classe était en ébullition, tout le monde était intrigué par l'Affaire Neil, sans vraiment oser en parler trop fort, et cet homme venait de mettre les pieds dans le plat.
Cora elle pouvait se targuer d'en savoir un peu plus que les autres sur la disparition du garçon, mais cette visite de la police l'intriguait tout autant. Pourquoi étaient-ils passé du « c'est surement une fugue, il va revenir ne vous inquiétez-pas » à « une disparition inquiétante » ? Qu'est-ce qui avait bien pu les faire changer de comportement ?
Le deuxième policier, plus jeune et à l'air plus sympathique, s'avança :
- Nous allons tous vous prendre un par un dans la salle d'à côté, pour vous entendre à propos de votre camarade disparu. Même si vous n'étiez pas proche et que vous ne savez rien de lui, le moindre détail pourrait nous aider. De plus, nous avons besoin d'un grand nombre de dépositions pour balayer un spectre plus large dans nos recherches, et vous êtes tous ici considéré comme témoins. J'espère que c'est clair. Vous n'avez pas de question ?
Personne n'en avait.
- Bien, reprit le plus vieux des deux, on va vous appeler par ordre alphabétique, ça sera plus simple.
Le professeur lui donna une liste des élèves, et le policier s'exclama avec gravité :
- Violette Appercer, veuillez-nous suivre. Par ici s'il vous plaît.
- Arthur Blois, ajouta l'autre, venez aussi, vous attendrez devant la porte.
Ils les suivirent tous les deux, et quelques minutes plus tard, Violette revint l'air inquiète, en informant Eliott Brun que c'était son tour. Elle retourna s'installer à sa place, une table derrière Cora, avant de se pencher vers son voisin pour lui murmurer :
- Il y a deux autres policiers dans la salle, et ils nous nous posent plein de questions sur Neil, genre si on l'a connu, quelles étaient la nature de nos relations avec lui, ce genre de choses... Tu sais qu'ils vont faire tout le lycée comme ça ? Ils ont commencé avec nous parce que Neil était dans notre classe, mais ils vont interroger tout le monde, même les secondes qui ne le connaissait même pas ! Même les profs !
Cora se redressa. Elle venait de penser à quelque chose de la plus haute importance. Elle savait pas mal de choses sur Neil, avec Achille et Prune. Devait-elle parler à la police de ses livres, de son journal intime codé ? Si elle le faisait, ils le lui confisqueraient surement, pour le bien de l'enquête. C'était même évident, ils ne laisseraient jamais des preuves de cette importance entre les mains de simples adolescents. Ils seraient sans doute plus à même à les décrypter, après tout ils devaient avoir des équipes spécialement formées à ce genre de choses non ? Mais en même temps, ils avaient tout de même attendu presque deux semaines avant de réellement commencer à chercher Neil, contrairement à ses amis qui s'y étaient mis presque directement, et ça, c'était une preuve de leur incompétence totale.
Elle eut un sursaut de conscience : il fallait qu'elle en discute avec Achille et Prune. Malheureusement, elle avait beau être à la fin de la liste alphabétique, elle ne pourrait pas y échapper avant la pause. Or, il fallait absolument qu'elle se concerte avec ses amis, pour qu'ils décident ensemble de la marche à suivre !
La jeune fille se leva alors, sous les yeux étonnés du reste de sa classe et de son professeur.
- Excusez-moi, lança-t-elle à la cantonade, mais il faut absolument que j'aille aux toilettes.
- Vous ne pouvez pas attendre la pause pour ça mademoiselle ? la rembarra l'adulte.
Elle décida de tenter le tout pour le tout, et sortit la botte secrète des filles, l'argument normalement imparable.
- C'est à dire que non. C'est pour un problème de fille, si vous voyez ce que je veux dire...
Elle ne pu s'empêcher de rougir un peu, mais elle s'en félicita, cela faisait paraître son excuse plus vraie que nature. Certains garçons se mirent à ricaner, tandis que les filles lui lancèrent des regards de soutien.
Le professeur resta un instant sans comprendre, avant de rougir lui aussi et de bredouiller :
- Heu... Oui bien-sûr mademoiselle, faites ce que vous avez à faire !
Cora sourit victorieusement, et se pencha dans son sac pour attraper un tampon, après tout, il fallait bien qu'elle rende son excuse le plus crédible possible. Elle entendit un garçon faire une exclamation de dégoût et elle leva les yeux au ciel devant cette immaturité et cette bêtise. En passant près de lui lorsqu'elle sortit de la salle, elle lui murmura :
- Ça te dégoûte peut-être, mais saches que tu dois la vie aux règles !
Il la regarda comme si elle venait de lui annoncer que le père noël n'existait pas et ce fut à son tour de ricaner.
Une fois dans le couloir, son sourire triomphal s'élargit encore un peu plus. Au lieu de se diriger vers les toilettes, elle fit demi-tour et alla devant la salle où les terminales ES avaient cours. Elle frappa rapidement avant d'entrer en entendant le « oui ? » du professeur.
- Excusez-moi, commença-t-elle sans pénétrer entièrement dans la pièce. Je viens de la part de la CPE, elle doit parler à Achille Martin. C'est urgent.
Le professeur d'anglais, que Cora avait déjà eut l'année dernière, la connaissait et savait qu'elle était une élève sérieuse, alors il ne remit même pas sa parole en doute une seule seconde. Il ordonna à Achille de la suivre, qui s'exécuta de bonne grâce, quoi qu'un peu perplexe.
Dehors, et lorsqu'elle fut sûre qu'ils s'étaient assez éloignés de la salle pour que personne ne les entende, Cora exulta :
- Ça a marché de tonnerre c'est génial !
- Tu pourrais m'expliquer ce qu'il se passe ? J'imagine que tu mentais, vu qu'on ne prend absolument pas la bonne direction pour le bureau de la CPE...
- Bien vu Achille. C'est exact c'était juste une excuse pour venir te voir, j'ai absolument besoin de te parler. Mais avant on va chercher Prune de la même façon, je t'expliquerais ça ensuite !
- Si je me fais coller, saches je te dénoncerai sans aucuns scrupules, marmonna le garçon, en la suivant néanmoins.
Lorsqu'ils arrivèrent devant la classe des terminales L, Cora demanda au garçon de l'attendre dans le couloir, avant de procéder exactement de la même manière pour exfiltrer Prune. Une fois l'opération réussit, elle se félicita de son plan, qui pour l'instant marchait à la perfection. Le plus fort c'est que les profs ne se douteraient jamais de rien, ils devaient tous savoir que la police était ici pour la disparition de Neil, et il était de notoriété public qu'Achille était ami avec le disparu, tout comme Prune. Sachant cela, et vu la situation, il paraissait tout à fait logique que la CPE veuille leur parler. Non décidément, ce plan était génial.
- Bon, qu'est-ce que tu veux ? la relança Achille. J'imagine que c'est important vu les moyens que tu as employés...
- On peut dire ça... C'est à propos de Neil. Vous ne le savez peut-être pas, mais la police commence enfin à faire son job. Ils sont ici, pour interroger tous les élèves à propos de sa disparition.
- Et donc ?
- Et donc, il faut qu'on coordonne nos versions de l'histoire, c'est important.
- Pourquoi ? intervint Prune. On ne leur dit pas tout simplement la vérité ?
- Ça, c'est à vous de voir. Sois on leur fait confiance, on leur dit pour les livres et le journal intime, ils nous les confisquent parce que ce sont des pièces à conviction et on ne peut plus mener l'enquête. Sois on dit qu'on est dévasté blablabla, on leur explique tout ce qu'on sait, en omettant juste cette histoire de carnet et de bouquins, qu'on puisse les garder et continuer à la rechercher de notre côté.
Les trois adolescents se regardèrent, en plein dilemme. Aucuns d'entre eux ne savait vraiment quelle attitude adopter.
- Dans les films, les héros ne parlent pas souvent à la police, commença Achille.
- Et ça ne se termine bien uniquement parce que ce sont des histoires inventées, de la fiction, le contredit Prune.
- J'allais au contraire dire que ça se terminait rarement bien, ajouta le garçon.
- Oh. Je vois, désolée.
Pourtant, aucuns d'entre eux ne réagit à ce moment là, et Cora soupira.
- Ça veut dire qu'on les garde malgré tout, et qu'on trafique un peu la vérité ?
Prune prit une grande inspiration.
- Ça ne me plait pas beaucoup, mais vu comment les policiers ont l'air de bosser, je pense qu'on se débrouillera aussi bien qu'eux.
- Voir mieux ! compléta Achille.
- Alors c'est décidé, conclu Cora. S'ils nous posent la question, on leur dira qu'on est effectivement passé chez Neil pour enquêter un peu, mais qu'on n'a rien trouvé.
- Et s'ils nous parlent de son journal intime ? s'inquiéta Prune.
- Ils ne sont même pas au curant de son existence, et on fera comme si nous non plus. Qui se douterait qu'un adolescent comme Neil écrivait un journal ? Personne.
Après ces bonnes paroles, ils retournèrent chacun dans leur classes respectives, prêts à répondre aux futures questions que la police allait inévitablement leur poser.
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Et.... il faudra attendre demain pour savoir ce qu'il va se passer avec la police ! #sorrynotsorry
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